By the Sea { Céleste

Bien que l’été fut marqué par une chaleur écrasante dans tout l’Hexagone, la Bretagne ne faillissait jamais à sa réputation. Le visage caresse par de timides embruns, Céleste posa pied en Normandie en seulement quelques secondes, juste le temps de transplaner de sa Corse chérie à Deauville. Elle resta là à contempler la mer cinq ou peut-être dix minutes, fascinée par la Manche assaillie par de nombreux touristes cherchant un peu de fraîcheur inespérée. Le soleil avait suivi la course de Céleste et inondait le sable breton comme il avait frappé à son carreau ce matin, dans la demeure isolée des Delacroix tout près de Porto Vecchio.

Son regard passa sur le country club qu’avait désigné Neith pour prendre le tea time ensemble. Cette femme était toujours étonnante, mais elle ne doutait pas d’elle. Neith avait toujours plus d’un tour dans son sac et les apparences étaient bien souvent trop trompeuses. Elle soupira, peu inclinée à venir balayer le sol de ce drôle d’endroit de la chute de sa robe immaculée. Son amie avait certainement une excellente excuse pour avoir choisi ce drôle d’endroit. Quiconque la connaissait reconnaissait en elle un goût inouï pour la mode, la finesse et l’élégance. C’était un point commun qu’elles partageaient à n’en pas douter. Leurs tenues, toujours splendides, faisaient souvent l’objet de rivalités et de discussions à n’en plus finir lorsqu’elles assistaient aux traditionnels galas, la monnaie courante des Delacroix et des Hayder.

La brune inspira profondément, cherchant exagérément un peu de courage pour passer la porte d’entrée. Elle posa sa main sur le bois de la porte puis pénétra dans le bâtiment somme toute banale, côtoyé par diverses personnes, toutes plus différentes les unes que les autres. Celle que l’on fixait le plus ici c’était Céleste, bien trop élégante pour un tel endroit. Après quelques messes basses entre clients, un serveur daigna enfin se présenter pour diriger la jeune femme, visiblement pincée, à l’étage. Le bar miteux du rez-de-chaussée laissa vite place à un salon de thé absolument exquis. Son regard balaya les murs joliment décorés d'oeuvres d’art locales avant de se poser sur les retables, dressées à l’image des restaurants les plus fins et les plus prisés du gratin parisien exilé le temps de quelques semaines estivales. Céleste n’aurait même pas été surprise d’y croiser son père, occupé à conserver autour d’un nouveau journal à la une honteuse.

C’est finalement la silhouette de Neith, habillée de son plus bel apparat, qu’elle reconnut tout au fond de son fauteuil, les yeux parcourant la carte entre ses mains, certainement à la recherche de la pâtisserie la plus exquise et qui saura satisfaire son palais exigeant. L’appréhension qu’avait ressentie Céleste s’envola bien vite, ravie de s’entretenir un peu avec Neith qu’elle n’avait pas eu l’occasion de beaucoup côtoyer cet été. Elle avait ceci dit la chance de la voir sous sa plus belle forme, comme l’oisillon qui renaissait tout juste de ses cendres. Le teint hâlé, la robe claire, tout jouait en faveur de Céleste qui prenait toujours grand soin de se présenter sous ses plus beaux atours en présence de la jeune femme. Ce n’était pas une question de rivalité ni même de sentiment de supériorité, mais une simple envie de faire tourner les têtes aux alentours.

« Neith, comme je suis ravie de te revoir! » répondit-elle alors qu’elles s’étreignaient l’une et l’autre avant de s’asseoir méticuleusement dans son fauteuil, particulièrement prudente pour ne pas habiller sa robe. « Si tu savais le nombre de choses qu’il y a à te raconter. La liste est terriblement longue. » commença-t-elle alors qu’elle observait le serveur se hâter auprès de leur table, le stylo noir prêt à noircir son carnet de commandes.

Céleste prit le temps d’observer la carte, qu’importe l’attente du serveur qui ne faisait que son travail, puis finit par commander un thé noir aux notes fruitées et vanillées ainsi qu’un cheesecake sans pareil à la légèreté indétronable. Gilles s’enfuit aussi vite qu’il était arrivé, entamant une course faussement calme pour servir ces dames sans qu’elles n’aient vraiment eu le temps d’attendre.

« Des histoires de garçon, encore et toujours. Je ne sais si tu as entendu parler de… » Sa voix ne devint qu’un murmure. « Michel-Ange, de la famille Grimm. » Elle observa sa compère à la recherche d’une réaction. La famille Delacroix avait jugé qu'un Grimm n'était pas suffisant. Neith serait-elle du même avis? « J’ai eu une aventure avec lui l’année dernière, avant qu’il ne me jette. » C’était difficile à admettre, sa gorge se serra un peu sous l’effet d’une honte dissimulée. « Je suis tombée sur lui lors de mon escapade à Brighton, il était en compagnie d’un ami. Je n’ai pas résisté à l’envie de me venger… »

Neith avait une attitude tout à fait fascinante qui ne manquait d’inspirer l’aînée des Delacroix. Elle avait le charme et la verve des femmes aristocrates autant que la douceur et l’écoute d’une amie, voire même d’une soeur. La main posée sur la table d’un bois parfaitement lisse, Céleste tremblait légèrement à l’idée de lui raconter ne serait-ce que le quart de ses mésaventures. Neith n’avait jamais fait preuve d’aucun jugement à son égard, mais Céleste était soucieuse de suivre son exemple, voire même d’exceller autant que son mentor. Elle hocha doucement la tête, sans faire un bruit, acceptant ainsi de révéler quelques-uns de ses secrets.

En réalité, Neith était la seule à qui Céleste pouvait se confier en dehors de Poudlard. Ses amies françaises adoraient toutes sortes de potins et n’auraient pas refusé de se voir mettre quelque ragot sous la dent.  @Florian De Clare l’aurait certainement écoutée, mais discuter d’histoires de garçons avec lui la rendait mal à l’aise. Neith, elle, pouvait l’écouter s’épancher des heures, ne pas laisser de jugement teinter ses propos, et faire preuve d’une grande sagacité. Elle excellait dans l’art de prodiguer des conseils ou d’encenser Céleste dans ses projets les plus fous. Y compris lorsque la rancoeur la gagnait. Neith avait toujours été une terrible alliée.

Ce fut avec une touche d’appréhension que Céleste entama son récit, d’abord réticente à l’idée de dévoiler les plus petits détails. Il était déjà suffisamment notable d’avoir eu une relation avec un Grimm, famille qui ne figurait pas parmi les plus appréciées des hautes sphères sorcières. D’ailleurs, papa Delacroix n’avait guère apprécié que sa fille verse avec un tel malfrat et avait tout fait, en compagnie de sa femme un peu trop docile, pour que la chair de sa chair ne fraye pas avec un tel énergumène. Retourner à Poudlard avait été le sujet de beaucoup de discussions et les avantages et inconvénients avaient longuement été pesés avant d’en venir à une conclusion. Jamais Céleste n’aurait assisté à de telles tergiversations chez les Hayder. Tout était beaucoup plus simple lorsqu’il s’agissait de relations intimes. Comme il était facile de jalouser Neith sur ce point.
Sa répartie, simple, courte, efficace, avait quelque chose de piquant sans pour autant relever du jugement. L’information avait été récupérée au vol puis soigneusement rangée dans sa base de données. Céleste observa Neith du coin de l’oeil avant de continuer son récit. D’un ton calme et apaisé, les propos de son amie s’intensifièrent sans qu’une note soit plus haute que l’autre.  @Michel-Ange Grimm avait été un imbécile fini, et pour une fois elle n’était pas la seule à le penser. Combien de jours avaient passé sans que Céleste n’arrive totalement à se convaincre de la seule responsabilité du jeune homme? Elle pouvait afficher une attitude hautaine et sûre d’elle autant qu’elle le voulait, sa fermeté ne cachait en réalité que de l’incertitude. Elle plongea son regard dans le fond de sa tasse de thé, agitant sa cuillère comme pour dénouer tous ses doutes. Elle n’avait donc pas rêvé. Michel-Ange était le fautif. Le seul fautif. Embrasser  @Adil Mesli n’avait pas été très intelligent, mais ç’avait été source d’un infini apaisement. Le Poufsouffle l’avait mérité. Ainsi, le message serait peut-être passé. Céleste avancerait, avec ou sans lui. Avec un autre homme, et ce sans mal.

« J’admets que ton idée me séduit amplement. » Un sourire malicieux passa sur ses lèvres alors qu’elle imaginait une odeur pestilentielle entourer Michel-Ange et toutes les jeunes femmes lui tourner le dos aussi vite que possible. Même  @Apolline Dunn ne supporterait pas ça. Et Michel-Ange comprendrait enfin ce que cela signifie de tout perdre en un claquement de doigts. Il sentirait le vent tourner, et avec un peu de chance ce parfum le dégoûterait aussi de lui-même. Céleste trouverait bien un larbin pour faire le boulot pour elle. « Je suis preneuse. Je déciderai plus tard de m’en servir ou non. Mais je n’hésiterai pas à t’écrire pour te raconter cela si je venais à l’utiliser. »

Elle but une gorgée de sa tasse avant de la reposer et de reculer dans son fauteuil. « J’ai autre chose à te raconter. » Elle s’éclaircit alors la voix avant de poser ses mains sur ses jambes croisées. « Promets-moi de garder le secret. » Ici, en France, Céleste ne pouvait se permettre de laisser les bruits des Delacroix courir au risque de se retrouver à la une des journaux sorciers. « Je vais bientôt me fiancer. » glissa-t-elle dans un murmure.

Qu’il était bon de trouver une alliée auprès de Neith. Les deux jeunes femmes avaient quelques années pour les séparer, pourtant Céleste avait rarement rencontré de femme dont elle se sentait aussi proche. Les gamines aux couettes impeccables qui partageaient le teatime avec elle ne valait pas le quart de Neith qui, au fur et à mesure des années, était devenu un réel exemple pour Céleste. Une jeune femme au caractère bien trempé, déterminée au point de marcher sur le premier qui viendrait barrer son chemin, une bienveillance sans égal pour ceux qu’elle chérissait au plus haut point. Elle était l’exemple même de la femme que Céleste aspirait à devenir. Pour l’heure, elle n’était qu’un fragment de ce que Neith était devenue. Pour autant, à chaque rencontre Céleste en sortait grandie ou ne serait-ce qu’un peu plus déterminée à porter haut les couleurs des Delacroix et de l’aristocratie française.

Toutefois, brandir les valeurs familiales n’avait pas toujours grand sens aux yeux de Céleste. L’excellence d’accord, la bienséance bien évidemment. La soumission et le silence face aux décisions difficiles ou aux erreurs de parcours, non merci. Elle avait ressenti tant de honte lorsque  @Michel-Ange Grimm l’avait littéralement jetée pour courir dans les bras d’une autre. A l’époque, Céleste n’y avait vu que le signe d’une moindre importance, d’une valeur diminuée par rapport à une autre. A bien y songer, la Française comprenait difficilement ce qui lui avait fait préférer la britannique à elle. La beauté? Probablement pas. La gentillesse? Laissez moi rire. Le pouvoir? Peut-être. Pourtant, le Poufsouffle ne semblait pas assoiffé de prestige. S’était-elle méprise en réalité? Il paraît que trop réfléchir pousse à mésinterpréter. Sûrement devait-elle cesser de chercher des réponses à des sujets qui ne méritaient que d’être enterrés.

A mesure que son récit progressait, Céleste sentait les mots de Neith se teinter de surprise, ou plutôt de curiosité à l’évocation du nom « Grimm » : en Europe, tout le monde connaissait cette famille. Sa réaction incite Céleste à continuer: la faille est belle, il faut s’y glisser dès que l’occasion s’y prête. Neith n’aime pas tellement les ragots d’amourette, mais tout ce qui concerne Céleste de près ou de loin éveille toujours sa curiosité. Car on ne touche pas à un cheveu de Céleste sans risquer de se brûler le bout des doigts. C’était certainement le message que souhaitait faire passer Neith via l’utilisation de ce parfum tout à fait… atypique. Rien que l’évocation de cette senteur provoquait une vague de plaisir à Céleste qui, le temps de quelques secondes, imaginait enfin la roue tourner. Pendant quelques temps, Michel-Ange serait aussi malheureux qu’elle l’avait été. Et il le serait sous ses yeux. Céleste n’était pas une méchante fille, malgré ce qu’elle aimait faire croire. Elle était surtout blessée, et terriblement rancunière. On ne faisait pas de mal à un Delacroix sans recevoir son juste coup de bâton.

« J’imagine qu’il ne sera pas trop difficile de mettre la main sur son parfum. » Elle jouerait de son influence sur un pauvre premier ou deuxième année chez les jaunes, et l’affaire serait certainement réglée. « Pour des raisons politiques, il faudrait toutefois créer de quoi annuler le sortilège. » Pour des raisons politiques, bien sûr. Difficile d’admettre devant Neith qu’elle ne souhaitait pas voir la mascarade durer trop longtemps. Aussi peste voulait-elle être, elle ne supporterait pas de faire souffrir Michel-Ange indéfiniment.
« Oh, l’ouverture est programmée pour la semaine prochaine? Quelle bonne nouvelle! » qui disait ouverture à Pré-au-Lard, disait Neith tout près d’elle. Trouble is coming.

Céleste avait saisit au passage un petit muffin aux myrtilles avant de venir se caler dans son fauteuil. Elle devait paraître calme, sereine. En réalité, bien que l’idée vienne directement d’elle et de  @James Grey, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir anxieuse. C’était un fait: elle allait se fiancer. Puis se marier. A un homme dont elle ne connaissait presque rien.

La nouvelle tomba comme un couperet, achevant d’étonner Neith qui en lâcha son macaron. « Tu dois certainement connaître cette famille. » Elle se montra étrangement hésitante à l’idée de révéler son identité. Pourtant, il faudrait bien le faire. « Il s’agit de  @James Grey. » Un silence plana alors que Céleste examinait le visage de Neith à la recherche d’une réaction. Les Grey étaient issus d’une grande famille britannique, particulièrement noble et tout autant axé sur la pureté de sang que les Delacroix. Toutefois: une tache noircissait le tableau: Lester, le père de James, était connu pour son affiliation aux Mangemorts lors des guerres sorcières et à l’emprisonnement qui s’en suivit. Mais James n’était pas Lester. Il appartenait à cette génération constamment mise au défi de faire mieux que la précédente. Et si tous voyaient l’ancien Serpentard d’un mauvais oeil, Céleste ne voyait en lui qu’un homme taciturne mais bienveillant à condition d'avoir gagné son respect et son intérêt.

« James était un de mes camarades à Poudlard. Un ancien Serpentard. Et nous avons décidé cela d’un commun accord, cet été. » Car il fallait le dire: il n’y avait rien de sentimental là-dedans. Se marier sans attaches était peut-être la meilleure solution pour ne pas souffrir. Pour ne pas prendre de risque inutile. Après tout, c’était ce qu’avaient fait ses ancêtres, et leurs lignées demeuraient toujours aussi fortes. Il y avait donc des raisons de juger tout cela d’un bon oeil, non?

« Tu sais très bien que je ne fais que dans le politiquement correct. » Le sourire de Céleste s’agrandît à ces mots. Neith, très proche des parents Delacroix, connaissait toute la nécessité de rester dans les clous, au moins en apparence. Si Céleste avait été désignée comme faisant partie de la famille des Serpentard, malgré tout l’inconfort que cela représentait au quotidien, c’était certainement pour ce genre de raisons. Chez les Delacroix, on apprenait dès le plus jeune âge à faire des ronds de jambes et de magnifiques sourires aux personnes nécessaires, qu’elles soient sentimentalement proches d’eux ou particulièrement fourbes mais indispensables aux besoins de la famille. Céleste avait appris à user de ses charmes pour obtenir tout ce qu’elle voulait. Neith, en grandissant, avait été un formidable exemple à suivre. Les années avaient passé et la règle demeurait inchangée. Plus qu’une question de loyauté à sa famille, pour Céleste il s’agissait davantage de se trouver dans les meilleures dispositions possibles. C’était encore mieux quand elle arrivait à tirer son épingle du lot, quand elle avait vraiment donné son maximum. Céleste n’aimait pas user de ses avantages pour l’emporter. Elle préférait briller et montrer toute sa valeur. Cette histoire de diplomatie et de ronds de jambes lui était surtout favorable lorsqu’elle était mal lunée, lorsque la situation lui échappait du bout des doigts. Un grimoire sur la tête d’  @Apolline Dunn, une situation un peu délicate… Tout était arrangé en un claquement de doigts. Comme c’était pratique d’être une Delacroix. Céleste hocha simplement la tête à la remarque de Neith, approuvant ainsi en silence.

« Je risque gros en jouant à ce genre de petit jeu.  @Apolline Dunn pourrait même pousser pour faire en sorte de me faire expulser. Trouver une pauvre gamine qui jouera les intermédiaires ne sera pas nécessairement chose aisée. Je ne suis pas très appréciée dans les couloirs de Poudlard, mais qu’importe. » Elle haussa les épaules puis prit une nouvelle gorgée de thé. « Ceci dit, j’accepte le parfum avec plaisir. On n’a jamais trop d’armes lorsque vient l’heure d’aller sur le front. » Il fallait toujours avoir un coup d’avance, une petite astuce tout droit sortie du chapeau et qui faisait toujours son effet. Tout semblait si simple avec Neith. Céleste ne doutait pas qu’à Poudlard, elle aurait pu en faire voir de toutes les couleurs à ses plus grands ennemis.

Elle agita sa cuillère dans sa tasse, sans qu’il n’y ait quoi que ce soit à mélanger. Céleste ne prenait pas de sucre ni de lait dans son thé, surtout pas de lait. Elle trouvait cela ignoble, comme beaucoup de choses qui appartenaient à la soi-disante « gastronomie » anglo-saxonne.

La Française s’attendait à une réaction de taille à l’annonce de ses fiançailles. Elle passait littéralement du coq à l’âne.  @James Grey n’avait strictement rien à voir avec  @Michel-Ange Grimm. Tous deux pouvaient tout aussi bien représenter le jour et la nuit. Et pourtant, Céleste avait choisi de se tourner vers l’opposé de celui qui avait piétiné son coeur. « Pourquoi James Grey? » Avait demandé Neith. C’était une question si déconcertante. Comment Neith ne pouvait-elle pas se douter des raisons qui avait conduit Céleste à le choisir plutôt qu’un autre? L’ancien Serpentard ne représentait pas le parti idéal, pourtant il avait été le candidat parfait aux yeux de la brune.

« J’ai choisi James Grey pour des raisons tout à fait pragmatiques. » C’était horrible à dire. Elle avait été la première à s’insurger contre les mariages arrangés il y a quelques mois. « Me fiancer à James, c’est ne plus rien risquer. » souffla-t-elle. Ainsi, elle admettait que toute cette histoire avec  @Michel-Ange Grimm l’avait bien plus atteinte qu’elle ne voulait l’admettre. «  Les Grey ne sont pas connus pour faire dans la dentelle, mais… malgré la réputation qui suit James et son père, le premier est réellement un homme bon dans le fond. » Céleste n’essayait pas de se convaincre, elle en était persuadée. James avait joué un coup tactique tout comme elle, mais elle était persuadée qu’elle ne serait pas malheureuse à ses côtés. Ainsi, elle éviterait toutes les comédies que les mariages arrangés suscitaient, toutes les désillusions qui s’abattraient sur elle comme l’orage en pleine journée d’été.

« Neith? Penses-tu que ce soit une erreur? La décision te semble-t-elle trop hâtée? » L’avis de la jeune femme ne changerait probablement pas la donne, mais Céleste était curieuse de connaître son opinion. Et puis… Céleste était connue pour être surprenante. Une pirouette et toute la situation se trouvait renversée. Une discussion et toutes les résolutions volaient en un éclat.

L’honnêteté la plus pure était une qualité que Céleste appréciait amplement. On disait souvent chez elle qu’il n’y avait que la vérité qui blessait, ce à quoi Céleste croyait grandement. Toutefois, sa famille faisant partie des plus influentes de France, elle avait appris dès le plus jeune âge à mentir. Car il fallait flatter l’égo de ceux qui pouvaient se montrer arrangeants dans le futur ou dès le moment présent. Car il fallait s’associer à plus de noms possibles, si ceux-là même étaient issus du haut du panier, pour redorer un peu plus l’image de son propre clan. On ne pouvait dire que Céleste avait été élevée dans le mensonge constant, mais il fallait admettre que l’art de manier les mots était l’une de ses plus grandes forces, et ce dès le plus jeune âge.

Cette manière d’être avait fortifié la jeune femme, la poussant jusqu’à falsifier l’image d’elle-même qu’elle renvoyait aux autres. D’une petite fille sensible, proche de la nature et au goût prononcé pour l’aventure, l’aînée des enfants Delacroix s’était transformée en une poupée fragile qui se complaisait dans les mondanités plutôt qu’à l’extérieur. Si elle avait conservé le droit de dessiner, ce qui ne faisait qu’accentuer l’image d’enfant parfait qu’elle renvoyait, elle n’avait pas eu le droit de s’exercer à la course de balais, par exemple. Les égratignures sur les jolis visages et les bleus à divers endroits du corps qui ne sauraient être masqués faisaient désordre à l’époque. On ne voulait pas d’une casse-cou qui remuait l’assemblée, on désirait voir une enfant sage, discrète et patiente.

A mesure que l’enfant tentait de rentrer dans le moule qu’on lui avait construit, elle avait fini par devenir celle dont ses parents avaient rêvé. Au moins pour un temps. Lorsque Céleste avait fait ses premiers pas à Beauxbâtons, elle avait tout de suite jouit du statut que lui conférait son patronyme et n’avait pas hésité à obtenir ce qu’elle voulait, quand elle le voulait. Tout autant que ceux qu’elle voulait. A Poudlard, ç’avait été une autre histoire, une histoire bien plus tortueuse et malheureuse. Se jeter dans les bras de  @James Grey avait été l’unique solution qu’elle avait trouvé. Ecouter Neith ne changerait peut-être rien, si ce n’est éclairer une jeune femme qui s’était probablement trop vite engagée.

Elle détailla Neith du regard, attendant d’elle la plus grande honnêteté. Si Neith usait tout aussi bien de la diplomatie que Céleste, elle avait beaucoup moins de difficulté à trancher dans le vif, à dicter les vérités que l’on préférait garder enfouies. C’était une femme de caractère qui était un formidable exemple à ses yeux. Vive, tranchante; c’est comme cela que Céleste aurait souhaité être. Neith mit l’accent sur un élément que la jeune femme avait balayé d’un revers de main: les Delacroix souhaitaient toujours être les meilleures versions d’elles-mêmes. Fréquenter un Grey? Voilà un sujet qui n’avait pas encore été mis sur la table pour l’heure. Si Neith osait lui dire qu’il s’agissait d’une très mauvaise idée, ses parents n’hésiteraient pas à en faire de même, voire même à trouver une solution toute faite pour l’écarter de la liste de ses prétendants.

Céleste ne pipa mot, se contentant d’écouter attentivement les conseils de son aînée. « Les fiançailles ne sont pas réellement officielles. Père et Mère n’en ont pas encore été informées, ce qui fera l’objet du plus grand scandale dans la famille à ce jour, si je ne me décide pas à leur dire. » Elle commença à jouer avec l’une de ses manches. «  @James Grey n’est pas un mauvais garçon, il pourrait parvenir à redorer l’image de sa famille à lui seul. » Le lot de justifications ne semblait pas suffisant à le faire apprécier. « Je sais que le pouvoir est une chose importante, que les familles de Sang-Purs sont un atout majeur dans la vie d’une jeune personne. En revanche, j’ai horreur de ces façons de voir les choses. Je n’aime pas être considérée comme une bête de foire et ne souhaite pas être vendue pour un mariage que je ne souhaite pas avec la diplomatie comme seule justification. » Elle hésita avant de répondre. « Il me semble que James est un homme d’honneur, droit, et qui saurait prendre soin de moi. Mais je perçois où réside le problème, en tout cas pour des familles comme les nôtres. »  Pour l’heure, Céleste n’avait pas en tête l’organisation future de leur mariage. Le pacte avait été conclu dans la vitesse, comme une promesse d’enfants insouciants bien que l’enjeu ait été majeur. « Peut-être devrions-nous attendre un peu, chacun d’entre nous, prendre le temps de considérer la chose dans le moindre de ses détails. Aucune annonce n’a été faite pour l’heure. Si  @James Grey et moi décidons de nous montrer au monde, et tant que l’union n’aura été prononcée, je pourrai toujours me retirer. M’aideras-tu si j’en ressens le besoin? »