FREAK LIKE ME

Il semblait que la créature avait capté toute l'attention du jeune monsieur Mesli. Le soulageant pour un instant éphémère du poids qui pesait sur ses épaules. Il avait presque le visage de l'enfance, ou plutôt de celle qu'il aurait pu avoir sous d'autres cieux que ceux qui l'avaient vu grandir tant bien que mal. Maeve sourit. Elle avait bien compté que quelque chose de la magie de Caer Cynfeirdd saurait le toucher. Evidemment, elle se méfiait tout de même de cette fascination car elle savait bien que c'était ainsi que procédait toujours les kelpies.

« C'est le propre de cette créature. Les kelpies ont cette fascinantes aptitudes à capter l'attention, à entrer en connexion avec d'autres créatures. Mais se sont des créatures extrêmement fières et qui cherchent avant tout le rapport de force. Il faut un esprit fort pour pousser le kelpie à vouloir se lier. »

Sous entendu, s'il pouvait ressentir cette connexion et pas simplement l'effet du charme irrésistible du kelpie, c'était qu'Adil était fort. Ça n'était plus à démontrer pour le docteur Cynfeirdd mais elle ne refusait pas l'occasion de le lui rappeler. Comme elle le lui avait dit maintes fois, l'acceptation, y compris de ce que l'on était dans son entièreté, pour le meilleur et le pire, était le seul moyen de se construire dans des fondations solides.

Quant à se glisser elle-même dans le rôle du personnage fort, pourquoi pas ? Ce n'était pas quelque chose qu'elle niait ni qu'elle ressentait le besoin d'exprimer.

« Eh bien... tu sais ces choses que l'on raconte au sujet de ma famille... », il en aurait sans doute entendu parler, « Il est arrivé une fois que mes frères et moi ayons à rendre quelques services sur les côtes du Nord de l'Ecosse. Le kelpie est une créature extrêmement susceptible et les hommes ont tendance à trop vite le reléguer au banc des contes de fées et autres histoires de bonnes femmes, surtout quand il est question d'argent. On m'a offert ce filin enchanté en dédommagement de la peine que je voudrais bien me donner à débarrasser le village de son bourreau. Ce n'est pas mon genre de recueillir des créatures mais dans ce cas précis, il m'a semblé que le rivage solitaire et vierge que nous foulons ensemble aujourd'hui pouvait être une réponse plus juste et plus clémente que ce que le plan prévoyait initialement. »

A nouveau, elle flatta la créature qui lui donna un nouveau petit coup de nez. Il était évident qu'elle était attachée à ce monstre-ci. A la vérité, elle regardait plus comme le produit d'une nature déchaînée que comme un véritable monstre.

« Et puis, je crois qu'il apprécie autant que moi de partager ces chevauchées à la crête des vagues. C'est quelque chose d'extraordinaire... je ne saurais décrire quelque chose de comparable. », expliqua-t-elle d'un ton plus rêveur.

Elle ne doutait pas que la tentation était forte. Dans une telle période d'instabilité, la magie ancienne et sauvage de la créature avait quelque chose d'encore plus terriblement séduisante. Plus encore, un goût d'ivresse et de liberté qui ne se refusait pas. Maeve le comprenait aisément. C'était précisément ces choses-là qu'elle embrassait lorsqu'elle se hissait sur le dos du kelpie avec pour seuls garant sa force de volonté, le filin d'argent et ses genoux qui la maintenaient à cru malgré les ruades extatiques de sa monture. Il ne s'agissait plus d'une relation de dominant à dominé mais d'un réel moment de partage.

La galloise eut un rire doux, lumineux comme le ciel gris de son pays. Une héroïne. S'il y avait bien un rôle dans lequel elle ne se reconnaissait pas c'était celui-ci. Elle comptabilisait trop d'échecs pour cela et, même si elle restait convaincue du bien fondé de ses activités de chasse, même si elle ne démordrait pas de l'idée que la chasse était une nécessité, un dernier recours pour tous ceux qui se trouvaient démunis face à des êtres plus anciens aux magies incomprises, il n'en restait pas moins qu'il y avait quelques bavures au tableau de chasse des Cynfeirdd.  Elle ne pouvait s'empêcher de penser à @Astrid Stegalkin par exemple, au nombre de fois où elle avait rejouer la scène avec les mêmes personnages espérant une issue moins sombre, moins violente. Le cas de  @Blodeuyn Cynfeirdd retenait aussi son attention, quoique dans une moindre mesure. Les accidents de chasse étaient malheureusement un paramètre qu'on ne pouvait totalement éconduire.

Elle posa la main sur l'épaule d'Adil, accordant une pression affectueuse. Il était clair qu'ils avaient depuis longtemps dépassé le cadre d'une simple relation de patient à thérapeute. C'était pourtant la première fois qu'Adil s'exprimait là-dessus. Elle eut le tact de ne pas le lui faire remarquer.

« Ahah, je ne voudrais pas m'attirer les foudres de ta tante. »

Elle respecta cette zone de sécurité qu'elle connaissait bien, le laissant guider la conversation vers quelque chose de plus facile, quoiqu'elle ne manqua pas de noter ce petit pétillement dans son regard.

« Oui, plus ou moins. J'ai quelques réticences à former la dernière génération. Certains ne sont pas faits de cette étoffe. », à nouveau son esprit la ramena à Blodeuyn mais aussi à sa propre fille, Freya et quelques autres de cette fameuse jeune génération. Un point de rupture très net entre la politique de Geraint, son père et la sienne. Pas question de les forcer à entrer dans le moule quand bien même cela signifiait la fin de la meute ou son ouverture à des étrangers. Enfin, ça n'était pas la question d'Adil, « Les autorités s'offusquent rarement de ce qu'elles font semblant de ne pas savoir. Il y a des connaissances que la modernité a complètement perdu de vue. Les anciennes familles sont parfois le dernier garde-fou sur lequel elles peuvent compter, même silencieusement. Je serais bien curieuse de voir faire une brigade d'aurors ou de la BPM face à un doppelgänger ou une bruxe. La magie ancienne requiert des anciennes façons, et plus personne n'enseigne ces anciennes façons. Sans quoi, il n'y aurait pas tant de chercheurs à l'IDEM. »

Elle parlait avec sagesse, d'une voix du fond des âges. C'était la voix du clan Cynfeirdd qui pour ne jamais oublier, rivalisait de créativité et entretenait les feux autour desquels se racontaient ces histoires-là. Rien ici n'était laissé au hasard ou à la frivolité du pur décoratif.

Il poussa tout de même jusqu'à suggérer que Caer Cynfeirdd pourrait donner des cours. A ces mots, la chasseresse choisit de ne pas donner tout de suite de réponse, pour lui laisser l'espace dont il aurait besoin pour développer ce qui les avait réellement motivés. Il était à cet âge où l'on attend de vous que vous sachiez quelle voie prendre mais en réalité...

« C'est le moment de prendre un peu de temps pour te recentrer sur toi-même Adil. Je sais qu'arrivé en fin d'études on se dit que ce n'est surtout pas le moment de descendre du train mais c'est aussi comme cela que beaucoup se précipitent sur la mauvaise voie et Merlin sait qu'il est difficile et coûteux à bien des points de vue d'avoir à reconnaître que l'on s'est trompé sur ce genre de choses. », ce n'était pas faute d'écouter des sorciers ébranlés par le triste constat que leur choix de carrière ne leur apportait aucun bonheur, aucun sentiment d'accomplissement, avec tous les impacts psychologiques que cela pouvait avoir. Finalement, il était vrai que l'on passait la majeure partie de sa vie d'adulte au travail. On pouvait aisément comprendre les dégâts d'un mauvais choix dans ces conditions. Elle observa l'effet de cette annonce sur lui puis poursuivit, « Il va falloir que tu retrouves des repères. Que tu en recrées. Que tu te demandes : qu'est-ce qui est essentiel pour moi ? quelles sont mes valeurs ? avant de pouvoir répondre à cette question. Qui tu es toi, Adil Mesli ? Ensuite, tu sauras où tu vas et ça t'apparaîtra comme une évidence. Mais il faut que tu te laisses le temps de décanter tout ça pour en avoir une vision claire. Demande toi : qu'est-ce qui me rend heureux ? et si tu arrives à répondre à cette question, tu auras fait la moitié du chemin. »

Elle sourit avec assurance, libérant le kelpie qui vint à nouveau poser son front contre son épaule avant de repartir au galop retrouver son océan natal. Il s'ébattrait sans doute jusqu'à la tombée de la nuit ou de la tempête. Là, il viendrait retrouver le secret reclus de l'avancée sous le pont de pierre en arc brisé de Caer Cynfeirdd.

Elle arqua un sourcil à sa réplique. Bien sûr qu'il n'était pas un Cynfeirdd, c'était bien ce qui compliquerait les choses. Elle n'aurait peut-être pas sur lui l'autorité naturelle qu'elle exerçait sur les autres. Elle était sa thérapeute qui plus était. L'idée de mélanger les deux choses lui déplaisait fortement quand bien même, il était vrai, qu'il était sorti de thérapie depuis des années.

« Nous verrons bien. Prends le temps d'y réfléchir vraiment et d'en parler avec Amastan et Ellie. Tu n'auras qu'à revenir me voir ensuite, si tu n'as pas changé d'avis. »

Une chose était certaine, elle n'entendait pas l'emmener en chasse de si tôt. Sans doute un petit passage en compagnie de Drustan serait un bon départ si les choses devaient se faire. Mais elle avait bien le temps d'y songer. Sans compter que quelque chose en elle répugnait à confronter Adil, comme le reste de la jeune génération, à ces scènes qui pouvaient s'avérer d'une violence inouïe. C'était une décision qu'elle n'avait eu de cesse de différer jusqu'alors, se promettant d'étudier la question le jour où un de ces petits la mettrait au pied du mur. Elle ne s'était vraiment pas attendue à ce que cela vienne d'un ancien patient. Force était de lui reconnaître qu'il était aussi en droit et en âge de choisir pour lui-même et que le lui refuser sous des prétextes maternalistes ne lui disait rien qui vaille. Se rappelant aussi que son projet initial dans un cursus Justice Magique ne promettait rien de bien violent, Maeve n'avait plus qu'à s'en remettre au jugement d'Adil.

« Asel ? », releva la blonde avec un sourire malicieux.

Celle là, elle ne l'avait pas vue venir. Quelque part, elle se sentait privilégiée qu'Adil, pour réservé qu'il puisse être, ouvre la porte à cette discussion-ci. Et quand bien même il choisirait de n'en rien dire de plus, elle avait bien noté qu'il l'avait placée devant tout le reste.