Et toi, que t'espanouille? * ARAM *

Je n’avais rien dit aux paroles du jeune Arménien, parce qu’il avait totalement raison. Il frappa là où cela faisait le plus mal, et avec une vivacité incroyable et un trait d’esprit remarquable qui me surprit. Pour toute réponse, je me contentais de me servir un verre de Whisky. De le boire cul-sec. Puis de m’en resservir un, sans trembler. Celui là, avant de le boire à nouveau cul-sec, je le levais haut et fort.

« A vous, cher ami. A votre courage et votre verve si précieuse qu’elle me va droit au coeur. Et à mon frère. »

J’observais cette fois-ci Aram d’un regard effrayant. Lui prouvant que je ne portais absolument pas dans mon coeur, mais que cela ne se faisait absolument pas de jeter l’opprobre publiquement sur ma famille. Je bus le verre, et je l’éclatais de toute mes forces sur la table.
Une fois Aram sortit, je pris la bouteille de whisky à la main, sous les regards étranges de l’ensemble de la clientèle. Sortant une bourse remplie de gallion, je la jetais sur les bouts de verre d’un air rageur.

« Dédommagement. »

Puis, je sortis à mon tour.



Deux semaines plus tard.

Comme convenu, j’étais au point de rendez-vous. Cette fois-ci, j’avais fait un effort vestimentaire. Je m’étais vêtu de mes plus beaux atours et de mon plus beau costume. Il était d’un bleu nuit élégant, raffiné et dans un style des plus classe et surtout très sobre. Sur ma pochette de costume, les armoiries de ma Famille apparaissait fièrement. Jambe croisé, et tasse de Thé devant moi, j’attendis le petit arménien, avec la ferme intention de finir cette discussion.
Quand il entra, je lui indiquais la chaise face à moi.

« Bonjour Aram Romanez. »

Je jetais la carte devant lui, signe que je n’avais ni oublié qui il était, ni ce qu’il m’avait promis en m’offrant cette carte. Cette dernière glissa entre nous, offrant un premier acte sur la discussion qu’on allait avoir lui et moi ce matin.

« Déjà, je tenais à m’excuser pour mon comportement de la dernière fois. Parfois, il est en décalage avec le reste de la société. »

J’avais remis le nœud de ma cravate en disant cela. Puis, portant mon thé à mes lèvres, je poursuivais.

« Je pensais vous traiter autrement qu’en tant que client et service. Mais visiblement, vous en avez convenu autrement. Alors premier point, sachez qu’il est très impoli et déplacé d’insulter publiquement les De Clare. Et surtout, très idiot et dangereux. »

J’avais dit cela à voix basse, dans un regard lourd de menace. Il ne savait vraiment pas dans quoi il aurait pu mettre les pieds. Aussi filou soit-il.

« Mais vous avez de la chance. Vous êtes tombé sur le plus tolérant, et surtout celui qui partage votre point de vu. Mais c’est ainsi. On ne choisit pas les monstres que produisent notre famille. Vous auriez du plutôt éprouver de la pitié. Je le supporte depuis l’enfance. Et si je suis ainsi, c’est en partie grâce à lui. »

Ma voix se fit un peu cassante, et un peu moins menaçante. Signe quand même que des émotions se jouaient. Vu que je n’y avais jamais rien compris, je me contentais de faire comme d’habitude, le vide et de me concentrer sur un sujet plus… scientifique.

« Maintenant que cela est fait, nous pouvons poursuivre. Avez-vous l’ingrédient ? »

Je me penchais, avant de murmurer avec un soupçon de menace, mais d’un air amusé.

« Et moi aussi, je n’ai qu’une parole Monsieur Romanèz. Et devinez qu’elle a-t-elle été une fois votre chute théâtrale et votre sortie digne d’un vaudeville effectuée ? »

Je me redressais sur mon siège, et réajustait mon costume.

« Ne plus jamais rien espérer d’un inconnu, et encore moins un début d’amitié. »

Quand Aram réapparut dans le petit salon de thé glauque du chemin de traverse, il avait l’air aussi mal en point que Thésus semblait luisant comme un gallion neuf. Le rom était fatigué, et des cernes grisâtres affaissaient son visage qui aurait bien eu besoin d’un petit rafraichissement. Sa barbe n’avait pas été taillée depuis des jours et ses quelques cheveux courts se dressaient étonnement sur son crâne. Le De Clare lui indiqua une chaise sur laquelle il s’affala bien volontiers en faisant signe au patron de lui servir un café.

L’espèce de porte-manteau humain vêtu d’une redingote s’était penché vers lui, reprenant leur conversation quasiment là où ils l’avaient laissée la dernière fois. Etonnement, Thesus commença par s’excuser pour son comportement, avant de menacer de nouveau à demi-mots le Romanez pour les soi-disant insultes qu’il avait proféré à l’égard de sa famille. Aram retint un sourire, presqu’amusé par l’intimidation que cherchait à provoquer chez lui cette grande fouine de sorcier. Il accueillit son café noir avec un soupir de soulagement, sans relever nullement les insinuations qui l’auraient fait bondir de sa chaise dans un autre contexte. Depuis leurs dernières rencontres, il avait fait ses petites recherches sur l’homme qui se tenait en face de lui, et il avait été plus qu’impressionné de découvrir que le bougre avait sans doute été lui-même à l’origine de l’arrestation de l’enleveur en série.

Il ne semblait pourtant pas s’en vanter, se contentant de poursuivre en expliquant qu’il avait sans doute été une des premières victimes du scélérat qui avait fait de lui ce qu’il était aujourd’hui. Aram porta la tasse à ses lèvres, tout en observant le sorcier en plissant des yeux. Il semblait tout aussi distrait que la dernière fois, et pourtant l’émotion pouvait presque se sentir dans son regard attiré de tous les côtés. Thesus chercha rapidement à recentrer son monologue sur la raison qui les avait amenés tous deux à se revoir. Pourtant, la fin de son discours toucha particulièrement Aram qui maintint son regard vers lui, plantant ses deux pupilles sombres dans celle du De Clare, quitte à le mettre mal à l’aise.

- Une chance que je ne sois plus un inconnu alors, releva-t-il avec un sourire chafouin à moitié caché par sa tasse. Parce que moi j’vous aime bien finalement… Mais j’ai compris que vous ne vouliez plus entendre d’insultes à l’encontre de votre famille, ce que j’essaierai de ne plus faire devant vous.

Du moins, jusqu’à la prochaine crasse que révélerait la presse au grand jour, car dans ces clans de dégénérés, il ne fallait pas attendre bien longtemps avant de tomber sur un nouveau cadavre dans le placard. Aram ne s’excuserait pas pour autant de ses propos qu’il ne renierait pour rien au monde. Cependant, il n’appréciait pas plus recevoir des excuses qu’il ne pensait pas mériter.

- Vous excusez pas de votre décalage avec moi, vous y êtes pour rien. Et je dois avouer que c’est une des raisons pour lesquelles je vous aime bien !

Mais ayant épuisé pour l’heure ses compétences sociales, Aram plongea la mains dans son manteau pour en sortir une minuscule fiole. Thesus pu voir à ce moment-là qu’il avait la main salement bandée et que sa manière de bouger son bras laisser supposer d’autres blessures au torse et à l’épaule.

- Du sang de chimère, annonça-t-il sombrement. Il y avait là peut-être trois ou quatre gouttes seulement et il avait faillit laisser sa peau pour chacune d’entre elles. J’espère que la quantité suffit… J’aime pas avouer mes limites mais, seul, je serais incapable d’en avoir plus. Faudra venir avec moi la prochaine fois.

Avec une grimace, il déposa délicatement la fiole entre eux deux avant de replonger dans son café.

« Impressionnant... »

Je pris le flacon avec soin et je le mis à la lumière du jour. Je le tournais et le retournais pendant plusieurs longues minutes dans un silence d’expert. Mes yeux se plissèrent je sortie une loupe magique, je marmonnais quelques paroles comme un vieux fous pendant encore quelques longues supplémentaires, puis finalement…

« Vous les avez récolter vous même. C’est très impressionnant. »

Dans un mouvement lent et théâtrale, je déposais une bourse remplie de gallion juste à côté du flacon. Avec calme, je poussais la bourse vers lui. Je ne touchais jamais moi même l’argent. C’était une vieille règle d’éducation des De Clare. Mon elfe de maison avait fait le compte et sous mon ordre il en avait rajouté plus que de raison. Oui, j’étais tombé sous le charme d’Aram Romanez.

« Vous avez largement de quoi rembourser vos efforts. »

Je repris encore une fois le flacon, d’un air véritablement passionné. Il était extrêmement pur. Généralement, récolter du sang de chimère faisait que l’individu perdait aussi du sang. Très souvent et la plupart du temps même ; les deux sangs se mêlaient et il fallait les séparer pour en extraire celui de la chimère. Les maléfices et enchantements en détérioraient la qualité. Là, ce n’était pas du tout le cas.

« Un véritable travail de professionnel et… oh ! »

Je me penchais brusquement vers lui, dans un air un peu surexcité. Ce qu’il venait de dire me donna des frissons… J’oubliais immédiatement ce sang de chimère et je le regardais dans les yeux d’un regard de braise.

« Ca veut dire qu’on est ami ?! »

J’avais dit ça avec un peu d’enthousiasme. Passant ma main sur ma bouche avec un air très étonné, mes yeux brillaient de mille feu. J’avais un ami. Un vrai ami. On allait pouvoir faire plein de trucs ensemble. D’ailleurs, il venait même de me le proposer !!

« Mais bien sûr. Avec mes amis j’irai n’importe où, même combattre des chimères ! »

Tout ça sonnait étrangement. En réalité, je savais que j’étais brillant dans tous les domaines magiques, notamment les potions. Mais… mon intelligence avait une cruelle limite : celle des interactions sociales. J’étais capable, comme tout à l’heure de déterminer la qualité exacte d’un ingrédient au premier coup d’oeil mais… j’étais incapable de voir quand quelqu’un voulait entrer en interaction sociale avec moi. Je gardais le torse fièrement bombé. Thesus De Clare avait un ami. C’était un jour particulier.

« Si vous n’avez rien à faire, je peux vous amener à Ste Mangouste. Je vous montrerai comment nous faisons le Philtre nécessaire au ralentissement de la maladie. La potion doit mijoter quinze jours, mais je peux effectuer le rituel aujourd’hui. »

C’était ce que faisaient les amis. J’avais lu ça dans un livre. Ils trainaient et  faisaient des choses ensemble. Et ils se racontaient aussi des secrets.

« Je suis amoureux d’une fille. Au départ, j’ai cru que c’était la dragoncelle, car j’avais les même symptomes. Fièvre, accélération du rythme cardiaque, nausées et vertiges… Mais en fait, c’était l’amour. Je n’y connais pas grand-chose, et ça s’est plutôt passé bizarrement. Il faut à tout prix que je la revois. Mais je ne sais pas par où commencer. Je peux aller à sa boutique, demander un truc. Mais j’ai peur que ça fasse un peu harceleur. »

Je me penchais, regardais à droite et à gauche… Puis dans un murmure, je déclarai à Aram d’une voix timide.

« Comment on s’y prend pour séduire une femme ? »

Thesus attrapa la petite fiole qu’il examina avec un regard d’expert en marmonnant son jugement entre ses dents. Il semblait satisfait et Aram n’était en effet pas peu fier du résultat. En échange, le De Clare déposa une bourse abondamment remplie entre eux sur laquelle Aram jeta un œil intéressé. Bien-sûr il aurait aimé ne travailler effectivement que pour la mine réjouie d’une fillette sauvée d’une terrible maladie. Cependant, il accepta sans rechigner l’or fourni en échange de ce service. Il fallait avouer qu’Aram n’était pas un homme complètement libre. Les moyens et informations mis à disposition par le Congrès Magique Tzigane ne l’étaient pas de manière entièrement désintéresséê et il se devait de leur reverser une partie des gallions perçus en échanges de ces petites missions temporaires. Il garderait pour lui le surplus que Thesus avait glissé et qu’il pouvait aisément deviner à vue d’œil.

Mais soudain, le sorcier leva un regard brillant vers lui et Aram eut un mouvement involontaire de recul quand il changea de sujet pour évoquer leur amitié. Rapidement cependant, le rom se prit à sourire, voyant que l’insulte à sa famille était belle et bien oubliée. Thesus lui faisait penser à un gamin en manque d’affection, terrifiant d’intelligence et arrogant, mais rien qu’un tikno quand même. Et les mômes étaient le véritable trésor du peuple tzigane. Aussi, d’une manière qu’il ne s’expliquait pas véritablement, Aram commençait à ressentir une profonde affection pour le gamin de six pieds de haut en face de lui. Quand Thesus lui proposa de l’accompagner voir la manière dont il s’y prenait pour réaliser sa potion, Aram leva ainsiun sourcil plus qu’intéressé.

- Mon ami, je serai ravi de voir ça, commença-t-il alors que ses pensées courraient naturellement vers Saskia et ses sœurs. La maladie de sa petite patiente ressemblait étonnement à la malédiction que subissaient ses cousines du Nord. Peut-être qu’il apprendrait quelque chose qui pourrait les mener sur une piste intéressante. Mais la conversation lui échappa complètement quand le sorcier se mit à parler d’une fille qui lui plaisait, tout comme un enfant aurait pu le faire.

Aram se décomposa en l’écoutant, se demandant un instant si le De Clare se moquait de lui. Puis, il se souvint que l’homme lui avait expliqué manquer de recul vis-à-vis de tout ce qui concernait les relations sociales. Aussi, le rom passa un pouce sur ses lèvres en fronçant les sourcils, réfléchissant à la meilleure réponse à lui apporter.

- Effectivement, n’allez pas la voir trop souvent ou vous allez l’effrayer… Les femmes aiment les hommes qui conservent un part de mystère. Mais dans votre cas, soyez pas trop mystérieux non plus. Vous devriez l’inviter à diner. Si elle vous aime bien, elle acceptera. Et sinon, faudra pas insister à mon avis. Je vous inviterai à boire un verre si la demoiselle brise votre cœur.

Il attrapa la anse de sa tasse de café pour la vider et cacher ainsi son petit sourire amusé alors qu’il imaginait le botruc géant en train de flirter avec une lady.

- Remarquez… Faudra qu’on se revoie quoi qu’il arrive, parce que si elle vous invite à dîner, vous aurez bien besoin de quelques conseils.

Avec un rire, il se leva pour lui tapoter l’épaule.

- Alors, je vous suis jusqu’à votre laboratoire ?

Je m’étais levé d’un bond quand il s’était levé pour me tapoter l’épaule et me demander de visiter mon laboratoire. Les yeux brillants, je ne sus pas où me mettre et quoi faire, tellement toutes les informations arrivèrent en même temps. Je plissais des yeux, mettant les paroles d’Aram dans un coin précieux de ma mémoire.

« L’inviter à dîner… Mystérieux mais pas trop… Brillant… Brillant mon cher Romanez... »

Il était vraiment brillant. Et je ne tarissais pas d’éloge sur lui. Mettant mon chapeau en feutre de grande qualité, je mis également des gants en peau de dragon finement tissé. Avec soin, je déposais les mornilles sur la table et j’ajoutais un pourboire de quelques noises, même si le serveur n’avait pas été véritablement au rendez-vous. Mais les De Clare avait une réputation à tenir !

« Je vous y emmène. »

Gentlemen, j’avais tendu mon bras à l’extérieur et j’avais l’instant suivant transplané avec Aram.

L’instant suivant, nous arrivâmes dans mon laboratoire. C’était un des espaces les plus lumineux de Ste Mangouste. Situé dans un immense serre, ou plusieurs plantes nécessaires aux différentes potions étaient mises ça et là, une paillasse centrale dans une architecture particulière trônait. Derrière, une immense armoire ouverte avec tous les ingrédients d’origine animale trônait.

« Malicia ! J’ai le Sang de Chimère ! Nous allons pouvoir commencer le Philtre ! »

Une jeune femme arriva alors, en blouse verte aux couleurs de Ste Mangouste. Son regard se porta sur moi, comme d’habitude bien sur mais également sur Aram. Elle écarquilla les yeux de voir un pareil énergumène ici.

« Malicia Grimm, mon assistante, Aram Romanez, mon meilleur ami. Les présentations sont faites. »

J’avais pris une voix enjouée. Tournant sur moi même comme dans une danse, je déposais le sang de Chimère sur la paillasse. Malicia nous observa d’un air sceptique et commença à regarder le sang d’un air expert. Impressionnée, elle déclara à Aram :

« C’est vous qui l’avait récolté… Impressionnant.. Vous devez être un excellent sorcier Monsieur Romanez. »

Elle lui fit un sourie charmeur. Qu’est ce qu’elle faisait ? Elle voulait me piquer mon ami ?! Non mais ! Je n’en avais pas beaucoup et elle osait. Quel culot. Il était hors de question qu’il me file entre les doigts.

« Oui, bien. C’est bien Malicia. Il faudrait peut être se mettre au travail. Le philtre va pas se faire tout seul. Venez voir Aram ! »

A Malacia, j’avais offert une voix autoritaire et un peu sèche. Pour Aram en revanche, j’avais pris une voix douce et enjoué. Traversant le laboratoire, je m’étais dirigé vers un globe de verre, dans laquelle une fleur magnifique était figé dans le temps grâce à un Enchantement.

« Elle n’est pas merveilleuse hein ? Figurez vous que je l’ai acheté dans la boutique de cette femme dont je vous ai parlé… »

Malicia brisa tout un élément à distiller quand je déclarai ses propos. Elle se tourna vers moi d’un air véritablement furieux, les joues rosées. Qu’est ce que j’avais encore dit ?

« Vous croyez que si je lui offre des fleurs, ça l’a fera rire ? Avouez que c’est cocasse non ? On se rencontre sur un fleur, je lui offre des fleurs. Ahah. »

Une autre fiole cette fois-ci se brisa, répandent une odeur pestilentielle de sève de Filet du Diable. Je fronçais les sourcils vers Malicia. Mais qu’est ce qu’elle avait donc aujourd’hui. Rouge comme une tomate, et le visage contrarié comme si j’avais réduis son salaire (chose que j’allais faire si elle continuait à casser des trucs), elle déclara.

« Je… je suis désolé Professeur De Clare. »

Je fis un signe négatif de la tête, les mains sur les hanches. C’était désolant de montrer une personne aussi maladroite à mon nouvel ami.

Son « nouvel ami » l’avait invité à transplanner avec lui jusqu’à son laboratoire. Aram retint une grimace quand ses blessures l’élancèrent dans l’exercice magique, mais le spectacle qu’il découvrit à son arrivée lui fit oublier toute sa souffrance. Le rom leva des sourcils arqués sous des yeux écarquillés alors que Thesus lui présentait son laboratoire. Dire qu’Aram était impressionné était un euphémisme. Le tzigane ne savait où donner de la tête alors que chaque élément découvert amenait un sifflement d’admiration sur ses lèvres.

L’endroit était lumineux et ses grandes baies vitrées cachaient un trésor de capharnaüm, pourtant étonnement bien rangé. Il y avait là les ingrédients, les plantes, les poudres, les potions les plus rares et précieux au monde. Aram sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine alors qu’il osait seulement imaginer la valeur monétaire de l’ensemble. Ses mains baladeuses avaient envie de tout toucher, déplacer, soupeser mais il se retint à grand peine alors qu’une jolie sorcière faisait son apparition.

Quand ses yeux de biche se posèrent sur Aram, il y lut la même surprise presqu’écœurée qu’il avait l’habitude de voir la première fois qu’il rencontrait de nouveaux sorciers. Sauf Thesus, qui avec ses yeux d’enfant, avait porté un regard bien différent sur lui. Parfois colérique, parfois amusé ou même admiratif. Mais aucune répulsion liée aux représentations qu’on accolait souvent à sa communauté. Pourtant, la jeune sorcière se reprit rapidement car elle semblait animée de la même passion que son supérieur et l’émotion liée à l’arrivée de l’ingrédient tant attendu apporta une lueur d’enthousiasme sur son petit visage rond alors qu’elle le félicitait chaleureusement.

Le directeur de service la rabroua un peu plus sèchement que nécessaire et même Aram en fut étonné alors qu’il suivait cependant le sorcier pour examiner ce qu’il souhaitait lui montrer. Une fleur, qu’il avait protégé amoureusement car elle lui avait été offerte par la femme sous le charme de laquelle il était tombé. Mais plus encore que ce comportement démesuré, ce fut l’attitude de la petite Malicia qui attira vivement l’attention perçante d’Aram. Le doute ne fut plus possible quand une nouvelle évocation de l’amante en question créa une catastrophe plus bruyante encore.

Un sourire amusé naquit sur le visage d’Aram alors qu’il pensait comprendre de quoi il retournait. Sacré Thesus ! Il était plus tombeur qu’il semblait visiblement le penser. Après tout, peut-être n’avait-il pas besoin d’aide. Son charme naturel – bien qu’étonnant – avait de quoi séduire les plus mignonnes créatures. Le De Clare avait seulement besoin de voir les opportunités qui se dressaient désespérément juste sous son nez. Aram s’agenouilla auprès de la malheureuse éconduite et, d’un geste de la main, il activa sa magie sans baguette pour ramasser et recoller les morceaux brisés par dépit.

- Ne vous excusez pas, il n’y a que les fainéants et les inactifs qui ne peuvent rien briser… Et vous me semblez être au contraire une sorcière des plus douées. Sans quoi le Professeur ne vous aurait pas choisie pour travailler avec lui.

Le tzigane eut un regard vers le grand sorcier dégingandé en se demandant s’il était possible de faire naître chez lui un brin de jalousie qui viendrait éveiller les prémices d’une réciprocité pour la pauvre Malicia.

- C’est bien simple, vous paraissez aussi exquise que talentueuse… Vous devez faire tomber n’importe qui amoureux de vous d’un simple battement de cils, je me trompe ?

Mes yeux se plissèrent quand je vis Malicia se répandre en excuse. Elle pouvait, elle venait de briser une fiole à 30 gallions. Sans rien dire, j’observais Aram manier la magie sans se servir de baguette avec un réel intérêt. Le voir bouger les doigts à la place de sa baguette fit que mon œil se fit légèrement admiratif et me fit oublier la bourde grossière de Malicia.

« Je… euh… Pas vraiment Monsieur Romanez... »

Elle s’en trouva fort gêné. Moi, je mis les mains sur les hanches en l’observant. C’était donc ça, le charme qu’il fallait que j’emploie avec Narghis. Habile petit personnage que ce Aram Romanez qui venait de me donner une leçon de charme en quelques secondes ! Je m’étais fait un précieux ami.

« Evitez de recommencer, Malicia. »

J’avais employé un ton simple. Ce n’était pas une remontrance, mais plutôt un conseil avisé. J’étais réputé pour être un con obstiné si on allait contre mon sens en terme de magie, mais j’étais aussi réputé pour bien traiter mes assistants et mes stagiaires. C’était à la façon dont on traitai ses sujets qu’on évaluait un roi non ?
Posant la fleur, qui visiblement n’intéressait pas du tout Aram, je regardais autour de moi en réfléchissant à qu’est ce qui pouvait bien en mettre plein la vue à mon nouvel ami.

« Professeur de Clare ?! »

Un stagiaire arriva en courant dans le Laboratoire. Je soupirai. Qui avait donc dit que j’étais de retour à l’hopital ?

« Oui... » répondis-je d’une voix trainante

« On a besoin de vous aux urgences en renforts. Une attaque d’Hydre ! Sept sorciers sont en état critique. »

D’un air blasé, je me tournais vers Aram. Lui indiquant de me suivre, le stagiaire s’en alla. Malicia quand à elle, fit un léger coucou à Aram et se concentra sur la potion que je lui avais indiqué de préparer. Traversant, avec ma blouse bleu (et non verte contrairement aux autres médicomage), l’hopital, je déclarai d’un petit air avide tout en marchant.

« Alors c’est quoi le truc ? »

On marchait assez vite mais je me penchais pour dire d’un ton pressé et très curieux :

« Pour séduire ! J’ai vu avec Malicia ! Remarquable. On se penche, on fait les yeux doux et on parle avec une voix de velour ? En faisant des compliments ? Comme ça ? »

Je m’arrêtais et je pris la main d’Aram.

« Aram Romanez vous êtes aussi beau qu’un Abraxan et doux comme une pierre de foyer. J’aimerai entrer en contact avec votre bouche... »

Je lâchais sa main, et je continuais à marcher. J’étais sûr de moi. C’était comme ça qu’il avait fait. Il avait pris sa main et il avait parlé d’une voix suave en faisant des compliments. Attendant sa réponse, je vis le charnier dans lequel on m’avait appelé. Sept sorciers étaient en train de beugler à la mort, tenant des membres amputés ou essayant de se tenir des parties du corps qui avait pris beaucoup de dégâts. Au milieu de tout ce cafarnaeum, Médicomage et Stagiaire s’affairaient dans tous les sens.

« Et bien sur, Aslan n’est pas là ! Venez, vous allez m’aider. Vous n’avez pas peur du sang ? »

Malheureusement, le De Clare ne semblait nourrir aucun sentiment affectueux pour son assistante, et se contenta de clore sèchement l’incident alors que la sorcière se détournait piteusement. Mais avant qu’Aram ne puisse lancer un regard équivoque sur le sorcier qui ne l’aurait de toute manière sans doute pas compris, un jeune apprenti surgit soudainement, requérant l’aide immédiate du professeur. Thesus se précipita à sa suite, demandant au Romanez de le suivre. Le tzigane s’exécuta, sans bien savoir dans quel marécage il avait mis les pieds. Mais sa curiosité toujours avide le poussait à le suivre sans discuter.

Alors qu’ils parcouraient les couloirs de l’hôpital, le directeur de service revenait avec intérêt sur la petite tirade d’Aram. Mais loin d’avoir attisé sa jalousie, la scène lui avait fourni de précieux conseils pour amadouer la mystérieuse sorcière à la fleur. Mais sa mise en pratique laissait à désirer alors qu’il s’entraîna sur le rom. Pourtant, Aram n’eut pas le cœur à le décourager, et il hocha la tête en soulevant les sourcils, un sourire plaqué sur le visage pour le féliciter.

- Oui oui c’est presque ça… Mais Thesus… Cette Malicia… Il faut que je vous explique quelque chose…

Cependant, alors qu’ils arrivaient devant une véritable scène de cauchemar, Aram fut coupé dans son élan, le sang désertant presque instantanément son visage. Le romanez n’était pas particulièrement sensible à la vue du sang, ayant déjà été confronté ou subi des blessures de gravité fluctuante. Mais ce qu’il avait sous les yeux dépassait de loin tout ce dont il avait déjà été témoin alors qu’il avait même du mal à distinguer les différents corps qui convulsaient au milieu de tout ce sang.

Pris de nausée, il se détourna en plaquant une main sur sa bouche avant d’inspirer lentement par le nez pour se calmer. C’était simple… Soit il s’évanouissait, ici et maintenant en compliquant la tâche des médicomages, soit il prenait sur lui pour les aider du mieux qu’il le pouvait. Des années de missions et épreuves en tout genre lui avaient heureusement appris à acquérir une bonne maîtrise de lui et il parvint rapidement à retrouver le contrôle de sa respiration.

- J’peux pas dire que ça soit ma passion, grogna-t-il en suivant Thesus, alors que de sa main, il fit apparaitre un masque recouvrant sa bouche et son nez pour le protéger un minimum de l’odeur ferreuse du sang qui lui retournait l’estomac.

En se penchant vers la première victime qu’il rencontra, il apposa ses mains sur elle pour tenter de stopper l’hémorragie en cours.

- J’comprends pas, vous êtes pas censé avoir du personnel soignant dans votre hôpital, lança-t-il avec une certain nervosité au professeur.

Mais la sorcière sur laquelle il était penché se mit à tressaillir et il reporta son attention sur elle, prononçant quelques mots en romani destinés à l’apaiser. Mais un mouvement de sa gorge attira son attention et il s’approcha d’elle en fronçant les sourcils. C’était comme si elle avait du mal à respirer, car elle ouvrait la bouche sans qu’aucun souffle n’en sortait. Alors qu’Aram allait tenter d’inspecter de sa main si elle n’avait rien de coincé dans le pharynx, des minuscules tentacules surgirent d’entre ses lèvres. Le rom se releva d’un bond en s’écriant.

- Attention, ils sont infectés par des rejets d’Hydre !

La créature avait non seulement une capacité régénératrice hors du commun, mais ses membres coupés étaient également capables d’infecter un autre corps pour en prendre le contrôle et développer une forme de vie autonome. Aram se recula, tentant de ne pas se faire atteindre par l’espèce d’embryon mais il n’avait pas été assez rapide, et l’amas de tentacules lui sauta au visage. Seul son masque avait empêché la chose de l'infecter à son tour en quelques secondes.

« Mmmmh... »

J’écoutais Aram bien évidemment, mais j’étais déjà sur le diagnostic de la patiente. Sans rien dire, j’observais les deux médicomages qui étaient en train d’essayer de la retenir à grand coup de sort et contre-sort. J’arrivais cependant à m’en approcher d’assez prêt pour lancer un Vulnera Sanantur. Ce dernier fonctionna, et Aram fit de même, et je vis du coin de l’oeil qu’il n’avait même pas à user de baguette pour ce genre de chose. Alors que j’étais en train de prendre les constantes de la patiente qui sembla s’être temporairement calmé, je marmonnais d’un air songeur.

« Je vous prends parce que vous êtes largement qualifié. Je sais que votre communauté dispose d’excellent guérisseurs et mon attache ici fait que je n’ai jamais eu l’occasion d’étudier vos pratiques. Mais j’en suis curieux et… je pense qu’il faudrait que je demande un détachement pour vous suivre un jour… Oh j’ai trouv... »

Mais alors que j’allais dire que j’avais trouvé et que j’allais surtout dire à tout le monde de reculer, une partie du parasite qu’était l’Hydre s’envola du corps infecté qui n’était plus assez fort pour le contenir et se dirigea vers Aram. Ah non ! Ca c’était hors de question qu’on m’enlève mon nouvel ami. D’un geste beau et élégant, comme un De Clare, ma baguette en Aubépine fendit l’air et d’un Diffindo bien placé, je tranchais en deux l’Hydre qui était sur le visage d’Aram.
Les deux parties tombèrent au sol et… bien évidemment, commencèrent à devenir autonome.

« Quarantaine. Urgences. »

C’était un Enchantement que les Médicomages et Guérisseurs utilisaient que quand c’était nécessaire. La dernière fois, tout l’hopital avait été placé sous Quarantaine. Là, j’avais limité l’enchantement au niveau des admissions et des urgences. Tout se ferma, et je commençais à donner des directives alors que les deux Hydres commencèrent à courir dans tous les sens.

« Stanley, envoyez deux Mécicomages devant la vitrine pour accueillir les nouveaux patients et installer les urgences à l’étage inférieur. Biggle, passer outre la quarantaine et allez me chercher Folley. Il est spécialisé dans ces dragons de malheur. »

Les deux hydres coururent l’une vers l’autre et fusionnèrent dans un éclat argenté. Je cachais mes yeux et ceux d’Aram car la lumière de cette fusion était nocive. Quand la fusion fut terminée, l’Hydre se jeta sur un chariot remplie de potion, qu’elle engloutit d’une bouchée.
C’est à ce moment là qu’elle prit la taille d’une vache laitière environ. Et c’était là que les problèmes allaient commencer.

« Et dire que j’aurai pu rester boire un peu de Thé avec mon ami. Vous allez bien d’ailleurs ? »

Je l’observais, alors que l’ensemble des médicomages commençaient à encercler la bête. Evidemment, ce n’était pas des Guerriers. Je pouvais lire la peur sur leurs visages.

« Notez que j’ai demandé à de multiple reprise à Poudlard de donner des cours de capture de Créatures Magiques ! Mais jamais ils ont trouvé ça nécessaire ! Si cette vieille bique de Directrice se donnait la peine de se déplacer en personne dans des moments pareil, elle se rendrait compte de la nécessité de... »

Mais une des têtes de l’Hydre qui était au nombre de huit désormais fondit sur moi. Par réflexe, j’attirais un lit d’hopital avec un patient dessus malheureusement pour me protéger. Le patient fut dévorer par l’hydre et je regardais Aram d’un air… sérieux tout à coup.

« Bon. Vous connaissez des Enchantements de cloisonnement ? »

Parce que moi, j’en connaissais un. J’étais capable d’enfermer n’importe quoi dans un récipient. Mais… je ne pouvais pas incanter ça seul. J’espérais que le petit Romanez connaissait le rite. Parce que ce n’était pas avec cette équipe de bras cassé que j’allais arriver à quelque chose.

Thesus interrompit son long monologue qu’Aram aurait eu plaisir à écouter puisqu’il vantait les mérites de sa communauté - s’il n’avait pas eu une espèce de tentacule sur le visage en train d’essayer de l’étouffer purement et simplement. Le professeur découpa le rejet en deux qui tomba mollement au sol avant de poursuivre sa multiplication.

- Gracias amigo, marmonna Aram en se reculant prudemment de quelques pas alors que le confinement tombait sur eux et les charmants appendices tueurs.

Légèrement déstabilisé, le tzigane posa son regard sombre sur le sorcier qui venait de lui sauver la vie et il fut assez impressionné par le sang froid qu’il conservait malgré le chaos régnant autour de lui. Finalement, c’était peut-être dans ce genre de situation que Thesus pouvait pleinement révéler ses capacités. Libéré du poids empathique qui retenait la plupart des êtres humains, le sorcier réagissait avec une logique aussi précise que glaciale, n’hésitant pas à sacrifier un patient lorsque cela s’avérait nécessaire, mais protégeant le Romanez attaque après attaque.

Les guérisseurs présents sur les lieux n’étaient clairement pas des combattants et Aram s’ébroua pour réveiller ses réflexes, conscient qu’il était sans doute leur meilleure chance de ne pas tous finir en charpie. Thésus évoquait un sortilège d’encloisonnement qui n’était pas pour déplaire à Aram. S’il pouvait en effet conserver un morceau de rejet d’Hydre dans un flacon prévu à cet effet, il se revendrait à prix d’or sur le marché noir. Cependant, la créature ne comptait pas se laisser faire aussi facilement, et il fallait d’abord chercher à l’immobiliser.

Aram mordit violemment son pouce, laissant une pointe de sang perler à son bout. En se penchant, il signa une petite rune au sol avant de transplaner à cinq autres endroits de la pièce. Le symbole ainsi formé était en théorie capable de tout enfermer. Des lignes brillantes se formèrent au sol, élevant des barrières autour de la créature qui coupèrent net tout ce qu’elles trouvèrent au passage, mobilier comme tentacules. Ce ne furent ainsi pas moins d’une dizaine de petits rejetons animés qui prirent leur autonomie, créant un chaos plus ingérable encore. Un tentacule grandit monstrueusement en attrapant le Romanez par le cou, l’envoyant valdinguer en sol, effaçant par la même occasion le symbole de sang dessiné au sol et libérant la créature à huit têtes.

Le dénommé Biggle avait dû se faire avoir à son tour, transportant sans le savoir l’une de ces pernicieuses petites bête dans le dos avant qu’elle ne lui transperce la poitrine au-delà de la zone de cantonnement. Une alarme retentit soudain, les informant que la quarantaine était brisée et que les rejets d’hydre pouvaient à présent être partout dans l’hôpital.  

Aram grommela un juron en tendant le bras vers Thesus pour l’attirer brutalement et lui attraper la main. Il avait besoin de toute l'aide possible pour lancer son sortilège phare : le Protego Diabolica. Le rom posa son autre main sur le sol en fermant les yeux et des flammes bleutés apparurent autour de lui, prenant peu à peu de l’ampleur. Elles ne le brulèrent pas. Ni lui, ni Thesus. Car ces flammes diaboliques avaient été appelées des enfers pour ne bruler que la créature malfaisante en liberté dans le bâtiment. Alors que le feu azur léchait à présent le plafond, Aram l’envoya se disperser le long des couloirs, consumant le moindre appendice d’Hydre trouvé sur son passage.

Les créatures se tordirent de douleur dans des cris perçants alors qu’elles brulaient vives avant de s’effondrer en petits tas de cendre de diverses tailles. Mais l’hôpital était grand et le feu devait continuer sa propagation destructrice. Aram puisa dans ses forces, empruntant autant que possible celles de Thesus pour continuer d’embraser tous les couloirs du bâtiment jusqu’à ce qu’un grand silence retentît. Alors, le visage ensanglanté par le sang qui lui coulait du nez, il s’évanouit dans les bras de son ami.