L’histoire retient ce qu’on souhaite qu’elle retienne. Nous pouvons idolâtrer des ordures et jeter en pâture des Saints. Prenons les samouraïs pour exemple. Nous leur prêtons de nobles valeurs semblables à la chevalerie avec un respect de son prochain et une droiture à toute épreuve. Qui n’a jamais rêvé d’être un putain de samouraïs après avoir vu un film ou lu un manga ? Pourtant, aucun d’eux ne raconte combien ces personnes étaient perfides, perverses, trahissaient et poignardaient dans le dos leurs rivaux. On dit de la fiction qu’elle n’est pas réalité, alors que l’histoire avec un grand H est elle-même une fiction. Donc devons-nous croire tout ce qui est écrit et dit lorsque ces propos sont souvent tordus, manipulés, édulcorés ou endiablé pour qu’une caste puisse garder ses nobles petits secrets ?
La mienne débute dans les contrées de la Grande Bretagne. Ma famille est issue de deux lignées diamétralement opposées. De par les origines maternelles de mon père, j’appartiens aux Cynfeirdd, une longue lignée de chasseurs de monstres et notre tristement célèbre histoire raconte l’ensemble de nos haut-faits à coup de baguette magique, mais aussi d’arbalète, d’épée et même de lyre. Chacun dispose de son propre style et ce n’était pas pour m’en déplaire lorsque mes yeux scintillaient encore d’émerveillement à l’entente de nos trop nombreuses péripéties. Enfin, de par le père de mon père, je suis également la descendante d’une lignée viking s’étant installée en Angleterre après avoir pillé et mis à sac les côtes. Ils étaient en quête d’un renouveau, les terres de Scandinavie n’étant plus assez riche pour l’ensemble de notre peuple. A la manière des Cynfeirdd, les Stegalkin ont brillé à maintes reprises par leur bravoure au travers des guerres des âges. Ils ne revendiquent pas de spécialité les entourant d’un mystère comme pour les Cynfeirdd, mais leur maniement des hachettes suffit à marteler leur nom dans les mémoires. Les origines de ma mère sont plus modestes et ne se prêtent pas à de récits pour le moment.
Et moi dans tout ça, qui suis-je ? Il serait plus juste de demander : que suis-je ? Une paria, une cible, une honte… Je suis née-loup, ce qui fait de moi une loup-garou entrant dans la catégorie des créatures démoniaques que ma famille paternelle a juré de combattre. Je suis un monstre, une erreur de la nature si on les écoute. C’est d’autant plus dévastant de sentir leur regard, que je n’ai pas choisi d’être ainsi. Pendant un temps, j’ai tout fait pour être l’enfant modèle pour me repentir de ce que j’étais et représentais. J’étais prête à chasser mes semblables un jour pour qu’ils m’acceptent dans leur cercle. Mais c’était vain. Certains n’ont jamais su voir au-delà de ma condition et de ce qui se racontait sur nous. C’est ironique. Ils ont repoussé notre espèce pendant des générations. Ils ont appris à connaître nos comportements sur le bout des doigts aux fins de nous traquer. Ils ont découvert nos faiblesses et les ont exploitées. Et pourtant, aujourd’hui je me rends compte qu’ils ne savent rien de nous en dehors de leurs préjugés qui leur ont été conté.
Je n’ai pas eu à vivre longtemps dans le mensonge. A mes douze ans, le rideau s’est levé.
Mon père n’était pas un né-loup. Il avait été mordu au cours d’une chasse, le contraignant à revoir ses positions sur ces monstres puisqu’il en devenait un. Il avait tellement besoin d’aide et était tellement honteux, qu’il se tourna paradoxalement vers ses ennemis pour le soutenir dans sa transition. Il savait que si leur chef de clan l’apprenait, sa vie serait placée dans une balance entre le cœur et la raison. Il retrouva la louve qui l’avait mordu avant de s’enfuir et la supplia de lui fournir un traitement, conscient qu’il demandait l’impossible. Le destin ayant son humour, il lui donna un traitement qu’il n’aurait pu imaginer : l’amour. Cette femme était ma mère, une née-loup qui lui sauva la vie quand elle avait failli la lui prendre. Elle lui apprit tout ce qu’elle savait et lui confia ses secrets pour maîtriser la transformation les soirs de pleine lune sans avoir de recours à une quelconque potion qui le ruinerait de l’intérieur.
D’une certaine manière, je crois que la transformation de mon père et l’acceptation de ma mère dans la famille n’ont jamais été une réussite. Les Cynfeirdd étant très soudés, ils n’avaient pu se résigner à abattre l’un des leurs sur le champ mais avaient posé des conditions très strictes. C’est ainsi que mon père était retourné parmi eux et avait repris sa place en ayant quelques doutes sur ses actions passées, maintenant qu’il découvrait l’envers du décor. Il poursuivit toutefois son rôle de chasseur pour maintenir les apparences, au grand regret de sa femme.
Les choses devaient déraper à un moment donné. Leur mort n’était que la conséquence logique de ce qui crevait les yeux depuis le départ. C’était un soir de pleine lune. Avec mon père, nous avions pour habitude de nous enfermer dans le cachot de notre demeure et de nous enchaîner pour que notre loup ne puisse blesser personne. Cette nuit-là, la lune était rouge sang. Elle semblait plus puissante que toutes celles que j’avais pu observer. Contrairement à ma mère, mon père ne maîtrisait pas son totalement son loup. Moi-même, je parvenais à mieux le contrôler du fait que c’était dans mes gênes depuis ma naissance. Lorsque la lune rouge présenta son plus bel éclat, il ne put rien maîtriser et, je ne sais si c’était une fragilité des points d’ancrage ou si la lune l’avait rendu plus fort, mais il se libéra de ses entraves.
Le loup-garou enragé ne chercha pas à combattre la louve enchaînée que j’étais et se précipita sur la porte du caveau. Quelques minutes lui suffirent à la mettre en lambeau. Je ne fus pas présente pour la suite des événements. Je me souviens seulement avoir vu Maeve barrer le chemin à Geraint en lui poussant une soufflante. Lorsque je repris ma forme humaine, les chaînes brisées de mon père gisaient sur le sol tandis que Maeve attendait dans la pénombre de la pièce, comme si elle montait la garde depuis toutes ces heures. Je m’étais alors demandé si elle me gardait enfermée, si elle me protégeait de l’extérieur ou si c’était les deux. Avec son soin de psychologue, et sans doute parce qu’elle avait eu le temps de répéter, elle trouva les justes mots pour me préparer à la situation qui m’attendrait dès que je gravirai les quelques marches du cachot.
A douze ans, mon monde s’effondrait.
Je découvrais le corps sans vie de la bête de mon père, entouré de celui de ma mère qui l’avait protégé jusqu’au bout avant de le rejoindre. Que notre maison soit saccagée et que je sois nue dehors n’avaient aucune importance à cet instant précis. Maeve était présente et elle le serait encore pour me soutenir dans l’épreuve à venir, néanmoins mon cœur s’emplit d’un grand vide en ce jour, qui ne me quitterait plus. Un sentiment de solitude tenace qui me glace le sang et m’angoisse, alors que je fais front de mon plus beau sourire. Un masque d’assurance et de détermination que je garderai confortablement, tandis qu’en-dessous tout s’effrite lentement.
Ma vie n’a évidemment plus été la même à compter de cette nuit. Maeve a été contrainte de finir mon éducation et superviser le contrôle de mon loup pour qu’aucun nouvel incident ne survienne. Geraint s’est mis à me donner de l’urticaire chaque fois que je le vois, si bien que j’ai dû prendre des séances chez le psy attitré de la famille : Maeve. Mes crises d’angoisse ont fini par diminuer mais je reste incapable de passer dans la rue où sont morts mes parents. Et j’ai reçu ma lettre d’admission à Poudlard. Wouhou, regardez c’est la fille dont l’arrière-grand-père a buté les parents parce qu’ils étaient loup-garous. Super pub… Je déteste la magie et les sorciers.
Poudlard ne voulait pas de moi et je ne voulais pas de lui. C’est d’un commun accord que j’ai quitté cette soi-disant prestigieuse école après mes BUSES empochés. On m’a regardé de travers, car j’étais une Cynfeirdd et que je ne donnais pas l’image qu’on attendait de moi, celle qui était véhiculée partout. Mais ils oubliaient un peu vite que j’étais aussi une Stegalkin et la fille d’une née-loup. Si je me démenais à devenir une chasseresse accomplie, ce n’était en aucun cas pour sacrifier la vie de mes semblables pour mon profit. Non, j’aspirais à plus. Je voulais devenir une véritable guerrière pour les défendre et me venger le jour venu. C’est dans cette optique que j’ai rejoint la Meute, grâce aux anciens contacts de ma mère. Mon histoire étant de notoriété publique, ils m’acceptèrent à l’essai malgré mes origines. Je n’étais pas malvenue mais on ne m’accueillait pas à bras ouvert. Je devais d’abord faire mes preuves pour qu’ils m’accordent leur confiance. J’étais le mouton noir de la bande, celui qui devait danser solo avant de rejoindre la fête…
On m’appela l’Omega.