L'heure du choix. * SOLVI *

Solvi écouta son cousin vider son sac comme s’il n’avait jamais eu l’occasion de se confier à qui que ce soit. L’alcool aidait un peu, la nature honnête de Solvi beaucoup. Elle n’avait pas tendance à emprunter trente chemins pour arriver à ce qu’elle voulait dire dès le début. Peut-être cela coulait-il dans les veines des Grimm. Michel-Ange avait un peu plus de tact qu’elle mais parvenait toujours à créer des situations cocasses, réalisant un peu trop tard les bêtises qui sortaient de sa bouche. Elle l’écouta, répétant parfois l’histoire comme si elle n’avait pas écouté la première fois. Pourtant, elle voyait à travers lui comme un livre ouvert: il était bien plus simple de se voiler la face pour admettre qu’il n’avait pas déconné. Pourtant, c’était bien ça: Michel-Ange avait dérapé et n’assumait pas ses actes.

La brune étouffa un rire et leva les yeux au ciel. Si elle avait pu les lever plus haut, elle l’aurait fait sans aucun doute. La situation frisait presque le ridicule. Qu’est-ce qu’il avait fait à ces nanas? Rien? Comment pouvait-il nier des faits qui crevaient les yeux? Son cousin était-il aveugle ou plus bête qu’elle ne l’avait imaginé? Elle se pencha en avant pour le fixer dans les yeux, subitement sérieuse. On aurait presque pu la croire lunatique. « Michel-Ange… Je suis désolée de te le dire. Mais tu es un abruti fini. » Elle hochait de la tête en disant cela, appuyant encore plus son propos pour lui apporter un peu plus de crédibilité.

« T’es un abruti. Tu leur brises le coeur et t’assumes pas derrière. C’est pas parce que tu es blessé que tu peux te permettre de faire des choses comme ça. D’ailleurs, t’as de la chance qu’aucune des deux ne soit comme moi. T’aurais eu beaucoup plus de soucis. » Si Fergus lui avait fait ça, qu’aurait-elle fait en réalité? Céleste était du genre à se venger de manière sournoise.  @Apolline Dunn pesterait sûrement de son côté, jouant tantôt à la bonne copine puis à l’amoureuse étourdie. Solvi serait rentrée dans le tas et aurait crié haut et fort à quel point il était un abruti. Si Fergus lui avait fait ça, elle lui aurait foutu la honte de sa vie. « Très chanceux… » murmura-t-elle en sirotant la nouvelle bière qu’elle avait fait venir à elle.

« Déjà, tu veux oublier une fille avec une autre. J’ai rien entendu de plus stupide. Comment veux-tu arrêter d’être alcoolique si au lieu de boire une Bièreaubeurre tu t’enfiles un whisky pur feu? Tu peux m’le dire? » Elle avait à la fois un air terriblement sérieux et une attitude un peu loufoque, faisant de grands gestes quitte à renverser un peu de sa boisson par terre. Un récurvite et tout serait bien vite oublié. « Ensuite, les filles ne sont pas compliquées, arrête de dire des stupidités. TU es compliqué. Elles, ce qu’elles veulent, c’est être aimées. Et être la seule que tu aimes. Point. Toi, tu voudrais tout avoir: la baguette, sa maîtrise et le fabricant en même temps. T’exagères. »

Elle posa sa bière un instant. « Michel-Ange. Ces deux nanas sont raide-dingues de toi, t’es bien bête de pas le voir. Si elles ne t’aimaient pas, tout aurait été beaucoup plus simple dès le début. Aucune ne se serait retournée quand tu leur as tourné le dos. » Elle leva les deux mains, dans un geste qu’elle ne comprenait pas sa propre incompréhension. Il n’y avait rien de difficile à comprendre dans toute cette histoire.

« L’amour c’est pas toujours un long fleuve tranquille Michel-Ange. Tu penses aux débuts de relation qui sont toujours flamboyants. En réalité, au jour le jour, dire je t’aime ne suffit pas. Ce sont les petits gestes qui comptent. Et si tu n’es pas capable de voir leurs propres manières de te le prouver, c’est que tu n’es pas prêt à sortir avec qui que ce soit. » C’était brutal, mais il fallait le dire. Il fallait que quelqu’un le secoue pour tenter de tout remettre à l’endroit dans son cerveau, quitte à ce que quelques cases s’entrechoquent et lui fassent mal. Solvi, c’était à la fois sa cousine et la grande-soeur qu’il n’avait pas eue. S’il fallait qu’elle joue le rôle de la méchante, elle était prête à l’assumer.

« Michel-Ange, je t’aime de tout mon coeur. » dit-elle d’une voix plus douce. Au moins, il n’irait pas dire le contraire, cette fois. Elle monta subitement le ton. « Mais il faut vraiment que tu prennes du recul et que tu réfléchisses. Accorde-toi une pause et vois où le vent te mène. Je ne suis pas contente de ce qui t’arrives, peu importe ce que tu penses. » Elle avait attiré à lui une nouvelle bière, avec son accord. Elle crut un instant qu’il avait compris là où elle venait en venir en le voyant adopter une posture de sage. C’était avant qu’il ne se mette à hurler comme un putois dans le salon. Elle ne lui hurla pas dessus, parce que ces deux-là avaient été enfants ensemble et avaient toujours gardé cette âme de gosse en compagnie de l’autre.

« Allez ramène ta fraise, on va au Marché. Si t’arrives encore à tenir sur tes pattes. » se moqua-t-elle en finissant d’un trait sa bouteille. C’était risqué d’aller là-bas avec un Michel-Ange à demi ivre. Mais elle ne manquerait pas de gros bras pour venir le coucher sur un de ses canapés.  

Le sourcil haussé presque à l’angle droit, Solvi écoutait son cousin déblatérer toutes sortes d’âneries. Ainsi, c’était elle qui racontait n’importe quoi?  @Michel-Ange Grimm s’était levé, jouant des mécaniques sous ses airs de pochtron, tentant de faire croire ainsi qu’il dominait la situation ou l’échange. En réalité, le Poufsouffle ne faisait que se voiler la face, et Solvi ne savait guère plus que faire pour le sortir de son état d’illusion parfaite. Elle aurait pu le secouer dans tous les sens, comme on secouerait une bouteille de Bieraubeurre pour en attraper la moindre goutte restante, rien n’y ferait: le Grimm préférait s’enfoncer, enterrant la vérité sous des couches et des couches de mauvaise foi. Elle aussi se leva. Être à la fois une Nibelungen et une Grimm avait gâté Solvi dans la vie, du moins c’est ce qu’elle aimait croire. Elle n’était pas ce genre de petites princesses qui se laissaient mener à la baguette. Solvi, c’était celle qui bottait les fesses des princes. Elle posa ses mains sur ses hanches, d’un air volontairement dubitatif et dur.

On ne sut trop si l’attitude de Solvi avait effrayée son cousin, il ne fallut pourtant pas longtemps avant que le gamin ne finisse par se rasseoir sur son canapé, intimidé ou trop saoul pour tenir sur ses jambes. « Elles t’ont brisé le coeur, d’accord, j’ai compris Michel-Ange. » Il l’avait répété des centaines de fois depuis qu’il était arrivé. Non? « T’as le droit de te plaindre, t’as le droit de dire que tu souffres. Au moins, tu l’assumes, c’est déjà ça. » C’était au moins une chose sur laquelle le jeune homme ne se voilait pas la face. « Mais comme tout Grimm, tu as suffisamment de force de caractère pour parvenir à surmonter cela. » Elle pencha la tête pour examiner le petit garçon qui était juste sous ses yeux. Comme Michel-Ange avait grandit. Il restait toutefois ce gamin que Solvi avait entraîné derrière elle, l’attirant dans ses bourbiers et ces lieux loufoques que les adultes cherchaient systématiquement à éviter. Avoir Solvi comme cousine n’avait pas toujours été de tout repos. « Encore faut-il que t’admettes que si elles t’ont brisé le coeur, c’est parce qu’elles n’ont fait que te rendre la pareille… » Son premier sourcil s’était abaissé pour laisser l’autre se relever. Elle but une gorgée de sa bière, l’air de rien. Michel-Ange était têtu, mais elle l’était aussi. « Si tu l’admets pas, tu vas finir par foncer dans un mur et recommencer. » Elle fixa son cousin pour l’inciter à cracher le morceau. « Ce serait bête non? »

Michel-Ange se releva, comme indigné par ces nouveaux propos. « De la solidarité féminine? » Solvi resta interloquée l’espace de trois secondes avant de laisser un fou rire gagner tout son corps. « Oui, je te connais Michel-Ange. Et tu voudrais que je me range de ton côté parce que tu me vois comme un vieux moine sage. » C’était faux, mais elle n’était pas contre le fait qu’on lui jette un peu de fleurs. « Ce que je veux dire, c’est que tu sais que j’ai raison mais tu t’obstines. Et t’es pas content que je sois pas ton alliée pour le coup. Mais c’est comme ça, t’as déconné et tu dois l’assumer maintenant. » Elle s’assit sur la table basse, juste en face de lui. « Je serai toujours de ton côté et pas du leur, mais assume tes bêtises. T’es plus un p’tit garçon maintenant Mich. »

Elle laissa Michel-Ange lui répondre sans plus lui couper la parole. Bien sûr qu’il faisait semblant de ne pas comprendre. C’était loin d’être un idiot, malgré tout ce qu’on pouvait dire sur lui. Il était frivole, blagueur, casse-pieds à ses heures perdues, mais il était loin d’avoir un petit pois à la place du cerveau. Solvi l’accueillit dans ses bras le temps de quelques secondes, comme ils l’auraient fait quelques années plus tôt. Elle n’aurait jamais été à l’initiative de ce geste, mais jamais elle n’aurait repoussé Michel-Ange.

La brune le laissa passer devant, le laissant croire que tout était sous son contrôle. En le voyant saisir une bouteille avant de partir, Solvi songea qu’il faudrait qu’elle le garde à l’oeil plus que jamais. Pourtant, une piqûre de rappel ne faisait jamais de mal.

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La foule était massée dans l’allée principale du Marché aux Trolls où des dizaines et des dizaines de créatures toutes plus étranges que les autres avançaient, à la recherche d’une bonne affaire à conclure ou d’un passant à dépouiller. Michel-Ange était la cible parfaite: un jeune homme, ivre, pas très dégourdi, peu habitué à ces lieux. Comme d’habitude, le jeune homme piaillait seul, pensant que Solvi buvait chacune de ses paroles. En réalité, la jeune femme l’avait laissé avancer, s’arrêtant de temps à autre pour saluer les commerçants de la rue. Michel-Ange bavardait sans cesse, cherchant certainement à dissimuler les craintes qui le saisissaient. Il pouvait faire croire tout ce qu’il voulait: Solvi savait qu’il avait peur. Il n’avait jamais trop aimé venir ici, alors qu’elle s’y sentait tout à fait chez elle. On l’avait connue comme la fille Grimm/Nibelungen, la fille d’un commerçant et d’une Vert-Galante, ce qui inspirait la méfiance. Désormais, elle était connue comme une jeune tireuse d’élite, n’inspirant guère plus de confiance qu’avant.

Alors qu’elle s’était arrêtée pour discuter avec un créateur d’objets magiques, réputé pour ses inventions loufoques mais toutefois utiles, elle entendit son cousin lui crier après, persuadé qu’elle avait fait exprès de se cacher. Elle aurait pu, ça lui aurait ressemblé. Rien que pour le laisser se débrouiller et lui apprendre la vie. Solvi soupira, terminant sa discussion plus tôt que prévu pour retrouver le Grimm dans la foule. Il ne serait pas difficile à trouver, étant plus grand que la majorité des créatures présentes. Pourtant, elle avait beau chercher, elle ne le trouvait guère. Michel-Ange était aussi blagueur qu’elle, mais flippé comme il l’était ici, jamais il n’aurait osé lui faire une plaisanterie du genre ici.

Son regard s’arrêta sur un Gobelin qui arborait un air mesquin, assis à une taverne située à quelques mètres d’elle. Elle s’approcha de lui, puis s’adressa à lui sans passer par quatre chemins: « Un grand dadais, Grimm, mon cousin. Où est-il? » Le sourire sournois qui s’était dessiné sur sa bouche lui laissait croire qu’il ne lâcherait pas le morceau si vite. « Très bien Bomazstal… Si ce sont quelques gallions qui te feraient plaisir… » Elle tira une petite bourse de sa poche et lui tendit avant de s’approcher, malgré la puanteur qui se dégageait de lui. « Je serais toi, je les accepterais bien vite. » Elle connaissait le bougre, et elle connaissait aussi les différends qui agitaient les Grimm et les Gobelins depuis de longues années. Cédant assez rapidement à Solvi, le Gobelin indiqua une direction très vague à la jeune femme qui s’en contenta. Son instinct de tireuse d’élite ferait le reste.

Lorsqu’elle arriva sur les lieux, le Gobelin menaçait déjà Michel-Ange de sa lame. Comme c’était fourbe. Pas étonnant de la part d’un Gobelin. Solvi s’approcha sans bruit puis brandit sa baguette fièrement. « Waddiwasi. » murmura-t-elle, d’une voix sereine et convaincue, frappant ainsi le Gobelin d’une poubelle pleine de détritus. « Tu devrais savoir qu’on ne s’attaque pas à un Grimm sans en payer les conséquences. »