Run [iris]

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cw : désir d'enfant frustré, deuil parental, dépression, père absent

De guerre lasse, elle passa une main sur son visage, épuisée par les émotions qui lui passaient dessus sans qu'elle ne parvienne à les endiguer tout à fait. Son regard se perdit un instant dans le paysage factice qu'offrait la fenêtre, tandis qu'il retournait s'installer sur le canapé.

Elle repensait à Zeyna. A tout ce que Nana Sô pouvait donner d'amour qu'elle, ne pouvait pas lui témoigner, pour des raisons évidentes. Zeyna n'avait jamais été une femme affectueuse. Pourtant, elle n'avait jamais douté. Pas une seconde. Sa mère avait toujours eu cette manière de s'ériger en rempart devant sa fille, de recadrer lorsqu'elle jugeait bon de le faire, d'approuver dans ses silences appuyés. La question de Nero la faucha dans cette étrange rétrospective. Elle laissa passer un silence sans vraiment le vouloir, passant les mains sur ses bras croisés. Ça n'était pas un sujet habituel pour elle. En même temps, ça n'était pas un sujet tellement sensible non plus.

« Je t'ai parlé de l'homme qu'était mon père mais en tant que père, franchement je ne saurais pas trop quoi dire... », elle le rejoignit sur le canapé, pensive. Qu'aurait-elle bien pu trouver à dire du père qu'avait été Mawdo Sô, « Il consacrait sa vie à son Empire alors, je suppose que ça peut justifier certaines choses. », commença-t-elle, retournant la question dans sa tête pour essayer d'y apporter une réponse objective, « Ma mère a été le prix de son alliance avec une des grandes familles de l'ancien empire. Un mariage inviolable en quelque sorte. Ce sont de vieilles traditions qui étaient déjà poussiéreuses et très décriées de leur temps... »

Pour elle, ce rituel des kolas était chose commune quoi que tabou. Il ne lui vint pas un instant de la lui expliquer. Du moins pas à ce moment-là.

« Je n'ai vu mon père que quatre fois de son vivant. Il venait quand il avait besoin de quelque chose. C'était un homme pragmatique, fermé. Nous ne vivions pas dans sa maison de Bamako avec ses autres enfants et épouses. Ma mère n'a jamais pu s'entendre ni avec lui ni avec ses co-épouses alors il nous avait installées chez sa mère, à Niani. », elle eut un de ces sourires nostalgiques en l'évoquant, « C'était un vrai trésor ma grand-mère. Une femme forte elle aussi mais pleine d'humour, toujours prompte à prendre les enfants sur ses genoux, à leur raconter des histoires. Elle s'appelait Namandié mais tout le monde l'appelait Nana. »

Elle marqua une pause s'apercevant qu'elle digressait complètement.

« Elle s'appelait Zeyna, ma mère. Zeyna Iba, le joyau de Songhaï... », ajouta-t-elle plus pensive encore. Un petit rire désabusé passa comme un souffle entre ses lèvres, « Je ne sais pas pourquoi je te raconte ça. Ça n'a rien de bien intéressant en vérité. »

Et c'était vrai. Du moins à ses yeux. Combien de femmes avaient subi le rituel des kolas pour être attachées jusqu'à la fin à un homme qu'elles n'aimeraient jamais sinon qu'elles détesteraient ? Sans doute bien plus qu'on ne pouvait en compter. Aussi, la malheureuse histoire de sa famille ne lui paraissait rien moins que banale avec un peu du lustre que le nom de Sô y apportait. Et encore, il était peu probable que ce nom évoque quoique ce soit à Nero.

Finalement, elle reporta son attention pleinement sur lui, sa tasse de thé lovée entre ses mains aux longs doigts, comme si elles avaient cherché à s'y réchauffer :

« Tes parents à toi s'entendaient bien ? »

Elle savait que de ce côté de la mer, on tolérait bien plus de choses dans le mariage que dans son pays natal, y compris la fin dudit mariage. Finalement, elle savait assez peu de choses de son ami, bien qu'elle ait toujours eu le sentiment qu'il lui laissait la porte entrouverte plus souvent qu'à d'autres. Elle se demandait bien lequel des deux avaient pu lui léguer ce teint doré qui interdisait à quiconque de lui coller une étiquette.

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Elle le remercia d'un sourire. Ce n'était pas grand chose mais d'une certaine façon, ces quelques mots de la part de quelqu'un qui n'avait connu Nana Sô qu'à travers les mots de sa petite fille valaient une forme d'hommage. Hommage qu'elle n'avait pas eu pour ce que Nyéléni en savait. En vérité, elle ne savait pas grand chose. Seulement qu'elles s'étaient dispersées pour augmenter ses chances à elle. Le dernier souvenir qu'elle avait de sa grand-mère était cette nuit où elle lui avait mis le bâton de Soundjata dans les mains. Et cette phrase qu'elle lui avait répétée tant de fois. Quand tu n'auras plus rien ma fille, tu auras toujours le bâton de Soundjata. Elle n'avait plus le bâton de Soundjata. Elle l'avait mis entre les mains de Nero et Nero lui avait donné cette vie en échange. Malgré la pointe de culpabilité qu'elle ressentirait toujours à la pensée de son étrange compagnon, elle était suffisamment heureuse pour savoir que c'était la chose à faire.

« C'est drôle que tu dises ça. Je ne suis toujours que Nyéléni avec toi. Tu me connais. Tu es bien le seul d'ailleurs. », elle eut un petit rire moqueur envers elle-même. Pourtant ce qu'il venait de dire la touchait. Il avait toujours préservé cet espace pour elle. Que ce soit dans ce petit surnom qu'il lui donnait quand il n'y avait pas d'oreilles indiscrètes ou quand elle le trouvait sur le pas de sa porte pour simplement s'assurer qu'elle allait bien. Toutes ces attentions étaient pour Nyéléni. Pas pour Iris. Quand bien même elle se permettait d'être un peu plus elle-même avec @Yeleen Sô- très différemment d'avec Nero et ça lui faisait un bien fou d'ailleurs - il restait le seul à qui elle n'avait absolument rien à cacher. Il ne savait pas tout bien sûr car les occasions de parler de certaines choses étaient plutôt rares. Ce soir-là en avait été une et, s'ils avaient remués des choses insupportables, elle, en ressortait plus apaisée. Peut-être parce qu'il s'était prêté à ce jeu de questions plus volontiers qu'on aurait pu l'attendre de lui. Elle comprenait mieux pourquoi à présent. Sans doute ne savait-elle pas tout non plus. Et dans ce qu'il lui apprit de ses parents, son cœur se serrant à nouveau, elle se sentit plus que privilégiée qu'il continue malgré tout de jouer le jeu. Elle comprenait aussi bien mieux ce rôle de protecteur qu'il assumait avec ses sœurs, au-delà de ce qu'elle avait pu voir chez d'autres hommes qui se seraient trouvés dans la même position. Elle comprenait aussi l'angoisse et la culpabilité, sans trop savoir encore ce qui aurait pu alléger ce poids sur les épaules de son ami. Cela faisait partie de ces choses qu'elle ruminerait en silence, laissant son intelligence empathique dénouer le nœud complexe que son ami s'était noué à la gorge. Elle y réfléchissait sans doute depuis la minute où elle s'était endormie dans le siège à côté du sien, sur un vol Cotonou - Londres. Elle n'aurait jamais pu s'endormir malgré son état de fatigue à l'époque, si elle n'avait pas déjà été convaincue que cet homme-là était digne de confiance. Désormais il était digne d'amitié. Et c'était un luxe auquel elle s'était peu souvent adonnée dans sa vie.

Elle essayait elle aussi d'imaginer cette vie si différente de la sienne, si loin de leur quotidien à tous les deux. Il semblait que les malheurs ce soient attachés aux bottes de Nero MacGregor avant même sa naissance et pour autant dans ses mots il y avait plus d'amour que de haine. Ça en disait plus long qu'un grand discours à ses yeux à elle. Elle ne l'interrompit pas une seule fois bien sûr, réservant cette analyse pour elle, trop consciente qu'il ne devait pas s'ouvrir de son passé si facilement. En témoignait ce silence qui venait interrompre avant la fin l'histoire de cette relation père fils contrastée. Là encore, elle respecta son silence, le laissant revenir vers elle lorsque ce serait son moment.

Ce fut pour les ramener à ce constat doux amer, toujours plus léger que le reste de ce qu'ils avaient mis sur la table. Nyéléni le regarda un instant, presque incrédule. Ses lèvres prirent un pli espiègle qu'elle essaya au mieux de réprimer avant qu'il ne la trahisse. Elle riait. Pas à gorge déployée évidemment. Mais elle riait de bon coeur.

« Oui c'est sûr, on n'a pas dû tirer les bons scénarios aux auditions. C'est moi qui te le dit. », elle avait retrouvé un peu de son pétillant tout à coup. Ça n'était pas la femme solaire dont il avait l'habitude mais il y avait de l'idée, « Enfin on ne sait jamais... les choses finiront bien par se tasser. Je t'aiderai même à la peindre ta clôture si tu veux. Mais je te laisse le marteau et les clous. Tu feras ça beaucoup mieux que moi. »

C'était même drôle à imaginer. Nero MacGregor, débarrassé de son air trop souvent préoccupé, installé dans une petite maison de campagne avec - pourquoi pas - un chien, une jolie allée fleurie, une femme. Pour un peu elle se serait bien vue lui filer un coup de main un de ces dimanches où elle n'aurait rien eu d'autre à faire que déménager des cartons et passer un coup de pinceau. Et dans ce scénario là, elle se demandait bien à quoi ressemblait sa vie à elle. Ils ne sauraient peut-être jamais. Mais quelque part, cette idée resterait dans un coin de sa tête presque comme un projet pour lui. En ce qui la concernait, elle avait déjà bien plus que ce que la vie se proposait de lui offrir au départ. Et c'était suffisant, ou presque.

« Je te propose pas de faire la cuisine... », reprit-elle. Cela faisait partie de ses croyances que pour bien faire les choses il fallait y mettre de soi et que les choses faites à la main étaient toujours meilleures. Simplement, elle ne se sentait pas dans le bon état d'esprit pour cela, « ... mais on pourrait commander. Et tu peux dormir là. Le canapé est confortable. »

Il était vrai qu'il faisait nuit depuis un petit moment déjà. C'aurait été le comble de le mettre à la porte après qu'il soit venu jusqu'ici. Et puis, elle n'avait pas tellement envie de le voir s'en aller.

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