I'm flirting with the moon [Viper]

L'odeur des vieux grimoires qu'un courant d'air portait, le bruissement de pages effleurées flottant dans l'éther, Viper aimait plus que tout passer son temps libre à la bibliothèque ; haut-lieu du savoir, où il pouvait épancher à outrance ses désirs de connaissances, sans se forcer à s'effacer aux yeux du monde. Garde-baissée, les sens au repos, alors que ses iris se baladaient sur les lignes d'un manuscrit poussiéreux, les heures s'écoulaient dans cette plénitude silencieuse, sans que les échos des rumeurs et lames de leur regard ne se fassent rasoirs sur sa peau imperméable, parenthèse nécessaire pour ne pas finir englouti dans la psychose.

Relevant son menton de cette lecture instructive, d'un regard argenté comme la pleine lune d'une nuit d'hiver, le nippon se sentait d'un besoin irrationnel et primitif, alors d'un mouvement imperceptible aux yeux du commun des mortels, il balaya succinctement les lieux, s'imprégna de chaque présence. À l'ombre de ses paupières amandines semis closes, il observait avec instances ces têtes blondes en quête d'apprentissage, et ce sans-gêne. Absorbé par l'hétérogénéité de cette assemblée bien placide, son attention se porta sur ce cousin aux airs d'orient. Du coin de l'œil, il l'étudiait, de ses traits aux expressions faciales, tout en lui traduisait une certaine envie, une attirance dont la nature échappait encore au japonais.

D'une patte légère, sans un bruit, la couverture du livre épousa sa voisine dans une valse poudroyant. Ses ongles mordant le cuir dépassé, d'une discrétion certaine, le serpent le suivait sans éveiller le moindre soupçon, intrigué par ce comportement étrange qui avait pour effet d'éveiller une curiosité qu'il ne se connaissait pas. D'ordinaire bien trop affairé à fuir leur jugement qu'à vouloir aller à leur devant, cette fois-ci, il avait ressenti cet instinct soudain, cette tentation prompte à leur faire front. Sans savoir encore à quoi il allait devoir se heurter, il repoussa vivement sa chaise, ultime affront refoulant la sérénité imposée. D'une main preste, il arracha son atlas de cette paillasse imprégnée de son parfum et se jeta à la poursuite de ce flâneur.

En quelques foulées seulement, l'asiatique comblait la distance qui les séparait. D'un geste vif, il s'accrocha du bout des doigts au haut de l'érudit dans une tentative désespéré de l'arrêter dans sa course. Se défaisant de son emprise, d'une fluidité animale, le vert le déborda sur sa droite et lui barra la route. Les bras croisés contre son torse, son bouquin plaqué contre sa poitrine, il l'étudiait de pied en cap, un rictus amusé soulevant ses lèvres. « T’as un problème ? Si tu me fixais et m’évitais pour que je te remarque, considère que c'est chose faite, tu as toute mon attention… Alors tu cherches quoi ? » D'un sifflement salé glissant sur la langue avec mépris, Viper avait grand mal à se montrer courtois auprès de ses camarades, encore plus quand ces derniers se montraient insistant par quelques moyens qu'il soit.

Ses iris au reflet lunaire s'attardèrent sur cette silhouette dont il peinait à se remettre. Sans gène, le jeune loup le passa brièvement au crible, détaillant chaque trait de ce visage étranger, humant discrètement cette fragrance si singulière ; et pourtant rien chez ce spécimen ne lui laissait de quelconque souvenir d'une rencontre préalable. Alors quelle pouvait bien être la raison d'une insistance aussi peu discrète ? Était-il de ces commères qui portaient bien trop d'intérêt aux bruits de couloirs, sans réellement chercher à en venir directement au fait auprès du principal intéressé ? Le Serpentard comptait apporter un brin de lumière à cette situation aussi embarrassante pour l'un que pour l'autre. Et que ce Serdaigle en goguette le veuille ou non, le serpent ne le laisserait pas s'en tirer sans une explication.

Un sourire satisfait souleva la commissure de ses lèvres. Le vert, non-content de l'avoir pris en flagrant délit, irradiait d'une assurance grossière. Glissé entre l’aigle et la seule sortie, il était rassasié de l’avoir piégé à son propre jeu. Les bras croisés sur le torse, les doigts courant sur ses biceps, d’un regard vibrant, il toisa ce petit gars à la curiosité bien trop piquée. Ah ce qu'il pouvait les exécrer ces sorciers qui d'un ton détaché se dédouanaient, sans honte, dans le mensonge. D'un soupir agacé, Viper donna le ton à cet échange duquel il ne comptait tirer que le profit d'une vérité révélée. « N’essaie pas de noyer le strangulot et viens en au fait ! » Avait-il craché d'un accent trivial, mettant un terme au non-sens d'une blague de mauvais goût.

Relâchant ses bras le long de sa carcasse, bien malgré lui, l'hybride combla cette courte distance qui les séparait. Oh, alors il voulait jouer, grand bien lui fasse, mais Saito, lui, n'avait ni l'humeur, ni la patience de se perdre en paroles détournées. Alors ses doigts se fermèrent sur le livre dont il était encombré, avant de le lui arracher sans ménagement. Déposant son atlas et celui qu'il venait d'emprunter à son allocutaire sur l'étagère voisine, sa grippe vint à saisir l'encolure de l'érudit. D'une démarche trahissant l'impatience qui le tourmentait, il attira le bleu dans son ombre. À l'abri des regards et oreilles fouineurs, l'index plaqué contre le torse de l'aigle, le reptile avait la ferme intention de le remettre à sa place.

Ses phalanges entrelacées au creux du tissu de son col, accoudé contre l'imposante bibliothèque, le quatrième année jeta une cascade d'œillades afin de certifier la nature confidentielle de leur échange. « Ok le surdoué, je n'ai clairement pas ton temps, alors crache ta beuglante et ne me sert pas une excuse à la c*n ! » D'un timbre à l'arôme menaçant, au sarcasme piqué, il l'exhortait à faire valoir le réel motif de cette volonté curieuse. Non pas que l'honneur qu'il lui considérait le dérangeait, mais le japonais s'était persuadé dans la brume d'un esprit rongé par la psychose, à tort ou à raison, que le cheminement de ses actions revêtait un tout autre dessein.

D'un hochement de tête peu subtil, le japonais soulignait bien malgré lui, cette frustration sous-jacente qui le rongeait intérieurement ; et préjudice d'une conversation légère dont le sens lui faisait défaut, sa patience s'égrainait à mesure que l'écervelé lui donnait le change. C’est qu’il avait bien du mal à comprendre où l’aigle voulait en venir en s’enlisant dans ce méli-mélo de paroles chétives. Le serpent, quant à lui, ne parvenait plus à dissimuler cette consternation galopante, cette perte de sang-froid annonciatrice d’un désordre à venir. D’une paume cueillant son front, Saito désespérait, d’être encore une fois, tombé sur l'un de ces congénères à l'esprit un peu trop aéré ; visiblement du genre drôle d'oiseau à tout prendre au pied de la lettre. « Que Merlin me vienne en aide. » Avait-il murmuré à l’adresse d’un plafond déserté. Les yeux roulant au creux de leur orbite, d’une inspiration criarde, le vert venait de jeter une bouteille à la mer, un appel de détresse.

Tâchant de reprendre contenance, Viper se redressa prestement. De ses iris au baume sélénite, il fusilla le moineau et vissa son regard d’orient sur l’heureux imbécile. Et dans l’écho d’une mesquine attaque, la fierté de Saito venait de déguster l’âpre revers de sa propre médecine. « Tu dois faire la fierté du pigeonnier… Je n’ai aucun doute là-dessus. » Le sarcasme en étendard, les lèvres soulevées d’un rictus délétère, le timbre du Serpentard trahissait quelque peu cette susceptibilité taquinée. Ne perdant pas la face, le Nippon s’approcha de nouveau, comblant définitivement la distance qui les séparait. Le poing serré, les paupières à demi closes, il se repassait le fil de cet échange. Et dire qu’il n'appréciait pas ce qu’il entendait, relèverait d’un doux euphémisme. Si une once de vérité fleurissait dans ces dires, il se voyait flatté, bien qu'indifférent. Mais le reptile n’avait nul désir d’avaler cette couleuvre saucée d’un mensonge déguisé. « Surdoué et drôle, wow, c’est bien ma veine... » Alors que la tranche de son petit doigt chassait les cendres poudreuses de l’épaule de son admirateur indiscret, sa voix s’enroba d’un miel salé et givré.

Une moue de dégoût en masque d’apparat, le quatrième année passa ses fines phalanges entre ses mèches rebelles avant de lâcher un souffle effronté au nez de ce sinoque Aiglon. « Mais, non merci… » Répondit-il avec nonchalance et une certaine arrogance. Ses bras épousant la ligne de sa silhouette, l’étudiant ramena ses mains dans l’alcôve cotonneuse de ses poches. Intimement persuadé qu’il y avait beaucoup plus en jeu, que ce dont le Don Juan voulait bien avouer, Viper n’était pas disposé à hisser le drapeau blanc aussi facilement. D’une retraite timide, laissant un cap s’installer, le gamin de l’est consentit à faire retomber la pression. Le temps d’un instant, de quelques secondes volées, les deux sorciers s’évaluèrent dans le silence moribond d’un sacro-saint de quiétude. Jaugeant l’effronté de pied en cap, Saito s’était convaincu qu’il perdait de son énergie à essayer de lui soutirer la vérité. Alors, arborant une mine à l’impassibilité déstabilisante, il s’était décidé de revenir à la charge en changeant la donne.

Ses incisives pinçant sa lippe, le loup-garou s’aventurait en terrain miné, mais désormais, il était fermement résolu à lui tirer les veracrasses du nez. « On va arrêter de se perdre de cheminée en cheminée, je t'ai laissé une chance et t'as lamentablement échoué... » Le ton endurci, l’hybride réprima un frisson à l’idée de se jeter corps et âme dans l’inconnu. Sa respiration saccadée, les paumes moites, il s’apprêtait à déchirer le voile du faux-semblant tissé par ce sot. Feintant une curiosité à peine dévoilée, sa main dominante délivrée de sa prison duveteuse, son index vint masser une tempe battue par un carmin chauffé à blanc. « Tu dois faire partie de ceux qui ne vivent que pour les ragots, je me trompe ? » Le pied à l'étrier, cette question rhétorique à la teinte accusatrice fusa sans hésitation, glissant sur la langue avec mépris. Il les reconnaissait des miles à la ronde ces petits fouineurs aussi intrigués qu'apeurés de s'assurer des dernières rumeurs en vogue courant les couloirs du château ; et bien que ce Serdaigle ne l'intriguait d'une bien amusante manière, ces indiscrétions le mettait hors de lui.