Elle pleut - Siobhán

15 juin 2022.

Que cherchait vraiment à faire Siobhán? Il semblait que son objectif était clair: faire cracher le morceau à Céleste. La faire admettre qu’elle n’était pas aussi forte qu’elle voulait le faire croire, lui faire dire qu’elle aussi avait ses moments de faiblesse, lui faire avouer qu’elle n’avait pas perdu une bataille mais la guerre dans son entièreté. Mais pourquoi? Pour quoi faire? Depuis quand Siobhán se souciait-elle de son aînée? Ça faisait des jours que les rumeurs couraient, des nuits entières que Céleste sanglotait dans le fond de son lit. Que pouvait-elle faire pour l’aider? Pas grand chose. Personne à part @Michel-Ange Grimm ne se souciait d’elle depuis qu’elle avait franchi les portes de ce fichu château. A Beauxbâtons, Céleste et sa soeur Agathe brillaient de mille feux et presque tous se prosternaient devant cette famille française de haut rang. A Poudlard, beaucoup n’en avaient rien à faire et presque tous avaient tendance à lécher les bottes d’  @Apolline Dunn. La concurrence était rude et elle devenait insupportable dans le domaine de l’amour. Puisque tous aimaient la Gryffondor, il y avait fort à parier que peu prenaient pitié de Céleste. Après tout, elle était chez les Serpentard, cette maison où le vice et le mensonge étaient rois. C’était aussi une étrangère qu’ils ne connaissaient que peu, encore moins lorsque l’on connaissait l’apparence qu’elle entretenait. Elle affichait une allure de reine de glace, tranchante lorsque nécessaire et froide lorsque la situation lui semblait bon. Il n’y avait que comme cela qu’elle arrivait à tirer son épingle du jeu. Ainsi, on la remarquait au moins. Et personne ne cherchait à la fragiliser. On l’évitait simplement, et cela évitait la majorité des problèmes.

Alors que lui voulait Siobhán au juste? Il semblait à Céleste qu’au fur et à mesure des jours la solitude devenait sa meilleure amie. Elle fuyait le soleil, cherchant à vivre dans les ombres les plus profondes et solitaires, au moins le temps que l’année se finisse. Puis elle disparaîtrait, elle retournerait à Beauxbâtons et agirait comme si de rien n’était. La pirouette était difficile, mais nécessaire.

Ne voyant plus d’échappatoire à ses mensonges, Céleste finit par admettre tout ce que sa cadette souhaitait entendre. Etait-elle soulagée pour autant? Absolument pas. Admettre sa faiblesse ne pouvait aucunement redorer l’image qu’elle tentait d’entretenir. Avouer toutes ces atrocités, c’était accepter de ne pas être la princesse de glace qu’elle aimait montrer. C’était admettre qu’elle n’était pas impassible et qu’elle aussi pouvait être blessée. Sentant son sang bouillonner et les paumes de ses mains trembler, la jeune Delacroix décida d’opter pour la fuite. Peut-être Siobhán finirait-elle par la laisser maintenant qu’elle avait obtenu ce qu’elle cherchait. D’ailleurs, semblait-elle satisfaite? Pas vraiment.

Céleste se dirigea d’un pas décidé vers la salle commune. S’assiérait-elle sur l’un des divans disponibles? Probablement pas, cela encouragerait Siobhán à discuter encore davantage avec elle. Irait-elle se coucher pour prétendre ne plus rien entendre? Certainement pas. Céleste ne fermerait pas l’oeil de la nuit et, si elle était bien décidée à ne pas interrompre leur échange, sa colocataire risquait de rallumer les lumières pour continuer leur discussion. Quelles options restaient disponibles? Aller à l’extérieur.

« Accio chaussures. » dit-elle sans prendre la précaution de baisser sa voix. S’il voulait,  @Thomas Buchanan pourrait bien la réprimander pour manque de civisme envers ses camarades. Elle entendit ses chaussures sortir de l’armoire puis se cogner aux murs à mesure qu’elles faisaient leur petit bonhomme de chemin jusqu’à la salle commune.

« Attends quoi? » gronda-t-elle en laissant tomber sa paire de chaussures avec fracas sur la pierre qui recouvrait le sol. Siobhán lui attrapa le bras, comme pour tenter un geste suffisamment sévère pour calmer ses ardeurs. Il n’en fut rien. La Française retira brusquement son bras, lui signifiant ainsi qu’elle n’aurait pas l’ascendant sur elle. La Delacroix s’assit puis commença à lâcher ses chaussures, écoutant d’une oreille ce qu’elle avait à dire. Les paroles se mélangeaient à sa colère, laissant son jugement s’altérer peu à peu.

« Très bien, arrêtons. » Arrêtons de parler d’eux, arrêtons même de parler tout simplement. Elle souffla un peu du nez, finissant dans le même temps de lacer ses chaussures.
Elle releva la tête, prête à se relever entièrement pour s’échapper par la porte des Verts et Argents avant de se raviser. « En parler à quelqu’un? » La situation devenait à la fois encore plus triste et encore plus risible. « A qui veux-tu que j’en parle? » Demanda-t-elle en haussant les sourcils avant de laisser un ricanement s’échapper de sa gorge. « Je n’ai personne pour m’écouter. » Pas d’amis, pas d’épaule rassurante sur laquelle pleurer. Pas de parents pour abonder en son sens. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était d’oublier et de se forcer à aller de l’avant.

15 juin 2022.

Son esprit était si embrouillé que ses doigts ne se comportaient pas réellement comme elle le souhaitait. Mince, comme ces chaussures étaient-elles censées se lacer? Elle fit un noeud, puis une boucle, puis deux, puis s’agaça un peu plus. Rien n’allait ce soir. Rien n’allait comme il le fallait. Il semblait à Céleste qu’elle perdait le contrôle, peu à peu, et qu’elle ne pouvait plus se raccrocher à rien. Pour des raisons qu’elle ignorait, Siobhán s’évertuait à vouloir tout lui faire cracher, pour alimenter son stock de rumeurs ou peut-être, dans une vague de bienveillance souvent rare ici, pour l’aider à purger toute la peine qui la rongeait. Céleste défit ses lacets puis recommença, totalement obstinée, persuadée qu’elle finirait bien par y arriver. Si ses yeux ne se remplissaient pas de larmes, son cerveau s’embrouillait peu à peu, la laissant incapable de faire une action aussi simple que celle-ci. Elle aurait certainement pu lancer un sort pour que les lacets se nouent d’eux-mêmes, mais elle l’avait aussi oublié. Rien n’allait, vraiment rien. Et aussi limpide qu’était le discours de sa camarade, Céleste ne voulait pas admettre qu’elle était en difficulté.

Où allait-elle, en somme? C’était une excellente question. A vrai dire, elle n’y avait pas beaucoup réfléchit. Elle ne pouvait pas rejoindre son propre dortoir, sans quoi elle finirait assommée de questions ou pire, épiée dans un silence lourd de sens. Elle ne pouvait rejoindre quiconque dans le château: certains la détestaient et beaucoup ne prêtaient guère attention à elle. La Française aurait très bien pu rejoindre un homme dans le dortoir des Serpentard à qui elle aurait fait jurer de ne rien dire et juste dormir mais elle passerait sans nul doute pour une femme facile alors qu’elle lui aurait simplement volé sa place dans son lit, sans qu’il n’ait le droit d’y dormir lui-même. Les options qui lui restaient étaient maigres: se plaindre à un professeur? Siobhán était la fille de son professeur de Métamorphose. Quelles que soient les relations qui les reliaient, on pouvait supposait qu’elle bénéficiait de certains passe-droits aux yeux des autres adultes. Alors il restait la fuite pure et simple à l’extérieur du château, malgré le froid qui envahissait tout le contour du bâtiment.

« N’importe où, tant qu’on me laisse tranquille! » avait-elle rétorqué, surtout agacée et ne pensant qu’à moitié ce qu’elle venait de dire. Elle soupira, se rendant à l’évidence que ses chaussures avaient remporté la partie pour ce soir, puis balança sa paire de bottes un peu plus loin, réellement exaspérée. Siobhán s’était, quant à elle, contentée de s’interposer entre Céleste et la porte pour l’empêcher de quitter la salle commune. Voilà où la Delacroix en était rendue: elle était devenue un animal que l’on empêche de s’échapper de sa cage.

« Siobhán. » commença-t-elle, regardant ses pieds plutôt que l’intéressée. « Je n’ai pas envie d’en parler. » articula-t-elle, presque de manière exagérée, pour que sa camarade finisse par réellement comprendre. « J’ai été trahie, mise de côté. Voilà toute l’histoire. D’ici la fin de l’année scolaire, je rentrerai en France et l’histoire sera réglée. C’est tout. » Elle releva la tête pour dévisager Siobhán.

« Dans un mois je rentrerai. Qu’est-ce que tu vas bien pouvoir faire pour moi? Rien. Je rentrerai, et je n’aurai plus aucune raison de souffrir. » Un rictus s’afficha sur le bord de ses lèvres. « Tu comptes me suivre jusqu’à Beauxbâtons peut-être? » Elle conserva ce sourire jusqu’à ce qu’elle continue. « Qui peut bien te dire ce que je mérite ou non? Après tout, tu ne me connais pas. Tous me haïssent ou m’ignorent. Il n’en faut certainement pas plus pour en déduire que je suis une odieuse personne aux yeux des étudiants de Poudlard. Une chance pour eux que mes jours soient comptés ici. Je rendrai ainsi un précieux service à tous. Y compris  @Michel-Ange Grimm ».

15 juin 2022.

Toutes les issues étaient bloquées. Pas de bras dans lesquels se réfugier, des parents qui ne voulaient pas la voir rentrer avant la fin de l’année sous prétexte qu’un chagrin ne suffisait pas à louper quelques heures de cours, des regards toujours plus insistants jour après jour. Plus le temps passait, plus Céleste avait l’impression de couler, comme si elle avait osé se baigner dans le Lac Noir et que quelqu’un lui tirait le pied pour l’emporter dans les tréfonds. Depuis petite, Céleste avait toujours appris à faire preuve d’inventivité pour s’extraire des situations compliquées ou des simples bêtises qu’elle faisait avec sa soeur, pourtant aujourd’hui, aussi sérieux le sujet soit-il, Céleste ne trouvait pas d’issue à son problème. Que lui restait-il à part l’abandon et la fuite? L’abandon n’était pas possible ce soir. Siobhán s’était embrasée à l’idée de voir sa camarade souffrir sous ses yeux. Un instant, Céleste regretta de s’être levée cette nuit-là. Tout cela ne se serait pas produit et elle aurait pu continuer ses mauvaises habitudes jusqu’au dernier jour de classe où elle choisirait enfin la fuite. Le prétexte serait simple à inventer même si certains ne mordraient certainement pas à l’hameçon.

Même si sa camarade soulevait un point: partir ne résolvait en rien le fond du problème; Céleste ne voyait aucune autre manière de s’en sortir. Elle n’était pas assez forte pour lutter seule contre tous ici. Elle n’était pas assez solide pour supporter de croiser la Gryffondor et le Poufsouffle, bras-dessus bras-dessous, sans qu’elle n’ait aucun soutien. Elle n’était pas assez robuste pour admettre avoir de l’aide. Il lui semblait qu’en admettant avoir besoin de soutien, Céleste soufflait sur le château de cartes bancal qu’elle avait construit avec des mains tremblantes.

Partir semblait illusoire, pourtant c’était la solution. « En français, le dicton dit loin des yeux, loin du coeur. En partant je m’accorde une chance de l’effacer à jamais. » Elle disait cela avec la plus grande conviction, persuadée qu’il s’agissait là de sa seule opportunité. « Que me reste-t-il ici à faire? Apolline me l’a dit il y a un petit moment: rentre chez toi. On ne veut pas de moi ici. J’ai compris. »

Céleste regarda la paire de bottes qu’elle venait d’abandonner, l’une près de la cheminée, l’autre au pied d’un des sofas. N’était-elle qu’un vulgaire objet que l’on jetait aux ordures. Avait-elle si peu d’estime pour elle-même? « Tu as raison. Partir c’est m’avouer vaincue. » La lumière que reflétait ses yeux avait changé. « Mes parents n’en savent rien. Pour l’heure. » Rentrer, c’était aussi admettre sa faiblesse devant ses parents. C’était affronter le regard terriblement déçu de son père qui voyait en elle l’héritière de la famille. « Mais que veux-tu que je fasse? Il ne reviendra pas. Comment supporter de vivre au quotidien avec ça? » Elle pensait à cette note qu’elle avait envoyée. Michel-Ange avait prétendu la rejoindre pour discuter. Il n’en avait rien fait. A un profond chagrin s’ajoutait une rancoeur indéniable et tous deux s’alimentaient sans cesse. Aurait-elle suffisamment de ressources pour surmonter cela? Voulait-elle réellement surmonter cela et pardonner? « Je ne pardonne pas facilement. » Céleste ne supportait pas d’être trahie.

Elle regarda Siobhán, jusqu’alors positionnée comme une statue de marbre devant la porte de leur salle commune. Que pouvait animer une telle jeune femme? Il semblait, en la regardant, qu’il s’agissait d’un ange tombé subitement du ciel. Que voyait-elle en Céleste pour vouloir lui apporter ainsi une aide sans faille? La demoiselle était curieuse et donnait envie à la Serpentard d’en savoir davantage. Avait-elle beaucoup à perdre? Probablement pas. Il restait encore quelques jours avant de décider de partir ou de rester à Poudlard. Avait-elle envie de saisir cette main que sa cadette lui tendait? Probablement. Voulait-elle faire vivre un enfer à ceux qui l’avaient malaimée? Très certainement. Se sentait-elle la force et la conviction de le faire? Pas encore tout à fait. Mais l’idée était belle.

« Je n’ai rien à te pardonner, tu n’as rien fait de mal. » En revanche, j’ai été plutôt odieuse. Lui dirait-elle? Non, elle avait dévoilé assez de failles dans sa carapace ce soir.
« Tu es une jeune femme étonnante Siobhán. » commença-t-elle par dire avant de poursuivre. « Je ne sais pas ce que tu peux avoir en tête, mais ton raisonnement est séduisant. Je suis prête à t’écouter. » Etait-elle de ceux qui construisaient des stratagèmes exquis ou de ceux qui préféraient observer pour piquer au bon moment? L’avenir le lui dirait bien assez vite.