Pas de Maître

Derrières les boucles brunes, les yeux noirs d’Israfel passèrent sur le stade de Quidditch qui semblait bien silencieux. Ce n’était peut-être que son imagination, mais depuis qu’@Adil Mesli avait quitté l’équipe, c’était différent – atrocement différent. Il eut une petite moue avant de détourner le regard, serrant le poing en repensant à cette fichue soirée. Ça faisait bientôt deux semaines mais le rouge et or avait du mal à digérer la soirée. Et ça n’avait rien à voir avec l’alcool ingurgité en trop grande quantité deux jours avant.

« Est-ce que tu penses qu’ils sont fâchés ? » lança Israfel à Eira qui était juste devant lui.
La métamorphomage pencha doucement la tête sur le côté, comme si elle réfléchissait avec les étoiles. Elle ne répondit pas mais ses cheveux devinrent aussi clairs que les blés. Ça voulait probablement dire oui. Israfel baissa les yeux, pas sûr d’avoir envie de se répéter. Il soupira, jetant un regard à Inaza que tenait Eira contre sa poitrine.
« Où est-ce que tu vas avec ton balais ? » demanda la petite rousse qui avait repris des couleurs.

La Konstantine savait pertinemment qu’il ne faisait pas parti de l’équipe de Quidditch. Mais il faisait mieux que ça ! Israfel eut un petit rire et lui montra l’écusson sur la manche droite de son blouson. On pouvait y voir de multiples badges cousus maison à tête de dragon vert. Des dragons suédois à museau court, symbole même de la course de balais de Kopparberg à Arjeplog. L’épreuve la plus incroyable de course à balais annuel, cinq cents kilomètres de balai volant à pleine vitesse, traversant de véritables nids de dragon !

« Oh. Je savais pas que tu aimais la course de balai… » souffla la petite rousse.
« Tu rigoles ? Chaque année j’emmerde Rosa pour qu’on y aille ! »
Eira eut un petit rire.
« Mais aujourd’hui j’emmène Norà à Pré-au-Lard. Pour qu’on se dégourdisse un peu. »
La jeune gryffondor hocha la tête d’un air entendu, sans faire de remarque malgré le fait que ses cheveux la trahissent, devenant d’un drôle de rose bonbon. Israfel le vit mais ne fit rien à part esquisser un sourire amusé, rajoutant :
« Tu vas voir Asel toi ? »
Eira haussa les épaules avec un sourire doux, préférant ne pas répondre à la question. Il détourna la tête, se demandant d’où elle pouvait tenir cette loyauté – de Roman ou d’Eurydice ? Il se pinça les lèvres, avant de s’étirer.
« Si tu la vois, dis lui qu’Adil est désolé, et qu’il faut qu’elle arrête d’faire la gueule. Sinon on va croire qu’elle a du sang irlandais ! »
Il mit une tape amicale dans le dos d’Eira et se mit à trottiner loin d’elle en rigolant. Eira leva les yeux au ciel avant de tourner vers la bibliothèque. La jeune Konstantine fit le choix de ne rien dire pour ne pas empiéter sur les plates-bandes de la lionne. Si Adil avait quelque chose à dire, et qu’il était un véritable gryffondor, il trouverait bien le courage de le lui dire en face. Ses cheveux reprirent leur jolie couleur de flammes.

Israfel eut une petite pensée pour @Sean Clearwater dont il ne savait toujours pas s’il était rabiboché ou non avec @Asel Misra mais mit cela de côté aussitôt qu’il aperçut la silhouette de Norà dans le parc de Poudlard. Il fit descendre de son épaule son balais, s’asseyant sur son balai à la façon d’une amazone pour glisser jusqu’à elle. Il descendit en posant le pied sur le sol, lui montrant le balai toujours parfaitement à l’horizontale devant eux. Un magnifique bijou de bois noir, gravé de plusieurs dorures, avec inscrit BLACK LIGHTNING sur le flan.

« T’as pas trop attendu j’espère ? J’ai mis un p’tit temps à sortir. Tu connais Eira, elle parle touuut le temps ! C'est affreux ! Un vrai moulin à paroles ! »

Il se tourna vers le balais, le montrant d’une main ouverte comme s’il s’agissait d’un grand trésor. Et c’en était presque un en réalité, puisqu’il s’agissait du cadeau pour ses seize ans. Ça faisait trois ans déjà qu’il tannait Rosa pour en avoir un et apprendre dès que possible un sort de dissimulation, mais l’agent de la BIM en elle n’accordait aucune valeur à toutes les promesses de rigueur de son filleul. Après leur passage en Suède, elle avait fini par le lui acheter en lui faisant promettre (et c’était pas passé loin qu’il se retrouve avec un serment inviolable sur la tête) de ne jamais en faire en dehors des clous. Elle avait manqué de lui faire avaler le manche quand il avait demandé lesquels.
Ce n’était peut-être pas tout à fait autoriser à un premier année, mais qui viendrait les embêter ? La police du ciel ?

« J’espère que t’as pas le vertige » ricana le premier année.
« N’aie pas peur, j'sais pas si j'ai l'droit mais j’en fais souvent l'été. Hésites pas à me serrer. »

Il passa la jambe par-dessus, lui tendant la main afin qu’elle fasse de même et qu’elle s’accroche à lui. Avec sa veste en cuir et ses cheveux en vrac, on était pas loin d’un film moldu à cela près que la moto ne faisait pas de bruit.

C’était un samedi délicieux, un samedi matin qui inaugurait en beauté le week-end, et encore mieux: les vacances scolaires. Beaucoup avaient déserté Poudlard pour rejoindre leur famille, a contrario de Norà qui avait décidé d’y rester pour les vacances. Rentrer chez elle, c’était prendre le risque de faire éclater la famille. Le risque de faire souffler un ouragan sur la famille Millar. A la moindre insinuation le ton montait, laissant croire à son père qu’un conflit éternel grandissait entre elle et sa mère. Elle avait pourtant vécu à Poudlard, tout comme sa grand-mère. Elle aurait dû savoir à quel point cela pouvait être exaltant. A quel point tout cela pouvait être difficile pour une novice. A quel point c’était douloureux de ne pas pouvoir parler de ses difficultés et de devoir tout enfouir. Rentrer chez elle était toujours source d’une grande joie temporaire, rapidement assommée par la peine et la solitude. Autant être seule à Poudlard, ou au moins avec Smoke. Parfois il lui semblait que son chat la comprenait mieux que sa propre mère.

Que la journée s’annonce venteuse, nuageuse, ensoleillée, tempêtueuse ou encore enneigée, sa perspective ne pouvait qu’inonder son âme de joie. Rien ne pouvait l’entacher. Se cachant du regard des quelques Gryffondor encore présents, Norà glissa la tête sous la couette pour examiner son précieux carnet et y tirer un morceau de papier délicatement plié. Elle examina le dessin qu’Israfel avait fait d’elle avec un grand sourire. Elle n’avait pas réellement progressé en dessin depuis ces dernières semaines. Elle fit une petite moue, s’imaginant deux secondes lui tendre un dessin de lui en bâtons. Elle pourrait certainement faire mieux. Glissant la tête en dehors de la couette, elle chercha du bout des doigts un bloc-notes plutôt qu’un parchemin, s’attendant à de nombreuses ratures et cafouillages. Elle se cacha de nouveau, pendant certainement pendant trois quarts d’heure, décidant d’abandonner au bout de sa huitième tentative. N’y réfléchissant plus trop, elle esquissa une dernière forme qui finit par ressembler à un bambin avec de jolies bouclettes. Si elle n’était pas passée de débutante à experte, elle pouvait au moins se vanter de dessiner comme un enfant de huit ans à présent. Elle pouffa à sa propre bêtise, rangea son carnet sous son traversin, plia le bout de papier pour l’offrir plus tard au Gryffondor et se décida enfin à sortir de son lit, ravie. Vous avez bien entendu. Ravie de sortir de son lit.

Elle avait pris un petit déjeuner frugal, demandant un petit encas à un Elfe de maison de passage plutôt que de descendre dans la salle commune. Elle avait arboré de grandes billes et une voix chevrotante qui avait suffit à faire fonctionner son cinéma, même si une simple demande aurait sûrement suffi. Norà regarda l’aiguille de l’horloge tourner, plongée dans un vieux roman qu’elle avait emprunté par hasard à la bibliothèque. Peut-être qu’elle pourrait acheter un bon vieux polar à Pré-au-Lard, peut-être même un polar moldu si elle arrivait à en dégoter un. Presque en retard, elle lâcha subitement son livre et se précipita à toute allure dans les escaliers, bousculant au passage une ou deux personnes dans le sens inverse.

Elle marcha d’un pas pressé jusqu’au parc de l’école et constata qu’elle n’avait pas fait patienter Israfel. Elle avait même un peu d’avance et, une chance pour elle, il ne s’était pas mis à pleuvoir. Elle n’avait d’ailleurs pas prévu de capuche, ce n’était pas très malin quand on connaissait la versatilité de la météo écossaise.

Israfel fit son apparition, assis en amazone sur son balai, se dirigeant droit vers elle à vive allure. « Salut! Je viens seulement d’arriver » le rassura t-elle avant d’ajouter, l’air malicieux, retenant un léger rire : « Oh oui, elle n’arrête pas de parler, heureusement que ce n’est pas mon cas! » Norà observa attentivement le balai, envieuse. C’était un objet de la plus belle manufacture. Elle passa ses doigts sur les gravures avant de demander: « C’est quel genre de balai? Je n’en ai jamais vu  aucun qui ressemblait à celui-ci. Il a dû te coûter extrêmement cher». Elle pensait à son Friselune,  qu’elle avait acheté d’occasion, déjà un peu trop rapide pour elle et assez peu performant. Ses performances sur un balai ne laissaient aucun doute: elle n’était pas prête à intégrer l’équipe de Quidditch.

« Je n’ai pas le vertige mais… » elle jeta un oeil au balai, l’air méfiant. « Disons que le mien n’est pas très commode. Ou peut-être que je ne suis pas commode avec lui. » Elle ne savait pas s’ils avaient le droit d’utiliser leur balai pour sortir de Poudlard, mais cela lui était bien égal. Elle pensait juste aux pirouettes qu’elle pouvait faire sur ledit balai. Elle saisit la main du Gryffondor pour monter à sa suite et s’accrocha à lui du mieux qu’elle pouvait, passant ses bras autour de son thorax. « Pas de mauvaise blague hein? » dit-elle d’un ton peu rassuré. Etait-ce une bonne idée de prévenir? S’il était un peu joueur, rien ne l’empêchait de faire un peu l’imbécile.

Un rire passa sur les lèvres d’Israfel, levant les yeux au ciel. Il aimait ça chez Norà qu’elle marchait toujours dans tous ses jeux, même les plus idiots – surtout les plus idiots.

« Oui, toi tu es par-faite ! »

Pas qu’Eira ne l’était pas, mais c’était une amie d’enfance et une cousine, alors ce n’était pas vraiment pareil.

Israfel s’écarta légèrement, une main toujours sur le balai afin de le laisser en lévitation au-dessus du sol. Pas question d’avoir à redémarrer le coucou même s’il commençait à avoir l’habitude. C’était la première chose que Rosa lui avait appris après le lui avoir offert, afin qu’il soit autonome et ne se retrouve jamais sur le bord d’une route ou dans un champ perdu en écosse comme un con. En temps normal, il avait aussi le droit à porter un petit gallion d’urgence mais ce n’était que pour les situations d’extrême urgence ! Rosa n’était pas franchement les blagues, surtout pas là-dessus, surtout pas après l’accident.

Israfel observa Norà qui s’intéressait visiblement au balais. Le gryffondor eut un sourire baroudeur, agitant des épaules comme si on venait de lui dire qu’il avait là la plus belle chose du monde, et c’était à peu près vrai.

« Tu as là un modèle édition limité – un black lightning ! C’est de la maison Vincent, y en a geeenre une vingtaine dans le monde. C’est un vieux balai qui a encore une patate d’enfer, un américain mais là-dessus, c’est comme pour les motos, y a trois pays qui savent en faire : les allemands, les italiens et les ricains. »

Et si on le laissait faire, il aurait pu continuer comme ça pendant des heures, citer des centaines d’édition, de réédition, de modèles ou mêmes d’usines. La course de balai, Israfel avait ça depuis qu’il était tout môme. Ils y allaient de temps en temps avec son père, sur les parcours d’Ecosse ou d’Irlande. Nélia aimait bien venir aussi – elle disait souvent que ça ressemblait un peu à la course de moto. Il eut un petit sourire pincé en y pensant soudainement. Finalement, ils n’étaient jamais loin du cœur même s’ils étaient partis loin des yeux six ans auparavant.

Il grimpa en premier comme pour lui voir qu’il n’y avait rien à craindre. Norà semblait bien méfiante. Il eut un petit sourire moqueur, prêt à pouffer de rire à la voir aussi hésitante, mais il n’en fit rien. Au lieu de ça, il lui tendit la main :

« C’est qu’une habitude à prendre, tu vas voir. Ça fait deux ans que j’le monte et j’ai jamais eu aucun accident ! Pas même un accrochage ! Pourtant y en a des pins par chez moi… »

C’était presque mentir. Il n’y avait aucun arbre et il n’avait surtout pas le droit d’en faire quand il était chez lui. Mais chez Mamie Maggie, à partir du moment qu’il était sérieux et lançait régulièrement son sort de dissimulation, Rosa n’avait rien eu à redire. Juste à lui rappeler qu’elle casserait le balai en deux, édition limitée ou non, si elle le retrouvait au poste et qu’elle le laisserait croupir pendant vingt-quatre heures en cellule. La seconde menace était moins efficace cela dit – Israfel adorait passer du temps dans les pattes des grands, surtout dans l’étrange capharnaüm que pouvait être les bureaux de la BIM.

« Tu me prends pour qui ? »

Un fin sourire de chat se dessina sur son visage alors que ses yeux brillaient, mais Israfel était sérieux. Assez sérieux pour décoller avant de se faire rattraper par un professeur ou de se faire voir par la gardienne. Il décolla en douceur, laissant à Norà le temps de trouver la bonne position et de s’habituer. Il ne lança pas de sort de dissimulation, n’ayant pas dans l’idée de sortir de la zone sécurisée qu’était la ligne de train du Poudlard Express (qu’ils auraient tout à fait pu prendre mais il fallait faire attention aux horaires – et puis Israfel en avait décidé autrement ce jour-là).

Le balai noir commença à filer dans les airs, Israfel faisant attention à ne pas aller trop vite afin que la petite rousse profite du spectacle qu’offrait soudainement le parc vu d’en haut mais aussi la vue des rails. Il ne volait pas trop haut afin d’éviter les bourrasques habituelles, ni trop bas afin de ne pas être trop rapidement reconnu.

Au bout de quelques minutes, il jeta un œil par-dessus son épaule afin de voir si tout allait bien et déposer un baiser rapide sur la tempe de Norà :
« Ça va ? »
Il ignorait pas mal de choses sur Norà, mais à force de s’embrasser, certaines questions commençaient à lui brûler les lèvres. Il pencha la tête, jetant un œil devant lui avant de la regarder de nouveau :
« C’est la première fois que tu voles en dehors de Poudlard ? »
Il ne savait pas grand-chose de la situation familiale de Miss Millar, outre le fait qu’elle aussi elle n’était pas rentrée pour les vacances et que c’était plutôt une bonne nouvelle pour lui.

C’était avec une lumière particulière que brillaient les yeux de Norà. Elle examinait dans les moindres détails le bois du balai, admirative de sa manufacture. La précision de ses détails ne pouvaient en faire qu’un balai exceptionnel et rare. C’était même plus une oeuvre artistique qu’un moyen de locomotion banal. Elle hocha de la tête d’un air entendu lorsque son camarade osa une comparaison entre balais et motos. Elle n’était pas un franche connaisseuse mais elle faisait très bien le parallèle entre les deux: parfois objets de collection, techniques, rapides mais aussi dangereux au moindre écart de conduite. Elle se demanda s’il existait des clubs de balai comme il existait des clubs de moto chez les moldus, parcourant les plaines. Les sorciers faisaient-ils aussi ce genre de virées en groupe?

Lorsque la situation s’y prêtait et qu’elle ne se mettait pas trop en danger, Norà était typiquement celle qui venait un peu titiller les autres pour les encourager à faire des imbécilités. Si elle avait été douée en balai et conductrice à la place d’Israfel, elle en aurait peut-être profité pour faire une petite blague ou deux. Hormis si Israfel avait le vertige ou le coeur pas assez accroché. Dans ce cas, elle lui aurait fait une fleur. Ou elle se serait rattrapé plus tard avec de grands yeux de chats et un bout de son repas. Un peu de nourriture et un air innocent, ça marchait toujours avec un coeur tendre. Un petit quelque chose lui murmurait qu’Israfel aurait fini par craquer et lui accorder son pardon dans une telle situation.

Elle espérait au fond d’elle qu’Israfel ne serait pas aussi farceur qu’elle, en tout cas cette fois. Voler à l’envers, faire des pirouettes… Elle ne se sentait pas assez à l’aise dans les airs pour subir de telles épreuves. Peut-être les aurait-elle tentées à deux mètres du sol, voire trois, mais pas plus. Elle savait qu’elle parviendrait certainement à surmonter ses peurs en renforçant son entraînement mais elle reportait ça toujours tout en bas de sa to do list. La rouquine observait toujours les matchs de Quidditch avec étonnement et une pointe d’angoisse tant l’agilité et la vitesse des joueurs l’impressionnaient.
Elle aurait aimé que sa mère lui apprenne à manier le balai autrement qu’en faisant le ménage. Elle rêvait d’après-midis en compagnie de sa grand-mère où elles auraient pu voler ensemble au-dessus des montagnes écossaises, dissimulées par un sortilège. Si seulement sa mère avait accepté de ne pas en faire un secret, pire encore: un tabou.

« Une habitude ouais… » murmura-t-elle sceptique, essayant de se convaincre qu’elle ne risquait rien. Israfel était habitué. Il volait depuis un petit moment. Il savait quoi faire pour ne pas les mettre en danger. Sûrement. N’est-ce pas? Norà prit son courage à deux mains et monta finalement sur le balai, tenant Israfel fermement, comme si sa vie se jouait. « Je te prends pour un bandit Israfel. » dit-elle, avec un léger sourire, répétant ce qu’elle lui avait dit le premier soir. Le sourire disparu bien vite alors que les deux étudiants décollèrent, s’éloignant progressivement de la terre ferme. Norà regardait la cour puis le château s’éloigner, essayant de calculer la distance qui la séparait du sol au lieu d’admirer le paysage. Elle finit par resserrer son emprise sur Israfel, si tant est que cela eut été possible. Norà se retourna légèrement vers le Clearwater, se demandant pourquoi subitement ses yeux n’étaient plus vissés sur sa trajectoire. Son coeur se relaxa un instant quand il vint déposer un baiser sur sa tempe. « Ça… va. » répondit-elle succinctement. Ils avaient déjà décollé depuis quelques minutes, les conditions de vol étaient correctes, ce qui finit par raisonner la Gryffondor. La tension finit par chuter et elle commença à regarder autour d’elle avec plus d’intérêt, sans trop oser bouger pour ne pas déséquilibrer le balai.

La voix d’Israfel retentit de nouveau à travers les quelques bourrasques de vent. Si elle avait volé en dehors de Poudlard? Evidemment jamais. « Oui, c’est la première fois. D’habitude je ne prends mon balai qu’en cours de vol, ceci explique cela » dit-elle en riant un peu pour elle entre les boucles brunes du Gryffondor. « Tu voles depuis longtemps toi, non? Tu te débrouilles bien. Tu as dit qu’il y avait beaucoup de pins chez toi, tu viens de quel coin? » demanda-t-elle à son tour avant de rajouter une plaisanterie « Clearwater... Ça sonne très... mexicain, non? »

Le petit brun prit un air offusqué, plantant sa main sur son torse à la façon d’une diva :
« Un bandit ? On a déjà eu cette discussion Miss Millar. Je suis un agent de la justice ! »
Et de nouveau, un rire franc et doux passa ses lèvres.

Le vent dans les cheveux, cette sensation de grande liberté, tout lui était agréable. Il avait l’impression de vivre sur un nuage quand il était dans les airs, et les mains de Norà se serrant contre lui rendaient presque euphorique ce petit myocarde bien fragile. Il avait soudainement l’impression d’être un oiseau immense, déployant ses ailes. Un Icare téméraire et courageux. Y avait-il eu des sorciers assez fous pour vouloir aller toucher les étoiles ? Les vols de nuit étaient ce qu’il appréciait le plus.

Pendant les vacances, Dunny et Jenny n’étaient jamais contre toutes les idées farfelues d'Israfel et @Milo Clearwater. La perte de Carron aurait pu laisser croire qu’ils deviendraient étouffants, mais ça ne les changea pas, ou peu. Ils restèrent ce qu’ils avaient toujours été, un duo intrépide, adorable mais surtout loufoque. Lui l’auror, elle la cheffe de brigade. Les deux vieux n’étaient plus dans leur prime jeunesse et pourtant on les voyait encore se jeter dans les eaux glacés du Little Minch tous les printemps pour fêter le dégel des lacs. C’était avec Dunny qu’Israfel avait bu sa première bière, à défaut de l’avoir fait avec son père.
Dans le cœur d’Israfel, c’était tout comme.

« Je vois, je vois » commenta simplement Israfel, « quand j’étais petit, mon grand-père me faisait toujours monter sur son balai pour survoler la mer. Ma mère était folle rien qu’à le voir partir comme ça avec son vieux rustique tout craquant », mais c’étaient aussi ses plus beaux souvenirs.

Israfel eut un petit rire, levant les yeux au ciel.

« Je viens du nord de l’écosse, et y a pas mal de pins sur l’île où habitent mes grands-parents. Ils sont, euh… situés un peu », il enleva une main du balai, le faisant frémir, semblant vouloir dessiner d’un doigt une carte et situer maladroitement l’île de Skye, « au nord de Skye, tu vois ? Uist. Quand j’étais gamin, mon seanair m’emmenait sur son balai pour faire le tour de l’île. C’était incroyable, on passait dans la brume comme si c’étaient des nuages », Israfel eut un sourire tendre, comme les souvenirs revenaient toujours comme une vague affectueuse et délicate. Il étendait d’ailleurs sa main, comme pour illustrer son propos : « j’choppais tout le temps la crève là-bas mais c’était trop cool. »

Et sa mère le houspillait comme jamais quand il rentrait, les cheveux mouillés et les yeux plein de fièvre. Il avait beau rigolé toute la nuit, délirant entre la température et l’euphorie, Nélia finissait toujours par reprocher à Dunny tout ce qu’elle pouvait. La vieille Jenny (de son véritable prénom Gwenhwyfar), pas commode, finissait toujours par taper du poing sur la table. Elle qui se voulait descendante d’une suivante de Scáthach, n’avait pas le caractère commode. Pour ne pas dire qu’elle était un véritable dragon.

« Ma famille est en Ecosse d’puis très longtemps. Y a même un domaine principal avec plusieurs îles et plein de trucs repousse-moldus… c’qu’a pas empêché mon père et mon parrain d’en prendre pour femmes d’ailleurs », ricana doucement Israfel, même si à bien y réfléchir, la rencontre des deux mondes lui paraissait difficile, pour ne pas dire inconcevable.

La question ne se posait pas pour lui, puisqu’il n’aurait pas de femme, pas d’enfants. Seulement cette douce liberté, pleine de fièvre, pleine de passion, mais d’aucune qui laisserait son empreinte en lui. Un auror n’avait pas besoin d’une famille pour faire son devoir – c’était même bien souvent un poids.

Israfel, dont le regard s’était soudainement concentré sur l’horizon, jeta un regard par-dessus son épaule :
« Et toi ? Millar… Millar, ça sonne anglais ? »
Un petit ricanement passa sur ses lèvres, pas certain de lui, mais pour tous les non-anglais, c’était presque une insulte. Pour lui, en tout cas, c’en était presque une.

« Un agent de la justice, mais bien sûr monsieur Clearwater, à d’autres. » répondit-elle d'un ton taquin. « Gamin » ajouta-t-elle, déposant un léger baiser dans sa nuque. La peau d’Israfel dégageait une douce chaleur qui contrastait avec le vent froid du début de printemps, balayant leurs cheveux dans tous les sens. Norà n’avait pas pensé à attacher ses cheveux avant de monter sur le balai. Une mèche folle couleur de feu virevolterait peut-être de temps à autre devant ses mirettes.

Ils traversaient les airs comme deux gamins insouciants, Norà baissant peu à peu sa garde alors qu’elle prenait ses aises. Elle était comme un petit oiseau duveteux dégringolant du nid pour la première fois. L’aile un peu fébrile et peu assurée, l’adrénaline à son maximum avant de laisser place à un battement d’ailes hésitant et peu confiant. Aucun filet de sécurité ne la retiendrait, c’était aussi ce qui rendait l’expérience unique en son genre. Au fond d’elle, elle se sentait chanceuse de faire ce premier long vol avec Israfel. Elle n’était pas dupe, elle savait que le balai n’avançait pas à pleine vitesse, surtout un Black Lightning qui en avait bien plus sous la pédale. @Queenie Walker se serait peut-être amusée à faire des pointes de vitesse dès le départ, secouant sûrement trop d’un coup le coeur de Norà à son goût. Peut-être qu’elle se sentirait plus à l’aise pour voler avec son amie lorsque l’occasion se présenterait. Peut-être Norà oserait-elle sortir de Poudlard sur son propre balai. Elle était à deux doigts de le proposer à Israfel avant de se raviser. Après tout, pourquoi voler avec une débutante quand on peut filer à la vitesse de la lumière?

Elle écouta Israfel parler de son grand-père avec un léger pincement au coeur. Les images de son histoire se dessinaient dans son esprit, elle prenant rapidement la place de son camarade et la grand-mère de Norà celle de son grand-père. Elle posa sa tête sur le dos d’Israfel et ferma les yeux un instant. Combien de fois avait-elle rêvé de partager de tels moments avec son aïeule. Sa grand-mère l’avait élevée les quatre premières années de sa vie puis elle avait continué de tisser un lien particulier avec elle jusqu’à son décès, un an plus tôt. C’était l’épreuve la plus difficile qu’elle avait vécue pour l’instant. Elle avait senti qu’elle perdait un fragment d’elle. Plus qu’un fragment, un pan entier de son histoire qu’elle essayait de combler du mieux qu’elle pouvait en suivant ses pas. Un sourire triste passa sur son visage. Elle ne dit pas un mot et aspira tout ce qu’elle pouvait de cet amour familial.

Skye, une des plus grandes îles écossaises. Peut-être même la plus connue. Norà se souvenait avoir lu à son propos dans d’éminents ouvrages littéraires: poésies, romans. Israfel ne faisait qu’alimenter son imaginaire déjà marqué des paysages qu’elle avait imaginés quelques années plus tôt. Elle imaginait de grandes étendues sauvages s’achevant par des falaises escarpées où quelques oiseaux osaient s’aventurer. De petites maisons solitaires cachées derrière les pins, au fin fond d’un chemin isolé ou regroupées en de tous petits villages de pêcheurs. La rouquine se souvenait avoir vaguement entendu parler de Uist. Très vaguement. Elle ria doucement lorsqu’il lui décrivit les lieux de son enfance: un regroupement d’îles protégées des Moldus. Ils avaient eu deux enfances diamétralement opposées. L’un une enfance loin des Moldus, l’autre une enfance rejetant toute forme de magie. Sa mère la rouspétait même lorsqu’elle mettait un balai entre ses jambes pour jouer à la sorcière. Sûrement pour lui éviter de révéler ses penchants naturels pour la magie. Elle préférait mille fois la voir jouer à la maîtresse d’école ou à l’infirmière. Avec du recul, Norà trouvait cela bien triste.

« C’est marrant, c’est tout l’inverse pour moi. Une sorcière qui épouse un moldu pour fuir toute forme de magie. » C’était peut-être marrant pour n’importe quelle personne qui écoutait cette histoire. Elle, ça ne la faisait pas rire plus que ça, même si elle aimait profondément son père. L’orage n’était pas passé.

« Millar? Anglais? Ça ne va pas non?! » s’époumona-t-elle, trop attachée à ses origines écossaises. « C’est Miller en anglais j’te ferais dire! », un insistant sur la seule voyelle qui changeait, lui pinçant le bras au passage. Peut-être pas très malin d’ailleurs. « C’est le nom de famille de ma mère et de ma grand-mère. Ça veut dire meunier apparemment. Pour moi c’est beaucoup plus fort que ça. Je porte ce nom avec fierté. » Ç’avait été une des conditions qu’avait exigée sa grand-mère en échange de son silence: faire porter le nom de la lignée sorcière à sa petite fille. Pas celui du père moldu. « J’aurais dû m’appeler Burns, c’est le nom de mon père. Ça veut dire celui qui vit près d’un cours d’eau. Ça doit être pour ça que je suis aussi calme et paisible » plaisanta-t-elle transperçant l’air d’un réel rire cette fois.

Le sourire d’Israfel se fana doucement pour ne laisser que son regard sur l’horizon, le visage neutre. Une sorcière cherchant à fuir la magie… Il inspira profondément, laissant le vent balayé son visage, repensant à toutes ses disputes entre sa mère et son père. Ce n’était pas de sa faute, elle le savait. Comme @Braxton Clearwater et Betty, Carron avait rapporté les problèmes du bureau jusqu’à la maison. Les moldus, sans défense, si fragiles, que pouvaient-ils faire à part avoir peur ? Israfel trouva cela triste, triste à en pleurer. Il pensa à @Sean Clearwater et @Eleanora Clearwater, là-haut, perché sur son balai noir. Cette situation avait empoisonné toute une famille. Peut-être que le meilleur choix, c’était encore de choisir entre les deux.

« La magie peut faire peur » commenta simplement Israfel, sans vouloir prendre de parti mais tempérant ce que crier probablement le cœur de feu de la gryffondor. Il avait un peu de Carron dans ses moments, dans sa façon de tendre la main sans jugement, d’essayer de démêler les plaies.
Parfois, il n’y avait pas de vrai ou de faux, seulement une multiplicité de volontés et aucune bonne réponse.

Betty avait probablement ses raisons. Nélia avait eu les siennes et de la faute de Carron, ils étaient désormais allongés l’un à côté de l’autre. L’éternité à côté d’un fantôme de portugaise fâchée devait être sacrément longue, maintenant qu’il y pensait…

Il tenta de détendre l’atmosphère avec une petite pique mais la rousse ne se laissa pas faire. Israfel eut un rire franc, levant les yeux au ciel.
« Excusez-moiii Miss Millaaaar » ricana l’écossais sur son balai, « rohlala, la prochaine fois j’te laisse avec @Asel Misra entre vraies écossaises », elle le pinça en retour, il sursauta mais ne fit rien de plus, riant dans les airs, les boucles brunes soulevaient par le zéphyr agréable.

Il écouta attentivement Norà sans la regarder, jetant un œil en contrebas. On pouvait déjà apercevoir de leur hauteur les toits pointus, quasi gothiques, du village magique. Israfel commença à descendre en altitude, prenant le temps de s’approcher et de faire attention à ce que d’autres balais ne lui grillent pas la priorité.

« Si tu es calme et paisible, moi j’suis le pape » commenta Israfel avec un petit rire, avant s’arrêter à quelques mètres devant l’arche de pierre. Le panneau de métal indiquant Pré-au-Lard pendait toujours, inchangé, d’une belle couleur métallique noire. Le gryffondor donna sa main à Norà afin qu’elle puisse descendre et fit de même, laissant retomber le balai à sa gauche.

Il lui jeta un petit regard, les joues un peu rouges à cause du vent froid.
« Il faut toujours porter son nom avec fierté, et si jamais on en est pas fier, faut tout faire pour que ça en devienne une. La famille, c’est important. »

Il détourna son attention, approchant des raques dans lesquelles étaient déjà positionnées plusieurs balais, de plus ou moins grande qualité. Il y accrocha le sien, fit un petit rond avec sa baguette. Une langue dorée s’enroula tout autour de ce dernier. Une tête de cadenas apparut au milieu du manche et cracha une clé qu’Israfel récupéra et fourra dans sa poche.

Il se retourna vers Norà, lui montrant le chemin d’une main même si elle devait déjà connaître. Il lui emboîta le pas, les mains toujours dans les poches, l’air un peu baroudeur. Il accéléra un peu le pas, puis reprit :

« Si j’ai bien suivi, tu portes le nom de ta mère et de ta grand-mère ? Ta grand-mère est une sorcière aussi ? J’connais pas de Millar mais si elle est d’Ecosse, j’suis sûr que mon seanair la connaît. Il doit connaître tout le monde dans le coin. C’est le genre bavard. Y a que seanmhair Jenny pour le faire taire. A croire qu’il se rattrape de toutes les années où il a dû tenir sa langue, quand il était auror ! »

Un rire s’échappa des lèvres d’Israfel alors qu’il embrayait presque aussitôt, n’ayant pas déjeuner ce matin :
« Ça te dit un truc à manger ? J’ai faim. »
Comme si de rien n’était.

La magie, source d’effroi, c’était fort probable. Si sa mère n’avait souhaité ne rien lui dire, c’était surtout pour la protéger. La protéger de ce monde qui pouvait être sans pitié et mortel. Le monde des moldus n’était pas tout rose non plus, ce qu’elle ne manquait pas de lui faire remarquer lorsqu’elles étaient en tête à tête. Et si elle avait voulu faire partie de la NCA, la National Crime Squad, sa mère serait-elle aussi monté au créneau sous prétexte que c’était un métier difficile et dangereux? Et son père, qui était journaliste? Ne travaillait-il pas aussi dans un domaine périlleux? La mère de Norà s’était-elle interposée? Norà ne voulait pas comprendre la décision de sa mère de tout lui cacher. Elle savait que son arrière grand-mère, décédée en mission lorsqu’elle était Auror, avait été un réel modèle pour sa mère. Elle savait qu’elle ne voulait pas de ça pour sa fille. Norà ne comprenait pas. Norà aurait voulu qu’on lui tende la main pour l’aider, pour l’accompagner, plutôt que d’avancer seule avec les yeux bandés. Boudeuse et têtue de naissance, l’impétuosité de la jeune écossaise n’avait fait que croître en apprenant ces histoires. Une partie d’elle avait envie de comprendre sa mère, terrifiée à l’idée de perdre aussi sa fille et d’effrayer son mari. Une partie de Norà ne comprenait pas que l’on puisse vivre ainsi, dans un mensonge perpétuel. Elle ne voulait pas comprendre. Peut-être comprendrait-elle un jour si le destin venait lui arracher un proche. Peut-être. Pour l’instant, elle ne voyait que l’avenir devant elle.

« Pourquoi pas, mais je crois que je préfère rester avec vous monsieur! » répondit-elle du tac au tac avec grand plaisir. « Vous êtes de bonne compagnie. » murmura-t-elle, proche de lui, alors que tous deux descendaient progressivement et prudemment vers Pré-au-Lard. Elle observait attentivement le petit village qui se dessinait sous leurs pieds. Des maisonnées en pierre au toit pointu qui lui rappelaient quelques fois les petites rues étriquées du vieux Edimbourg. Ces rues qu’elle avait arpentées comme n’importe quel lycéen moldu de la capitale. L’arche de pierre en vue, les deux jeunes sorciers posèrent pied à terre, l’une aidée par son cavalier. Elle lui adressa un sourire en guise de remerciement et l’embrassa sur la joue. « Merci pour le petit tour en balai. C’était… vivifiant! » dit-elle tout en chassant les mèches folles éparpillées sur son visage.

« Tu sais, si l’on m’a donné ce nom plutôt que celui de mon père, c’est qu’il y a forcément une raison. Peut-être qu'on voulait que je sois  boulangère » dit-elle en blaguant. En réalité la raison était simple: sa grand-mère, a contrario de sa mère, avait voulu qu’elle prenne la relève. Norà était destinée à suivre le chemin familial. « Quoi qu’il arrive, je pense que je garderai toujours mon nom » affirma-t-elle, vaillante et fière. Bien que Norà fut pleine de rancoeur, elle ne pouvait qu’approuver son lien étroit avec sa famille. Jamais elle ne leur aurait tourné le dos. Si elle évitait les moindres réunions de famille, c’était aussi pour les protéger. Protéger l’un de la pure et simple vérité, protéger l’autre de tout tracas. Ce n’était peut-être pas à elle, d’ailleurs, de révéler ce qui avait été caché si longtemps. Etait-ce à l’enfant de porter toute la responsabilité?

« Le nom de ma mère, de ma grand-mère, de mon arrière-grand-mère » commença-t-elle à énumérer alors qu’Israfel entamait sa marche vers un lieu de restauration. « Mon arrière grand-mère était Auror. Je ne l’ai jamais connue, elle est décédée sur le terrain » avoua-t-elle en rattrapant le Gryffondor, se mordant l’intérieur de la lèvre. « Je suppose que ma mère a voulu me protéger de ça en ne me disant rien. Ma grand-mère l’entendait autrement. » ajouta-t-elle, une étincelle dans les yeux. Un sourire de connivence s’afficha sur ses lèvres. Arrêtant là son récit pour écouter les hurlements de son estomac, Norà acquiesça à la proposition de son bandit préféré. « Moi aussi, je dévorerais n’im-porte-quoi » articula-t-elle d’un ton facétieux. Elle retint un fou rire naissant en imaginant Israfel chez Pieddodu, entouré de fanfreluches en tout genre.

Au compliment sur leur balade, Israfel fit une légère révérence comme s’il n’avait été que le valet d’une grande dame, avant de reprendre une position plus détendue et un air amusé. Il plissa les yeux devant la malice de la petite rousse, ricanant, soufflant :
« Une boulangère avec de belles miches », et il détourna le regard en se pinçant les lèvres, se retenant de rire, « ok c’était nul », et il ricana de nouveau, lui jetant un petit regard en coin.

Il hocha la tête, comprenant tout à fait le sentiment. Lui aussi était fier d’un Clearwater et il était content que tout ne repose pas sur lui sur la transmission de cette superbe généalogie. Sean ou Ronnie feraient leur affaire, auraient bien d’enfants, et lui irait chercher la gloire. S’il ne devenait pas chef du bureau des aurors, il n’aurait qu’à se jeter dans le grand Minch.

Il se mit à marcher à côté d’elle, jetant un petit regard, hochant la tête en comprenant qu’il s’agissait visiblement d’une lignée de femmes. Ç’avait du sens.

Quand Norà parla de la mort de son arrière-grand-mère, son visage se ferma un peu. Il fit mine de chercher la boutique qu’il visait, enfonça un peu plus ses mains dans ses poches et se concentra sur les gens qui les croisaient. Même s’il était encore tôt, le village était animé pour un début de vacances. Pré-au-Lard et Zonko notamment était souvent un arrêt obligatoire avant de rentrer à la maison pour beaucoup d’étudiants.

Il ravala sa salive, difficilement :
« C’est… ça fait partie du métier, y paraît. »
Il eut un petit sourire et préféra finalement détourner la conversation sur la nourriture, ce qui était diablement plus intéressant :
« On a l’choix entre les Trois Balais, propre mais très populaire, ooou la Tête de Sanglier, moins propre mais plus calme. » Il lui jeta un regard en coin : « Et ne t’avise surtout pas de dire Pieddodu ou je repars en balai sur le champs… »

Il se gratta le menton d’un air ennuyé : « On aurait eu plus de choix en allant à Londres cela dit… Faudra qu’on se tente une sortie au Chemin de Traverse. T’y es déjà allée ? » Il se frappa mentalement. « Non, j’suis con, forcément… Mais j’connais pas mal de restau’ là-bas… »
Israfel avait finalement pris la direction de la Tête de Sanglier qui correspondait mieux à ses habitudes mais aussi, semblait-il qu’il y avait une queue incroyable sortant des Trois Balais. Et au vu du nombre de balais qu’il y avait devant, c’était toute une compagnie qui s’était emparée des lieux.

Le gryffondor prit la main de Norà, l’attirant à sa suite.

Ils passèrent le long des bureaux de poste, d’Honeydukes et même de Zonko. Il surprit le regard de Norà sur la boutique Scribeapenne (à moins que ce ne soit anciennement Gaichiffon qui lui tapait dans l’œil ?) mais l’attira vers lui pour l’emporter sur la droite, déviant de l’artère principale.

Soudainement, la foule avait disparu et le brouhaha fut remplacé par le calme. Les bruits des badauds, cris ou rires, étaient timorés et résonnaient à peine contre les murs de pierre. Israfel en profita pour attirer Norà contre lui, à l’abris des regards, venant chercher ses lèvres comme cela faisait bientôt deux semaines qu’il s’y amusait. Il ronronna contre elle, à la façon d’un gros félin. Il la serra doucement contre lui, profitant quelques longues secondes de leur échange pour laisser ses mains courir sur ses hanches, se promettant au retour de se mettre derrière elle sur le balai.

« C’était parce que j’avais vraiment faim » souffla le Clearwater sur les lèvres de Norà en guise d’excuse, lui faisant un petit clin d’œil avant de l’attirer de nouveau du bout des doigts vers la Tête de Sanglier à peine plus loin, « c’était une… mise-en-bouche », il imita cet horrible accent français.

Elle ouvra la bouche, feignant la surprise. « Mais dites-moi vous êtes un fin observateur! Il ne me semble pas vous avoir donné une quelconque opportunité de remarquer cela. » lui lança-t-elle avec un air mutin. La plaisanterie d’Israfel était une blague peu élaborée, à laquelle d’autres se seraient offusqués. Il fallait être bien peu ouvert d’esprit pour se formaliser de tels propos alors qu’un jeu certain s’était établi entre les deux lions. Norà garda pour elle le compliment, maladroit mais plutôt flatteur. Israfel avait ce côté tendre, doux qui les rapprochait mais aussi ce côté animal, batifoleur, qui les enflammait si bien. « Je pensais plutôt que tu complimenterais ma chute de reins, mais c’est vrai que je ne t’ai pas beaucoup tourné le dos aujourd’hui. » Elle adressa un clin d’oeil à la tête bouclée qui riait en face d’elle. Norà avait déjà mis les pieds à Pré-au-Lard plus d’une fois, tantôt pour des courses, tantôt pour faire un court (ou long) arrêt aux Trois Balais. Elle avançait alors aux côtés d’Israfel plutôt sereinement, ne découvrant pas réellement les échoppes de la rue. Elle ne les avait pas toutes fréquentées et se serait bien arrêtée chez Tomes et parchemins pour rechercher quelques livres moldus qui occuperaient une partie de ses vacances à Poudlard. S’ils en avaient. Elle acquiesça distraitement à la réponse évasive de son camarade, au sujet du métier d’Auror, alors qu’elle observait la foule qui se massait dans la rue principale du village.

La rousse s’arrêta pour regarder Israfel et afficha une petite moue adorable alors qu’ils réfléchissaient à leur lieu de restauration. « Tu ne veux pas aller chez Pieddodu? La déco y est sympa, je ne comprends pas. Je pourrais même prendre quelques rubans et te faire quelques couettes dans les cheveux » dit-elle tout en jouant avec les cheveux d’Israfel, visiblement moqueuse. « Et puis… Tu ne me laisserais pas rentrer toute seule en train quand même? » Ajouta-t-elle, faussement outrée. Elle reprit quelques instants plus tard: « C’est très bien aussi Pré-au-Lard. On se fera le Chemin de Traverse plus tard. Même en balai si tu veux, une grande virée! On fera la course si je me débrouille mieux! Qui sait… Je te battrai peut-être. » Elle n’y croyait pas une seule seconde, mais tout était bon pour asticoter un peu Israfel. Du sang écossais coulait dans ses veines, il ne pouvait que réagir face à ce défi. Par l’humour ou par un excès de fierté.

Norà observa très brièvement la devanture de Gaichiffon en passant, curieuse de découvrir les nouveaux arrivages de printemps. Elle se promit de revenir plus tard. Un petit quelque chose lui disait qu’Israfel ne voudrait pas s’y arrêter plus de dix secondes, top chrono. La main dans celle du lion, Norà se faufilait à sa suite parmi les badauds, passant la foule avant de se retrouver dans une partie de rue plus calme. Un baiser fougueux termina leur course, arrêtant le temps pour quelques secondes. La ferveur de la rue avait laissé place à des rires étouffés, lui laissant croire qu’ils s’étaient enfermés dans une bulle le temps de ce rapprochement. Elle laissa les mains d’Israfel glisser sur ses hanches sans sursauter, sans signe de recul, alors qu’elle s’accrochait elle-même aux omoplates du félin. Lorsqu’il s’écarta de ses lèvres, Norà en profita pour plonger son regard dans le sien. Seuls cinq petits centimètres les séparaient, lui laissant tout le loisir de se noyer dedans à la moindre opportunité. Il s’écarta, reprenant sa marche d’un air galopin. « Et la suite du menu? » Demanda-t-elle, soudainement plus affamée qu’avant. « Je suis plutôt gourmande. » Ce sur quoi elle attrapa Israfel par le col avant qu’il ne pousse la porte de La Tête de Sanglier et déposa à son tour un baiser charnel sur ses lèvres. Lorsqu’elle recula, les yeux pétillants, elle poussa la porte en première, prenant soin de tourner le dos au lion affamé.