You've made it this far

Faire comme si de rien n’était malgré deux, trois regards noirs à son encontre, n'avait pas été une chose facile pour Jameson qui n'attendait que de pouvoir lui mettre la main dessus pour lui tirer les informations nécessaires à sa vengeance. S'il y avait bien quelque chose que le patriarche des Clearwater ne supportait pas, c'était qu'on s'attaque à son clan, plus particulièrement à ses enfants. En devenant le chef du clan, ils étaient tous devenus ses gosses. Jameson les aimait profondément. Mais en plus de l'amour qu'il leur portait, il y avait son honneur en jeu. Un honneur qui touchait tout son clan.

Debout devant sa fenêtre, observant le parc et la cabane du gardien, Jameson attendait que le soleil disparaisse pour se rendre auprès de Kathleen Jones pour avoir cette discussion qu'il avait en tête depuis que les petits étaient de retour.

Ce Ryan était un problème qui lui faudrait résoudre.

Et la seule personne qui pouvait remonter jusqu'à lui se trouvait sous ses yeux.

Entendre les mots de son frère, @Braxton Clearwater, lui répétait qu'il ne faisait rien pour laver leur honneur l'avait rendu barge tout l'été. Surtout lorsque la seule idée de son frère était de se mettre dans une rue en criant qu'ils en voulaient à mort au Thanatos. C'était à se demander encore comment ce dernier avait fait pour attirer l'attention du département des Mystères si la seule méthode qu'il connaissait, c'était de se foutre une cible peinte en rouge sur le cul pour attirer le gibier.

Mais ce soir, Jameson allait lui montrer comme il comptait agir. Si Ryan était capable du pire pour l'atteindre, lui, Braxton, en s'en prenant à son clan jusqu'à manquer de tuer sa femme, Jameson jouerait dans la même cour. Kathleen avait intérêt à parler. C'était tout ce qui comptait pour le moment. Surtout quand, elle aussi, elle avait visiblement tout à gagner en se débarrassant de ce fils de chien.

Les souvenirs d'une discussion dans ce même bureau dans lequel il se tenait où Kathleen lui demandait s'il était possible de défaire un serment inviolable qui revenait régulièrement en tête, à chaque fois qu'il revoyait le corps ensanglanté de sa belle-sœur et le regard terrifié de @Yeleen Sô. La façon dont elle avait saisi Ryan pour transplaner, pour les écarter du danger... Sans compter les révélations de Braxton sur la professeur de Soins aux Créatures magiques à Sainte Mangouste...

Jameson posa son verre de whisky pur feu sur le rebord de la fenêtre avant de se retourner pour sortir de son bureau. Tendant la main vers sa chaise, sa veste vola directement vers lui. Il l'enfila, refermant la porte derrière lui en caressant la poignée pour ensuite prendre la direction du parc.


Pour un deuxième jour, les couloirs étaient calmes. Il ne croisa que peu de monde, mais le regard et le faciès qu'il portait avec une colère profonde ne leur donnèrent pas l'envie de l'arrêter pour discuter un peu avec lui. Ce soir, Jameson aurait des réponses, même s'il lui fallait se salir les mains pour les avoir.

L'air frais de la nuit tombante le saisit. Content d'avoir pris sa veste, il se dirigea sans hésiter, le pas assuré, vers la cabane du Gardien où il la trouverait. Après quelques minutes à traverser le parc, il gravit les marches du perron pour lever sa main sur le bois de la porte sur laquelle il tapa trois fois.

« - Ouvre. Faut qu'on parle. » Intima Jameson, qui tentait de se montrer le plus détaché possible pour éviter de l'effrayer.

C'était peine perdue. Son ton de voix était beaucoup trop autoritaire et ses émotions trop vives pour qu'il puisse manipuler qui que ce soit.

Les sourcils de Kathleen dansaient sur son visage, d’abord un coup à gauche, puis un coup  à droite, se soulevant, s’affaissant, alors qu’elle s’affairait à préparer les dossiers scolaires des Poufsouffle fraîchement répartis par le Choixpeau. S’ils n’étaient jamais très nombreux, ils n’en étaient pas moins jamais en reste. Pour elle cependant, appliquée, mais le crâne déjà rempli d’une liste trop longue de chose à faire, ce qui était une simple tâche était devenue une corvée.

Kathleen soupira bien malgré elle, se rendant compte qu’elle piétinait depuis pas moins de deux heures, n’avançant qu’à grand peine. Elle avisa sur le côté le dossier de @Joy Reed qui allait avoir besoin de quelques babioles encore. Dans un autre coin de sa tête, une petite voix lui demandait si elle était bien sûr d’elle. Avait-elle vraiment besoin de faire tout ça, de s’acharner, de se débattre ?

Son regard passa sur les feuilles qui s’étaient empilées sur la table du petit espace réservé à la cuisine. Machinalement, elle voulut tourner la tête vers la fenêtre mais en fut incapable. Ses yeux restèrent figer sur la table, son cœur s’emballa dans sa poitrine, tambourinant contre ses flancs.

Il n’y a rien.
Pas de corbeau.
Pas de Loup tapis dans le noir.

Rien.

Une sueur froide glissa le long de son dos. Qu’on toque à la porte acheva de la faire sursauter. Il lui fallut un petit temps pour se remémorer à qui appartenait cette voix. Une grimace barra son visage alors qu’elle poussait tous les documents dans une sacoche de cuir et se redressait de sur sa chaise. Kathleen eut un moment de doute, la main devant la poignée.
La dernière fois que quelqu’un était venu ici, c’était Braxton Clearwater et il n’avait pas manqué de la secouer comme on secoue un sac à puce mal léché.

Et en même temps, il y avait sans doute un tas de chose qu’il voulait lui demander ou lui reprocher…

La porte s’ouvrit sur le visage pâle de Kathleen Jones, ses grands yeux se levant sur le visage de Jameson comme s’il venait de la prendre en flagrant délit. Au lieu de ça, l’intérieur était calme, à la lumière tamisée s’échappant de quelques bougies ici et là. Elle se dégagea de la porte pour le laisser entrer avant de refermer derrière lui. Pour autant, elle ne fit aucun geste. Elle resta là, debout, dans l’entrée. Prête à entendre sans doute tout ce qu’il avait à lui cracher dessus.

Ses sourcils se froncèrent légèrement, comme Kathleen avait quelque peu de mal avec les éclats de voix ou simplement la colère des autres. Tendue sous ses vêtements noirs, sa main vint machinalement froisser entre ses doigts le bas de sa chemise, geste anodin mais relaxant pour la chatte.

« Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? » lança-t-elle finalement, sur le ton du secret ou presque.

Les iris noisette suivirent le Clearwater, toujours proche de la porte. Rien ne pouvait lui assurer que c’était vraiment Jameson, sauf peut-être son air massacrant et son attitude.

La porte s'ouvrit. Kathleen semblait égale à elle-même. Le teint malade, maigre, en alerte. Jameson l'avait connu comme ça l'an passé et rien ne semblait avoir changé. S'il devait se montrer reconnaissant envers elle pour avoir sauvé Betty, il n'en fut rien. Son regard détailla la directrice de Poufsouffle comme s'il cherchait à pénétrer son âme, avant d'entrer dans sa cabane, plus froid que le Ben Nevis en plein hiver.

Il se fichait bien de savoir ce qu'il lui était arrivé après, ou comment avait-elle pu retrouver le chemin de l'école après tout ce qui s'était passé. Jameson s'en fichait éperdument. Elle n'était rien à ses yeux sinon celle qui faisait voler en éclat sa famille par sa simple relation avec son frère.

Jameson était loin d'être con, même s'il le faisait très bien. Kathleen était l'élément déclencheur de toute cette merde, et cela avait commencé avec Braxton, pas fichu de se tenir, avec son besoin de se la jouer parangon des causes perdus, comme s'il essayait de soulager son âme pour des conneries qu'il eut fait pendant la guerre.

Au final, par sa relation avec cette femme, il perdait sa femme qui amorçait le divorce, il avait mis en péril tout le clan Clearwater, et le pire dans tout ça, c'était qu'e Braxton le regardait toujours comme le fautif, comme un faible parce qu'il refusait de convoquer le Gathering.

Quelque part, il avait cette petite voix qui lui montrait du doigt son cheminement pour qu'il comprenne que ce n'était pas de la faute de cette pauvre femme ravagée par la vie. C'était uniquement celle de son frère. Tout était de la faute de Braxton. Tout simplement parce qu'il avait fait CE choix de lui venir en aide.


Son regard balaya la salle. Tout semblait plus ou moins rangé, rien d'inhabituel. Jameson cherchait quelque chose sans trop quoi en particulier. Il était venu pour des réponses alors qu’il espérait en trouver que ce fut dans la pièce ou des mots de Kathleen. Il se tourna vers elle lorsqu'elle lui demanda ce qu'elle pouvait faire pour lui.

Dans le regard de Jameson, on vit qu'en lui, une tempête d'émotions venait de se lever. Envahi par une colère soudaine, s'il en avait eu la capacité, le tonnerre en serait tombé du ciel. Il garda les lèvres closes, comme s'il cherchait à retrouver un semblant de calme, de clarté dans ses pensées, pour entamer la discussion. Lui rentrer dedans sans crier gare était peut-être ce qu'il aurait dû faire. Pour l'heure, il tentait de rester un minimum courtois.

« - Où est Ryan ? »

Ce fut la première question qui traversa ses lèvres. Autant être direct, ça faisait gagner du temps, et le temps, il n'en avait pas.

« - Tu sais où je peux le trouver ?  »

Son ton de voix était assuré, son visage trahissait sa colère et il avait le regard de quelqu'un qui réclamait sa vengeance.

Si Ryan avait l’instinct des loups, Kathleen avait seulement des années de violence et de brutalité comme point de repère. Elle avait déjà vu cette colère dans les yeux de bien des hommes, dont beaucoup avait fini par saigner sur le sol à ses pieds, non pas de son fait mais plutôt que celui de son copain. Vixie n’avait pas tout à fait tort, c’était plus simple de se protéger en se cachant derrière les autres. Sous les meubles, sous un lit, sous une table même. Derrière Braxton, aussi.

Mais ce soir elle était seule face à Jameson Clearwater et elle sentait que le tribunal était juste là, à portée de ses griffes. Elle se tendit légèrement en entendant le nom de Ryan, sa tête rentrant machinalement dans ses épaules tandis que ses paupières clignaient.

Où était Ryan, c’était une grande question.

Elle en avait des réponses, des plus ou moins honnêtes, des plus ou moins vraies. Ryan était parfois au Marché aux Trolls, pour venir récolter les gallions au Lupanar, parfois il dormait au Bar du fond du Marché, celui qui n’était éclairé que par des néons blancs en forme de croissant.

Kathleen baissa les yeux un court instant. Ses doigts pianotèrent nerveusement sur le bois de la porte dans son dos. Griffes contre l’écorce vernis et traitée.

« Oui et non » avoua-t-elle.
Braxton lui avait dit de jouer franc jeu.
« Oui, je connais certains de ses coins, mais aucune de ses cachettes. »
Elle releva ses yeux noisette sur Jameson, tentant de comprendre ce qu’il voulait exactement d’elle. Elle le coupa en revanche, pour le mettre en garde :
« Mais je ne pourrais rien te dire de plus. Rien qui ne puisse lui nuire. Que je le veuille ou non. »

La nausée était toujours rampante, comme depuis près de deux mois. L’attaque fulgurante sur les Clearwater avait eu raison de son appétit et de sa maigre santé. Elle avait bien de la chance de porter des habits toujours trop larges pour elle, sinon quoi on aurait peut-être vu qu’elle avait perdu en masse. À force de vomir au moindre désagrément, au moindre stress. Elle était déjà comme ça gosse. Toute maigrichonne, aussi fine qu’une brindille. Aussi fragile qu’une brindille.

Kath’ baissa de nouveau les yeux, se sentant penaude.
« Si tu veux te servir de moi pour l’avoir, ça marchera pas. Il en a rien à foutre. Je... », elle se remémora les mots de Braxton Clearwater, de mai, qu’il avait craché dans cette cabane même. Elle eut un petit sourire désolé, tentant de dédramatiser ce qui était la tragédie de sa vie de toute façon : « ...je suis plutôt inutile dans l’genre. »

Sous sa barbe, on vit sa mâchoire se serrer. Son regard aussi dur que l'acier montrait que Jameson acceptait très mal la réponse qu'elle lui donnait. Ce n'était pas ce qu'il voulait. Lui, il voulait la tête de son mec sur une pique qu'il planterait sur les Hébrides pour leur montrer à tous le sort que l'on réservait aux ennemis du clan. La colère envahissait chaque parcelle de son corps. Une tension, probablement lié à l'adrénaline à cet excès de rage qui le traversait de part en part, se ressentait dans sa poitrine, l'empêchant tout simplement de réfléchir correctement.

Toute la retenue qu'il avait eue durant ses deux mois d'été semblait se désagréger plus vite qu'une glace en plein désert.

Jameson répéta :
« - Oui... Et non ? »
Peut-être était-ce pour bien imprimer ses mots dans sa mémoire, comme pour mieux entendre sa réponse alors qu'il semblait nager dans un brouillard vert de rage.

Il éclata d'un rire sans joie alors qu'il se mettait à se déplacer dans la pièce. Il lui était impossible de rester immobile. Ses émotions, bien trop fortes, semblaient sur le point d'exploser comme un volcan prêt à rendre sa colère.
« - Pratique, hein ? Ce petit serment inviolable à la con parce que t'as pas été fichu TOI AUSSI de te rendre compte que TA putain de relation était TOXIQUE. »
Il secoua la tête, son rire perdurait. Un rire qui lui donnait presque envie de vomir tant toute cette situation le dégoûtait.
« - T'es comme mon frère. Tu te mets dans des emmerdes pas possibles, et après, on sait plus comment faire pour s'en sortir. Hein ? Oh, Jameson ! Est-ce que tu sais comment retirer un sort inviolable ? Oh, Jameson ! Il faut convoquer le Gathering parce que je suis une GROSSE MERDE ! »

Sans crier gare, sans même s'en rendre compte, Jameson souleva le bureau de Kathleen pour le renverser à terre, donnant un bon coup de pied dedans. Il se retourna de nouveau vers elle, cet aimant à problèmes. Qu'est-ce qu'elle avait mieux que Betty pour que son petit frère y joue son couple ? Qu'est-ce qui la rendait si spéciale pour mettre la vie de tout leur clan en danger ? Il la regardait avec un dégoût qu'il ne cherchait même plus à cacher, confondant son ressentiment pour Braxton avec celui qu'il ressentait pour elle.

Jameson continuait de tourner dans la pièce, comme un loup cherchant le bon angle d'attaque. Alors qu'il était proche d'elle, Kathleen lui avoua que c'était inutile de s'en prendre à elle, que Ryan n’en avait rien à foutre.

À nouveau, ce rire sans joie qui sortait des lèvres du patriarche.
« -  Inutile, ouais. » Répéta Jameson sans la regarder.

D'un coup, il bondit sur Kathleen, la saisissant par la mâchoire pour la plaquer contre la porte de bois.
« - JE VEUX TOUT SAVOIR. TOUT. » Lui hurla le professeur de Sortilèges au visage.
« - Je veux les lieux qu'il fréquente, je veux ses habitudes, je veux TOUT savoir, Jones, tu m'entends ? » Reprit-il, le ton bas, peut-être plus menaçant encore.

Jameson la relâcha, comme s'il se rendait compte de ce qu'il faisait. Il se recula d'un pas, l'aidant à se redresser tout en remettant son haut correctement.
« - Donne-moi ce que je veux où je t'emmène au Département du Contrôle et de Régulation des Créatures magiques en leur disant qui tu es pour lui. Je suis sûr qu'ils seraient même ravis de bosser avec les Langues de Plomb. Ils doivent savoir comment contourner un serment inviolable, eux. »

Jameson essayait de reprendre le contrôle de sa respiration. C'était difficile. Il était à fleur de peau, un écorché vif. C'était quelque chose qu'il n'avait que très rarement vécu. L'adrénaline qui circulait dans ses veines lui donnait cette impression d'être au-dessus du monde. Couplé à sa rage, il sentait qu'il n'avait plus aucune limite. Une petite lueur de bon sens perdurait, malgré tout, l'empêchant d'aller plus loin.

Peut-être était-ce sa fille ? Peut-être était-ce cette vision qu'il avait en voyant Kathleen se jetait sur Ryan pour sauver Betty ? Est-ce que c'était parce qu'il était un homme avec un bon cœur ? Il n'en savait rien. Mais le goût du sang entre ses lèvres l’enivrait. C'était une libération. Il ressortait toutes ses émotions qu'il avait contenues cet été pour se montrer disponible avec les siens.

Une main dans la poche, il jouait avec ce petit ourson de bois qui avait appartenu à Sean. Un petit jouet qui n'avait pas quitté la poche de son jeans de tout l'été. Il fallait résister à cette folie qui s'emparait de lui.

Toujours le dos collé à la porte, Kathleen sentit l’air changé plus rapidement qu’elle ne s’y attendait. Son air se rembrunit également, alors traversée par une vague angoisse, une réminiscence passée. Quand Jameson lui mit devant le nez qu’elle ne s’était pas rendu compte que sa relation était toxique, elle ne répondit pas. Tout au plus elle baissa les yeux, parce que c’était vrai dans le fond. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien lui dire ? Oui, je ne m’en suis pas rendue compte. Mets-toi à ma place.

Mais Jameson devait bien se foutre de la petite fille misérable qu’elle avait été, tout autant de son enfance pathétique. Il devait se dire qu’avec un peu de bonne volonté et un peu plus de jugeote, elle aurait pu s’en sortir elle aussi. Elle s’en était sortie pourtant. Avec dix ans de retard c’est sûr, mais elle était là, elle était Directrice de Poufsouffle par on ne sait quel miracle et elle… elle…

Kathleen releva les yeux alors que Jameson attaquait cette fois Braxton. Conflit non entériné entre les deux frères et dont elle n’avait que vaguement conscience. Elle se souvenait peut-être d’une ou deux fois où il avait grommelé quelque chose, tard dans la nuit, sur la chance de l’aîné. Quelque chose qu’elle avait oublié. Ses sourcils noirs se tordirent dans une expression désormais piquée au vif, sifflant en retour sans prévenir, pointant désormais d’un doigt sévère Clearwater :

« Je t’interdis de dire ça de Brax’ ! C'est loin d'être une merde ! »

La maigre protestation fut soufflée dans un bruit de fracas. Le bureau renversé sur le sol, les feuilles éparpillées sur le plancher massif. Un sursaut prit la chatte, son cœur s’accéléra de nouveau dans sa poitrine. Ses iris allèrent de gauche à droite, frénétiquement, comme si elle avait aperçu quelques secondes une autre réalité, un souvenir lointain. Ses doigts griffèrent la porte derrière, alors qu’elle relevait ses yeux noisette sur Jameson, reprenant son air de chat furieux, les cheveux hérissés sur sa nuque.

Elle reprit, d’un ton plus lent, moins cinglant, se prenant à articuler qu’elle ne lui servirait à rien de toute façon. Ryan n’avait jamais eu l’intention de la ramener. Il était bien trop orgueilleux pour ça. Fallait-il encore qu’elle rampe en crachant ses viscères par les trous de nez à ses pieds pour pouvoir lui tirer un début d’érection. Kathleen serra les dents, alors que Jameson lui assénait à son tour qu’elle était bel et bien inutile.

Ses iris partirent sur les feuilles au sol juste au moment où Jameson l’attrapa par la mâchoire, sa tête cognant contre la porte derrière elle. Elle eut un couinement – elle avait beau être habituée, la douleur elle ne disparaissait jamais totalement. On ne s’y habituait qu’à peine, du moins c’est ce qu’elle pensait. Ses jambes se serrèrent machinalement l’une contre l’autre, alors qu’elle tentait de reculer le visage. Son petit cœur affolé gardait le cap, mettant autant que possible toute cette altercation sur le fait qu’elle avait causé la disparition de Sean Clearwater et que Jameson agissait sans doute comme une famille devait agir.

Elle repensa à elle, au fait qu’elle était seule, tout en admettant dans un coin de son crâne que c’était mérité. Elle aurait dû avoir plus de jugeote. Elle aurait pu mieux faire. Elle ne s’en était juste pas donné la peine et maintenant c’était trop tard.

Jameson la relâcha ; Kathleen recula, tentant vainement d’éviter la main qui vint pourtant la remettre droite contre la porte. Ce n’était pas seulement une vague mais un torrent de terreur qui la prenait et la traversait, noyant ses pensées, glaçant ses os. Elle entendit vaguement Département du Contrôle, s’imagina les cages, les bêtes hurlantes et blessées, achevées par quelques sortilèges bien placés entre les deux yeux.

Son regard se perdit et elle n’entendit pas vraiment la suite, pas vraiment le reste. Elle se projeta seulement de nouveau enfermée, de nouveau à la merci de quelques hommes – encore – qui feraient bien ce qu’ils voudraient d’elle.

Ses yeux s’ourlèrent de larmes sans qu’elle n’y puisse rien.

Elle les releva un instant sur Jameson mais sentit à son air qu’il ne fléchirait devant rien et qu’elle… Avait-elle encore seulement le choix ?

« Je peux pas… Ils peuvent pas… » Elle balbutia, incohérente, plongeant trop vite trop loin dans les souvenirs. La cage, l’odeur, la poussière. Sa main se posa sur son propre front, comme si elle se souvenait soudainement de quelque chose avec horreur. « Je… »

Quelque chose bougea dans sa vision périphérique. Craignant qu’elle ne se retrouve de nouveau claquée contre le mur, Kathleen prit forme animale. C’est un petit éclair noir qui se sauva, se faufilant frénétiquement à droite puis à gauche, esquivant tant bien que mal mains et sortilèges jusqu’à se faufiler sous les meubles, d’abord un fauteuil puis rapidement la table basse en chêne.

Si elle ne faisait pas de bruit, il n’y avait pas de raison qu’on la trouve.
Si elle fermait les yeux, elle finirait bien par se réveiller…

Lorsqu'elle se transforma en chat noir, Jameson ne put s'empêcher de rire. Cette situation devenait loufoque. Ça le gavait. Il s'approcha de la porte, effleurant cette dernière du bout des doigts pour la verrouiller. Son regard se posa sur chacune des fenêtres. À chaque claquement de doigts, les rideaux se tiraient pour cacher l'intérieur de la cabane du Gardien. Elle essayait de fuir, de gagner du temps, ça l'énervait. Cependant, la chaleur de sa colère devint tout à coup glaciale.

Jameson tenta de la rattraper tant bien que mal, sortant sa baguette magique pour lui redonner sa forme humaine, mais rien n'y faisait. Elle était bien trop agile pour se laissait avoir aussi facilement. Elle avait probablement acquis cette expérience au cours d'une de ses disputes avec ce putain de chien de casse.

« - Minou, minou, minou. »
Il s'approcha machinalement de l'espèce d'étagères, mais il n'y avait rien en dessous. Son regard se tourna aussitôt vers les fauteuils. Pointant sa baguette sur chacun d'eux pour les faire léviter, Jameson s'écria :
« - Jones, c'est pas le moment. »
Le professeur de Sortilèges poussa le bureau d'un appui du pied sur ce dernier avant de regarder cette pauvre table basse en chêne.
« - Tu sais ce que je veux. Et le pire, c'est que c'est ce que tu veux aussi, non ? C'est pas pour ça que t'es venu me voir y a trois mois ? »

Kathleen était venue la voir un soir alors qu'il corrigeait ses copies. Elle voulait se débarrasser de ce lien misérable qui l'unissait à son bourreau. Pour une raison qu'il ignorait, probablement un amour de jeunesse, elle s'était liée à Ryan d'une telle façon que c'était probablement pour cette raison que régulièrement, ce serment revenait dans les faits divers parce que certains sorciers tentaient d'en interdire son utilisation, tout du moins de le limiter d'une quelconque façon.

Jameson, qui passait le plus clair de son temps avec une bande de gamins dopés aux hormones, était persuadé que certains sorts devraient être revus ou limités. Il ignorait cependant si un contre-sort existait, bien qu'il se doutait que dans le département des Mystères ils aient étudié ce sort qui pouvait avoir des conséquences désastreuses sur une vie, comme sur plusieurs.

Ce qui était évidemment le cas aujourd'hui.

« - C'est à ça que vous jouez, avec Brax ? À chat ? » Lança Jameson, agacé.

D'un coup, il poussa la table basse du pied, pointant sa baguette pour lancer un sort qui redonnerait la forme humaine au chat noir.
« - Maintenant, t'arrêtes tes conneries. Parle. » Intima Jameson, qui rangeait sa baguette dans son étui le long de sa cuisse.
« - Soit tu m'aides, soit je t'amène au Ministère et je raconte à Mayhar ce qui s'est passé dans la forêt interdite avec la petite Misra. »



sort réussi.

Le raclement des meubles sur le sol lui donnait la nausée. Elle ferma les yeux, enfonçant son museau à même le sol, se retenant de ne serait-ce que respirer. Kathleen n’était pas assez sotte pour se dire qu’il abandonnerait – elle n’avait eu l’occasion de se sortir de ce genre de situation de cette manière jusqu’à maintenant – mais elle espérait seulement calmer un peu cette angoisse grandissante. Si elle portait le cuir, ce n’était pas vraiment pour sa beauté mais bien pour se cacher en dessous. Elle et ses bras trop fins, et sa peau en nacre trop pâle.

Ses oreilles se baissèrent subitement à la mention de Ryan et de son envie de liberté. C’est vrai. Elle était venue bien décidé. Si elle avait pu se trancher la main, elle l’aurait sans doute fait sur le champ mais ça ne servait à rien. Ça ne servait à rien parce que personne ne pouvait rien faire pour elle. L’homme qui un jour lui avait parlé du rituel des cauris. Ses moustaches frémirent à la nouvelle mention de Braxton. Elle aurait presque repris sa forme humaine juste pour défendre l’honneur de ce pauvre Brax’.

Kathleen n’eut pas le luxe de réfléchir davantage car la table sous laquelle elle s’était réfugiée disparut de sur sa tête. Les iris hallucinés, elle leva la tête juste pour recevoir le sortilège qui força sa transformation inverse. Un grognement sur les lèvres, la femme réapparut, fesses sur le sol, alors que Jameson la toisait. Que dirait Nasreen en apprenant la vérité pour Asel ? Sa gorge se serra. Braxton…

Elle darda ses yeux sur lui, les iris noisette brillantes d’une malice qu’elle n’empruntait qu’en cas de dernier recours :

« Parce que tu penses que le Ministère va pouvoir faire quelque chose ? »

Un silence passa, alors qu’elle restait assise à même le sol, au milieu de son salon dévasté. Il n’y avait rien qu’il n’avait pas saccagé ou presque. Elle, elle ne comptait plus. Ryan avait fini par la briser cette nuit-là, à l’abri de tous les regards.

« S’il suffisait que je me ronge la patte pour être libre de parler, tu penses que j’aurai attendu aussi longtemps ? » Un sourire mauvais se dessina sur son visage, réaction puérile face à la brutalité d’un monde où elle n’avait jamais eu son mot à dire, pas même encore ce soir. « J’ai fait ce que j’ai pu, et c’était pas suffisant, mais j’ai essayé. Désolée mais je peux pas faire mieux. »

Le plus dur, c’était d’accepter cet état de fait. De se lever le matin en se disant qu’il n’y avait pas d’autres issus. Elle détourna le regard, d’un air agacé à son tour, les yeux rougis, pudique.

« S’il suffisait que j’retourne auprès de lui pour que tout redevienne comme avant, j’l’aurai fait, mais il est pas comme ça. Il est pas… »

Elle inspira profondément, avant de planter son visage dans sa main. La nausée la reprit brutalement, lui tordant l’estomac.

« - Ce que t'as pas compris, c'est que j'hésiterais pas une seule seconde à te sacrifier, si tu ne me listes pas les endroits qu'il fréquente, ou ses petites habitudes à la con, Jones. Et si c'est trop compliqué pour ta petite tête et ton serment de pisseuse, t'as qu'à te dire que c'est pour boire le thé que je veux le voir. » Avait répliqué instantanément Jameson lorsque Kathleen lui demanda s'il était sérieux de faire confiance au Ministère.

Jameson n'avait aucune confiance aux différents dirigeants du pouvoir sorcier. Roberts s'était chargé de souffler cette pauvre flammèche qu'il entretenait malgré lui depuis la fin de la guerre. Peut-être parce qu'il pensait qu'un nouveau départ pourrait peut-être changer les choses... Au final, il n'avait pas l'impression que ça s'était amélioré. Les mêmes personnes s'en mettaient plein les poches, elles avaient juste changé de visage.

« - Pfff. » Fit-il, avant d'éclater de rire. « T'aurais peut-être du te jeter du haut d'un pont. »

Il secoua la tête, dégouté. Sa haine se transformait en un venin que lui-même n'aimait pas. Jameson détourna le regard. Il prit une profonde inspiration, avant de s'accroupir devant elle. Il allait trop loin. Il ne pouvait s'empêcher de se dire qu'elle y était pour rien. Sa colère était mal dirigée. Il avait envie de faire payer quelqu'un pour toutes ces conneries, et c'était plus facile de taper sur elle que sur... Que sur... Il ferma les yeux un instant. Il avait envie de vomir.

« - Écoute, Jones. C'est pas du flan, je souhaite réellement le raccourcir d'une tête le plutôt possible. »

En se mettant à sa hauteur, Jameson essayait de ramener la conversation sur un volume plus sain, plus calme, plus... Propice à la discussion. C'était aussi une façon pour lui de lui faire comprendre qu'il n'en pouvait plus de cette situation, qu'il avait besoin d'en finir pour dormir tranquille. Savoir Ryan libre comme l'air, c'était risqué une autre attaque. Il était jaloux de Braxton qui lui avait volé son jouet. Kathleen n'était qu'une victime au milieu de ces deux cons.

Jameson commençait à lâcher prise. L'intensité de sa colère diminuait doucement et son souffle reprenait un rythme plus ou moins normal. À nouveau, il expira comme pour sortir un peu plus cette colère de façon plus calme.

« - J'ai beaucoup de colère dernièrement, beaucoup de... Bref. » Fit-il, en jetant un regard vers la pièce qui ne ressemblait plus à grand chose sinon celle d'@Israfel Clearwater petit.
« - Tu es consciente qu'il faut qu'on s'en débarrasse, hein ? »

Ils ne pouvaient pas le laisser s'en sortir. Jameson avait besoin de se venger et Kathleen de se reconstruire. Tant qu'il vivait, ni l'un, ni l'autre ne pouvaient dormir serein.