Et toi, que t'espanouille? * ARAM *

Avec soin, je descendais l’Allée des Embrumes. D’un air assez mécontent, je regardais le sol tout en réfléchissant à mille à l’heure. Je n’avais toujours pas trouvé cet ingrédient si rare nécessaire à un des projets de recherche. La Potion que je préparais était sensé retardé une maladie magique incurable issus d’un parasite. Elle n’était pas très répandue, car pour l’attraper, il fallait se rendre en Amazonie et être au contact de Caipora. La maladie était traité à Castelobruxo, mais jamais aucun remède n’avait été transmis de leur part, laissant les patients mourir d’une mort lente et atroce.
Bien que la santé de ces pauvres gens m’intéressaient, c’était surtout le mystère qui entourait ce remède qui me passionnait. Comme chaque mystère à résoudre, il me procurait une immense sensation de plaisir… S’en était maladif.
J’avais donc mené mon enquête et après quelques expériences, j’en étais venu à la conclusion qu’il fallait de la Salive de Pitiponk Albinos. Ce qui était… Plus que rare, et surtout plus qu’interdit car ils étaient désormais protégés au Royaume-Uni.
C’est donc dans cette optique, que je descendais cette fichue Allée. Je n’avais pas l’air d’un Mage Noir, mais les rumeurs sur mon frère et sa présence à Azkaban avortée allaient toujours bon train. Aussi… je n’avais pris aucune précaution, parce que j’en avais absolument rien à foutre.
Visage à découvert, je déboulais donc de l’Allée des Embrumes pour arriver sur le Chemin de Traverse. J’aurai pu transplaner, mais j’avais envie de marcher. Et qui pouvait savoir ce que le destin me mettait sur la route ? J’avais toujours été chanceux.
Et… Elle sembla me sourire.
Un homme, à l’aspect et au visage si particulier qu’il avait l’air issus d’une bande dessinée moldu attira immédiatement mon attention. Je ne savais pas ce qu’il était en train de faire, mais il semblait rôder et fureté autour de certaines boutiques. Je m’avançais donc, les mains dans les poches de mon grand manteau.

« Dites moi mon brave, je suis à la recherche d’un ingrédient pour potion assez difficile à trouver, je suis sûr que vous pouvez me renseigner. »

Les mains dans les poches, je regardais toujours à droite et à gauche, fixant de temps en temps un passant où deux.

« Ah, vous devez vous demander pourquoi vous ? Cicatrices légères sur certaines parties du corps qui me fait dire que vous êtes soit un homme d’action, soit un homme souvent poursuivi qui s’écorche un peu partout. Tissu rare, étoffe soyeuse qui me fait également supposé que vous êtes un Sorcier issus de la Communauté Magique Tzigane. »

J’avais passé d’un air presque amoureux une main sur sa petite écharpe. Avec un léger sourire en coin je poursuivais.

« Cernes, vous n’avez pas dormi. Yeux en alerte, vous êtes inquiet. Mais au vu de votre démarche incertaine, vous semblez chercher quelque chose. Avec beaucoup de chance, c’est peut être l’ingrédient que je cherche aussi ? Hm. Peu de chance en réalité. Mais je suis sûr qu’avec vos nombreux voyages et vos nombreux contacts, vous devez avoir ça sous le manteau. »

Je lâchais son foulard et je l’époussetais un peu, puis je lui repassais ses affaires pour que ce petit bonhomme semble un peu plus soigné. Il avait une espèce de classe naturelle que j’essayais moi aussi d’avoir et que je n’arrivais pas à saisir qui m’agaçait un peu.

« Oh, et je me nomme Thesus. Thesus De Clare. Inutile de présenté ma famille, et de toute façon ce n’est pas le sujet. »

L’Allée des Embrumes n’était clairement pas un lieu dans lequel Aram aimait à se promener. Il n’avait en aucune façon ce côté un peu plus festif qui pouvait parfois gagner le Marché aux Trolls quand on entendait les soulards pousser la chansonnette, se réconciliant après une bagarre dont plus personne ne se souvenait du déclencheur. Mais cette allée-là, elle montrait ce que les sorciers britanniques savaient faire de pire. C’était comme si tout le brouillard humide de cette île pluvieuse s’était réuni dans un seul endroit, moisissant à souhait les murs délabrés des bâtiments. Les personnes qu’on y croisait n’étaient pas en reste : borgnes et éclopés aux intentions douteuses grinçaient en se déplaçant, semblant être prêts à se jeter sur le premier pigeon qui aurait eu le malheur de se perdre ici.

Et il se trouvait qu’un pigeon, il y en avait un bien beau spécimen droit devant lui. Un immense sorcier dégingandé à l’allure bourgeoise suffisamment négligée de ceux qui avaient beaucoup trop d’argent pour avoir à le montrer. Il était en pleine discussion avec un homme qui semblait déguisé en pirate mais dont la mine exprimait un mépris non dénué d’intérêt vis-à-vis de l’homme qui l’interpellait. Aram allait se détourner, laissant le sorcier de bonne famille se faire truander sans aucun remord, quand quelques mots attirèrent son attention. Il avait pris le pirate pour un tzigane ? Quelle indignité… Sans même le connaître, il arrivait à l’insulter… Mais Aram s’était figé en se tournant lentement vers le curieux binôme. Pourquoi cherchait-il après sa communauté ? Son nom résonna dans la ruelle : Thesus de Clare, et Aram ne put s’empêcher de poser sa main sur son front avec un grimace. Il était suicidaire. Il n’y avait pas d’autres explications. Mais à présent qu’Aram avait entendu mentionner son peuple, il ne pouvait pas laisser une des plus grosses fortunes britanniques dans d’autres mains que les siennes.

En grommelant un juron, le Romanez attrapa dans sa poche un petit sachet de papier soigneusement refermé. Il n’avait pas le temps de faire dans la dentelle, le nom des de Clare était connu, redouté et détesté – tout autant qu’envié pour son argent. Le sort de l’imbécile reposait entre les mains des différents témoins de la scène, mais Aram ne laisserait à aucun d’entre eux le privilège de choisir son arme. Jeté au sol, le petit paquet émis une faible explosion alors que la ruelle entière sombrait dans la pénombre. C’était comme si un épais nuage obscur était tombé sur eux, les empêchant de voir plus loin que le bout de leur nez. Il y eu quelques coups donnés, quelques cris, et de longues minutes avant que la vue ne leur revînt à tous. Aram était déjà loin, embarquant avec lui le bourgeois aux grands airs.  

Le rom avait pu entrainer le sorcier à sa suite pour rejoindre une rue bien plus passante qui finirait par les mener sur le chemin de traverse où ils seraient sans doute bien plus en sécurité.

- Vous êtes complètement inconscient, grogna-t-il laissant son accent arménien trébucher sur chaque consomme.  Malade, fou ou simplement stupide, je ne saurais le dire ! Vous tenez si peu à la vie que vous tentez d’y mettre fin ainsi ?

Le sorcier continua à grommeler, passant allègrement de l’arménien au romani jusqu’à ce qu’ils se retrouvent suffisamment proches d’innocents commerces pour être hors de danger. Son regard sombre se leva alors vers l’homme qui n’était visiblement même pas conscient de l’issue fatale à laquelle il venait d’échapper.

- Vous attirez bien trop l’attention sur vous Monsieur de Clare. Quand on a un nom comme le vôtre, on devrait se montrer plus discret. Vous pensiez avoir affaire à un véritable sorcier tzigane ? Mais sachez que tout ce qui brille n’est pas d’or… Méfiez-vous des apparences…

Aram ne payait pas de mine dans son manteau élimé et sans forme. Rien ne pouvait permettre de distinguer ce pauvre diable d’un autre, si ce n’était les anneaux à ses oreilles, et ceux passés à ses doigts. Le métal précieux ainsi visible prouvait son pouvoir et son appartenance mais également le prix de sa liberté.

- Comme si ce n’était pas suffisant d’aller secouer vos poches pleines d’argent au beau milieu de l'allée des embrumes, vous cherchez après la communauté magique rom ? Il y a vraiment quelque chose qui cloche chez vous !

Il y eut une explosion de poudre noirâtre et je fis une grimâce. Immédiatement, ma main se porta à ma baguette, prêt à en découdre et à défendre mon honneur. Mais, au lieu de cela je sentis une autre poigne bien plus douce que je ne l’aurai imaginé m’accompagner vers la sortie. Je fus presque déçu de voir la petite tête de l’individu en face de moi. D’ailleurs, je fis un léger soupire, rangeant ma baguette car il n’y avait désormais plus aucun danger.

« Je suis un sociopathe de haut niveau, renseignez vous un peu. »

J’étais décris comme ça dans la presse. Tantôt j’étais encensé pour mes exploits dans mes recherches, tantôt j’étais dépeint comme un fou furieux de Ste Mangouste qui avait perdu la raison. Je n’avais que faire de ces quolibets. Ce qui m’importait, même si cela ne se voyait pas c’était d’associer deux passions : résoudre des mystères et sauver des vies.

« Tiens donc… Voilà donc ce que le vent nous apporte. »

Mon oreille attrapa les consommes écorchés et un sourire se dessina sur mes lèvres. Les mains dans les poches de mon grand manteau, je regardais à droite et à gauche. Fronçant quand même un peu les sourcils quand on parla de mon nom de famille.

« Même si je n’avais pas dit mon nom, tout le monde m’aurait reconnu. Je suis une star dans le monde de la sorcellerie... »

J’avais remis mon col correctement. Bon, je n’étais pas vraiment une star. Mais j’étais connu par pas mal de sorcier, notamment pour mes travaux sur les potions de régénérescence. Ca devait bien intéresser toute la communauté des sorciers ça. J’étais donc connu. Soit, une vraie star.

« Hm… Tout ce qui brille n’est pas d’or… Et tout ceux qui errent ne sont pas perdus. Je connais ce poème. Vous êtes un brave gars. »

Je lui tapotais l’épaule et je continuais de regarder à droite et à gauche. C’était surement un nigaud, il ne pourrait pas m’aider à trouver ce que je voulais.

« On dit qu’est ce que vous cherchez auprès de la communauté magique rom… Il faudra travaillé un peu votre anglais mon ami. »

Je le regardais d’un peu haut, comme je le faisais en haute société. Bien sur, au fond de moi je ne ressemblais pas tout à fait à cela. Mais… au vu des personnes autour de nous, je me devais de garder cette image. Je m’approchais et je murmurai. Cette fois-ci d’une voix bien différente. Elle était simple ; rapide, un peu monocorde mais terriblement efficace. Loin de l’aspect ampoulé que j’avais donné à voix haute deux minutes avant.

« Je sais très bien ce que je cherche, mon ami, et il est devant moi. A en voir votre tenue, qui est un livre ouvert pour moi je suis sûr que vous avez ce que je cherche en réserve. Boues argileuses sur vos chaussures, qui sont rare en angleterre, je dirai que vous êtes arrivé ici il n’y a pas beaucoup de temps. Au vu des légers accessoires et des symboles qu’il représente, vous êtes également un représentant du congrès magique tzigane. Quelques traces de suie encore fraîche sur votre épaule. Signe que vous êtes venus en réseau de Cheminette. Système un peu vieillot mais idéal pour qui veut se fondre dans la masse sans se faire repérer. Oh, et vous êtes amoureux de plusieurs femmes. On le voit à votre démarche hésitante quand vous vous balancer de droite à gauche. Etant donné votre charisme, vous devez les attirer comme des mouches. Mais problème, vous avez du mal à faire un choix. »

Je me reculais, époussetant la poudre de cheminette sur l’épaule.

« Et si on allait boire un Thé pour savoir à combien vous me faites cet ingrédient dont j’ai impérativement besoin ? »

Et, d’un geste simple et élégant, je lui fis signe de choisir un endroit ou aller boire une petite tasse de thé dans une légère révérence.

L’homme en face de lui revendiquait arrogamment son trouble mental, alors qu’il rangeait sa baguette avec une légère déception. Il envoya voler les reproches d’Aram avec un exaspérant dédain avant de reprendre la syntaxe maladroite du Romanez. Le tzigane se renfrogna en baragouinant une floppée d’insultes en romani dont le sens l’appelait à aller consommer ses ancêtres décédés. Le regard condescendant du De Clare lui était insupportable, et sa fierté de rom fut mise à rude épreuve en faisant bouillonner son sang déjà chaud par nature.

- La maladie mentale n’excuse pas tout, se borna-t-il à rétorquer dans un anglais à l’accent marqué.

Mais la mine du bourgeois changea d’aspect tandis qu’il se penchait vers lui pour détailler d’une voix égale tous les éléments qui l’amenaient à penser qu’Aram était l’homme qu’il recherchait. Ce dernier fit un pas en arrière, soudain mal à l’aise d’être la cible de l’examen approfondi qu’il avait lui-même l’habitude d’établir sur autrui. Mais le dernier laïus sur l’état de ses relations amoureuses le fit doucement ricaner alors qu’il sentait l’analyse du directeur flancher. Il se laissa épousseter par le sorcier qui décidemment semblait plus tactile qu’il ne l’aurait cru, avant de lui envoyer un rictus qui fit étinceler ses dents en or.

- Erreur, mon ami, reprit-il en mettant une volontaire emphase méprisante sur ce terme qu’il reprenait pour lui. Je suis un oiseau de passage, je n’ai pas le temps de tomber amoureux. Et ma démarche n’est pas hésitante. Un tzigane marche toujours droit où il doit aller. Pour ce qui est du charisme, ma foi, c’est la seule chose sur laquelle je ne pourrais pas mentir…

Il haussa les épaules de manière insolente – tentant de chasser de son esprit la petite belette qui y avait élu domicile - avant de croiser les bras pour toiser l’homme. La grande teigne avait besoin de son aide ? Comme c’était commode… Aram était bien tenté de lui répondre avec un simple geste obscène avant de tourner les talons. Mais malgré tout son orgueil, même lui savait qu’on ne refusait pas la proposition d’un marché avec un De Clare si impunément. Il pouvait y avoir un bon pactole à la clé, mais également un certain nombre d’informations qui vaudraient bien plus encore.

- J’accepte le thé offert, lui lança-t-il d’une voix goguenarde en désignant d’un signe du menton le premier salon de thé venu – un établissement aux affreux tons pastel et rideaux en crochet qu’affectionnaient tant les britanniques. Pour me remercier de vous avoir sauvé la mise !

Il leva la main pour parer d’avance à toute tentative de justification de sa part avant de reprendre en fourrant ses mains dans ses poches, faisant tourner entre ses doigts ses diverses bagues incrustées de pierres canalisatrices de magie.

- Quant à votre proposition, je n’en ai que faire ! Mais rien ne vous empêchera de me parler pendant que je serai en train de boire mon thé. Je préfère cependant vous prévenir d’avance, si mes talents peuvent être loués, ils coutent très chers… Bien plus que tout ce qu’on peut imaginer… Et j’ai moi-même une imagination sans limite !

En affichant une mine indifférente qui ne laissait personne dupe de son soudain intérêt pour l’échange à venir, Aram prit les devants pour se hâter en direction du salon aux goûts plus que douteux.

« Hmmm... »

Les mains dans les poches, je regardais gesticuler et babiller le petit homme. Sourcils froncés, j’écoutais avec attention ce qu’il était en train de me dire. Mon sourcil se releva très légèrement au fur et à mesure de la conversation. Tout ce qui était d’or ne brillait pas forcément et quelque chose me disait, que dans pas longtemps il allait plus que m’intéresser. Même si je n’étais pas naïf au point de ne pas avoir senti le piège.

« Vous faites le difficile, et vous êtes en train d’essayer de m’arnaquer. Je ne suis pas crédule. Vous vous donnez de l’importance et vous annoncez d’entrée de jeu que vos services sont cher. Ma parole, vous devez avoir du sang commun avec Sorcha MacGregor... »

Je soupirai tout en entrant dans l’échoppe douteuse. Les mains toujours dans les poches, je balançais ma silhouette grande et fine de gauche à droite tout en observant l’endroit. J’avais à l’intérieur de mon manteau, ma baguette et quelques potions pour parer à ce genre d’éventualités… Je pouvais très bien me faire dépouiller de tout mon argent.

« Toujours droit pour y aller hein… Ca sent le coupe gorge votre endroit. »

Mais, dans un geste théatrale, je retirai une des chaises branlantes pour m’asseoir en face d’Aram sur une table tout aussi vieille et encore sale de la veille, avec une vieille bougie sans parfum entre nous deux pour nous éclairer.

« Mais j’aime assez la bagarre, je n’ai pas peur de grand-chose, et je vous fais entièrement confiance. »

Comme un preux chevalier, aux allures nobles, je m’étais installé et d’un geste sec, j’avais enlevé les dernières miettes sur la table d’un coup de manche. Je n’avais plus qu’à me racheter un manteau…

« Un double-whisky pur-feu, 40ans d’âge. La même chose pour mon invité. Je suis sûr qu’il saura l’apprécier. »

Je n’entendis pas ce que le serveur me dit et je fixais l’homme en face de moi. Mon œil vif continua de l’analyser. C’était… un être si complexe. Et qui, du coup, attisait ma curiosité. Je sentais l’adrénaline du mystère en moi arriver. Qui était-il ? Que faisait-il dans la vie ? Quelles étaient les réponses à toutes les questions que ces vêtements laissaient entrevoir. Je n’avais jamais vu quelqu’un pareil. D’habitude, il me suffisait de regarder quelqu’un pour en découvrir sur lui plus que lui même n’en savait. Là, c’était un cafarnaeum infernal qui faisait que cet individu était totalement mystérieux à mes yeux.

« Vous vous appelez comment ? »

Je posais les mains sur la table, dans une attitude un peu robotique. Mes yeux passèrent sur les gens autour de nous et mes capacités d’analyses évaluèrent rapidement le niveau de dangerosité de l’endroit. C’était plus impressionnant que ça en avait l’air. C’était même un endroit assez safe. Sans bouger, hormis les yeux, je reportais mon attention enfin sur le garçon à qui je n’arrivais pas du tout à donner d’âge.

« Effectivement. On peut rester là et parler comme des amis. Même si j’ignore toujours comment on procède, puisque je n’en ai pas, je crois. Vous dites donc que vous n’avez pas ce que je cherche. Ou que vous ne voulez pas. Très bien. Je trouverai quelqu’un d’autre… Cette petite Ambrosia ne passera pas Noël. »

Le whisky arriva, et sans âme apparente, je bus quelques gorgées.

« Et je ne plaisante pas. Tenez. »

Je sortais de l’intérieur de ma veste un dossier vert, que je jetais sur la table.

« Ambrosia Fallen, 8 ans, 1m 29, 45kg. Atteinte du syndrome incurable de Vagnère-Labroise. Une maladie du sang qui transforme peu à peu la peau de la jeune fille en écailles de dragon. Ca pourrait être comique, si ça n’était pas toxique. »

Mon sourire s’effaçait. Je n’avais peut être pas d’amis, je ne savais peut être pas non plus ce qu’était l’amour, hormis celui de mes enfants. Mais une chose était certaine, je savais soigner des patients.

« J’ai besoin d’un ingrédient rare, qui ne se trouve pas sur le marché officiel, afin d’établir une potion de mon crue que je n’ai pas encore nommé. Elle ralentit les effets de la maladie et repousse l’inévitable de 30ans. Si vous me fournissez l’ingrédient. »

Je posais un sac d’or sur la table, qui fit un gros « GLING ». Puis, je déposais aussi un petit bout de parchemin.

« Je vous donne cette somme ; et je mets le Philtre découvert à votre nom. Elle pourra dire qu’elle a été sauvé par un philtre de… C’est comment votre nom ? Je déteste me répéter. »

Et, sans cérémonie, j’avançais le bout de parchemin devant Aram.
Oui, j’étais réputé comme étant un salaud au travail. Cynique, sarcastique, antipathique, et surtout prétentieux. Mais au fond, je voulais absolument que cette petite survive. Car c’était ce pourquoi j’existais et j’avais prêté serment.

Aram ne s’attendait pas du tout à trouver un intérieur aussi délabré alors que l’extérieur laissait présager un simple salon de thé kitsch et fade comme on pouvait en trouver des milliers sur l’île. Voilà qui n’arrangeait pas son cas, poussant le De Clare à soupçonner un coup fourré de sa part. Aram avait tellement l’habitude d’être jugé comme un fourbe aussi rusé que malveillant qu’il en était devenu un. Le Romanez ignorait qui était cette Sorcha MacGregor et s’il était aussi malfaisant qu’elle mais le bourgeois avait sans doute raison de se méfier de lui. S’il pouvait le duper d’une quelconque manière, il le ferait sans aucun remord.

Pourtant, l’espèce de fouine élancée qui l’invitait à boire ne manqua pas de l’étonner à trois reprises – ce qui était assez étonnant. Aram se targuait en effet d’être un assez bon juge de la personne humaine mais il n’avait pas perçu chez le grand prince un quelconque goût pour la bagarre, un courage frisant l’inconscience, une capacité à faire totalement confiance à un inconnu ; ni même un talent pour le mensonge s’il ne possédait rien de tout ça. Le sorcier semblait être une boule d’énergie pure, se posant ça et là au fil de ses envies sans s’encombrer des règles sociales qui régissaient le restant du commun des mortels. Il devait être au quotidien tout à la fois terriblement fascinant et affreusement pénible pour son entourage.

En guise de thé, le rom reçu un excellent whiskey – ce qui n’était pas pour lui déplaire. Il était d’ailleurs curieux qu’un salon de thé accède à cette demande, mais les établissements britanniques étaient décidemment bien étranges. Le sorcier le questionna tandis qu’Aram restait silencieux en sirotant son verre, observant les pupilles du De Clare qui semblaient ne pas parvenir à se fixer plus de cinq secondes sur quelque chose. De même, le riche héritier n’arrivait pas à se retenir de parler bien longtemps et son babillage incessant finit par étourdir Aram qui commençait à être un peu perdu. Détestant les situations dans lesquelles il n’était pas pleinement maître des enjeux, le tzigane envisagea de le planter là pour retrouver sa liberté – mais un nom attira son attention.

Alors qu’il s’était déjà à moitié levé – il se figea en voyant le dosser jeté à la va vite sur la table. Était-ce une ruse de la part du directeur ? Si c’était le cas, elle était finement jouée car Aram se rassit aussitôt pour passer en revue les différents feuillets placés dans la pochette. Sa lecture était lente et difficile alors qu’il accrochait sur chaque mot compliqué – mais elle semblait malgré tout confirmer les propos entendus. Comment le De Clare avait-il deviné son point faible ? Aram était-il si prévisible que cela ? Les enfants étaient le véritable trésor de la Communauté Tzigane, jalousement préservés du monde – et jouissant d’une liberté totale. Ils valaient plus que tout l’or du Congrès et le Romanez – comme beaucoup d’entre eux – était incapable de résister devant la détresse d’un bambino. Mais de plus, l’étrange maladie de la demoiselle lui rappelait la sinistre malédiction de  @Saskia Nibelungen et ses autres cousines du Nord, et si cet ingrédient pouvait être porteur d’espoir pour elles, il se devait de tout faire pour les sauver.

S’il avait encore quelques doutes, la bourse rebondie posée sur la table finit de le convaincre totalement. Il trouverait cet ingrédient, même s’il fallait pour cela aller le chercher au fond de l’antre d’un dragon.

- Je m’appelle Aram Romanez, lança le sorcier à son mécène en faisant apparaitre sa carte de sa manche pour la lui tendre. Elle présentait également le nom de sa boutique sur le Marché aux Trolls : Vesperum Invenit. J’accepte le marché, cependant, je ne veux que mon nom n’apparaisse nulle part. Le philtre De Clare me semble être un nom tout-à-fait accrocheur. Je ne prendrai l’argent que lorsque j’aurai la certitude que la petite est sauvée. Qu’est-ce qu’il vous faut ?

Son air restait fermé, et ses mots aux accents rudes des gens de l’est rendaient ses propos plus acétés encore. A la différence de son interlocuteur, il ne s’encombrait pas de paroles inutiles et désirait à présent aller droit au but.

[color=#00cc99]« Hmmm... »Avec élégance, je pris la carte d’Aram et je la pointais à la lumière faible des chandelles. Plissant les yeux, je déclarai d’un air sérieux.

« Est-ce que c’est une vraie ? »

Puis, je me mis à ricaner moi même à ma super vanne. Finalement, plaçant la carte dans ma poche, je lui adressais un léger clin d’oeil.

« C’est une blague, Aram Romanez. »

Mes yeux se plissèrent légèrement. J’avais assez de culture pour savoir ce que le nom de Romanez signifiait. Notre famille avait agrandi son empire au fil des siècles, et nous avions visité voir conquit de nombreux pays. Donc, ce nom avait quelque chose pour moi de familier. J’avais vu plusieurs fois ce nom traîner dans les grandes archives de la noble maison De Clare.

« Dommage, j’étais sérieux pour le nom. Mais votre anonymat sera préservé. Je trouverai un autre nom. »

Je repris le dossier. Quand il me demanda ce que je voulais, je savais que j’avais capté entièrement son attention… Finalement j’avais visé juste. Son accent m’avait mis sur la piste, et mes connaissances sur les familles tziganes m’avait permis de taper là où il fallait. Mais… la détresse de cette petite était bien réel.

« Quelques gouttes de sang de Chimère. Juste quelques mililtres. Combinés à d’autres ingrédients simples et suivant un protocole rigoureux, on obtient une potion qui stase la maladie. »

J’avais déjà expliqué les effets de cette dernière. Les mains toujours dans les poches, je sirotais mon whisky. Sans un mot, je regardais de temps en temps autour de nous. D’un air rapidement, je posais mon whisky devant moi et je déclarai :

« Je compte vous payer, et bien. Avec des prix au niveau du marché actuel. Bien sûr, n’essayez pas de m’entourlouper. Je vous rappelle que j’ai une famille un peu capricieuse quand il s’agit d’expansion. »

Je sortie la carte et je la titillais devant Aram. C’était une menace assez clair. Les De Clare avaient toujours mauvais réputation là dessus et il valait mieux les laisser tranquille. Mais bien évidemment c’était des paroles en l’air. Je n’avais aucune envie de perdre mon temps à décider le conseil de famille de mettre une Vendetta sur cette boutique.

« Je sais que le sang de Chimère est rare, à cause des difficultés d’extractions. Aussi, en plus de l’or, je peux vous obtenir d’autres choses bien plus pratique. Autorisations ministérielles… Notamment… Je n’ai pas besoin de sortir un arbre généalogique pour que vous compreniez. »

Je voulais bien sur parler de ma sœur cadette, actuellement première dame magique de ce pays. Observant le petit homme devant moi, une question me brûla les lèvres.

« Vous avez des amis ? Mon psychomage m’a dit que je devais essayé de m’en faire. Vous avez l’air sympa. »

Contrairement à moi qui le regardait d’un regard vide d’émotion, les mains dans les poches.

L’énergumène examina la carte sous le regard éberlué du rom avant d’expliquer sa blague. Aram resta un instant interdit avant de pouffer en secouant la tête. C’était tellement... surprenant et nul... que son geste l’adoucit de manière étonnante jusqu’à le faire rire. Pourtant, il redevint aussi sérieux qu’il pouvait l’être en entendant ce dont avait besoin le sorcier. Du sang de Chimère… Le tzigane comprit alors pourquoi le De Clare avait risqué sa précieuse petite existence en se hasardant dans l’Allée des Embrumes.

Sourcils froncés, il détourna le visage en effleurant sa barbe de quelques jours, faisant tinter ses anneaux d’or aux oreilles. Voilà qui s’annonçait bien plus ardu que prévu… Aram n’était pas homme à renoncer devant un défi. Il aimait d’ailleurs à fanfaronner devant qui voulait bien l’entendre que rien n’était impossible à un tzigane. Reviendrait-il sur sa parole pour la première fois de sa vie ? Non, il devrait tout faire pour tenter de sauver cette fillette… et peut-être apporter de l’espoir à ses cousines nordiques.

Après avoir mentionné la récompense, l’homme ramena encore une fois tout à sa famille, attirant une grimace peu respectueuse sur la mine de brigand du Romanez. Mais malgré toute sa fierté, Aram devait bien avouer que les compensations du De Clare pourraient se révéler très intéressante. Cependant, l’homme finit de l’estomaquer avec sa dernière réplique et le rom manqua de s’étouffer dans son verre. Il s’essuya le menton en secouant de nouveau la tête. Ce sorcier allait finir par l’achever…

- Vous voulez vous faire des amis, lui répondit-il sans pouvoir empêcher son visage de se crisper dans un rictus amusé. Essayez de retirer cet air d’Acromantule de votre tronche, vous faites peur aux enfants ! Et aussi, arrêtez d’insulter les gens. Même si vous faites pas exprès, c’est pas agréable !

Aram soupira en faisant tourner son whiskey dans son verre, l’autre main posée à plat sur la table.

- On est pas ami, gadjo, continua-t-il sans s'apercevoir qu'il s'était mis à le tutoyer. Déjà, tu dois régler cette dette de sang, parce que j’ai t’ai sauvé la vie un peu plus tôt ! On va dire que si tu m’offres un deuxième verre, je passe l’éponge là-dessus et on peut repartir sur de bonnes bases…

A peine eut-il finit de parler qu’il vida son verre avant de le reposer bruyamment sur la table. Le sorcier en face de lui ne cessait de jeter des coups d’œil dans tous les sens, observant tout à la fois la salle, ce qui se passait dans la rue, son interlocuteur et son propre verre. Par les signes qu’il montrait, il ne semblait pas complétement investi dans la conversation qui se tenait entre eux. Pourtant, Aram avait appris depuis longtemps à ne pas lire toute situation à travers un prisme toujours inchangé. Le sorcier avait peut-être d’autres manières de s’engager pleinement dans une discussion.

- Vous avez quoi, lui demanda-t-il de but en blanc en levant le menton vers lui. Un trouble de l’attention ou un truc comme ça ? Vous pourriez vous présenter comme ça aux inconnus, plutôt que de mettre en avant votre famille moisie jusqu’au trognon. Ça pourrait excuser le fait que vous avez aucunes manières. Vous passeriez pour un gars bien qui fait de son mieux, plutôt que pour une grande andouille… Enfin je dis ça, c’est pour vous hein…

L’arménien haussa les épaules d’un geste désintéressé mais il continuait de sourire en détaillant le botruc humain avec qui il conversait.

Je fronçais les sourcils et ouvrit grand la bouche quand il déclara que j’insultais les gens. Ca avait recommencé ! J’avais blessé des gens sans le vouloir ! Me renfermant légèrement je fis une grimace et je gardais le silence. Normalement je me serai fortement énervé, en disant que si j’avais voulu vraiment l’insulter j’aurai fait comme tout le monde et commencer par sa mère, mais ce n’était pas le genre d’individu avec qui on pouvait plaisanter avec ça. Et je voulais vraiment m’en faire un ami. Je ne devais pas tout gâcher.

« Une dette de sang ? Utilisez les bons mots au bon endroit mon cher Romanez. »

Une dette de sang c’était pas ça. J’en soignais à l’hopital et ça n’avait absolument rien à voir. Je me mis d’ailleurs à rouler des yeux quand il déclara ce dont il avait envie pour annuler ce fichu pacte. Je souriais en coin et je recommandais la même chose pour nous deux. En fait, on était déjà des « copains » et il ne le savait pas. D’après les manuels que j’avais lu, les amis buvaient des verres ensemble, se chamaillaient souvent gentiment. Et qu’est ce qu’on était en train de faire ?! J’étais soudain plus guilleret.
Soudain, ma famille se fit insulter et… de la pire des façons. Mes yeux s’écarquillèrent quand je l’entendis prononcer ces mots sur les De Clare. Mon bras passa brusquement par dessus la table et il saisit le col d’Aram dans un mouvement sec qui fit trembler dangereusement les deux verres de Whisky.

« Faites attention à vos propos, Monsieur Romanez. Insultez les De Clare de la sorte n’est pas une chose à faire, surtout dans un lieu public. L’argent, le pouvoir, ça permet de maquiller des meurtres en accident. »

Je le regardais dans les yeux. Puis… Je le lâchais et je lui repassais à la main le col de sa chemise avec soin.

« Heureusement pour vous, vous êtes tombé sur celui qui se moque le plus de l’honneur familial. Mais, je suis sérieux. Ne recommencez pas. Je ne suis pas le seul De Clare en Europe, mais croyez moi, je suis le plus gentil. »

Je bus quelques gorgées de Whisky. C’était foutu. J’allais jamais pouvoir m’en faire un ami. J’avais été obligé de le violenter un peu. C’était pas le genre de personne qui se laisserait faire… C’était fichu. J’étais vraiment triste. C’était donc ça, l’horrible douleur que de perdre un ami ?… Je regardais mon verre d’un air grave et sérieux.

« Sociopathe hypersensible à haut potentiel. »

Je finissais ce dernier d’un trait et j’en recommandais un pour Aram et surtout un autre pour moi. Le visage sans expression, je me renfermais les mains dans les poches, montrant qu’il m’avait ainsi profondément blessé par sa remarque précédente. Mais j’avais quand même envie qu’on soit proche. Mon psychomage avait insisté. Il fallait que j’essaie de me faire un ami avant la fin de l’année. Il avait l’air bien lui…

« Rien de plus à rajouter là dessus. Bon, pour le sang de chimère, est ce que vous avez cela en stock ? Ou dois-je parcourir tout le pays ou consulter d’autres contrebandiers ? Parce que contrairement aux autres, vous, vous avez une bonne tête et vous avez l’air plus ou moins honnête quand même. »

Le dernier avait essayé de m’arnaquer, et puait surtout de la gueule, ce qui n’était pas le cas de mon futur ami en face de moi. J’allais y arriver c’était certains.

L’excentrique paraissait des plus joyeux, jusqu’à ce qu’Aram se risque à dévoiler le fond de sa pensée sur sa famille. Soudain, il ne fut plus si drôlement original, et redevint même tristement le bourgeois débordant de fierté qu’il devait finalement être. Aram le toisa froidement alors que Son Altesse lui attrapait le col, lui jetant à la figure des menaces à peine déguisée en lui rappelant son nom comme sa fortune. Voilà qui finissait de rendre le rom malade, et pourtant, Thesus le relâcha tout aussi vite en prétextant n’avoir rien à faire de l’honneur de sa famille, tout en lui conjurant de ne pas recommencer.

Aram se reporta sur son verre avec un agacement visible alors que le De Clare énonçait d’un ton monocorde le mal dont il souffrait. Le tzigane n’était pas médecin et n’avait aucune idée de ce que ses mots signifiaient, mais ils devaient sans doute décrire son comportement hors cadre. Du reste, ses sautes d’humeur, son arrogance, son humour décalé, son attention dispersée ne le dérangeait aucunement. Non, pour Aram, l’unique défaut de l’homme en face de lui était sa famille et surtout l’ardeur qu’il mettait à la défendre.

Le De Clare avait l’air vexé comme un doxy et se renfermait clairement sur lui en lui demandant s’il acceptait son marché. Aram remua la boisson liquoreuse dans son verre avec une moue bougonne. Thesus avait mal réagi devant l’attaque de sa famille, ce qu’il pouvait aisément comprendre, étant lui-même un sorcier particulièrement fier. Le souci, c’est qu’il avait en son cœur une blessure impossible à cicatriser: le fait d’avoir été enlevé à sa famille quand il n’était qu’un tout petit rejeton. Et si les De Clare étaient célèbres, c’était notamment pour une histoire relativement similaire qui avait longtemps été cachée du grand public par cette famille que l’argent avait semble-t-il privée de toute éthique.

Se décidant finalement, l’arménien vida d’une traite son verre avant de se lever en posant ses deux mains à plat sur la table.

- J’ai pas ce produit avec moi, mais je sais où m’en procurer. Je vous donne rendez-vous dans deux semaines, ici même. Je vous préviens, même si vous devez pas être bien habitué à ça vu votre entourage: je n’ai qu’une parole, alors vous avisez pas de me faire faux-bond !

Il commença à s’éloigner de quelques pas avant de se retourner vers lui.

- Vous avez raison, la potion doit clairement pas porter votre nom, elle portera celui de la petite que vous allez sauver. Et j’aurais pas dû dire que votre famille était moisie jusqu’au trognon… J’aurais plutôt dû parler d’une famille de lâches qui a caché en son sein un agresseur de pauvres femmes oubliettées, et un enleveur d’enfants !

La bouche tordue, il se retint de cracher de dégoût à terre avant de transplaner sans laisser le temps au sorcier de réagir. Quelque sauts plus loin, il releva le col de son manteau pour se diriger vers une caravane au beau milieu d’un champ secoué d’un vent violent. La seule personne qui pourrait l’aider sur ce coup-là. Heureusement qu’il faisait cela pour sauver une fillette… Est-ce que le destin le poussait à aider à racheter aux De Clare une conscience ? Peut-être était-ce également une manière pour lui de continuer à faire le deuil de son passé volé…