Breakfast

Jesse était installé dans le bureau de son domaine londonien. Situé avec un pied dans les deux mondes (moldu et sorcier), les lieux grouillaient parfois de vie du fait du personnel de maison qui gérait l'entretien des lieux afin que tout fonctionne et que le propriétaire qu’il était n’ait pas à s’encombrer l’esprit de questions futiles liées aux lieux et à son confort.

Devant lui fumait encore un café très noir à côté duquel on avait déposé une minuscule théière de lait tiède. Il y avait aussi un toast brioché généreusement tartiné de beurre demi-sel et d’une gelée de groseille que la cuisinière des lieux faisait elle-même ! Depuis qu’il était de retour et que Mme Hardcastle avait pris son service dans ses cuisines, Jesse se rappelait de ses petits déjeuners d’enfance. Bien sûr ce n’était pas cette femme à l’époque qui les lui préparait ! Mais ça se rapprochait beaucoup de ce que sa mère lui préparait lorsqu’elle désirait le faire elle-même et Jesse associait ce goût de perfection à un savoir faire moldu, du coup…

On entre dans son bureau après avoir frappé de manière assez brève et caractéristique. Deux petits coups bref, une pause courte puis un nouveau petit coup. C’est ainsi que Ocean s’annonçait en général. Et Jesse savait, lorsqu’il frappait de cette manière, qu’il n’attendait pas de permission de sa part…! Et en effet, dans un grand mouvement de porte ouverte, Ocean entre dans son bureau, chassant brièvement l’odeur du petit déjeuner improvisé avec celle de son parfum capiteux de luxe.

“Bon matin.”

Et de constater :

“Ta mère continue de me faire déposer un plateau avec mon café et une tartine les matins où je sèche le petit déjeuner.”

Ça n'arrivait pas si souvent. Jesse avait un mode de vie assez sain et ça passait par une bonne alimentation, lui qui avait souvent un appétit d'ogre. Mais parfois il pensait à trop de choses ou prévoyait de petites retouches à des travaux de la veille et il passait tout droit devant la cuisine malgré les bonnes odeurs de pain frais maison et de tartes aux fruits. D’ailleurs, parlant de ça, il y en avait aussi une sur le plateau. Une part du moins.

“Qu’est-ce que c’est d’après toi ? Des quetsches ?”

Ça sentait rudement bon en tout cas ! Mais Jesse relève les yeux sur son employé et ami, qui devait tout juste venir de prendre son poste, comme lui. Comme toujours il était bien mis dans une tenue sur mesure qui mettait tout ce qui chez lui méritait d’être mis en valeur. Quelques artifices, des bijoux par exemple… Il avait la manie de souvent en tripoter et depuis quatre ans, ce mouvement et le bruit subtile qu’il provoquait était devenu comme une sorte d’anti-stress chez Jesse.

“Puisque tu es là…”

Jesse vient vider le minuscule contenant de lait dans sa tasse avant de poursuivre :

“Tu pourrais me sortir le dossier Rosenbach ?”

Une affaire qui concernait son agence de mercenaires et autres chasseurs de prime. Un des hommes était manquant. Un bon élément. Et il voulait jeter un œil par lui-même à la situation pour lancer une éventuelle enquête afin de remettre la main sur lui.

"Assieds-toi. Vas-y. Tu veux qu’on fasse apporter un morceau de tarte pour toi des cuisines ?”

Et désignant la tartine :

“La gelée de groseille de ta mère est incroyable cette année.”

Puis rien à voir mais puisque Ocean avait eu son après midi la veille, lui-même ayant pris du temps pour des choses privées, Jesse se renseigne :

“Alors ton après-midi ? Prolifique ?”

Lui avait été voir son père sur sa tombe puis il avait été marcher un peu et finalement il avait dîner avec une jolie jeune femme d'un site de rencontre. Une moldue celle-là. Mais elle avait été aussi jolie qu'insipide malheureusement et si Jesse avait envisagé de la courtiser "juste pour la nuit" tout de même, il y avait finalement renoncé lorsqu'un verre de vin en trop plus tard elle riait à tout, même à ce qui aurait mérité un peu plus de self control...! Disons qu'il ne voulait pas de problème si elle regrettait ses actes sous l'effet des raisins fermentés !

Ocean n’avait peut-être pas poussé ses études comme il aurait dû. Il n’était peut-être pas aussi brillant que son frère. Et peut-être qu’aux yeux de plusieurs, il ne devait son gagne-pain qu’à l’affection d’un homme riche, ce qui était sûrement le summum de l’idiotie congénitale. Mais Ocean était excellent à son travail et il l’adorait. Travailler pour l’homme qu’il considérait comme son meilleur ami avait forcément du bon. D’ailleurs, il savait que ce matin, Jesse allait être dans son bureau, seul. Il était encore tôt quand il traverse les couloirs du bel appartement de l’homme d’affaires. Il aimait cet endroit. Il oserait même dire qu’il l’adorait. Parce qu’il alliait avec beaucoup de goût sorcellerie et habitudes moldues. Ocean s’y serait presque senti chez lui !

Il passe bien sûr voir sa petite maman dans la cuisine, déposant un baiser sur sa joue et lui souhaitant une bonne journée. Une autre raison pour laquelle il se sentait bien ici, sûrement ! Puis, d’un pas assuré, il se dirige vers le bureau de Jesse. Au passage, il salue l’intendant, fait un peu de charme à une jolie petite domestique… puis frappe finalement avec son entrain habituel à la porte de l’homme avant de s’inviter, ne lui laissant pas le temps de répondre !

« Good morning sunshine ! »

Il a un petit clin d’oeil charmeur pour Jesse. Rien de réellement intéressé. Évidemment !! Mais ça faisait partie de toute sa personnalité. Il pose une fesse sur un coin de bureau de son patron, avise le déjeuner improvisé, puis tend la main pour prendre la toast. Un bracelet récemment offert par Jesse tinte contre le métal de sa montre au rythme du geste. Il vient… mordre dans la toast en riant, puis la tend à Jesse.

« Mange. C’est délicieux. C’est sa meilleure compote. Encore meilleure que celle aux fraises. ». Son petit clin d’oeil, cette fois, est complice. Parce que lorsqu’ils s’étaient rencontrés, Jesse et lui, il avait été surpris au milieu de la cuisine de cet inconnu à bouffer ses fraises…! En était née une grande amitié. Comme quoi…! « Maman ne va jamais te laisser partir le ventre vide. »

C’était une de ses plus belles qualités, à son humble avis. Et puis…

« Moi non plus ! »

Il lui était arrivé, après de longues journées éreintantes, de cuisiner pour Jesse. C’était arrivé récemment, d’ailleurs. Ils venaient de boucler une période très prenante et étaient un peu sur les rotules, disons. Il vient balayer négligemment quelques graines de toasts qui étaient tombées sur sa veste de complet. Rien de sur mesure comme Jesse pouvait se l’offrir et Ocean savait très bien que les hommes riches le remarquaient, mais il ne se plaignait pas. Il avait déjà été bien plus pauvre que ça. Reste que ça lui faisait parfois drôlement envie. Il a un coup d’oeil pour la tartelette ensuite, convenant :

« J’en ai aucune idée, mais tu peux être sûr que c’est délicieux. »

Puisque c’est sa mère qui l’avait faite. Jesse semble être sur le point de lui demander quelque chose. Dans l’attente, Ocean triture une de ses bagues, qu’il fait lentement tourner autour de son majeur, observant le petit manège de son ami avec le lait. Quand il lui explique ce qu’il veut, il se lève de son coin de bureau pour aller jusqu’au classeur. Là, il sort sa baguette magique, murmurant quelques formules dans un ordre précis, gestes compris, pour la déverrouiller. On ne lésinait pas avec la sécurité, par ici. C’est Ocean qui s’occupait du classement des documents, aussi n’a-t-il aucun mal à mettre la main sur celui dont son ami lui parlait. Il le sort, verrouille de la même façon, puis vient le poser devant Jesse avant de s’asseoir dans le fauteuil devant l’homme, à demi avachi et pourtant avec beaucoup de classe et de charisme. Mais Jesse était un peu ce genre d’homme-là aussi. Même le soir, dans son salon, à regarder un match les mains pleines de graisse et d’épices d’ailes de poulet, il avait l’air impeccable et charismatique. Sûrement même plus que lui.

Il secoue négativement la tête à propos de la tarte, convenant néanmoins :

« Une toast avec la gelée de groseilles, ce serait parfait. C’est vraiment la meilleure. Et un thé au lait. Hm… du Earl Grey. », murmure Ocean, songeur parce qu’il avait hésité un moment. Mais il était un vrai Anglais, de toute évidence. Il en revient à Jesse, prenant un petit moment de silence avant de finalement admettre : « Productive. Enfin… si le fait que Jenna ait rompu l’est. Au moins on aura fait quelque chose, je suppose… »

Il recommence à triturer une de ses bagues, cette fois de l’autre main, signe de nervosité. Et en même temps qu’il fait ça, il observe avec attention chaque geste de Jesse, s’ancrant dans sa présence réconfortante. Son parfum, ses gestes, ses tics de langage… Tout était familier et le calmait. Il n’y avait jamais vraiment pensé ainsi. Mais c’était agréable.

« Et toi ? Tu as pu faire un truc pour décompresser ? »

Ça ferait au moins un d’entre eux !

S’il y avait bien une chose qu’on ne pouvait pas retirer à Ocean c’est qu’il était de ces personnes rares qui peuvent mettre de la vie partout où ils vont en en faisant très peu. Ces quelques mots sur ce ton un peu chantant, ce dynamisme qui ne violait pourtant pas non plus le démarrage tranquille d’une matinée qui suivait une longue période tendue de travail acharné. Acheté une équipe de quidditch c’était une signature de quelques secondes sur le principe. Mais dans les faits, ça impliquait énormément de paperasse, de modifications internes, de révisions d’assurances, de conseils juridiques… Bref, il y avait eu une montagne de choses à faire et si Jesse -tout comme Ocean maintenant- avait l’habitude le travail lui avait semblé encore plus pénible que d’habitude parce qu’il y avait l’aspect “humain” et que ça pesait très lourd dans l’administratif comme dans le médical et tout le reste…

Mais ils en avaient terminé. Hier matin ils avaient pu s’en féliciter et s’il restait bien sûr quelques micros détails ils n’étaient plus dans l’urgence. C’était pour ça qu’il s’était donné son après-midi, lui qui ne se reposait jamais. Et pour ça qu’il avait donné la sienne à Ocean. Son jeune ami ne ménageait jamais ses efforts. Un jour Jesse lui avait donné sa chance et depuis jamais Ocean ne lui avait donné la moindre raison d’émettre un regret, aussi petit soit-il. Il était travailleur, savait se montrer reconnaissant et il ne rechignait jamais à faire un peu de travail en plus sur l’heure du repas ou occasionnellement jusque tard pour l’aider à boucler quelque chose. Mais Jesse n’était pas un ingrat. Il savait récompensé cette façon de faire et peut-être que c’était le secret d’une relation aussi positive professionnellement parlant.

Après River, Jesse avait craint que les choses ne changent un peu. Ça aurait été de sa faute. Doublement même. Mais les choses étaient restées identiques…

“Il te plaît ?”

Jesse désigne le bracelet qu’il lui avait offert. Le dernier cadeau qu’il lui ait fait en remerciement de quelque chose. Par contre, pour son toast :

“Hey, je ne t’ai pas dit de me le voler. Mais vas-y, termine-le.”

Sur ce :

“Vaziri !”

Dans un petit “plop” sonore, l’elfe de maison de la demeure Treadway fait son apparition. Il avait sûrement l’air aussi misérable que tous les elfes de maison comme lui. Mais Jesse ne le traitait pas mal, sans être aux petits soins non plus… L’elfe ne s’occupait pas de la cuisine et seulement d’une partie du ménage. Les courses lui étaient généralement dévolues par contre ainsi que l'entretien structurel des lieux.

“Va demander à Lucille de me faire un autre toast à la gelée de groseille. Et un thé au lait earl grey pour son fils préféré...”

La petite chose maigrichonne ne se fait pas désiré, déguerpissant cette fois à pied, bondissant de gauche à droite avec une joie suite à la réception de nouveaux ordres que Jesse ne comprendrait jamais. Quant à cette histoire de “fils préféré", c'était une blague récurrente entre lui et la cantinière ! Il lui disait toujours ça comme ça, qu’importe qu’il parle d’Ocean ou de River !

Mais le dossier qu’il a demandé se retrouve rapidement devant lui et l’homme se désintéresse alors de l’elfe de maison. Il commence à compulser le document, gardant une oreille attentive à ce que lui disait Ocean car si Jesse pouvait parfois être le cliché de l’homme ne sachant pas faire deux choses à la fois lorsqu’il était dans sa peau d’homme d’affaires il devenait soudainement multitâche ! Il relève du coup la tête de sa pochette à document, pas vraiment étonné :

“C’est vrai ? C’est elle qui a rompu ou c’est toi ?”

Et gentiment moqueur :

“Tu le sais au moins ?”

Si Jesse ne demande pas “pourquoi” c’est qu’à force d’entendre parler de Jenna, il s’était plutôt demander “pourquoi ils étaient ensemble”. Ocean était rarement euphorique à son sujet.

“Ha, les femmes !”

Il en avait épousé une, il savait de quoi elles étaient capables ! Et justement :

“J’ai été voir mon père d’abord. Pour lui parler de ce dossier qu’on vient de conclure.”

Au cimetière oui. Il ne croyait pas que son père pouvait l’entendre ni que ses mots lui parviendraient un jour… Mais parfois il éprouvait du soulagement ou de la fierté à lui dire quand même, au pied de sa dernière demeure. Dans un cas comme dans l’autre, le positif qu’il en retirait valait sûrement qu’il poursuive cette thérapie personnelle.

“Puis j’ai dîner avec une très jolie idiote.”

La façon de le dire résumait certainement la semi débâcle de sa soirée !

“J’ai besoin que tu bloques une date dans mon agenda. Disons la semaine prochaine, trouve un moment où j’aurais un créneau d’une heure et demi et appelle mon tailleur pour qu’il prévoie ce laps de temps à nous accorder.”

Ocean méritait bien un cadeau de qualité après toute cette énergie dépensée au service de l’affaire “Chauve-souris de Fichucastel”.

Pour savoir ce dont Jesse parle, Ocean suit son regard. Il tombe sur le bracelet qui agrémentait sa montre. Il adorait les combinaisons de bijoux. Il expérimentait toujours avec son style parce que ça l’amusait franchement, mais sans trop, gardant malgré tout un look qui passait bien au bureau. Et en dehors du bureau, il était du genre bottes de combat, jeans troués et chemises à carreaux par-dessus un débardeur. Mais toujours de façon très étudiée. En fait, le désordre autour d’Ocean avait toujours été très étudié, même si seuls les oeils exercés pouvaient le voir. Comme s’il avait un jour eu peur de perdre le contrôle et, depuis, le gardait trop près de lui. Mais la montre était donc plus vieille que le bracelet. C’était donc de ce dernier que Jesse parlait et pour entamer sa réponse, Ocean a un petit clin d’oeil pour son patron.

« J’aime tous les bijoux que tu me donnes, tu le sais bien. », taquine-t-il alors que pourtant, il n’y avait aucun mensonge et aucun artifice dans cette réponse. Jesse le connaissait bien et avait du goût. Une combinaison qui faisait de ses cadeaux des coups sûrs à chaque fois. Lui-même en était parfois étonné. C’était déjà arrivé que Jesse lui achète un bijou qu’il lorgnait depuis un moment dans une vitrine, sans qu’ils ne soient passés devant ensemble une seule fois. Il ricane à propos du toast, le laissant pour le moment dans l’assiette néanmoins. Mais l’elfe de maison est convoqué et vu ce que demande Jesse, il le tire plutôt à lui. « Hm, oui son fils préféré… selon lequel est dans la pièce quand tu y penses, à ce que j’en sais. »

Un sourire amusé flotte sur ses lèvres avant qu’il ne prenne une autre bouchée de ce toast, savourant la gelée de groseilles. Il fallait vraiment qu’il vole sa recette à sa mère. Mais il grogne un peu alors que Jesse rebondit sur le sujet de sa rupture. Ce qui est, en soit, normal, puisqu’il est le premier à avoir abordé le sujet ! Surtout qu’alors qu’il ouvre la bouche de façon incertaine à la question, Jesse le prend un peu de court !

« Je… », commence-t-il, avant que les derniers mots de Jenna ne résonnent dans sa tête. Il savait pourquoi, même s’il essayait encore de se voiler la face. Mais elle avait débloquer en lui, si pas l’affirmation, néanmoins la honteuse curiosité. « J’en sais rien. Elle s’est chauffée toute seule, elle hurlait et m’insultait et j’ai décidé de faire comme si elle n’était pas là parce que j’en avais marre. Je ne crois pas qu’elle va revenir. »

Et sa voix marquait un peu l’espoir… mais pas celui qu’elle revienne, en fait. Ça, il pouvait se l’admettre à lui-même, bien qu’il n’ait pas envie de le dire clairement à Jesse. Il hausse plutôt les épaules, un peu bourru.

« Une de perdue, dix de retrouvées, comme on dit… »

Ou bien il allait arrêter de papillonner pour un temps. Ça lui ferait peut-être du bien aussi. De toute façon, il était tellement occupé au boulot qu’il n’avait pas vraiment le temps pour une relation, là. Mais un sourire étire doucement ses lèvres alors que Jesse lui change les idées en lui parlant de son propre après-midi. C’était mignon. Quelque chose qu’on attendrait pas de ce colosse qui semblait avoir les deux pieds bien ancrés sur terre. C’était une belle preuve de l’amour qu’il y avait eu entre son père et lui et si Ocean avait manqué de ça dans sa vie, il était néanmoins capable de reconnaître que ça avait sa beauté chez les autres.  

Par contre, il grimace à propos du rancard ! Jesse n’apprendrait donc jamais…

« Tu te fais mal tout seul à sortir des belles poupées avec rien dans la tête. Je te l’ai dis : tu as besoin de quelqu’un qui a l’air d’une jolie plante verte stupide, mais qui en a dans la tête. Sinon, de toute façon, comment est-ce qu’elle va te mettre en valeur en société ? »

Mais soudainement, le côté pro refait surface alors que Jesse veut bloquer son horaire. Il remplace la toast par son cellulaire, non pas pour remanier l’horaire tout de suite mais pour prendre une note de le faire quand il allait être devant son poste de travail. Avec un ordinateur, oui. Il était un sorcier avec les deux pieds dans le monde moldu. Dans leur société moderne, ces derniers avaient franchement trouvé de belles façons de se simplifier la vie. Il voulait vivre avec le meilleur des deux mondes, lui, et Jesse était pareil ! Par contre, il relève la tête au milieu d’une brève rédaction aussi rapide que cryptique pour qui ne connaissait pas les raccourcis qu’il utilisait pour ne pas lambiner lors de la prise de note.  

« Pourquoi tu as besoin de moi ? », demande-t-il, réellement surpris, avant que le côté taquin ne fasse surface à nouveau. « Tu commences vraiment à avoir besoin d’une jolie plante verte pas aussi stupide qu’elle n’en a l’air si tu veux maintenant me traîner pour avoir mon avis sur tes complets ! »

L’envie de mariage commençait à titiller Jesse à ce point qu’il n’allait plus acheter ses fringues seul ?  

Oui, il savait. Ocean était un jeune homme coquet mais toujours avec beaucoup de goût. Quiconque le confondait avec son frère n’y avait pas bien regardé à son avis parce que leurs personnalités mutuelles les différençaient dans leur attitude, leurs choix vestimentaires… Même pour ce qui était de se coiffer ils avaient des méthodes différentes, pour peu qu’on puisse dire que River en possède une puisque Jesse le soupçonnait de ne simplement pas se coiffer ! Dans tous les cas, il dégageait un charme certain, différent… Et parfois Jesse se disait qu’il n’y était pas insensible. A un moment il avait supposé que c’était à cause de son histoire avec River. Parce que malgré leurs différences, les jumeaux Hardcastel étaient malgré tout de parfaites réplique l’un de l’autre.

Mais ce n’était pas ça. Jesse était ce genre d’homme qui un jour tourne la page et qui ne revient plus en arrière, même si le désire pouvait le titiller par simple nostalgie du bon vieux temps. S’en était finit avec River même s’il regrettait ne pas avoir encore réussi à amadouer correctement son ex. Ocean, c’était un mélange de plaisir physique et intellectuel !

Il ricane brièvement alors qu’Ocean le reprend sur cette histoire de fils préféré.

“Elle ne m’a jamais contredit, c’est déjà ça !”

Une chance ! En tout cas Ocean lui parle de sa rupture et Jesse récupère son nouveau toast lorsque Vaziri le lui apporte. Et avant de croquet dedans, il montre à Ocean la tartine grillée et beurrée sur laquelle un coeur avait été dessiné à la gelée de groseille. Ce n’était clairement pas à lui que ça s’adressait hein !

“Qu’est-ce qu’elle t’a dit ? Et pourquoi elle a pété un câble ?”

Jesse grimace à cette réflexion moldue qui se disait effectivement beaucoup en cas de rupture. Il avait toujours eu un peu de mal à comprendre le réconfort qu’on y trouvait en vrai.

“Du coup tu es à nouveau sur le marché ?”

Ocean était un charmeur. Et ça lui allait bien !

“Arrête de vouloir me donner des conseils de drague, tu as vu tes copines ?”

Jesse a un petit regard entendu pour Ocean, engoufrant son petit déjeuner et sa tasse de café. Ceci étant dit :

“Mais tu as sans doute raison, comme…”

Il avait faillit dire “comme toujours” mais se reprenant de justesse, il affirme en riant :

“Je ne le dirais pas, n’espère pas !”

Mais la vérité c’est qu’il lui avait déjà dit, il ne faisait que taquiner. Ceci étant dit, pour en revenir à la future madame ou au futur monsieur Treadway :

“J’ai pas vraiment le temps de leur faire passer un casting. En plus on me traiterait de misogyne.”

Ce qui ne serait probablement pas faux s’il le faisait effectivement. Jesse soupire, un peu las de ces histoires de coeur qui semblaient leur poser problèmes à tous les deux.

“J’ai l’impression que la durée de mes relations va en diminuant. Pour les plus sérieuses je veux dire. Environs 15 ans avec Valentina, un an avec River, trois mois avec Terence…!”

En tout cas, vu que Ocean insiste sur son histoire de jolie plante, Jesse a un petit clin d’oeil charmeur lui aussi en demandant :

“Tu poses ta candidature ? Tu serais parfait, avoue.”

Ceci dit, Jesse convient de manière plus sérieuse et posée :

“Non, tu viens pour que mon tailleur puisse avoir tes mesures. Je t’offre un complet, de la coupe, matière et couleur de ton choix. Complet, avec chemise et chaussures. Tu l’as largement mérité, tu n’as pas compté ni tes heures ni tes efforts et je ne serais pas ingrat.”

Et il savait que Ocean en rêvait un peu, n’est-ce pas ?

En même temps, sa mère devait avoir remarqué que c’était toujours dit peu importe de quel jumeau il parlait, n’est-ce pas ? Et ce n’est pas elle qui allait jouer au favoritisme ! Ocean étouffe un petit bâillement du dos de sa main. Il avait probablement moins dormi qu’il ne l’aurait dû. Si seulement Jenna avait mieux choisi sa journée pour lui prendre la tête… Il avait tourné et retourné ce qu’elle lui avait dit, peinant à trouver le sommeil. Et s’il en voulait à Jenna pour ça, il s’en voulait encore plus à lui-même. Encore maintenant, il pouvait entendre les mots exacts résonnés dans sa tête et ça le mettait mal à l’aise. Il en bouge un peu sur son siège, comme s’il avait du mal à trouver une position acceptablement confortable.

Il en profite pour prendre une bouchée de la toast si gentiment offerte. Ça lui donne un bref délai avant de répondre quelque chose de plus ou moins construit.

« Je sais plus trop. Pas mal de trucs. Elle était vraiment en colère. », marmonne finalement Ocean tout en poussant un soupir las qui, pour sa part, n’était pas feint. Il a un petit haussement d’épaules comme pour balayer le sujet et, après avoir avalé une seconde bouchée généreuse de son déjeuner improvisé, il ajoute : « Elle me trouve trop impassible. En même temps, me bagarrer dès que j’arrive à l’appart, c’est pas trop la façon dont j’aime passer mes soirées. »

Il y avait tellement plus que ça, en vrai. Son impassibilité remontait à bien avant ça. Avant que Jenna n’ait plus de patience, qu’il l’effrite malgré lui. Ocean ne répond pas vraiment quant à être sur le marché. Il flashe néanmoins un sourire plein de charme à Jesse, avec un brin d’espièglerie en fond. Quelque chose comme ça. À dire vrai, il se sentait toujours mieux quand il était célibataire et en chasse que quand il était bien enfoncé dans la routine d’un couple. Il commençait à se demander si c’était fait pour lui. Et en même temps, quand il voyait par exemple sa relation avec Jesse, certes amicale mais de longue durée et basée sur la confiance et la loyauté, il voyait bien qu’il en était capable !

Il éclate de rire à propos de ses copines qui, c’était vrai, n’avaient pas eu un grand succès dans sa vie personnelle. Il avale la dernière bouchée de toast, reposant l’assiette sur le bureau avant de finalement convenir :

« Ok. Point accordé. Mais ça reste des bonnes filles. Juste pas pour moi, on dirait. ». Mais alors qu’il allait en rajouter, Jesse semble être sur le point de concéder quelque chose de très intéressant à son tour. Ocean se penche vers lui, la mine malicieuse, un sourire étirant ses lèvres. Mais Jesse se rattrape juste à temps et le né moldu a une exclamation faussement outrée. « Ah ! On y était presque ! Un jour je vais te l’arracher. Je le mérite en tant que meilleur secrétaire au monde. Et je te connais trop bien, Jesse Treadway. »

La dernière phrase est ponctuée d’un petit clin d’oeil taquin et charmeur. Il adorait agacer gentiment Jesse. Parfois, il se disait que Jesse aussi aimait ça, parce qu’il ne se défendait pas trop ! Il le lui rendait surtout bien. Et il avait déjà eu droit à ce fameux « comme toujours », mais il faisait à chaque fois comme si c’était la première. Ocean ricane à propos de la misogynie du geste. C’est sûr que ce serait peut-être mal perçu, mais…

« C’est un peu comme un travail, Jesse. », fait remarquer Ocean, étonnamment sérieux. Il pose l’assiette vide sur le bureau, puis montre les paumes, comme s’il marquait là l’évidence même. « Tu es un homme important et occupé. Tu vas donner à cette personne tout le confort dont elle peut rêver. Pour ma part, je le vois comme un juste échange, qu’elle s’occupe de toi comme tu en as besoin. Pas toi ? »

Il hausse les épaules avant d’ajouter, toujours sur le même ton marqué de sérieux et d’évidence :

« C’est un très beau travail, s’occuper du foyer d’un être aimé, et si en plus l’amour s’en mêle réellement - le contraire m’étonnerait, on ne peut que tomber sous ton charme, tu sais -, ça peut donner un réel partenariat. Quelque chose de fort et d’important. De beau. »

Mais il comprenait que dans notre monde moderne, ce concept se perde beaucoup et il savait qu’il semblait être le dernier homme à penser ainsi ! Comme quoi il pouvait encore surprendre…! On ne s’ennuyait jamais vraiment avec lui, pas vrai ? Il grimace ensuite pour ce qui était de la durée des relations de Jesse !

« Ah oui, pourquoi pas. Mais vu ton dernier palmarès, tu vas me garder trois jours ! », tacle l’homme en ricanant un peu. Il s’agite pourtant à nouveau dans son siège, un peu mal à l’aise parce que cette fois, la blague lui avait donné un petit vertige tout bête. Histoire de changer le sujet et peut-être aussi parce qu’il s’était toujours posé la question, Ocean demande abruptement : « Pourquoi est-ce que River et toi avez rompu ? »

Il ne l’avait étrangement jamais su. Jamais demandé non plus, c’est vrai… Mais de l’eau avait coulé sous les ponts, maintenant. Et ça détournait un peu l’attention de ce sur quoi il ne voulait mettre des mots. Sauf que soudainement, Jesse… le souffle complètement ! Ocean s’arrête de gigoter. Il était vraiment en train de lui offrir un complet sur mesure ?!

« Jesse… T’es sérieux là ?! Bon sang… Un complet sur mesure !! »

Il en reste tout bête un moment. Son regard s’arrête un instant sur les dossiers du mercenaire disparu, puis remonte jusqu’au beau visage de Jesse, agrémenté d’un joli sourire qui illuminait ses traits et auquel Ocean ne peut que répondre. Il acquiesce, n’ayant toujours pas les mots, mais Jesse comprenait, pas vrai ? Finalement, après un court moment de silence, il demande :

« Tu m'emmènes au cimetière un jour ? ». Il savait que ça tombait de nulle part et il le lit aussi dans le regard de Jesse. Alors il ajoute doucement : « Il faudrait bien que tu me présentes ton père. »

Il savait que ça avait été un homme important pour Jesse. Que ça l’était encore, malgré tout. Que son deuil n’allait jamais être tout à fait terminé, aussi triste que ça puisse sembler. C’était peut-être sa façon à lui de remercier Jesse. D’une façon très sentimentale suite à un geste très monétaire, certes… mais eh, il aurait sûrement fait une bonne épouse dans un autre univers !        

Jesse se doutait qu’il n’avait pas tous les détails de l’histoire. Pas parce qu’il soupçonnait ce qui avait bien pu se passer mais c’était la façon qu’Ocean avait d’être évasif qui lui mettait la puce à l’oreille. Néanmoins ça restait son jardin privé et Jesse n’en aurait pas forcé le passage sans objectif précis.

"Ça se passera mieux la prochaine fois.”

C’était peut-être un peu cliché comme réponse mais ça avait le mérite d’être sincère de la part de Jesse : il souhaitait à Ocean de pouvoir se caser. Il l’avait vécu, c’était un apaisement de tout premier ordre ce genre de relation. Son regard se perd sur le profil de son ami… C’est drôle, il ne lui faisait pas vraiment penser à River. Enfin… Oui parfois ! Il ne fallait pas nier qu’ils étaient terriblement semblables malgré leurs deux personnalités très distinctes. Mais ce qu’il éprouvait parfois en regardant Ocean aujourd’hui, si c’était ce qu’il avait éprouvé à une autre époque pour River ce n’était plus le cas aujourd’hui. De l’amour ? Ce serait présomptueux ! Mais une forme de désir oui.

“Tu es un homme bien aussi. Tu as l’air d’en douter.”

Il ricane avec son secrétaire à propos du point qu’il ne lui avait pas donné. C’était plus un jeu qu’autre chose car le fait qu’il ne l'ait pas dit aujourd’hui ne signifiait pas que ce n’était jamais arrivé ni qu’il ne le pensait pas. Mais le vrai “beau” point, c’est Ocean qui le donne. Et à son honneur qui plus est, en lui détaillant ce qu’une vie de couple pourrait donner, ce qu’il avait à donner là dedans… Une vision d’un autre siècle peut-être mais qui n’était pas dépourvu de charme de son point de vue. Néanmoins, parce que ça lui faisait surtout penser à ses derniers échecs, il dédramatise, même si ce qu’il dit n’est pas moins sincère :

“Et le sexe. Il faut une bonne compatibilité sur le plan du sexe !”

Il avait l’air un peu obsédé à le mettre si facilement en avant mais un couple avec des désirs opposés à ce niveau était un couple perdu… Car on ne forçait pas la main… Mais on finissait dans la frustration. Ce n’était jamais une bonne base pour une relation de mariage.

“Trois jours, peut-être que je vais prendre quand même !”

Il plaisantait à demi. Mais son sourire s'évanouit un peu à la question qui suit. Jesse n’en avait jamais parlé à Ocean. Il n’était pas fier. Et il s’était douté que River ne lui avait jamais dit non plus. Il en avait la confirmation aujourd’hui. Le regard de Jesse accroche le regard clair d’Ocean, passe sur ses traits parfaits… Et redescend finalement sur le dossier de Xander sans vraiment le voir.

“Parce que j’ai fait une copieuse erreur. Et que je l’ai profondément blessé.”

Et pour lever tout malentendu :

“Je ne l’ai pas trompé.”

Même si… Certains diraient que c’était tout comme vu qu’il s’était trompé de prénom. Jesse soupire. Il n’était pas sûr que le moment soit bien choisi pour dire à Ocean la vérité toute nue. Mais peut-être qu’il pouvait commencer à l’évoquer.

“J’ai appelé le mauvais prénom au pire moment. Je ne me cherche pas d’excuse, j’ai mérité qu’il me quitte. Et je n’en suis pas très fier. Je préfère qu’on en reparle une autre fois si tu veux bien.”

Peut-être plutôt au cours d’un dîner ou quelque chose comme ça. Dans une ambiance différente. Heureusement l’annonce du cadeau d’un complet fait son effet. Peut-être qu’Ocean en profite pour faire passer la pilule de son côté, ça lui ressemblerait bien. Jesse mesurait déjà sa chance de savoir qu’il était encore dans sa vie après cette histoire avec River.

“Tu l’as mérité. Et nous irons dîner bientôt. Tu n’as qu’à nous réserver une table ou tu veux et en fonction de mon emploi du temps.”

Quant au cimetière, ça le surprend… Mais Jesse s’adoucit immédiatement, venant poser sa main sur une de celles d’Ocean, caressant de son pouce, touché par ces quelques petits mots, par cette demande.

“Bien sûr…”

Il finit par relever la main de l’autre homme pour déposer un baiser sur ses jointures avec tendresse avant de la relâcher.

“Trouve nous un peu de temps pour ça aussi. Et nous passerons chez un fleuriste avant.”

Ca lui fait penser :

“Dernièrement on m’a froissé vis à vis de son décès. C’était comme si c’était un détail négligeable. Mais sa présence me manque encore continuellement malgré les deux années écoulées.”

Il avait été très malade avant ça. Il n’avait pas connu Ocean. Mais sincèrement :

“Il t’aurait sûrement adoré.”

Puis après une pause :

“Je reconnais que j’hésite souvent à évoquer son souvenir avec toi. Bien que je ne connaisse pas ton histoire, je sais que les souvenirs liés à ton père te sont douloureux.”

River en avait parlé avec un relatif recul mais les jumeaux ne vivaient vraiment pas leurs émotions de la même façon…

Ocean a un sourire pour son ami et patron alors que ce dernier tente de rassurer. La vérité, c’est qu’il aurait aimé en avoir un peu plus besoin. C’était le cas quand une relation prenait fin. On était désespéré un bout de temps, il fallait faire son deuil. Alors pourquoi est-ce qu’il ne ressentait que du soulagement ? Ça le laissait un peu perplexe… ou peut-être pas tout à fait assez, finalement.

« Ça va. Je ne me trouve pas trop mal. Il y a mieux, mais il y a pire. », blague Ocean ; quoique ce n’était peut-être pas entièrement une blague ! Quant au sexe, il a un petit sourire en coin, entre charme et malice. Tiens donc… Pourquoi est-ce que ça ne l’étonnait pas ? Mais en vrai, il était d’accord. Il l’était d’autant plus qu’il se sentait sacrément frustré depuis un bon moment ! « Oui, ok. Et sexe, évidemment. Il te faut quelqu’un de parfait en tous points. Mais tu le mérites plutôt bien, je trouve. »

Il avait beaucoup d’affection pour Jesse, qui était un homme bon et juste. Quant à ses trois jours, ça le fait rire. Son regard brille un instant d’un éclat de malice, mais il n’ajoute rien parce qu’il n’avait rien à dire qu’il saurait assumer plus tard. Sauf que son hilarité s’efface rapidement pour faire place à une attitude très sérieuse. Jesse… avait de toute évidence des regrets concernant son jumeau. Ça le met un peu mal à l’aise. Il n’avait pas posé de questions. River semblait avoir très mal vécu leur rupture même si c’est lui qui y avait mis fin. Il ne voulait pas raviver ses plaies. Et son frère n’avait pas semblé vouloir lui en parler. Il avait toujours supposé que c’était parce qu’il était proche de Jesse et River savait que ça ne changerait pas sauf si l’homme avait été violent avec lui…

Jesse s’explique. Un début d’explication, selon lui, alors qu’Ocean trouve plutôt qu’il s’agit d’une explication complète. Ça le laisse songeur un moment. Il était triste pour River et en même temps, on ne pouvait contrôler son coeur. Il n’était pas bien placé pour en vouloir à Jesse et ne le ferait pas.

« Je suis désolé que ça se soit terminé comme ça. Ne t’inquiète pas, Jesse… tu ne me dois rien du tout. C’est votre histoire et je serais malvenu de t’en vouloir pour ça. J’étais simplement curieux. De la curiosité probablement mal placée. », assure Ocean tout en ayant un petit signe de la main à la fois pour souligner ses paroles et pour chasser un peu le malaise. Il avait très bien compris à quel moment Jesse avait dû appeler le nom de quelqu’un d’autre. Pauvre River… et pauvre Jesse aussi, en fait. Quant à ce dîner qu’il venait de gagner, il sourit à nouveau, préférant changer de sujet. « Ce restaurant coréen dont je t’ai parlé. »

Les places n’étaient vraiment pas données… mais il voulait y aller depuis son ouverture, il y a deux semaines ! Il en avait touché un mot à Jesse. Mais ce n’était pas le genre d’endroit qu’il pouvait se permettre de fréquenter, disons. Il n’allait pas se gêner pour réserver une table pour ce fameux dîner. En plus, ils pouvaient réserver des salles privatives très petites avec seulement une table. Ça pouvait être sympa. Alors qu’il songeait à l’horaire compliqué de son ami, se demandant quand ils pourraient y aller, Jesse le surprend d’une main sur la sienne. Il relève son regard bleu pour le planter dans celui croqué d’un peu de brun de l’autre homme. Il ne s’attendait pas à ce que ça fasse autant plaisir à Jesse, cette promenade au cimetière.

Puis… sa main est prise dans la grande paluche de Jesse. Soulevée. Portée aux lèvres. Un long frisson le parcourt de la tête aux pieds ; il se moquera de lui-même plus tard d’avoir été aussi réactif. C’est plus instinctif que réfléchi : il rouvre doucement la main pour que le dos de ses doigts caressent les lèvres de Jesse lorsque l’homme l’éloigne enfin de celles-ci. Elles sont chaudes, douces. Il est presque hypnotisé par ce qui venait de se passer en à peine deux petites secondes… et finit par se relever d’un bond pour chasser le malaise. Il replace sa veste tout en faisant quelques pas dans le bureau.

« Je vais m’arranger avec ton horaire. Je te tiens au courant. », balbutie-t-il tout en essayant de reprendre contenance. Mais la suite a cet effet sur lui. Il se retourne vers Jesse. Comment quelqu’un avait pu se comporter de la sorte ? Il a un petit soupir, venant poser une fesse sur le coin du bureau de l’homme, presque devant lui. Il prend une main masculine dans les siennes, le métal froid de ses bagues reposant sur l’épiderme de Jesse. « Ton deuil t’appartient et quiconque le néglige à cause de sa durée ne mérite pas ton attention. »

Il sourit. Parce que c’était vraiment un beau compliment que son ami venait de lui faire. Il savait à quel point Jesse tenait son père en haute estime. Il y avait toujours une petite partie de lui qui avait peur qu’un jour, son patron découvre une information qui ferait tomber son héros de son piédestal. Sûrement à cause de sa propre expérience d’un père. Mais ce n’était pas encore arrivé et ça n’arrivera peut-être bien jamais.

« Je pense que je l’aurais aimé, moi aussi. », convient-il avant d’ajouter à la suite : « Ne dis pas ça. Nos pères sont très différents, heureusement. J’aime quand tu me parles du tien. Ça me rappelle qu’il y a de bons pères aussi. Je ne sais pas comment se sent le mien aujourd’hui, mais il est sûrement moins heureux que je ne le suis. Alors j’ai gagné, non ? »

Il était capable de faire la part des choses et il ne voulait pas que Jesse se coupe de ce sujet important pour ça.

“Quelle façon de dire les choses !”

Ca avait beaucoup amusé Jesse même s’il trouvait que c’était quand même une vision un peu défaitiste. Ocean était un magnifique jeune homme, très à l’aise en société et avec la tête bien pleine. On le sous-estimait parfois pour une raison aussi étrange qu’inconnue. Ou bien on amoindrissait ses compétences lorsqu’on savait qu’il était “secrétaire”, en prononçant ce mot comme avec dédain. A croire que c’était offensant pour un homme que d’occuper ce poste et pourtant Jesse n’aurait pas pu espérer avoir employé plus compétent. Ca avait été un pari, sans nul doute, que de l’embaucher. Mais comme dans beaucoup de choses qu’il entreprenait : Jesse avait eu la main heureuse.

Il n’en rajoute pas au sujet du sexe. Mais ils s’étaient compris. De toute façon le sujet avait dévié sur River d’une certaine façon. Ses relations avec ce dernier étaient encore très en dents de scie et Jesse espérait qu’un jour les choses puissent s’apaiser ou de bon… Ou se couper pour de bon, selon ce qui serait le mieux à ce moment-là.

“Je ne t’en veux pas. Et tu me connais bien assez pour savoir que si je n’avais pas voulu répondre, rien n’aurait pu m’y faire sentir obligé.”

Il avait répondu à la question parce qu’un jour, peut-être, elle serait importante. Et qu’il serait tout aussi important d’y revenir.

“Et je comprends que la question t’ai intrigué. River est quelqu’un de très important pour toi. Peut-être la personne la plus importante même. Je trouve cette curiosité assez légitime finalement.”

Il ne sous-estimait pas la puissance des liens fraternels même si lui ne l’avait jamais vécu. Et dans le cas d’Ocean et River la gémellité s’en mêlait. Le sujet change néanmoins, pour le mieux sans doute. Et Jesse confirme donc :

“Alors restaurant coréen ce sera.”

Il n’avait jamais vraiment goûté cette cuisine. Ce serait l’occasion. Enfin non… Pour être honnête :

“J’ai déjà goûté au kimchi. Epicé. Seigneur, Ocean… Si ta mère savait le faire, je lui en demanderais chaque jour !”

Il exagérait un peu, mais il en demanderait en tout cas souvent ! Quant à son père… Jesse est juste assez troublé pour manquer un peu celui de Ocean, du moins jusqu’à ce que ce dernier se relève pour quitter son bureau et faire quelques pas.

“Qu’est-ce qui se passe ? Tout va bien ?”

Avait-il été trop loin avec ce baiser contre sa main ? Ca lui avait semblé naturel, en plus d’être très agréable de son côté. Il acquiesce néanmoins aux paroles pleines de bon sens qui suivent, se promettant de peut-être faire plus facilement allusion à son père de fait. Et parce que son regard retombe sur le dossier de Xander :

“Tu me feras appeler Fletcher, je crois qu’il rentre de mission demain.”

Un autre de ses éléments de prédilection.

“Je vais peut-être le mettre sur cette disparition. Tu crois que tu pourrais faire un saut chez Xander ce soir après le boulot ? On ne sait jamais après tout. Peut-être qu’il est repassé ou qu’il a laissé quelque chose derrière lui…”

Ocean connaissait assez Jesse pour lire sous son amusement, mais se contente de lui répondre par un clin d’oeil fort gouailleur ! La vérité, c’est qu’il ne doutait pas de lui-même en temps normal. Certains considéraient même qu’il avait un peu trop confiance en lui-même. Et pourtant, depuis quelques mois, il se trouvait dans une drôle de situation où certaines choses qu’il avait longuement voulu enfermer en lui, voire tuer, refaisaient surface et il devait réapprendre à vivre avec lui-même. Ce n’était pas évident. Pas même pour un adulte. Jesse le tire néanmoins de ses pensées et ce qu’il lui assure à propos de sa curiosité le rassure. Il a un sourire pour lui, d’ailleurs.

Il avait raison : River était la personne la plus importante au monde pour lui. C’était un lien inexplicable et tellement fusionnel.

« Toi aussi tu es important, Jesse. Je te connais. Je sais que tu ne lui aurais jamais fait mal volontairement. Je ne suis pas encore ici à te parler comme à un ami parce que je me suis mis des oeillères. », assure-t-il doucement. Parce que c’était vrai : il estimait Jesse et il savait que son ami n’avait rien fait de réellement répréhensible. Rien de volontaire, du moins. Il n’avait pas levé la main sur River. Il ne l’avait pas insulté de bon coeur. Ce n’était pas son genre. Alors il ne voyait pas la nécessité de s’en mêler. Il a un petit sourire amusé à propos du kimchi ensuite. Eh bien… voilà quelque chose qu’il apprenait à propos de son patron et ami ! « Je n’ai aucune idée de la façon dont ça se fait, mais tu me rends curieux maintenant. »

Il allait plonger le nez là-dedans, juste pour le plaisir d’apprendre quelque chose de nouveau et sans nécessairement avoir l’intention d’en faire derrière ! Mais Jesse le trouble. Avec sa chaleur, sa proximité, l'empreinte invisible mais indélébile de ses lèvres sur sa main… Il glisse d’ailleurs le bout de ses doigts à cet endroit, comme s’il essayait de la faire disparaître… ou de la ressentir à nouveau, qui sait ? Pas même lui, ne sait.

« Rien. Bien sûr, tout va bien. Je vais juste devoir me mettre en branle. »

Il opine brièvement ensuite, notant les informations que lui donne son patron. Parce que c’était le patron qui parlait maintenant.

« Évidemment, Jesse. Je vais aller faire un tour et je te tiens au courant dans la journée. Les voisins auront peut-être vu quelque chose… Avec un peu de chance, il a une vieille dame à la retraite comme voisine ! »

Ocean a un clin d’oeil pour Jesse, récupérant le dossier en mentionnant au passage qu’il voulait juste le consulter pour se rafraîchir la mémoire. Le parfum suave et masculin de son patron lui glisse sous le nez et il se dépêche de rejoindre la porte. Il a un dernier clin d’oeil pour l’homme, puis disparaît dans le couloir. Il s’adosse un court instant à la lourde porte de bois foncé, poussant un long soupir. Eh bien… Ça allait lui faire du bien de descendre un peu, là…