Look right through me

La porte de leur chambre avait à peine grincé. Après s'être assurée qu'Apolline dormait à poings fermés, Asel s'était glissée hors des dortoirs, comme depuis trois lundis déjà. Ce n'était pas quelque chose dont elle était fière aussi préférait-elle ne pas éveiller les soupçons de sa colloc'. D'autant que Miss Dunn pouvait s'avérer particulièrement tenace. La dernière fois, l'écossaise ne s'en était pas trop mal sortie pour ce qui était de l'éconduire gentiment, la convainquant de ne pas poser plus de questions sur ses cauchemars à répétition. Elle avait encore pu compter sur les stages pour se faire un peu oublier après ses exploits de la rentrée. Mais avec le retour à Poudlard, difficile de trouver de quoi se cacher encore. Si Apolline n'avait pas encore trouvé le moyens de l'asticoter, c'était sans doute uniquement parce que sa propre coupe à elle était tout aussi pleine que celle d'Asel.

Le décès de son frère ayant apporté son lot de morosité et autres poussées de caractère tout de même plus dignes que celles dont Asel avait pu faire preuve en septembre, les prises de bec avec Michel-Ange, tout cela avait achevé de faire tourner l'ambiance au vinaigre.

Asel avait respecté cela. Le besoin de temporiser un peu, de ne pas avoir à subir en permanence la présence des autres. Elle avait essayé de comprendre, de se mettre à la place de son amie. Finalement le mieux qu'elle avait pu faire c'était de faire elle-même fuir les importuns quand l'occasion se présentait. Avec la réputation qu'elle s'était taillée dans le Poudlard Express, ça ne lui avait pas coûté beaucoup.

En parallèle, elle avait eu ses propres zones d'ombre à gérer et, voir le Dr Cynfeirdd en cachette lui était déjà d'un grand secours, quand bien même ça n'était que la troisième fois. Elle n'avait toujours pas réussi à parler réellement de ce qui s'était passé cet été mais elle avait parlé de ce qui s'était passé au début de son stage et c'était un début. Ce soir-là, elle ressortait du petit bureau à limite d'âge inversée avec la drôle d'impression d'avoir avancé. Ça n'était pas encore une réussite mais elle se sentait comme à chaque fois sens dessus dessous. Cela voulait sûrement dire quelque chose, du moins il fallait l'espérer.

Elle se glissa par l'embrasure de la porte comme une voleuse, jetant un regard suspicieux à droite à gauche avant de fermer derrière elle. Justement, comme elle faisait dos au couloir, une présence pesante se fit sentir. Comme si on braquait un oeil sévère sur elle. Elle se ferma les yeux, prête à se prendre un coup de massue sur le haut du crâne. Évidemment, cette présence, elle l'aurait reconnue entre mille.

« Heeeeeeeyyyy, Apo ! quelle... surprise... Tu dors pas ? eh eh... »

Apolline avait revêtu son costume de Grande Inquisitrice, celui qui accrochait toujours un sourire moqueur aux lèvres d'Asel. Elle n'y pouvait rien. Miss Dunn pouvait se montrer si autoritaire parfois que c'en était presque drôle. Enfin, cette fois-ci le sujet ne prêtait guère à sourire et l'état de retournement dans lequel l'avait laissée sa séance non plus.

Asel haussa un sourcil incrédule : qu'aurait-elle bien pu faire dans le bureau de la psychomage ? Sa petite moue dépitée acheva de convaincre Apolline de tourner sa phrase autrement. Le pire dans tout cela c'était qu'elle aussi aurait sans doute bien fait de fréquenter ce bureau. Evidemment, si elle s'en fit la réflexion, Asel s'abstint de lui sortir ça de but en blanc. C'était bien le genre de choses qu'elle aurait pu faire mais elle avait un minimum de considération pour son amie qui venait de traverser des épreuves difficiles.

Elle se contenta de hausser les épaules, dubitative :

« Ben... je suis pas sûre qu'on puisse vraiment dire ça. C'est... pas le terme. »

Comme souvent, Asel effleurait la surface de quelque chose sans vraiment savoir y mettre des mots et pourtant ils étaient là les mots, accessibles à qui savait l'écouter. Elle cherchait encore à développer quand Apolline amena le sujet qu'elles évitaient l'une comme l'autre depuis des mois. Asel jeta quelques regards obliques autour d'elle.

« Tu crois pas qu'il y aurait moins d'oreilles indiscrètes dans notre chambre ? » souffla l'écossaise.

Si elle savait qu'elle était hors d'atteinte dans le bureau enchanté de Maeve Cynfeirdd, pour ce qui était des couloirs, pour déserts qu'ils semblaient être, elle savait à quoi s'en tenir...

« C'est pas que j'ai pas voulu t'en parlé. C'est vrai que j'aurais probablement rien dit pour pas t'affoler de toute manière mais... j'y arrive pas. Je... j'arrivais pas à parler de tout ça et ça a failli me coûter mon stage à Ste Mangouste... Tu imagines : un médicomage qui refuse de soigner les gens... »

Apolline était la première personne à qui Asel parlait de cela outre la psychomage. Il avait bien fallu parce qu'avec les entreprises hasardeuses de  @Michel-Ange Grimm , Asel avait intérêt à assurer ses arrières et pas qu'un peu. Savoir qu'elle serait embauchée à 90% sûr au sortir de son MULOT était une bonne assurance. Alors quand elle s'était retrouvé mise au pied du mur après un mois de tour des internes, incapable de prendre en charge un patient, il avait fallu trouvé une issue de secours. Quelque chose pour la faire sortir de la bouche infernale dans laquelle elle était prise depuis cet été.

Assise sur le rebord de son lit, Asel baissait les yeux sur ses genoux, ouvertement honteuse. Car ce n'était pas l'horreur qui l'avait empêchée de parler jusque là, mais bien la honte.

Dans l'intimité de leur chambre, Asel eut un profond soupir. Apolline elle, cherchait les bons mots. Il fallait dire que les confessions n'avaient jamais été leur fort quand bien même Asel était quelqu'un d'assez transparent en général.

Replongeant volontairement dans l'ambiance pesante du hangar où elle avait été retenue quelques jours, Asel pinça les lèvres.

« En fait rien. C'est moi. Depuis le début de mon stage je me suis toujours débrouillée inconsciemment pour ne pas me mettre trop en avant jusqu'à ce que ce type arrive... une vilaine griffure. Rien de bien méchant en soi mais sans soins tu sais ce que c'est... et là, j'ai pas pu, Apolline. J'ai littéralement pas pu. Je me demandais ce que ce type avait fait pour se retrouver dans cet état et ce qu'il ferait une fois qu'il sortirait... J'ai pas pu le soigner parce que je voulais pas soigner la mauvaise personne. »

Le flux et le timbre de sa voix, éteints, transcrivaient parfaitement bien dans quel état d'esprit elle se trouvait en y repensant. Tout ce qui s'était passé dans ce hangar pourri, ou plutôt ce qui ne s'y était pas passé car au final, personne n'avait touché un cheveu de sa tête mais pour autant, elle en était ressortie avec une culpabilité dévorante et, visiblement, cette idée d'avoir en quelque sorte joué contre son camp. Idée qui lui était plus qu'insupportable.

« Je me suis littéralement enfuie et je sais pas si je serais revenue si mon maître de stage était pas venu m'attraper par la peau du cou. »

Elle s'éclaircit la voix pour chasser le malêtre naissant. En y repensant, malgré un départ peu prometteur, elle avait sacrément de la chance d'être tombée sur  @Dâriush Aslan . Elle était à peu près certaine qu'il avait eu envie de l'abandonner sur une aire de portauloin à la seconde où il avait récupéré son dossier mais les choses s'étaient décantées très vite et ils partageaient maintenant une réelle relation de confiance. Elle s'en était rendu compte quelque jour avant quand il lui avait demandé de l'assister pour un accouchement.

« C'est ridicule, je viens pleurer dans tes jupes alors que ce serait plutôt à moi de te prêter une oreille attentive. Excuse-moi. »

Un voile d'obscurité passa sur le visage d'Asel. Elle avait déjà parlé de tout ça à Mrs Cynfeirdd. Une confession dans la douleur mais la psychomage avait su la guider jusqu'à ce point de non retour où elle avait dû tout déballer. Y revenir avec Apolline, c'était différent. Mais plus si impossible.

« Personne ne m'a obligée Apolline. Je l'ai fait parce que ce type était en train de crever. », feula l'écossaise sans oser regarder son amie. Elle laissa passer un silence avant de s'éclaircir la voix, « Ils n'en avaient pas après moi cet été. Je n'ai été qu'une erreur. On ne m'a absolument rien fait sinon me trimballer d'un endroit à l'autre. Je savais qu'Adil était mal en point. J'étais pas au courant pour les autres mais les Mesli... et moi j'ai soigné ce type. Je lui ai sauvé la vie au lieu de laisser ses branques de collègues l'achever en continuant de faire n'importe quoi. »

Elle l'avait mauvaise, surtout parce qu'elle avait l'amer sentiment d'avoir contribué à nuire à ceux qu'elle aimait. Les étranges petites cicatrices sur ses bras et ses jambes ne changeaient rien à la donne. Les marques insignifiantes que la plupart de ses camarades n'avaient pas remarquées d'ailleurs...

Elle n'insista plus pour l'instant, reportant son attention sur Apolline qui, elle, avait traversé de vraies épreuves. A sa question, sur le coup, Asel ne sut que répondre.

« Oui et non. C'est vrai que tu t'es beaucoup éloignée des autres depuis... mais te connaissant je dirais que c'est pas tellement surprenant. C'est juste, ta façon de te protéger de tout ça j'imagine. Et puis, tu n'es pas vraiment du genre à aimer parler de ce que tu ressens pas vrai ? »

Elle lui adressa un petit coup d'épaule et un sourire complice.

« Pourquoi cette question ? Quelqu'un t'a - Michel-Ange ?! », c'était forcément Michel-Ange, personne d'autre n'aurait osé lui reprocher quoi que ce soit en ce moment. Asel secoua la tête avec un petit sourire en dedans, « Il était blessé c'est tout. Il ne faut pas prendre tout ce qui sort de sa bouche pour gallion comptant. On dit rarement des choses censées quand... bref. »

Elle préféra couper court. S'il y avait bien une chose qu'elle voulait éviter, c'était de se trouver au milieu des casseroles de ses deux meilleurs amis.

Le Dr Cynfeirdd lui avait dit qu'il était important de libérer la parole. Qu'elle comprendrait pourquoi en le faisant mais présentement elle ne comprenait pas vraiment. C'était plus douloureux qu'autre chose. Où était le soulagement dans tout cela ? Même Apolline le reconnaissait : ce comportement n'avait aucune logique. Personne n'aurait fait ce choix. Tout au plus, sa colloque avait la douceur de lui chercher l'excuse de la vocation et c'était déjà bien gentil de sa part. Et dire qu'elle était censée s'ouvrir de ça à Adil. Un jour. Jamais plus probablement. Pour lui dire quoi ? Je t'ai laissé passer à deux doigts de la mort mais lui je m'en suis bien occupé ? Hors de question.

Apolline dût sentir son trouble car après un petit silence entre elles, elle s'empressa de pousser plus loin l'analyse. Une bonne personne ? Asel retourna vers sa colloque ses grands yeux de chouette mordorés un peu perdus, interrogeant la sincérité de ces derniers mots mais elle n'était pas assez retorse pour ne pas y croire. Derrière ses yeux humides, Asel accrocha un sourire de remerciement à ses lèvres. Cela prendrait du temps mais après ça, elle se sentirait le coeur plus léger.

Ça n'était pas si souvent que les deux filles se parlaient ainsi à cœur ouvert. Elles avaient plutôt tendance à parler des petites choses de leur quotidien d'étudiantes, à la surface de ce monde interne plus tumultueux où s'ébattaient leurs émotions profondes. Ça ne les avait pas empêcher de tisser de profonds liens d'amitié que sans doute rien ne viendrait jamais défaire.

Pas même la position délicate qu'Asel avait à tenir entre @Michel-Ange Grimm et Miss Dunn.

« Ben quand... il y a des sentiments au milieu. », précisa-t-elle, répondant un peu à contre coeur à la question de son amie. Là-dessus, il ne fallut rien de plus à Apolline pour remettre les choses dans leur contexte, « Mais oui je sais mais tu vois pas que c'est une espèce d'andouille finie ? Il pourra jamais vraiment couper les ponts avec toi Apolline, jamais, quoiqu'il fasse. Enfin bref... tu le verras bien à un moment ou un autre. T'inquiète pas pour moi, je peux aussi entendre que tu sois en colère contre lui et j'irais pas le défendre. Je me réserve juste un droit de retrait au cas où. »

Elle savait bien qu'elle ne pourrait pas dire du mal de Michel-Ange quand bien même il aurait assassiné quelqu'un. Mais elle n'aurait pas pu en dire d'Apolline non plus. Ça ne l'empêchait pas de prêter une oreille au besoin. Finalement, qu'Apolline s'enfonce un peu plus dans le travail n'avait rien d'étonnant. Si d'ordinaire, Asel aurait fait une levée de boucliers contre cette idée, cette fois-ci elle laissa couler, estimant que ce pouvait être une bonne chose de laisser son amie cicatriser à sa manière. En revanche, le dernier point relever l'intrigua fortement :

« Je t'aime vraiment très fort Apolline mais si tu panses tes plaies dans mon lit je lui arrache la tête. », taquina Asel en lui donnant un petit coup de coude.

Elle ne savait pas qui étaient ces gens qui semblaient de si bonne compagnie mais en tout cas, Apolline se rappellerait certainement cette longue conversation du premier jour de leur colloque où elles avaient tout mis à plat. Les interdits. Les bonnes idées. Les attentes. Et surtout, surtout : les interdits.