(Bal, dans le Grand Hall de Poudlard) Veela meeting

« Alors, laisse-toi aller. »

Ces mots résonnaient comme une consigne dans sa tête alors que le corps, lui, restait totalement immobile, comme à la merci d'un mystérieux pouvoir, d'une douce alchimie. Siobhán ne put s'empêcher d'esquisser un sourire face à l'ironie de ce qui lui était maintenant intimé : se laisser aller alors qu'elle aimait toujours avoir le contrôle de chaque composante de sa vie lui paraissait insensé, voire impossible.

Pourtant, en sentant le corps de Saúl se rapprocher du sien, c'était comme si tout sens de la maîtrise s'était échappé. L'Irlandaise suivait son conseil à la lettre, guidée par la seule emprise qui les reliait, ce mélange charnel justement dosé entre tendresse et passion éphémère. Saùl dirigeait ses mouvements sans rien ordonner ; il la canalisait sans la freiner.

Après leurs corps, ce furent leurs visages qui s'approchèrent tandis que le carrousel qu'ils avaient emprunté ralentissait. Il était fou de penser qu'ils ne s'étaient auparavant jamais croisés alors que Siobhán envisageait désormais sans mal cette suite logique qui consistait à le laisser poser ses lèvres sur les siennes. Toute sa raison lui fut rendue quand elle entendit Saúl répondre négativement à sa propre intuition, comme pour se convaincre lui-même que c'était la bonne décision.

En lieu et place de son visage, les lèvres de l'Auror se posèrent sur le dos de sa main, faisant frissonner la totalité de son épiderme.

« C'est sans doute plus sage », acquiesça-t-elle d'un ton sérieux alors qu'il cessait de la regarder.

Son cerveau continuait pourtant de lui hurler le contraire. Pourquoi ses pensées ne parvenaient-elles donc pas à s'accorder avec les mots qu'elle prononçait, alors qu'une certaine distance s'était maintenant installée entre eux ? Pourquoi son esprit était-il si peu docile, d'ordinaire pourtant complètement malléable ?

La jeune femme se baissa pour rattraper ses gants, négligemment tombés au sol lorsque leur valse s'était initiée, avant de retourner s'asseoir sur les marches du Grand Hall sans rien laisser paraître de l'équilibre précaire de ses sentiments. Peut-être qu'il fallait qu'elle s'éloigne encore pour espérer rompre complètement le charme. Ou peut-être la magie n'avait-elle tout simplement rien à voir là-dedans.

« C'est surtout des autres dont je doute », reprit-elle finalement en laissant ses yeux s'intéresser de plus près aux pierres vieillies et abîmées qui jonchaient le sol.

De cette façon, sa concentration était reportée sur toute autre chose que l'Auror qui lui faisait face. Elle remit nerveusement une mèche rebelle de ses cheveux derrière son oreille. Comme à chaque fois que ses émotions prenaient le dessus, son cerveau lui ordonnait de parler pour compenser, comme pour dissimuler tout ce qu'elle ressentait.

« C'est drôle, je n'arrive pas à... », s'interrompit-elle.

Son visage affichait une moue curieuse et ses pupilles se redirigèrent naturellement vers Saúl, sans la consulter au préalable. Elle avait failli lui dire qu'elle n'arrivait par à quitter cet état d'excitation dans lequel il l'avait fait plongée. Heureusement, la vélane s'était arrêtée à temps et détourna à nouveau les yeux pour ne pas croiser les siens.

« Je veux dire, c'est drôle qu'on se soit croisés ce soir », corrigea-t-elle, peu convaincue par sa propre pirouette.

La mèche de cheveux préalablement rangée continuait à s'échapper de l'emplacement où Siobhán souhaitait la garder. Tout son corps avait décidé de se liguer contre elle et de n'en faire qu'à sa tête. Alors, pour ne rien montrer de son embarras, elle décida de continuer à parler pour faire comme si de rien n'était.

« Je t'ai dit tout à l'heure que mon père m'avait expliqué ce qu'il savait et rien d'autre. Il ne comprend pas toujours ce que ça fait... De ne pas savoir vraiment qui on est. On s'est disputés à ce sujet l'autre jour, d'ailleurs. Avant que je parte, il m'a dit qu'il fallait que je me fasse entourer de gens compétents. Alors, je trouve ça drôle que je sois tombée sur toi... »

Elle parlait, trop, c'était évident. C'était ça, ou elle l'embrassait, alors qu'il avait très clairement posé les limites et que Siobhán n'était clairement pas de celles qui prenaient plaisir à les franchir — en tout cas, en temps normal.

« Tu me disais tout à l'heure que les sorciers ont une mauvaise vision de nous. Est-ce que... tous les sorciers qui t'entourent, y compris ceux de ta famille, ont toujours été à tes côtés ? »

Si son corps entier avait pu laisser s'échapper un soupir de soulagement à l'idée qu'elle se taise enfin, il l'aurait probablement fait en cet instant.

Une odeur particulière, indescriptible et sans véritable senteur, flottait dans l'air. Seuls eux pouvaient la percevoir. Les effluves de la frustration mêlées à de doux arômes de fer — l'atmosphère qui régnait dans le Grand Hall était magnétique. C'était à se demander s'il y avait encore un lien magique qui les reliait, ou s'il s'agissait juste d'une connexion physique.

Toujours assise sur les marches, Siobhán se forçait à rester immobile et elle eut un instant l'impression que Saúl, lui aussi, restait volontairement à distance. Sans doute était-ce son esprit qui lui jouait des tours, car un homme comme lui, en pleine maîtrise de ses pouvoirs depuis son plus jeune âge, devait faire peu de cas d'une étudiante de deuxième année en perte d'identité. Si elle avait bien humé ce délicat parfum ferreux, l'Irlandaise s'imaginait qu'elle était la seule dans cette situation ; de son point de vue, l'Auror semblait en pleine possession de ses moyens alors qu'elle devait lutter pour lui donner cette même impression.

Les sourires qu'il esquissait de temps à autre la faisaient chavirer. Mais elle avait joué et parié qu'elle pourrait lui résister. Compétitrice dans l'âme, la Korrigan n'allait certainement pas tenter le diable et prendre le risque de se laisser submerger. Alors qu'elle mobilisait toute sa volonté pour se concentrer quand il lui parlait, elle n'était pas encore consciente qu'une seule erreur suffirait à faire basculer cette équilibre précaire qui les caractérisait.

Il en disait peu sur lui, mais suffisamment pour qu'elle veuille toujours en savoir plus.

« Edel est ton cousin ? On s'est croisés à plusieurs reprises, oui, mais je n'ai encore jamais échangé avec lui. À vrai dire, je ne cherche pas particulièrement à côtoyer les sorciers... », avoua-t-elle sans s'étendre sur le sujet parce qu'elle savait que Saúl comprendrait ses réticences, comme elle comprenait le choix de ses silences.

La Serpentard doutait toujours de la sincérité des hommes qui l'approchaient ou vers qui elle s'orientait parce qu'elle n'arrivait pas à savoir dans quelle mesure elle pouvait influencer leurs réactions. Jusqu'ici, @Xris Andērson était le seul qui lui avait témoigné d'une réelle indifférence.

« Tu sais, je crois que je pourrais t'écouter parler de tout ça pendant des heures, de ta famille, de ta mère. Je suis fascinée par l'idée qu'on soit si semblables et qu'on ait pourtant grandi complètement différemment...  »

Une pointe d'amertume perla dans sa voix en repensant à sa mère, à son absence. À son père et ses récentes remontrances. À sa famille qui, plutôt que de respecter les vélanes comme celle de Saúl, préférerait sûrement les voir disparaître et même, peut-être, les faire disparaître. Il s'agissait d'ailleurs d'une information qu'elle n'avait pas encore mentionnée et qui pourrait sans aucun doute l'intéresser.

« J'aurais aimé avoir quelqu'un comme toi à mes côtés. Dis-moi qu'on se reverra. Tu as encore tant de choses à me montrer et il y a tant de choses dont j'aimerais te parler... Mais pas ici. »

Malgré l'assurance de son père, elle restait persuadée que les Gavalagh pouvaient à tout moment les retrouver.

Elle ne se rendit même pas compte que la phrase qu'elle venait de prononcer avait un double sens. Instinctivement, Siobhán s'était levée pour se rapprocher de Saúl. Sa maîtrise semblait s'être envolée alors qu'elle lui parlait, probablement parce qu'elle avait cessé de se concentrer pour laisser toute la place à ce qu'elle ressentait.

« Promets-moi qu'on se reverra », lui glissa-t-elle en embrassant le coin de ses lèvres lorsqu'elle fut arrivée à sa hauteur.

Une vague de tendresse l'avait envahie lorsqu'il avait parlé de sa mère, de sa famille et elle avait décidé de lui montrer qu'elle était touchée qu'il la prenne ainsi sous son aile et qu'il accepte de se confier pour l'aider à avancer. C'était une manière de le remercier, loin d'une démonstration de défaite. Mais, aussitôt, son corps s'embrasait de nouveau alors qu'elle s'était juste imaginé décaler légèrement sa tête pour l'embrasser réellement. L'idée que son premier baiser pouvait être sincère, loin de toute manipulation, ne lui avait pas encore traversé l'esprit jusqu'à maintenant. Elle était même curieuse de voir les sensations que cela pouvait procurer pour apprendre à se contrôler le jour où cela se reproduirait.

Au moins, elle saurait déjà tout de la frustration qui pouvait naître lorsque l'on ne faisait que frôler toute éventualité.

Il n'y avait plus qu'elle dans le Grand Hall. Dans son corps, tout immobile à quiconque l'observerait de l'extérieur, il n'y avait qu'un seul organe qui s'agitait encore. Le cœur de Siobhán menaçait de s'échapper de la cage thoracique au sein de laquelle il était tenu captif. Son cerveau, quant à lui, n'osait plus exprimer aucune pensée, encore profondément secoué par l'ardeur qui venait de l'assaillir. Il se contentait de lui passer le film en continu, comme s'il voulait s'assurer qu'elle ne l'oublierait jamais. Mais il n'y avait aucun doute à nourrir autour de l'idée que cette rencontre allait profondément la marquer — consciemment ou non.

Chaque seconde de cet instant partagé défilait dans sa tête. Ses yeux verts avaient plongé dans le regard frénétique de Saúl. Son corps avait accueilli avec ferveur les caresses des mains puissantes de l'Auror, frissonnant de cette proximité enivrante alors qu'il lui semblait que tout son intérieur prenait feu. D'abord, ses hanches, qu'il avait saisies. Puis, sa poitrine, qu'il avait effleurée. Sans oublier ses lèvres, qui s'étaient mêlées aux siennes. La vélane avait encouragé chacun de ces gestes en rendant chaque pression, chaque caresse, laissant voyager ses doigts fins à leur guise, tantôt dans son cou, tantôt sur ses joues. Chaque parcelle de sa peau s'était embrasée au contact de la sienne. Son corps entier en avait redemandé, sans doute aussi parce que c'était la première fois qu'il goûtait à ce plaisir, à cette tension qui était née durant leurs échanges pour finalement lentement mais pleinement se consumer lorsque leur chair s'était frôlée.

Au milieu de ce Grand Hall, il ne restait désormais plus que des braises, encore ardentes. Une partie d'elle, toujours incandescente, aurait préféré qu'il reste. Mais elle savait au fond d'elle que son départ était une décision raisonnable. S'il était resté... Saúl avait volontairement laissé sa phrase en suspend, sans jamais la terminer. Alors, Siobhán se surprenait à imaginer ce que la suite aurait donné. Et quelque chose lui disait que l'Auror était parfaitement conscient de ce qu'il avait laissé derrière lui, lorsqu'il l'avait invitée à lui écrire.

Ce qu'elle ferait, une fois ses idées plus claires.

La Korrigan jeta un œil furtif vers la Grande Salle et s'approcha discrètement des portes pour apercevoir ce qu'il se passait entre les murs, envisageant un bref instant de suivre le conseil que l'Auror lui avait donné. Xris était toujours en bonne compagnie, et il serait vraisemblablement impoli de l'interrompre. Par acquis de conscience, elle balaya le reste de la salle du regard. Rien ni personne ne lui donnait envie de remettre les pieds dans cette gigantesque mascarade où les faux-semblants prenaient encore toute la place. À côté de ce qu'elle venait de vivre, tout allait paraître fade, insipide. Moins galvanisant.

À son tour, elle tourna les talons, prenant la direction de son dortoir. Un sourire aux lèvres, elle ne put s'empêcher de se demander ce que penserait son père de cette rencontre, lui qui avait saisi l'occasion du Bal de Yule pour la pousser à se socialiser et tenter de se faire des amis — « au moins un », avait-il dit.

Grâce à Saúl, elle avait rempli l'objectif qu'il lui avait fixé. Et largement.

Dommage qu'elle ne puisse jamais lui en parler.