Elle pleut - Siobhán

15 juin 2022.

Lorsque Céleste était rentrée dans son dortoir ce soir-là, elle avait jeté une large couverture en cachemire sur son lit puis s’était blottie au fin fond de son lit, une fois changée. Le coup de baguette avait été faiblard, teinté d’une certaine routine. Céleste ne prenait plus le temps de lire ou de bavarder ces derniers temps: elle éteignait et souhaitait de sombrer le plus vite possible dans les limbes avant de s’éteindre le temps d’une nuit. Les souffrances qui lui déchiraient chaque centimètre de son myocarde à chaque inspiration expiraient le temps de quelques heures. Ses pensées, toujours aussi sombres, lui laissaient parfois un peu de répit mais remportaient souvent la bataille la nuit. Le corps ne souffrait plus, mais l’esprit prenait le relais. Des cauchemars en tous genres hantaient ses nuits, laissant de jolies valises noires sous les yeux de Céleste. Les voyages dans ses songes les plus profonds étaient terriblement tumultueux et jamais la Française n’avait tant rêvé de prendre des vacances.

Le temps était long à Poudlard. Le mois de juin s’écoulait comme s’il n’avait jamais de fin. Les jours rallongeaient et il semblait à Céleste que chacune de ces journées soit un peu plus longue que la précédente. Elle n’en voyait plus la fin et suppliait ses parents de rentrer avant la fin du semestre. La réponse était catégorique: Edouard Delacroix refusait sans détour que sa fille ne rentre pour une raison aussi « futile ». Les Delacroix étaient solides et avaient une réputation à entretenir. Comment expliqueraient-ils le retour anticipé de leur aînée dans leurs jupons? Ce n’était pas tolérable pour cette famille de haut rang.

Il lui semblait que le temps passait plus vite lorsqu’elle dormait. Depuis que  @Michel-Ange Grimm lui avait tourné le dos pour retourner séduire  @Apolline Dunn, Céleste avait laissé de côté toute forme de distraction pour s’enfouir sous ses couettes, pleurer discrètement et s’endormir. Elle ne dessinait plus dans son fidèle petit carnet au bord du lac, elle ne courait plus dès l’aube. Désormais, elle attendait que tous se lèvent pour oser sortir de son propre lit puis errait entre ces quatre murs sans souhaiter que l’on pose un oeil sur elle. De toute manière, ça n’intéressait plus personne, pas même  @Alycia McWood qui avait souhaité lui tourner le dos à son tour.

La lumière était éteinte et Céleste observait le reflet de la lune pâle dans l’eau du Lac Noir. Les larmes qui coulaient sur ses joues étaient silencieuses, quoique quelquefois interrompues par un sanglot étouffé. Elle avait l’estomac plein, plein de toute la nourriture qu’elle avait avalé sans trop réfléchir dans la Grande salle. Comme à chaque repas, elle était arrivée en retard et repartie bien avant les autres. Cela évitait les questions, car peu d’étudiants osaient prendre le risque de réveiller un autre qui dormait; et cela lui laissait un peu de temps pour passer aux toilettes et vider tout ce qu’elle avait avalé. Car toute cette nourriture ne suffisait pas à combler le vide. Elle ne faisait que lui torturer l’estomac et la noyer de honte. Céleste le savait, elle ne se comportait pas comme à l’habitude et cela interrogeait. Les murmures et ragots de comptoir devaient défiler alors qu’elle s’éclipsait de la Grande salle.

Tout s’était déroulé comme à l’habitude ce soir-là, hormis un désir profond qui était né de ne pas se rendre aux toilettes ce soir là. Le sommeil ne venait pas, torturée par une pulsion inexplicable de se lever pour achever sa routine. Sa raison lui murmurait qu’elle était capable de résister, tout le reste de son corps lui hurlait de sortir de la chambre avant que les autres n’arrivent. Le duel fut interrompu par des pas feutrés, ceux de  @Siobhán Gavalagh-Korrigan, qui rejoignait le dortoir à son tour. La Française n’avait plus le choix: elle devait prétendre dormir, écouter la respiration de sa colocataire puis se lever lorsque l’heure serait suffisamment tardive et qu’aucun Serpentard ne risquait de traîner encore.

Les minutes avaient passé, le reflet de la lune dans l’eau avait bercé Céleste sans jamais l’apaiser. Siobhán s’était retournée un certain nombre de fois dans son lit avant de ne plus bouger. Plus rien n’indiquait que la jeune Serpentard était toujours éveillée.
Alors que le dortoir des Serpents brillait par son silence, Céleste poussa les couvertures qui lui servaient de cocon puis enfila une paire de chaussettes pour protéger ses pieds et la rendre plus discrète. Elle se leva tout doucement, évitant tout bruissement suspect puis se déplaça comme un pantin désarticulé. Là, elle posa sa paume sur sa baguette, prête à s’éclipser. Un sort suffit à camoufler tout bruit, puis elle disparut dans la noirceur de la nuit en direction des toilettes, discrète comme un chat.

Tw: troubles du comportement alimentaire


15 juin 2022.

Les yeux rivés sur le mur, Céleste revivait les derniers évènements en suivant le rythme de la respiration de  @Siobhán Gavalagh-Korrigan, couchée dans le lit juste à côté du sien. Sa cadette était rentrée relativement tôt des parties communes et, comme à leur habitude, ni l’une ni l’autre n’avait échangé ne serait-ce qu’une bribe de parole. Toutes deux étaient terriblement silencieuses, Céleste encore davantage depuis ces derniers temps.

Lorsque tout allait encore pour le mieux, la Delacroix avait fait preuve d’une incroyable discrétion avec  @Michel-Ange Grimm, cherchant à protéger leur relation de tout regard déplacé ou trop inquisiteur.  Les rendez-vous nocturnes s’étaient multipliés, leur laissant la chance de se construire des souvenirs tout à fait mémorables sous l’oeil curieux de la lune pâle et de la pelouse qui accueillait leur deux jeunes corps. La fraîcheur de la nuit et l’insouciance des jeunes amours encore innocents avait laissé place à la chaleur des couvertures et l’abandon total des plus folles espérances.

Le constat était amer: Céleste avait pris le risque de s’ouvrir à un autre et finissait par passer à côté de tout ce qu’elle avait souhaité, à cause d’ @Apolline Dunn qui lui avait arraché l’homme qu’elle aimait. Celui à qui elle ne l’avait jamais avoué. Celui à qui elle avait dit qu’elle le haïssait pour renfiler tant bien que mal la carapace qu’elle avait peu à peu laisser tomber. Céleste s’était renfermée, sous l’oeil incompréhensif de ceux qui n’avaient pas eu vent de ses histoires d’amour, sous l’oeil dédaigneux des autres qui pensaient qu’elle recevait enfin son dû.



Ne trouvant pas le sommeil, Céleste choisit un moment opportun pour s’échapper de sa chambre. Son ventre lourd de tracas, l’esprit complètement embrumé par la tristesse et la honte, la Serpentard avançait dans les escaliers tout en veillant à ne pas trébucher. Ses pas feutrés frôlaient les pierres à mesure que la jeune Française progressait dans la salle commune des Serpentard à pas de loup. Quelques bougies étaient restées allumées, éclairant ainsi son passage alors qu’elle se dirigeait vers la salle de bain des Serpents. Elle jeta un regard vide à l’âtre mourant avant de définitivement quitter la pièce, poussée par une extrême envie de soulager son estomac tiraillé par la douleur.

Peu d’étudiants se levaient en plein coeur de la nuit et l’oreille sensible de Céleste lui confirmait sa plus grande solitude en ces lieux. Un coup de baguette et un soupir suffirent à allumer la lumière. Là, elle jeta un regard à son reflet dans un des grands miroirs au-dessus des lavabos. Le visage pâle, tiraillé par la fatigue et le tourment, des joues plus creusées qu’à l’habitude. Il fallait être aveugle pour ne pas voir un changement chez l’étudiante. Etait-ce une façon pour elle d’attirer l’attention sur elle? De sonner le signal d’alarme? De montrer à  @Michel-Ange Grimm à quel point elle était malheureuse? C’était sûrement ce que beaucoup aimaient chuchoter dans la Grande Salle, la détaillant de loin alors qu’elle s’empiffrait soudainement de tout et n’importe quoi avant de s’éclipser. En réalité, Céleste n’aurait su décrire ce qui la poussait à agir ainsi, si ce n’est un besoin irrépressible de combler un vide béant avant de le regretter amèrement.

L’heure des regrets avait sonné. La Française poussa une des portes, comme toutes les nuits, puis s’agenouilla. Jamais elle n’avait été aussi bas. La lumière blafarde éclairait ses yeux mornes. Elle attendait que le courage lui vienne, paumes posées sur ses cuisses, genoux et tibias à terre. S’en suivraient une douche et un bain de bouche, histoire d’effacer tout fragment de faiblesse. Après quelques longues minutes d’introspection, Céleste glissa un doigt dans sa bouche pour se soulager. Ce fut bref mais suffisant. Suffisant pour vider son estomac de toute substance, suffisant pour que ses dernières larmes de rancoeur coulent.

Une voix étouffée perça le silence de la nuit. Le coeur de Céleste s’affola. Elle tira une longue feuille de papier pour venir couvrir tout son carnage, s’essuya ensuite ses larmes dans la précipitation alors qu’une de ses camarades poussait les portes une à une, curieuse de voir qui se logeait ici tout seul. Pétrifiée, Céleste n’osa pas bouger. Peut-être finirait-elle par partir en constatant que quelqu’un était là et ne souhaitait pas ouvrir.

Forçant un peu la porte, cette-dernière céda sous la détermination de la Serpentard. Sa voix résonna de nouveau. Une voix familière qui semblait reconnaître Céleste sans grand mal. Leurs discussions avaient été brèves mais cordiales. A son tour, la Française reconnut la voix de  @Siobhán Gavalagh-Korrigan. Céleste attendit un peu, espérant que sa camarade finirait par faire demi-tour. Que nenni. La jeune serpentine ne bougea pas d’un centimètre. Céleste se releva, l’équilibre d’abord incertain et les genoux douloureux à force de rester au sol. Elle tira la chasse puis sortit de la cabine des toilettes sans croiser le regard de Siobhán. Céleste était suffisamment embarrassée comme cela. Elle se lava les mains, comme pour laver tous les maux qu’elle venait de se faire subir. « J’ai mal digéré le repas de ce soir. Ça arrive. Je compte sur toi pour ne rien dire. » prononça-t-elle mécaniquement, sans jamais braver le regard de sa colocataire.

Tw: troubles du comportement alimentaire


15 juin 2022.

Ne jamais regarder dans les yeux, faire comme si de rien n’était. Faire comme si la situation était on ne peut plus normale. L’art du bluff était une discipline que Céleste ne maîtrisait pas du bout des doigts, encore moins lorsque la personne à qui elle cachait des choses lisait en elle comme dans un livre ouvert. C’était une jeune femme qui avait le mensonge compulsif. Un mensonge par-ci pour faire croire que tout va bien, un mensonge par-là pour prétendre être au-dessus de tout le reste. Elle avait craqué une fois, une seule fois sous les yeux de  @Michel-Ange Grimm. Elle avait perdu tous ses moyens, se laissant aller à son plus grand désespoir, pleurant, criant tous les maux qui la torturait. Puis, tout s’était soldé en une profonde ignorance, un vide total, un silence assourdissant.

Ne jamais regarder dans les yeux pour ne jamais admettre avoir été faible. Pour ne jamais admettre qu’elle avait perdu tout son honneur. Céleste avait senti une chaleur s’approcher d’elle, faisant presque frissonner sa peau froide. Siobhán avait dû vouloir la toucher, manifester une forme de compassion dont Céleste ne voulait pas. Elle ne voulait pas de pitié, pas de larmes de crocodile, pas d’attention particulière. Tout ce qu’elle souhaitait, c’était d’achever rapidement l’année scolaire et que Beauxbâtons lui rouvre les portes pour la rentrée suivante. Là-bas, la Française serait dans son milieu et pourrait prétendre à jamais que tout se passait à merveille.

Parce qu’elle avait le sentiment d’avoir commis un acte répugnant, Céleste ne passa pas l’éponge sur son hygiène corporelle et alla se laver les mains. Si Siobhán n’avait pas été dans les parages, elle se serait certainement glissé sous la douche avant de retourner se coucher, comme si de rien n’était. Maintenant qu’elle n’était plus tout à fait seule, l’aînée se contenta de frotter ses mains, les yeux vissés sur ces dernières, faisant comme si sa camarade n’était pas là. Après cela, elle partirait d’une manière toute naturelle et se blottirait sous ses couettes. Elle tourna ses mains dans tous les sens, les frottant plus que nécessaire, comme si cela allait annuler l’acte qu’elle venait de commettre. Comme si avec ce jet d’eau, tous ses ennuis finiraient pas s’écouler et disparaître au fond de cette vasque.

Elle inventa une piètre excuse, tout droit sortie des excuses les plus ridicules que l’on puisse recenser, cherchant à faire comprendre ainsi que la discussion était close, qu’il n’y avait somme toute rien à dire ou à commenter. Chacune ferait comme s’il ne s’était rien passé, Siobhán n’irait strictement rien raconter aux autres pour alimenter les bruits de couloir, et la vie suivrait un cours tranquille.

Pourtant, Siobhán ne semblait pas vouloir enterrer le sujet aussi rapidement. Céleste continua à se laver les mains sans jamais la regarder. Elle lui répondit mécaniquement: « Tout à fait. Une Delacroix se doit de toujours montrer la meilleure image de soi. » Etait-ce ce qu’elle avait fait ces derniers jours? L’avait-on jaugée de loin lorsqu’elle s’était présentée aux heures de repas dans la Grande Salle? Elle continua. « Personne n’a envie de savoir qu’une Delacroix a passé quelques minutes aux toilettes cette nuit. » A bien y réfléchir, c’était certainement faux. Les vipères qui relayaient les rumeurs devaient se régaler de ce genre de propos. Peut-être qu’ @Apolline Dunn se ferait un régal d’entendre cela. « Les Sang-Purs n’ont pas besoin que l’on colporte de rumeurs diffamatoires, bien que cela soit très tentant. Tu le sais très bien, il me semble. » Siobhán faisait partie de la grande famille des Sang-Purs et, bien qu’étant plus jeune qu’elle, elle devait certainement le savoir.

Siobhán insista davantage, manifestant ainsi tous les doutes qui reposaient sur l’attitude de Céleste. La brune sentait dans sa voix une variation mêlant inquiétude et doute. Pourquoi cette gamine se souciait-elle d’une jeune femme dont elle ne connaissait rien? Cette pensée fit doucement sourire Céleste, d’un sourire amer. Les inconnus se souciaient d’elle tandis que celui qu’elle avait aimé n’en faisait rien. Que le monde était mal fait.

« Que veux-tu que ce soit d’autre? » demanda-t-elle tout en coupant le robinet. Peu importe à quel point l’eau coulerait, jamais Céleste ne se sentirait lavée de ses maux.

« Si tu veux bien m’excuser, je retourne me coucher. » ajouta-t-elle en se séchant les mains avant de se redresser et de la regarder, cette fois, dans les yeux. Elle afficha un regard triste et épuisé mais aussi obstiné.

15 juin 2022.

L’odeur qui régnait dans ces toilettes était tout bonnement répugnante, quels que soient les sortilèges de nettoyage que l’on jetait. A chaque instant, cela donnait l’impression à la Française qu’un troll était passé par là seulement quelques secondes avant. Elle ne sut dire si la nausée qui s’installait dans son estomac était lié à son environnement, son geste ou la soudaine impression d’être piégée comme une petite souris qui ne trouverait plus d’où elle venait. Céleste se retrouvait dans une situation délicate où son mensonge ne suffisait plus à maintenir ses barrières solides. Siobhán, une petite gamine qui en faisait succomber plus d’un sur son passage, était la personne que l’aînée désirait le moins croiser à cette heure-ci. Une chance pour elle qu’elle n’ait pas partagé la pièce avec un Legilimens. Ce soir, s’il ne fallait pas succomber à quelqu’un, c’était à Siobhán.

Les deux jeunes femmes ne se connaissaient pas plus que cela malgré les quatre murs qu’elles partageaient chaque nuit. Céleste avait appris par coeur le rythme de ses souffles la nuit tant elle était loin de dormir sans vraiment chercher à en apprendre plus. Elle n’en avait plus le coeur ni l’intérêt. Pourquoi s’attacher aux autres lorsque l’heure de partir a sonné? Et pourquoi prendre le risque de se dévoiler une fois de plus pour être déçue, une fois de plus? Ça n’avait aucun sens. Pas plus que la tournure que prenait cette soirée. Que pouvait-il y avoir chez Céleste qui intéressait tant sa colocataire? Pour une fois, elle aurait aimé qu’on s’intéresse un peu moins à elle.

L’unique solution qui s’offrait à la Delacroix était celle du repli. Tout simplement parce qu’ainsi, elle conserverait quelques semblants et enterrerait tant bien que mal les bribes de discussion qui avaient résonné dans cette pièce. Céleste était une jeune femme particulièrement têtue, habituée d’ailleurs à obtenir ce qu’elle souhaitait et n’aimait pas que l’on lui force la main. La petite Korrigan faisait exactement tout l’inverse de ce qu’elle appréciait et se mêlait clairement de ce qui ne la regardait pas pour des raisons obscures.

Alors qu’elle retournait ses mains dans tous les sens sous le jet d’eau, Céleste ne pu réprimer un sourire moqueur. Les Delacroix ne définissaient pas ce qu’elle était? Foutaises. Elle avait toujours été le pantin de ses parents, la gamine qu’il fallait rendre parfaite dans tous les domaines pour qu’elle brille aux yeux de tous. Elle avait été initiée très jeune à la magie, aux arts, à la diplomatie, à quelques bribes de politique. Le divertissement était ponctuel et le goût de l’aventure réprimé. Céleste n’avait pas le droit de monter sur son balai pour faire la course, les amis qu’elle pouvait inviter étaient triés sur le volet, et les amourettes étaient proscrites. Céleste devait faire partie des plus grands, étant l’aînée de sa fratrie, et portait l’héritage des Delacroix sur ses épaules, comme l’avait fait ses ancêtres. On ne pouvait se permettre que la famille plonge dans l’oubli.

« Siobhán, je ne joue aucun rôle. Je suis une Delacroix, que cela te plaise ou non, et notre famille observe une rigueur et des principes rigoureux. Je ne sais quelle femme tu as vu dans les toilettes, mais ce n’était pas Céleste Delacroix. » Ce n’était pas digne d’une Delacroix. « C’était une femme prise dans un moment de pure faiblesse qui, désormais, lui est passé. Être malade est le propre de l’humain, même dans les grandes familles. » Céleste n’était pas prête à flancher totalement.

Elle sécha ses mains et amorça un départ de la pièce pour rejoindre son lit. Voyant pertinemment que Siobhán ne lâchait toujours pas prise, Céleste croisa ses bras et souffla clairement, visiblement exaspérée par la situation. Depuis quand se laissait-elle prendre ainsi en otage? Si elle l’avait voulu, elle aurait tout simplement pu la frôler et s’échapper sans rendre aucun compte. Mais à quoi bon? Elle ne pouvait s’enfermer dans la chambre sans manquer d’avoir de problèmes avec  @Thomas Buchanan. Si elle s’en sortait toujours bien, il était difficile de justifier l’interdiction d’accès d’une étudiante à sa propre chambre.

Céleste afficha une mine blasée, témoin de son impatience. Elle croisa le regard de Siobhán et ne pu le lâcher. Elle se sentait comme aspirée dans ces yeux d’un magnifique vert, comme si soudainement tout le reste avait été oublié et que seules ces deux prunelles avait un tant soit peu d’intérêt. Presque en apnée, attirée dans les tréfonds de ces iris, Céleste refit surface en entendant le simple prénom de la préfète des Gryffondor. Encore celle-là? Qu’avaient-ils tous à prononcer son prénom à tout bout de champ?

« Apolline? Cette greluche? Pas du tout. » En vérité, elle n’était pas loin du compte. Il fallait juste détourner le regard et observer le gamin qui lui courait après. Sentant le mépris monter en elle tout autant que l’incompréhension, la Française resta clouée sur place alors qu’aucun lien ne la retenait plus. « Pourquoi me parler de cette fille? Quel rapport existe-t-il entre elle et moi? » Avait-elle soupiré son nom au cours d’une nuit agitée de cauchemars? Cette simple idée lui donnait la nausée, comme si avoir quelque chose à faire avec la fille Dunn relevait d’un défi dantesque.

15 juin 2022.

Le corps de Céleste, atone, presque lancinant jusqu’ici avait presque sursauté à l’évocation du prénom d’Apolline. Elle détestait cette fille pour cet air presque parfait qu’elle aimait donner: brillante dans les études, un jolis minois, une élocution travaillée, un pedigree dont elle pouvait se targuer. Apolline était l’archétype de la femme après laquelle beaucoup d’hommes voulaient courir. Céleste, de son côté, n’avait pas grand chose à envier à la descendante Dunn. Ses yeux bleus qui contrastaient avec sa peau pâle et un corps entretenu à la perfection peignait l’image d’une femme de rêve. Sa famille outre-manche était elle aussi parmi les plus nobles qui puissent exister dans la société sorcière et offrait à ses progénitures une éducation sans pareille. S’il fallait tirer une leçon de cela, c’est qu’elle n’avait rien à envier à sa camarade.

Pourtant, très tôt, on pouvait affirmer avec certitude qu’un certain dédain de l’autre s’était installé. Michel-Ange, tiraillé entre les deux femmes qu’il aimait à l’époque, n’avait certainement pas arrangé la situation. Les deux étudiantes ne pouvaient que se regarder de travers en espérant être celle que le Poufsouffle finirait par choisir. A ce jeu de dés, Céleste avait perdu. Et la défaite était amère. Plus le temps passait, plus tout cela lui semblait difficile à appréhender. Elle avait cru que son désespoir aurait poussé son ancien compagnon à se rapprocher d’elle, à lui faire entendre raison. Et pourtant, la seule chose dont elle avait pu bénéficier avait été la plus belle forme d’ignorance qu’il pouvait lui offrir. Ce château, d’ordinaire surchargé d’étudiants à éviter pour cacher leur relation secrète, était devenu une succession de couloirs déserts hantés par de pénibles souvenirs.

Parler d’Apolline, c’était ressasser l’origine même du problème. Michel-Ange jouait un rôle prépondérant dans cette histoire mais la Gryffondor, tapie dans l’ombre, ne demeurait pas innocente. Si elle l’avait pu, Céleste aurait accablé Apolline de tous ses maux, quels qu’ils soient. Céleste observa Siobhán d’un air surpris, étonnée qu’une gamine puisse lui tenir tête ainsi. La petite Serpentard n’avait jamais éveillé son intérêt jusqu’ici, bien que partageant son dortoir avec elle depuis un peu moins d’une année scolaire entière. Elle ne manquait pas de toupet. La Française avait toujours cru que la blondinette avait un tempérament discret, qui ne faisait pas de vague et se confondait avec les murs tant on n’y prêtait pas attention. Pourtant, elle avait ce quelque chose de cinglant que Céleste aurait apprécié en temps normal. Mais pas ce soir. Elle aurait préféré que la discussion soit close, que Siobhán finisse par jeter l’éponge sans plus jamais revenir sur le sujet. Au lieu de cela, elle fonça droit dans le mur, cherchant clairement à ébranler Céleste qui tentait de sauver ce qui pouvait l’être encore.

Elle serra les dents, encaissant mot après mot les phrases cinglantes de Siobhán. Bien sûr qu’elle la prenait pour une imbécile. Bien sûr que c’était une menteuse. Évidemment qu’il était possible de pleurer dans son lit lors d’une intoxication alimentaire. Vomir n’était pas exclus non plus. Se jeter dans une telle explication ne valait pas la peine. Siobhán ne serait pas convaincue. Céleste non plus. Céleste mordit l’intérieur de sa joue, laissant une subtile saveur de fer recouvrir ses papilles. « Écoute Siobhán, je ne sais pas ce que tu veux tirer de moi, mais je n’ai pas envie d’avoir cette discussion. » Elle n’avait nullement besoin de se justifier davantage. Le message était clair, que la Serpentard veuille le comprendre ou non.

Ce ne fut pas suffisant à lui clouer le bec. Elle fut la première à souligner l’existence de folles rumeurs sur le trio infernal qu’ils formaient avec  @Apolline Dunn  et  @Michel-Ange Grimm . Elle s’en était doutée sans trop y prêter attention. Ce qui était douloureux, c’était de voir que tout le monde la remarquait sauf celui dont elle avait le plus besoin. Ou peut-être ne voulait-il rien savoir. « Je ne veux pas parler d’eux, je ne veux pas parler de lui. C’est terminé. Plus jamais. » Faire comme si de rien n’était, comme s’ils n’avaient été que des illusions serait-il suffisant pour écraser la douleur qui la saisissait?

« C’est ça que je ne digère pas. Là. Tu es contente maintenant? Madame me laissera-t-elle aller me coucher? » Céleste manquait de patience, à tel point qu’il lui était maintenant impossible de ne pas être insolente, voire provocatrice. Elle la fixa d’un regard dur avant de la bousculer pour se rendre dans la salle commune. Avec un peu de. Chance, elle ne la suivrait pas, clouée sur place.