Wherever You Will Go (CW-18)

Paulo eut un petit miaulement alors que le regard brun de Rosa se levait jusqu’aux escaliers, découvrant une jeune femme qui semblait ne pas savoir où se mettre. Israfel eut un petit sourire en la voyant s’arrêter à ses côtés, glissant doucement sa main sur son bras pour la rassurer. Rosa avait le mordant qu’il fallait mais elle savait aussi mettre sa hargne de côté et ne pas s’embarrasser en public. Du moins l’espérait-il.

Rosa la jaugea quelques secondes, tournant toujours nerveusement la cuillère dans son café.

« Bonjour » répondit-elle sur le ton le plus monocorde qu’elle ait trouvé.

Son regard courait sur l’étrange duo que dormait désormais son neveu et la petite rousse. Qu’Israfel ramène une fille n’était pas vraiment le soucis ici. Il avait le droit à avoir sa vie intime tout comme elle. En revanche, il y avait dans cette image quelque chose que Rosa n’avait pas mesuré en envoyant Israfel à Poudlard. C’est que le petit garçon qu’elle avait récupéré en miettes à Sainte Mangouste était devenu un homme. Pas encore tout à fait, à en juger par son air penaud, mais assez pour être ce doux jeune homme tentant de réconforter Norà en lui caressant le bras, en lui sussurant des « mais non, t’inquiètes, tu peux rester, on avait fini », comme s’il était ici le chef de famille.

Rosa eut un petit rictus moqueur, qui rattrapa l’attention d’Israfel. Le brun lui jeta un regard curieux, alors que l’agent de la BPM croisa les jambes, toujours assisse sur le canapé :

« Ne me regarde pas avec ton air benêt et va lui faire un café, elle va pas poireauter là... »

La moindre des choses, le minimum de l’hospitalité, c’était au moins de quoi boire et une chaise pour s’asseoir.

Rosa montra du bout de la main le canapé en face d’elle, alors qu’elle buvait une petite gorgée de son café brûlant. Son air était scrutateur, déformation somme toute professionnelle pour celle qui avait toujours un œil partout et dont le métier était de relever des détails parfois infimes.

« Rosa, la tante d’Israfel. Et tu es ? Tu peux me tutoyer aussi. Je trouve ça plus simple. »

Israfel s’était éclipsé entre temps, offrant un sourire d’excuse à Norà avant de rejoindre la cuisine ouverte et de préparer deux cafés. Il y avait également quelques viennoiseries fraîches du matin, signe que Rosa était sans doute venue avant de repartir et avait ramené de quoi manger pour tout le monde. Malgré un tempérament de feu, il y avait toujours chez elle quelque chose de tendre. L’affection passait seulement par des gestes, par des actions - rarement par des mots. Elle n’avait jamais été très bavarde.

« Millar » répéta calmement Rosa, hochant la tête comme si elle l’inscrivait quelque part.
« Vous vous êtes amusés à Beltane ? »

Paulo, chat traitre par excellence, passa entre les jambes de Norà, sa longue queue en plumeau la caressant, avant de venir se poser sur les genoux de sa maîtresse.

Israfel revint, déposa un plateau dans lequel on trouvait tout un tas de choses. Il ne faisait plus attention au fait qu’il était vraisemblablement en caleçon devant sa tante, parce qu’au delà de l’aspect étrange de la situation, Rosa était comme une sœur pour lui. Une grande sœur sévère et intransigeante, mais une sœur malgré tout.

« J’ai réussi à passer l’épreuve du feu des druides cette année » commenta calmement Israfel, comme si de rien n'était, en servant Norà avant de lui proposer des viennoiseries.

L’agent de la BPM eut un sourire, mais le regard qu’elle posait sur Israfel était celui qui était piqué à vif. Le regard amer et quelque peu rancunier de la grande sœur qui n’a pas été prévenu, ne serait-ce que par politesse.
Mais ça faisait combien de temps qu’elle n’avait plus le temps, en effet, à cause de ces histoires d’artefacts ?

Il fallait qu’elle aille voir Bugsy dans la semaine, lui mettre la main dessus et tenter d’obtenir des informations sur les mouvements qui s’opéraient depuis deux semaines entre l’Iran et l’Angleterre...

Elle soupira doucement, pensant déjà au travail alors qu’elle profitait d’une matinée de repos pour une fois.

La réponse de Rosa n’augurait rien de bon. Le ton était placide, étrangement neutre. Habituée aux vagues chaleureuses de tendresse ou aux jets d’eau glacée, Norà ne savait que faire de ce simple bonjour. Allait-elle la découper en petits morceaux à la moindre occasion? La rousse avait la terrible sensation d’être la petite souris avec laquelle jouait le chat, ne sachant pas trop jusqu’où pousser la partie. S’amuserait-elle d’elle ou irait-elle directement taper là où ça fait mal?

Rien dans son ton de voix ne laissait présager quoi que ce soit. Le premier sourire d’Israfel aurait pu la rassurer mais n’eut pas l’effet escompté. Il pouvait bien la regarder avec des yeux de merlan frit, elle ne demeurait pas moins en simple t-shirt tout juste assez ample pour dissimuler son corps devant sa tante. Bien sûr qu’ils allaient croiser la tante d’Israfel. Évidemment que Norà se retrouverait presque en sous-vêtements devant elle. Le don pour se retrouver dans des situations de merde étrangement gênantes.

Impossible de deviner ce que pouvait bien penser Rosa. Norà ne pensait qu’au fichu t-shirt que le brun lui avait prêté. Pour qui allait-elle la prendre? La nouvelle gamine ramenée par son neveu? Cette idée la répugnait au plus haut point. Était-ce de la pitié qu’elle lisait dans ses yeux? De l’inquiétude? Une sincère indifférence ? Était-elle tristement trop habituée à ce petit manège ? Israfel avait tout l’air d’un gamin que l’on venait de prendre la main dans le sac, un peu trop pour lui laisser croire qu’il était coutumier du fait. En réalité, était-elle la première à passer le pas de cet appartement ? À rencontrer Rosa? Un peu de rouge colora ses joues à cette supposition. Elle devait faire bonne impression. À tout prix.  @Lucy Clearwater pourrait peut-être l’aider à rattraper le coup, à l’occasion. Mais elle devait plaire à Rosa, tôt ou tard, le plus tôt possible dans l’idéal.

La petite rousse manqua de s’étrangler avec sa propre salive quand Israfel insista pour qu’elle reste. Elle aurait pu lui faire les gros yeux si elle ne risquait pas de se cramer, mais c’était peine perdue. Par Merlin, ça suffisait pas le coup du t-shirt Israfel? Comment allait-elle s’en sortir à présent? Elle pouvait prétexter devoir charger son téléphone, aller aux toilettes, un rendez-vous urgent, mais rien de tout cela n’était crédible. Parce qu’on connaît tous trop cette dernière excuse et qu’en l’invitant à rester avec eux Israfel verrouillait toutes les portes de sortie disponibles. Et honnêtement, le regard de Rosa donnait autant envie de s’évaporer d’un claquement de doigt que de se faire aussi discret que possible, quitte à rester immobile pour échapper à son regard. Mais faire l’autruche ne lui ferait pas gagner de points. Une potiche, ce n’était sûrement pas ce qu’elle souhaitait pour le jeune Clearwater.

Le rictus de Rosa puis sa remarque en direction de son neveu ne rendit pas Norà plus à l’aise, plutôt inquiète à l’idée de se retrouver seule avec elle. Par Merlin Norà, t’en vivra des bien pires quand tu seras Auror. T’es une Gryffondor dans l’fond ou pas? Donne toi un coup de pied là où tu sais bien gamine! Allez, tu vas pas te démonter quand même! Elle préféra jouer franc-jeu dès le départ. « D’accord, mais si je n’y arrive pas de suite, ne sortez… ne sort pas les couteaux tout de suite. » Elle esquissa un sourire, espérant que sa plaisanterie l’amuserait elle aussi. « Norà, je suis Norà Millar. » Elle avait dit cela avec aplomb, portant haut les couleurs d’une famille qu’elle pensait oubliée. D’une famille qu’elle ne connaissait qu’à peine en réalité.

Alors qu’Israfel s’éclipsait pour préparer deux tasses de café, Norà s’installa en face de Rosa, tirant sur son t-shirt pour cacher ses cuisses alors qu’elle s’asseyait. Il ne manquerait plus que ce dernier craque pour apporter la cerise sur le gâteau. Elle caressa Paulo qui passait par là, trouvant là un semblant de réconfort dans cette épreuve. Pas de gourmandises ce matin mon pote, désolée, pensa-t-elle alors qu’elle le laissait filer, l’entendant presque grogner de mécontentement à mesure qu’il s’éloignait, visiblement déçu de ne rien avoir reçu. La rousse observa Israfel revenir de la cuisine, un simple caleçon pour tenue complète. La situation semblait excessivement lunaire. Elle s’imagina se balader en culotte chez elle, en présence de ses parents. Chez quelques familles ça ne posait pas problème. La sienne ne faisait pas partie de celles-ci.

Norà se pencha pour saisir une des deux tasses et une viennoiserie. « C’était vraiment » commença-t-elle à s’exclamer avant de s’arrêter. Incroyable? Fantastique? Et t’étais pas là pour voir ça Rosa? La petite Millar leva les yeux, sentant soudainement le vent changer de direction. « Il s’est bien débrouillé. Je n’avais jamais fait la fête de Beltane du côté sorcier, c’était vraiment chouette. » déclara-t-elle finalement plus calmement, comme pour temporiser. Le regard de Rosa n’augurait rien de bon. C’était presque le regard d’une mère, déçue d’avoir manqué une étape cruciale de la vie de son nourrisson. Rosa n’était-elle que la tante d’Israfel?

« Et vous? Toi? As-tu déjà passé l’épreuve du feu? Je suis sûre que tu as plein d’histoires flamboyantes à raconter. » Il fallait changer de sujet. Norà attira la tasse à ses lèvres, se retenant de grimacer. Elle et le café, ce n’était franchement pas la plus grande histoire d’amour. Mais il fallait faire bonne impression. Peut-être qu’elle arrivera à s’y faire, avec du temps et un peu de sucre.

Rosa eut un petit rire moqueur à la mention de ses couteaux. Elle leur jeta un regard, du coin de la tête, avant d’ajouter, d’un air plutôt fier :
« Tu n’es même pas curieuse d’en voir un ou deux ? C’est de la belle facture. J’ai même des couteaux Grimm. »

Et au prix de la lame enchantée, ça valait vraiment le coup d’œil.

Israfel continua comme de rien n’était, rapportant un chocolat chaud à Norà plutôt que le café qu’avait proposé quelques minutes auparavant Rosa. La portugaise n’était pas aussi dure qu’elle y paraissait, mais à cheval sur les règles de l’hospitalité, même pour une rousse en petite culotte dans son salon pour la première fois.

Elle plissa légèrement les yeux à entendre dire qu’Israfel avait réussi le défi des druides. Il avait grandi si vite ses dernières années et elle n’avait rien vu ou presque. Norà reprit, sans qu’elle ne sache vraiment si c’était pour dire qu’Israfel ne racontait pas des mensonges - c’était mal connaitre l’agent de la BPM qui savait de toute façon sentir le mensonge à des kilomètres chez son neveu - ou pour lui rappeler qu’elle, elle n’avait pas été là. À ce moment là. À ce moment précis où son grand garçon avait fini par quitter la catégorie des bébés. Avait réussi l’épreuve du feu et avait même ramené une petite flammèche à la maison.

« Aaah, l’épreuve du feu... » commença, amusée, Rosa.

Et de là elle commença à leur raconter l’histoire où elle avait traversé les flammes à l’âge seulement de dix-sept ans, furieuse qu’on le lui refuse. Elle avait du sauté au dessus du barrage des Clearwater à l’époque, et c’était comme une fusée qu’elle avait traversé pieds nus la braise encore vive. Elle en gardait une sensation folle, des souvenirs joyeux. Elle espérait qu’Israfel s’en était fait, aussi, cette année.

De là elle laissa Norà allait s’habiller, puis resta jusqu’au repas du midi avec eux.

C’est d’un oeil dubitatif qu’elle jaugea le balais de Norà Millar, se demandant comment ce vieux coucou avait réussi à faire le trajet avant de se rappeler des solex sur lesquels elle s’enfuyait pour aller barouder avec Braxton Clearwater à l’époque. Est-ce qu’il n’était pas toujours dans un garage quelque part ? Peut-être à côté de la moto de Carron, dans la gange de Maggie ou dans une dépendance sur Uilst.

Elle salua les deux jeunes, les laissant piller le frigo qui était assez maigre, tout en promettant à Israfel d’avoir une discussion avec lui aux prochaines vacances. Elle pensait bien voir de retour Norà Millar, aussi elle la salua simplement d'un "à la prochaine".

Ils disparurent dans le ciel à la fin de l’après-midi, sous un soleil clément et une bise fraîche.