L'arroseur arrosé qui arrose l'arrosoir { Aram

Ce n’est pas la première fois qu’elle le voit. En son for intérieur, Bianca se moque. Qui est assez crétin pour penser pouvoir filer une Auror incognito. Il lui a fallu deux fois pour se dire que ce n’était pas un hasard. Malheureusement pour l’homme qui l’a visiblement prise pour cible, il n’est pas de ceux qui passent inaperçus aux yeux d’une professionnelle entraînée. Ce doivent être les chaussures sales, sans le moindre doute. Ou la barbe. Ou simplement le fait qu’il n’était pas assez passe partout pour être bon en planque, très clairement. Mais que importa. Ce n’est pas comme s’il y avait quoi que ce soit à voir, ces derniers temps. Elle s’arrange toujours pour le perdre avant de rentrer à son domicile, commençant à se montrer créative dans sa manière de promener Hombre, qui commence à ne plus très bien comprendre ce qui lui arrive. Et quand, au bout de quelques jours, cela fait un peu trop de précautions à prendre, sa patience s’émousse. Disons qu’elle aime jouer, mais pour le reste, ça pourrait lui taper sur le système très rapidement. Et elle n’est pas spécialement connue pour aimer attendre. Ce sera donc ce jour-là. Et ce sera en ses termes. L’âge lui a heureusement donné assez de retenue pour ne pas finir par se retourner en pleine rue et l’attraper par le col de sa veste pour l’épingler contre le mur et lui demander ce qu’il veut, à la fin. Non, maintenant, elle a d’autres méthodes, qui se révèleront sans doute beaucoup plus satisfaisantes. La première partie est simple, il s’agit de vaquer à ses occupations comme d’habitude, suivre son emploi du temps à la lettre en faisant semblant de ne pas remarquer son stalker. Et du boulot, prendre le chemin de son bar préféré. Elle sait qu’il la suivra, il l’a déjà fait une fois. Il n’est donc pas sorcier à renoncer en territoire moldu, ce qui peut donner plusieurs indications. Les preuves sont accumulées avec soin, mais il n’y a pas de doute pour la femme : elle saura de quoi il en retourne très rapidement. Elle a, après tout, les moyens de le faire parler.

L’ambiance est toujours la même. Quand elle pousse la porte, elle est accueillie par quelques grands hey ! qui sont devenus extrêmement chaleureux depuis qu’ils l’ont acceptée comme l’une des leurs. De grands escogriffes pour la plupart, pas méchants, qui viennent regarder du rugby – auquel on l’a donc initiée – et boire des pintes dans une ambiance … disons pas bon enfant, vous n’y enverriez pas vos neveux et nièces, mais relativement civilisée, surtout depuis qu’elle a collée une dérouillée à un nouvel arrivant qui avait voulu tester la fermeté de son fessier sans demander la permission. Ses cheveux sont détachés alors qu’elle s’approche du bar où le patron la salue : « If it’s not queen B… the us’ ? » « You know it, Big J. » Le clin d’œil est servi et elle se perche sur un des hauts tabourets rembourrés qui flanquent le comptoir. Et n’y reste que le temps que sa pinte lui soit servie. Juste le temps de trinquer avec un des habitués qu’elle glisse à bas du siège, pour se diriger vers la table de billard. Une partie fait rage et s’approche dangereusement de la fin. Posant sa boisson sur la table à côté, après en avoir prélevé une longue gorgée, elle se déleste de son imper. Son coude troouve l’épaule de Lance, qui lead pour lui glisser à l’oreille : « I beat your ass later, now I need the table to teach some gringo some manners. » Un regard intéressé et interloqué lui répond, voulant clairement voir ce qui allait suivre. Ce qui fait qu’il plie la partie rapidement, alors que Bianca, posée contre un pilier, fait toujours mine d’ignorer celui qui la suit. Et au lieu de prendre place pour avoir un nouvel adversaire, il passe les queues à la femme, qui le remercie : « I owe you one… Now, » reprend-elle plus fort en attirant les regards sur elle, « who’s it gonna be ? » Elle tourne lentement sur elle-même, comme pour évaluer les candidats potentiels. Mais bientôt, le masque tombe alors qu’elle se retourne vers celui qui a attiré son attention. Et elle pointe l’un des manches vers lui : « What about you, amigo ? » La langue se cale entre les dents avant qu’elle ne sorte, cash : « Come here and tell me why you following me like a creep at the pools table… or we take this outside and I literally beat the crap out of you? » Des sifflets commencent à s’élever alors qu’elle le considère. Pas inquiète pour deux sous. Ils sont dans son royaume. Et en territoire moldu, elle sait se battre. Si lui aussi ? Cela restait à voir. Ses chances lui plaisent quand même.

Aram commençait à être fatigué par le petit jeu auquel lui et la sorcière s'adonnaient depuis plusieurs jours déjà. C’était l’un de ses indics, un très jeune gitan d’une famille du sud de l’Espagne placé en Grande Bretagne depuis plusieurs années déjà qui l’en avait informé. D’autres membres de la communauté le lui avait confirmé. Une Auror cherchait après lui. Pas après le Congrès, Thanatos ou les bandes de malfrats qu’il avait côtoyé par le passé. Mais seulement après lui, Aram Romanez - adopté par la famille Romanez quand il n’était qu’un marmot - de parents inconnus. Elle posait des questions, beaucoup de questions, se rapprochant dangereusement des lieux dans lesquels il traînait habituellement. Il était temps de la prendre à son propre jeu.

Aram n’avait pas mis longtemps à récolter un certain nombre d'informations sur celle qui enquêtait sur lui. Bianca Almadovar, irlando-mexicaine de quarante ans, divorcée. Elle était employée au Ministère de la Magie Britannique en tant qu’Auror mais Aram ignorait ce qui avait pu la mettre si spécifiquement sur son chemin. Certes, son profil restait recherché par la justice, mais le plus vieux de ses chefs d’accusation remontait à plusieurs années de cela. Il n’était clairement pas une priorité pour les Aurors qui devaient avoir bien mieux à faire. A moins que son enquête actuelle sur Thanatos ne dérange particulièrement cette Almodovar.

Pour qui trimait cette Auror ? Ça n’aurait pas été la première fois qu’on voyait un employé du ministère jouant un double-jeu. Pour en avoir le cœur net, il s’était mis à la suivre - discrètement - à la manière de la communauté magique tzigane: se fondant telle une ombre parmi les ombres, un inconnu parmi la masse informe aux cents visages de la foule londonienne. Pourtant, il lui sembla que la sorcière avait rapidement perçu sa présence. Elle parvenait à chaque fois à le perdre en fin de journée. Aram n’avait jusqu’alors jamais rencontré quelqu’un capable de mettre à mal sa filature. Cette Almodovar n’était pas n’importe qui… Ses compétences hors du commun renforçaient cependant la suspicion d’Aram à son égard, et le rom persista dans sa surveillance. Un jour ou l’autre, elle finirait bien par le confronter…

Finalement, ce soir-là, elle échoua dans un drôle de bar moldu dans lequel elle semblait connaître du monde. Un lieu dans lequel on imaginait difficilement une irréprochable Auror. Aram se faufila dans le bistrot peu de temps après elle, s’installant au bar sans la lâcher du regard. La gadji faisait son show, pour le plus grand plaisir des habitués qui buvaient littéralement ses paroles. Aram ne put s’empêcher de sourire en la voyant faire, sachant pertinemment qu’une partie du spectacle lui était destiné. Une sorcière de caractère, c’était certain ! Avec une telle flamboyante audace, elle aurait facilement pu passer pour une femme de sa communauté. Le coeur du sorcier rom se serra un instant à la pensée de ses tantes et cousines laissées en Espagne, en Roumanie, en Arménie. Voir cette Bianca réagir avec ce naturel aplomb, c’était un peu comme être de retour auprès des siens.

Soudain, l’Auror tourna sa queue de billard vers lui, la préférant à sa baguette magique en étant pourtant tout aussi menaçante.

- Wohhh… sourit-il en levant les mains. Cálmate, bonita… Je doute absolument pas que t’es capable de me briser les os, et j’ai pas envie de tester mon hypothèse !

Son sourire de fripouille brilla alors qu’il dévoilait l’une de ses dents en or marquée de fines runes censées lui permettre de mieux canaliser sa magie. Sans vouloir paraître le moins du monde lui manquer de respect, rien dans son attitude ne trahissait pourtant la moindre crainte.

- Et si on réglait plutôt ça autour d’un verre, qu’est-ce que t’en dis, mi bella ?

Se tournant vers l’espèce d’ours derrière le comptoir qui l’observait avec une mine antipathique, Aram leva deux doigts avec un sourire innocent des plus niais.

- Deux verres l’ami, et c’est pour moi évidemment !

Puis se tournant de nouveau vers Bianca, il posa l’un de ses coudes sur le bar en retrouvant un air un peu plus sérieux.

- C’est sûr que j’ai pas eu la meilleure des attitudes, frumoasa mea… Mais je pouvais difficilement me pointer à ton boulot, je pense que tu sais pourquoi… Peut-être que tu pourrais m’expliquer la raison pour laquelle tu te renseignes sur moi, et sur la famille Romanez ? Dans notre communauté, on aime pas vraiment ceux qui mettent un peu trop le nez dans leurs affaires… Même un joli nez comme le tien !

Il allait un peu trop loin, et risquait certainement de se prendre un coup de canne dans la tronche. Mais hé, la beauté en face de lui valait bien la peine qu’il prenne le risque !

L’ambiance devient électrique alors que clairement, on s’attend à une bagarre. Et Bianca a déjà cassé une des queues qu’elle tient entre les mains sur le dos d’un lascar faisant une tête de plus qu’elle, donc le spectacle s’annonce gratiné. Cependant ils en sont pour leurs frais quand l’homme prend la parole. L’Auror ne lâche cependant pas l’objet pour le moment. L’accent roule d’une manière différente du sien, et pourtant la langue chante aussi bien. Il n’a pas l’air particulièrement impressionné, mais le contraire l’aurait étonné, s’il en a été à prendre un employé du Ministère, travaillant dans les forces de l’ordre en filature, c’est qu’il n’est certainement pas un peureux. « Well you keep that theory in that pretty head of yours. » Oh si c’est le ton qu’il veut prendre, elle sait jouer aussi. Les dents qui brillent quand il lui sourit peuvent signifier beaucoup de choses, dont le fait que ce ne serait sans doute pas sa première bagarre rangée sans l’aide de la magie. Il semble détendu, contrastant avec la boule d’énergie qu’elle est, visiblement prête à lui sauter à la gorge. Et les habitués ne sont pas en reste. Il faut un signe de la tête de sa part au barman pour qu’il se décide à le servir plutôt que de le jeter dehors. « Heard the gentleman? He’s paying. » Et elle ne dira pas non à un verre pour le dérangement. « But we do this here. My bar, my rules. » Et la queue est envoyée dans sa direction, se saisissant d’une autre. Cependant, alors qu’elle aligne les boules pour casser, elle marque un arrêt alors qu’il lui révèle la raison de sa présence. Romanez. Le manège est repris sans qu’elle ne fasse de commentaire, jusqu’à ce que le triangle soit parfait. Il n’est pas difficile de faire les calculs. Il n’y a pas de portrait robot d’Aram, dans les recherches qu’elle a effectuées. Ce ne sont que des rumeurs, qu’elle a suivies, visiblement jusqu’à ce qu’elles les suivent. Fourmillement au bout des doigts, alors qu’elle se permet de rétorquer, d’un air narquois : « That’s what it’s about… Thought I shagged your brother and created some family drama I was going to pay for. »

Des mots qui lui permettent juste de gagner du temps, malgré le sourire visiblement faussement aguicheur qu’elle lui envoie. Tout comme le fait de se pencher. Il y a du sérieux, sous l’attitude bravache de l’Auror, qui lui demande quelques secondes pour ralentir son rythme cardiaque. C’est toujours la même chose, quand une piste s’offre à elle. L’espoir renaît. Il lui semble sentir Marisol, juste au-dessus de son épaule, lui murmurant qu’elle n’est pas loin, qu’elle va y arriver. Ce n’est qu’un battement de cœur. D’un mouvement expert, le jeu est cassé, et une boule entièrement colorée entre directement dans une des poches. « Looks like you’re stripes, corazón. » Un clin d’œil, et elle enchaîne. Le coup suivant ne lui porte pas chance, et elle se décale pour le laisser prendre place. Récupérant son propre verre d’origine, elle décide de mettre les choses au clair : « You can tell your community and your family to relax. It’s not them I was looking for. » Si elle pouvait éviter de se mettre plus des gens que nécessaire à dos, après tout, ce ne serait pas un mal. Appuyée contre le billard, elle l’observe. Lui donner un âge est compliqué. Peut-être un peu plus jeune que sa sœur. « It’s actually you I am interested in. » Qu’on soit d’accord, le flirt outrageux ne fait que répondre au ton qu’il a donné à leur conversation. Il y a bien trop en jeu pour qu’elle soit en train de s’imaginer lui arracher ses vêtements à l’instant t. Rien de mal à plaisanter, après tout. « And if that can help, you’re not in trouble. » Après tout, généralement, quand un Auror en a après vous, c’est Azkaban qui se profile immédiatement. « I just want to talk. And you too, it would seem, papi. » Si elle avait été de moins bonne humeur, il serait sans doute déjà contre le mur avec la moitié de la canne qu’elle tient sous le menton. Mais il y a beaucoup en jeu. Et celui qu’il a initié ne lui déplaît pas foncièrement, pour l’instant.

Un silence régna dans le bar avant que l’Auror ne finisse par accéder à sa demande, acceptant l’alcool comme gage de discussion. Alors, le brouhaha revint peu à peu pendant que le barman, retrouvant une mine indifférente – quoi que légèrement déçu – ne leur serve deux verres d’une espèce de whisky infâme. La canne de billard pointée sur Aram fut baissée avant de lui être lancée d’un geste brusque. Le sorcier l’attrapa au vol sans de départir de son sourire. La sorcière était joueuse, était-ce là son moindre défaut ? Très bien, si elle imposait le rythme, ils seraient deux à danser.

L’Auror eu un air moqueur devant ses explications, prétextant le prendre pour un revanchard cherchant justice pour son frère. Aram se contenta de garder un sourire poli mais une étincelle d’acier passa dans son regard silencieux. La jolie mexicaine pouvait en rire tant qu’elle le souhaitait, si elle s’en était réellement prise à un membre de la communauté des tziganes, elle ne serait aujourd’hui plus là pour en témoigner. Mais telle une partenaire de flamenco, elle poursuivait, enchaînant raillerie et badinage comme pour l’étourdir à moitié. Son corps reflétait l’ondulation de son discours, alors qu’elle se penchait sur la table de billard, cassant le triangle qu’elle avait mis tant de soin à former. Le regard d’Aram papillonna vers la courbe de son dos ainsi dévoilé avant qu’il ne concentre son attention sur son verre qu’il vida en grande partie.

Le rom pressentait qu’il allait avoir besoin de ce petit coup de pouce que lui offrirait provisoirement l’alcool, malgré son goût abject. Le deuxième coup de la sorcière manqua sa cible et Aram vint se positionner à l’endroit exact où elle s’était placée. Une grande partie de son talent actuel ne se basait que sur une capacité d’observation travaillée d’arrache-pied depuis l’enfance. Observer, rectifier, agir. D’un mouvement sec, il fit partir la boule qui fit se caramboler deux autres boules dont l’une finit sa course dans l’un des trous. Mais à son deuxième coup, Aram manqua de concentration, trop perturbé par les propos de la sorcière qui lui révélait ne s’intéresser ni à sa famille, ni à sa communauté, mais uniquement à lui. La queue vint frapper la boule blanche au peu trop haut, la faisant rebondir bien loin de l’endroit visé.

En se relevant vers sa partenaire de jeu, Aram senti le masque impassible de son visage se fissurer. Le fait que l’Auror lui dise de ne pas s’en faire ne le rassurait aucunement. Que pouvait-elle bien avoir après lui ? Il n’était rien ni personne. La force de leur communauté résidait dans le nombre. Si l’un d’entre eux tombait, dix étaient prêts à prendre sa place. Même leurs noms ne leur appartenaient pas, ne montrant que l’alliance formée avec leur Endaja. Pris de court, il se contenta de s’appuyer sur la canne en lui offrant le sourire le plus goguenard de sa collection.

- Alors comme ça on s’intéresse à moi ? Je comprends que tes petits collègues britanniques ne fassent pas rêver, mais j’suis pas un gars facile ma belle…

Sous ses airs souriants, l’arménien restait sur ses gardes. La sorcière en face de lui n’était rien de moins qu’une employée surentraînée à s’occuper des cas comme le sien. Il ne voyait véritablement aucune bonne raison pour qu’elle s’intéresse à lui en particulier… Souhaitait-elle en faire un indic ? Voulait-elle qu’il lui livre le résultat de ses recherches ? Tout s’achetait, Aram n’était jamais contre un peu de négociations… Tant qu’au bout du compte il restait libre de rebattre les cartes à sa manière, plaçant ses pions en distribuant au moment où il le souhaitait l’information qu’il voulait.

- Mais… Je dois avouer ne pas être indifférent à tant d’attention… Si tu veux me parler, j’imagine que je peux toujours t’écouter. Ça n’engage à rien n’est-ce pas Bella ?

Analyser les gens fait partie du métier de Bianca – et de ses talents les plus affutés. Et il lui fait l’effet de se retrouver, contre toute attente, face à un miroir déformant. Tout semble pourtant les opposer, sur papier. Mais il y a quelque chose dans son attitude, dans sa façon de jouer qui trouve un écho en elle. Cela n’en sera sans doute que plus simple, en théorie, d’obtenir ce qu’elle veut de l’homme. En théorie. Pour l’instant en tous cas, il lui semble naviguer en terrain connu, alors qu’il finit par manquer son coup, et lui répond finalement. Réplique qui lui fait lever un sourcil, assorti d’un sourire séducteur trop sûr de lui pour être sérieux : Oh carino… If that was what I was after, you’d already pinned me to that wall. La queue désigne celui derrière le Rom, assorti d’un coup de dent dans sa lèvre inférieure. On pourrait faire explicite mais ce n’est pas vraiment nécessaire. La façon dont elle se penche pour aligner son prochain coup est délibérément lente, se laissant le temps de réfléchir en empruntant cette pente savonneuse qui ne mène nulle part. La question est de comment réellement l’aborder. En théorie, le seul risque est qu’il refuse de lui parler et de l’aider. Et si cela semble n’être rien, pour celle qui s’épuise à courir après chacun brin d’espoir qu’elle peut trouver, c’est un risque monumental. There is something there. I know there is. Si ce n’est qu’une manière de se rassurer ? Probablement. Il lui faut y croire. Pour Marisol. Et pour tous les autres. No strings attached indeed… as I said, I am not here to frame you. The matter is more… personal. Le choix semble couler de source, contre toute attente. Contre toute logique. Tant pis si cela ne fait pas sens. Une boule rentre et elle se décale, étudiant la disposition des autres. S’achetant un peu de temps. L’honnêteté ? Pourquoi pas. Elle pourrait se servir de son « unfair advantage » en dernier recours si l’homme refuse de coopérer. Mais pour l’heure … si réellement, son instinct est juste, s’il y a ne serait-ce que l’ombre d’une similarité à exploiter … c’est ce qui fonctionnerait avec elle.

Le temps est pris de faire le tour de la table, lui jetant un coup d’œil. I thought I understood there has been a particular event in your childhood. Il y a quelque chose dans le ton d’un peu plus mesuré. Dans les mots d’un peu plus posé. Il est des sujets épineux, et elle n’est pas sans savoir à quel point ils peuvent être blessants, voire meurtriers. Bianca se casse en deux, alignant la canne et sa cible. There has been something similar in mine. Il est plus simple d’en parler avec le vert dans le regard, plutôt que les yeux de son interlocuteur. Le coup semble impeccable et pourtant il rate. Le cœur n’y était pas. Remontant en s’appuyant sur la tige posée au sol, l’Auror le considère. And in a lot of others. Le nombre de familles qu’elle a pu répertorier, au fil des années, ajoutées à celles, plus récentes, dont on lui a confié les dossiers. C’est effrayant. Et c’est douloureux. Elle n’a pas bougé d’un pouce, le considérant, cette fois, avec beaucoup de sérieux. I would have liked to know what you remember, from that time. C’est cash. C’est ce qu’elle voudrait, si elle était en face. Et elle espère que c’est ce qui lui conviendra, également. A discussion. It’s all I want. It’s all I need. For now. Et il n’y a plus rien de joueur, ni de détaché, dans son attitude. Quand ce sujet est abordé, elle en est bien incapable.

L’Auror continuait son petit jeu de séduction, flirtant légèrement avec les limites que la rencontre entre deux inconnus imposait. Aram la détaillait allègrement en finissant son verre, la jugeant aussi dangereuse que séduisante. Le genre de sorcière à rendre un homme fou avec une simple œillade. Du reste, elle semblait presque s’offrir à lui, se penchant délibérément sous son regard avec son sourire aguicheur. Mais le sorcier rom restait sur ses gardes, la méfiance le rendant prudent et prêt à détaler. Pourtant, au fond de lui, l’arménien se sentait presque à deux doigts d’abandonner face à elle. Car finalement, quitte à se faire arrêter par le Ministère, autant l’être par cette créature contre laquelle nul ne semblait pouvoir lutter.

Mais rapidement, l’œil averti d’Aram décela dans son comportement une retenue apportant une certaine raideur à sa manière de lancer sa cane contre les boules qui filèrent en s’entrechoquant. Une question plus personnelle avait-elle évoqué ? Le Romanez la suivit d’un air intrigué, ne perdant rien de ses gestes alors qu’elle contournait la table à la recherche de la meilleure disposition pour son prochain coup.

Finalement, sa voix perla, de manière plus pondérée et Aram se crispa en entendant ses mots, comme si elle venait de lui jeter une bassine glacée en pleine figure. Un événement lors de son enfance ? Parlait-elle bien… de ce qu’il imaginait ? Instinctivement, ses doigts se portèrent à la marque qu’il avait à la base du cou alors que l’Almadovar continuait sur sa lancée, indiquant que son histoire pouvait peut-être rejoindre la sienne, et celle de nombreux autres. Aram la dévisagea silencieusement et la sorcière finit par relever le regard vers lui avec une mine bien plus sérieuse et presque… vulnérable. Elle voulait savoir ce qu’il savait sur cette sinistre histoire. Aram déglutit difficilement, avant de déposer lentement sa canne sur le rebord de la table.

- Je déclare forfait, t’as gagné, marmonna-t-il n’ayant clairement plus le cœur à jouer.

La tournure de la discussion avait rendu l’atmosphère des plus sinistre, comme si des cendres en suspensions les entouraient, s’attaquant à leur respiration et leur vision, et agrémentant la scène d’une aura surnaturelle. Il n’était jamais neutre d’évoquer ainsi de jeunes âmes innocentes arrachées et tourmentées par profit. On devait ensuite supporter le poids de leur absence, si lourde qu’elle créait une forme de présence nuisible qui hantait chaque pensées et chaque parole. Le tzigane eut soudain la gorge sèche, et il se dirigea vers le bar pour commander une autre boisson. D’un signe du menton, il désigna le tabouret à côté de lui pour inviter la sorcière à le rejoindre.

- Il fait pas bon de remuer le passé comme ça… On n’en ressort qu’avec les mains ensanglantées et des cauchemars plein la tête, marmonna t-il en regardant droit devant lui. Son verre lui étant servi, il le porta à ses lèvres cherchant un peu de réconfort dans la rudesse de l’alcool, avant de se tourner vers l’Auror.

- Pourquoi cette histoire intéresse le Ministère à présent ? Elle avait pas créé beaucoup de remous à l’époque… Des enfants roms et autres parias de la société qui disparaissent, ça ne fait pas assez pleurer dans les manoirs…

La sorcière avait indiqué que ce passé la concernait… Une histoire similaire avait-elle dit. En quoi sa propre enfance avait quoi que ce soit de semblable avec la sienne ? Était-elle une autre rescapée ? Impossible… Le sorcier secoua la tête en l’observant, attendant d’elle un peu plus qu’un simple appât lancé sur la surface de ces eaux troubles.

La tension est palpable, du côté de l’Auror. Mais elle n’est pas la seule. L’homme en face d’elle a perdu de son air railleur. Et dans le mouvement qu’il fait pour se débarrasser de la canne qu’il tient entre les mains, il y a une raideur qui ne trompe pas. C’est le moment de vérité. Une part d’elle se dit qu’il va tourner les talons et s’en aller. Cela règlera certes le problème précédent, et il n’y aura plus personne pour la suivre. Mais ce n’est pas une issue satisfaisante. Pas quand elle a la confirmation du fait qu’elle a tapé juste et qu’il y a des réponses, là, à portée de main. Et cela ne manque pas. Pourtant ses mots, la manière dont il l’est dit n’a rien d’une victoire. Bianca le suit du regard, sans esquisser le moindre mouvement avant qu’il ne l’invite à la rejoindre. Impatiente sans le moindre doute, mais néanmoins suffisamment respectueuse pour ne pas insister – pour l’instant – s’il ne souhaite pas en parler. Aussi quand finalement le tabouret lui est montré, elle se met en mouvement. La queue est lancée, à l’aveugle, vers le précédent occupant de la table qui la réceptionne avec habileté. Dans son dos, la parte reprend comme si de rien n’était. Le sujet semble être trop sensible pour qu’on continue de les observer. En le rejoignant, elle fait signe au barman de lui mettre son habituel – un rhum auquel elle a pris goût, ces dernières années. Et son sérieux seul l’empêche de lui demander de laisser la bouteille, sachant pertinemment qu’elle risque d’en avoir besoin.

Les mots du Rom lui arrachent un rire sans joie, alors que le verre est poussé devant elle. Ses doigts glissent dessus, notant non sans amertume : « Some of us don’t have the luxury to let the past behind. » Et elle l’incluait sans aucun doute dans l’équation. Il semblait, après tout, bouleversé rien que d’y penser. Ce qui faisait se serrer le cœur de la sorcière, instinctivement. Marisol, what did they do to you ? Et qu’avaient-il fait à l’homme à ses côtés, pour que du provocateur qu’elle avait interpelé jaillisse quelqu’un de beaucoup plus grave, et de plus torturé. What they did to you, to your family. To her. Une longue gorgée est prise après la déclaration de son interlocuteur. Et si elle aimerait pouvoir contredire ses mots, malheureusement elle en est incapable. Parce qu’il a raison. Il fait partie de ceux pour lequel le Ministère n’a pas juger bon d’enquêter. Population à risque. Une belle envie de gerber, surtout. : « It’s not the Ministry. » Enfin. « Not entirely. We’re looking into recent kidnappings. » Et le fait qu’on l’ait mise sur cette enquête n’a rien d’anodin. Certains ont murmuré que ce n’était pas une bonne idée. Mais @Gabriel Standford n’est pas homme à prendre une décision à la légère. « I am the one digging the old cases. It’s personal. » Et elle se retrouverait sans doute à devoir subir encore plus de Psychothérapie si jamais cela se savait. Le liquide ambré semble l’hypnotiser, mais c’est vers lui qu’elle se tourne. Parce que c’est important qu’il comprenne qu’elle ne se fout pas de lui et qu’elle ne cherche pas à le piéger. Et elle attend donc qu’il la regarde dans les yeux pour déclarer : « A little more than thirty years ago, my sister was taken from the room next to mine. » Il y a des fourmis, dans ses doigts, dans sa nuque chaque fois qu’elle en parle. On lui a dit, que ça faisait longtemps, qu’il fallait qu’elle fasse son deuil. Cela n’a jamais été le cas. « My brother was there. They didn’t take him. » C’est Marisol qu’ils voulaient, et cela n’avait pas le moindre sens. « My father was an Auror. My mother was in the force too. No one found her. » Le reste n’a pas besoin d’être formulé. Le fait qu’elle ait récupéré tous les dossiers pendant son apprentissage. Qu’elle ait commencé un véritable travail de titan, à récupérer et croiser des informations. Et qu’elle y croit, toujours. « I want to know what happened to her. » Quel qu’en soit le prix.

L’Auror le rejoignit, se faisant servir un verre alors qu’elle prenait place à côté de lui. Ses propos lui arrachèrent un sourire sans joie alors qu’elle lui répondait qu’il lui était bien impossible de laisser le passé reposer. Son air douloureux intrigua le rom qui leva un visage marqué par l’incompréhension sur elle. Elle n’était pas là envoyée par le Ministère, devina-t-il aisément. L’affaire la concernait d’une manière bien personnelle. En effet, l’Almadovar le lui confirma de but en blanc, avant de préciser que les services secrets magiques anglais enquêtaient bien sur de récents enlèvements. Le poing d’Aram se resserra sur son verre avec une colère qui l’habitait en permanence, bien qu’il avait appris à vivre avec, comme une vieille amie.

Les kidnappings avaient repris ? Est-ce que le groupe s’était reformé, reprenant leurs sinistres desseins là où ils les avaient interrompus des années auparavant ? Impossible… Son regard sombre erra devant lui, réfléchissant à toutes les perspectives que cette nouvelle apportait. Malgré son caractère intolérable, elle offrait une opportunité de reprendre la piste qui avait refroidi alors même qu’il n’était qu’un marmot… L’Auror lui confia que cette histoire la touchait personnellement, et le rom releva le menton vers elle, la fixant sans aucune surprise avant qu’elle ne lui déballe la plus intime des histoires. Alors, instinctivement, sa main alla se poser sur la sienne, son regard reflétant la noirceur de ses pensées.

Par deux fois, le destin le remettait sur cette affaire, l’obligeant à sortir de son déni et cesser de détourner le regard de son passé oublié. La sinistre danse des enfants massacrés reprenait alors qu’ils murmuraient de leurs voix plaintives à son oreille, réclamant vengeance pour leur trop nombreuses vies innocentes fauchées. L’arménien pouvait à présent ajouter un nouveau visage à ces fantômes: celui de la petite sœur de cette Auror qui se révélait bien plus fragile et humaine qu’il ne l’aurait cru.

- Je suis désolé, lui murmura-t-il avant de retirer sa main de la sienne pour la remonter à son propre cou. Il n’était pas nécessaire d’annoncer à la sorcière que sa sœur était décédée depuis bien longtemps, sans jamais avoir pu connaître la joie de grandir. Elle le savait, il pouvait le lire dans son regard résigné. Mais elle attendait d’autres réponses de sa part, qu’il était en incapacité de lui fournir. Quand bien-même il lui servirait sa vengeance sur un plateau d'argent, cela ne suffirait pas à amoindrir la peine d’avoir perdu un être cher qui partageait le même sang qu’elle. Le Romanez dégagea le col de son t-shirt, dévoilant une clavicule marquée d’un symbole qu’on avait gravé sur sa peau, comme on marquait un troupeau de vache pour en reconnaître la provenance.

- Ton enquête t’a mené au bon gars, lui annonça-t-il sombrement, confirmant qu’il avait lui aussi été victime du même groupe de malfrat que sa sœur - subissant les mêmes sévices qu’elle avait dû affronter. Mais j’ai malheureusement rien d’autre à t’offrir que mes cicatrices…

Ces dernières lui feraient sans doute de la peine… Peut-être que le visage de la disparue se superposerait momentanément au sien, lui redonnant vie quelques instants par une cruelle illusion… Il n’y aurait rien d’autre que ce mirage. Ils étaient seulement deux à leur avoir échappé, et les moindres indices qui auraient pu les mener à eux s’étaient envolés à cause de l'incompétence des agents de l’époque qui avaient fermé les yeux devant leur macabre découverte. Il n’y avait plus aucun espoir. Rien à part la petite flammèche que les propos de la sorcière venait de rallumer.

- Les kidnappings ont recommencé tu dis, reprit-il dans un grognement vibrant de haine à cette simple idée.

Il y a quelque chose, dans la manière dont la main de l’homme se pose sur la sienne qui lui déplaît souverainement. Ce n’est pas que Bianca ne soit pas tactile, mind her. Mais c’est ce qu’elle voit dans son regard, dans son attitude qui la fait se hérisser, instinctivement. Parce qu’elle connait cette expression. Elle l’a vue à de nombreuses reprises. Quand on leur a dit qu’on ne trouvait pas Marisol. Quand on leur a annoncé la fin de l’enquête officielle. Quand on leur a demandé s’ils voulaient des funérailles. Quand ce sortilège a manqué de la couper en deux. Quand un coéquipier ne revient pas. Et les mots sont pires. « No. » Ce n’est pas une supplique, ce n’est pas une prière. C’est une certitude. C’est définitif. Le déni est un vieil ami qu’elle aime embrasser quand certaines choses deviennent trop dur. Et face à l’homme qui pourtant semble en mesure d’enfin lui donner les réponses qu’elle attend, elle se retire. La main glisse sur le comptoir, voulant lui retirer le contact, mais il la lâche à cet instant. Et si le mouvement la surprend, ses yeux accrochent vite ce qu’il veut lui montrer. On est loin des plaisanteries bon enfant du début de soirée où elle aurait proposé de le lui arracher elle-même. Le symbole flashe, inconnu, et se grave dans sa mémoire, de manière indélébile. Est-ce cela, la clef qu’il lui manquait ? Dans d’autres circonstances, ses doigts se tendraient pour l’effleurer, pour voir s’il y a du relief, si elle peut avoir plus d’indices. Mais la vérité qu’il tente de lui livrer la cloue sur place. La fait s’enfoncer dans un mutisme qui ne lui ressemble absolument pas. Que no. She is alive. Les mots devraient avoir de l’importance mais elle n’est plus là pour les écouter. De sa détermination, il ne reste que cette force lui disant de refuser ce qu’il lui dit. S’il n’y a plus rien…

« We are not sure they ever stopped. » Ca. C’est ce qui doit la motiver, malgré tout. C’est par là qu’il faut recommencer, à y croire, à en vouloir. Pour que cela n’arrive à personne d’autre, jamais. Pour qu’il n’y ait pas d’autres Aram Romanez, marqué à vie de plusieurs façons. Pour qu’il n’y ait plus de Bianca Almadovar, perdant la raison à chercher une sœur qui… No. C’est trop. Ce n’est pas ce qu’elle voulait entendre. Et si elle est suffisamment aguerrie, en temps normal, pour faire la part des choses, elle n’était pas prête ce soir. Le deuil n’a jamais été porté, jamais été - au-delà de fait, ne serait-ce qu’entamé. Et c’est insupportable, c’est … « Mira… » Elle n’ira pas au bout de sa phrase. Parce que quelque chose chauffe contre sa cuisse, et que la brûlure du Gallion des Aurors est suffisamment caractéristique pour qu’elle sache qu’il faut qu’elle agisse vite. Une porte de sortie inespérée qu’elle enfonce immédiatement. La pièce apparaît entre ses doigts, qu’elle presse avant de la faire disparaître de nouveau. « Lo siento, work emergency. I have to go. » Le verre est repoussé – elle a sans doute déjà trop bu pour un Auror lambda, mais elle tient mieux, heureusement, que la majorité de ses collègues. « Let’s talk later, if you still want to. Help the others. » Tout est rapidement jeté. Parce que ce n’est pas une prise de congé. C’est une fuite, en bonne et due forme. « I’ll find you. » Le col de la veste est relevé, les talons sont tournés. Et quand elle pousse la porte du bar, la pensée parasite a été enfouie. No. Elle n’en démordra pas. Jamais.