Pas de Maître

Israfel eut un sourire en coin, le regard s’éloignant du visage de la petite rousse pour venir caresser la silhouette, sans gêne, sans honte. C’est qu’elle l’avait invité à juger, non ? Il hocha la tête d’un air appréciateur : « Je pourrais, je pourrais, mais chaque chose en son temps. J’en suis encore à te regarder dans les yeux la majorité du temps tu sais, j'ai du respect ! », avoua-t-il avec un sourire amusé qui se voulait presque doux, tout en restant joueur.

Et elle le lui rendait bien quelques minutes plus tard, à glisser ses doigts dans ses cheveux, lui proposant de s’occuper de sa permanente. Israfel ricana, glissant une main sur sa hanche pour l’attirer vers lui, se retenant in extremis de lui glisser à l’oreille qu’il aurait préféré qu’elle s’occupe d’autre chose que de ses cheveux, mais ce n’était pas raisonnable. Il aimait profiter de ce jeu, de cette douce valse, de va et vient, de ces tentatives, de ces regards appuyés. C’était grisant, ça l’était presque de trop.

« Non, j’te laisserai pas… toute seule… » souffla-t-il, lui jetant un regard en biais, incapable de résister à une fille. Il ne savait pas vraiment d’où il tenait ça mais à en juger son petit sourire en coin, presque pudique, il y avait des airs de famille.
Il la suivit, pouffant cette fois de rire quand elle voulait déjà le battre à la course de balai alors même qu’elle était hésitante trente minutes auparavant à ne serait-ce que grimper derrière lui. Il se fit la réflexion qu’il pourrait bien la laisser gagner pour pouvoir être derrière elle. Il se retint de tout commentaire et haussa les épaules, avec son petit air baroudeur qui s’en fiche de tout : « Ouais, ouais… On verra ça cet été hein… »

Un road trip jusqu’à Londres le tentait bien, surtout qu’il pouvait l’inviter chez lui, Rosa ne serait certainement pas là en juillet. C’était l’une des périodes les plus chargées pour la BPM, avec tous les dérapages des jeunes, les tapages nocturnes, les magies intempestives des mineurs sur la voie publique… Il se pinça les lèvres en s’imaginant en tête à tête chez lui, avec Norà. Ce n’était pas la première fille qu’il ramenait à l’appartement, mais c’était la première sorcière. Il jeta un regard sur le côté, se rappelant la discussion récente qu’il avait eu avec @Adil Mesli, et chassa cette idée de sa tête.
Ça ne serait jamais plus qu’un jeu, pour elle comme pour lui.

Israfel se rapprocha d’elle, venant chercher ses lèvres pour y éteindre toutes ses idées stupides. Il gronda tendrement sur sa bouche, à la façon d’un gros félin. Ses mains glissèrent, poussées par l’ambiance ou simplement l’envie, sur ses hanches. Il la sentit frissonner contre lui, alors qu’il grognait presque en sentant les doigts de Norà dans son dos, comme si elle l’appelait. Il rouvrit les yeux seulement pour voir qu’elle le regardait avec ce même brillant dans le regard.

Il s’écarta, mettant un terme à leur corps à corps dans la ruelle, l’attirant à sa suite jusqu’à la Tête de Sanglier.

« La suite du menu ? » Il lui jeta un regard en coin, amusé par sa proposition, mais encore plus enflammé peut-être par ses promesses : « Il ne faudrait pas avoir les yeux plus gros que— »

Elle l’attrapa par le col, se pressant contre lui pour déposer un baiser sur ses lèvres. Il leva la main pour attraper son visage mais elle s’arracha de lui, le regard pétillant de malice et d’espièglerie, jouant avec ses nerfs. Il eut un petit grognement rauque, la suivant finalement, entrant à sa suite dans la vieille taverne qui était comme toujours rustique et… vaguement entretenue. C’en était même étrange que les mites n’aient pas dévoré depuis tout ce temps la vieille charpente.

« Tu vas me rendre plus fou que je ne suis » souffla-t-il dans son dos alors qu’il passait devant elle.

La Tête de Sanglier était un bon pub, pas très propre, mais Israfel commençait à bien connaître l’établissement. C’était pas forcément le meilleur plan pour un Clearwater mais on ne pouvait pas s’appeler Clearwater et ne pas aimer les ennuis.
Il fit quelques pas dans le pub avant de pointer du doigt une table à Norà. Il la laissa s’installer sur le tabouret en premier avant de s’installer en face, ouvrant enfin sa veste. Il s’étira, les mains toujours un peu engourdies même si le chemin jusqu’ici avait été assez court en fin de compte.

« J’te conseille pas le haggis ici, il est jamais frais, alors que celui de mon oide-baistidh… ! » Israfel eut un petit sourire amusé, avant d’ouvrir la carte collante qui trônait au milieu de la table. Pour un petit déjeuner, rien de mieux qu’un petit déjeuner consistant. « J’pense que je vais prendre des Tattie scone s’ils en ont, avec du lorne sausage et ooh du white pudding ! Un p’tit dej’ à l’écossaise ! Oh attends, ils ont des Rowie ! Ça fait dix ans que j’en ai pas mangé ! »
Israfel releva la tête pour jeter un œil à la lionne.
« Et toi, tu veux manger… quelque chose ? »
Un sourire fin passa sur les lèvres du Clearwater.

Norà pensa à ses années de lycée à Edimbourg. Des années sages où elle s’était contentée de faire ce que l’on attendait d’elle. Des années de petite fille sage qui ne se laissait, ceci dit, pas marcher sur les pieds. Recevoir sa lettre pour Poudlard avait presque été une délivrance, une libération. Elle avait brisé le moule dans lequel on l’avait modelée pendant des années. Norà demeurait une élève studieuse, soucieuse de bien se débrouiller pour être à la hauteur de ses ambitions. Une élève studieuse qui s’autorisait progressivement de petits écarts, de petites bêtises à droite à gauche. Israfel faisait ressortir l’espièglerie endormie tout au fond d’elle. Norà, c’était le genre de gamine qui levait le doigt en classe pour se faire bien voir et qui sortait ensuite la nuit pour chasser le lapin ou pour une virée en balai en plein jour, aux yeux de tous.

Ses anciennes connaissances se serait formalisées du jeu séducteur qu’elle avait entrepris avec Israfel. La discrète timorée s’était transformée en lionne depuis son arrivée, et tout particulièrement au contact du Gryffondor. Elle ne bondissait pas sur le premier venu, non. Mais une folie de temps en temps n’était jamais pour lui déplaire. La Gryffondor n’avait eu, qu’en tout et pour tout, une seule relation solide. Elle avait duré plusieurs mois mais elle n’avait jamais été aussi spontanée et sauvage que ce qui se jouait entre les deux félins.

« J’espère que tu ne me laisserais pas seule! Une pauvre demoiselle sans défense, tu n’oserais pas tout de même » joua-t-elle avec exagération. Une intuition, ou peut-être son petit sourire, lui murmurait qu’il ne résisterait probablement pas à ses yeux presque vert d’eau si l’envie la prenait de jouer la pauvre innocente. Elle était douée pour cela. Il suffisait de renfiler le déguisement qu’elle avait si longtemps porté. « T’as raison, d’ici cet été je pourrai sûrement te battre à plates coutures. » Norà n’en croyait pas un mot, mais elle aimait fanfaronner. Un peu d’altitude et beaucoup de vitesse, cela ne pouvait résulter qu’en une succession d’acrobaties involontaires dans le ciel. Il faudrait vraiment beaucoup s’entraîner. De toute manière, ça pouvait être difficilement pire. Israfel ne devait pas réellement la croire non plus lorsqu’elle le défiait mais cela avait au moins l’intérêt de le faire rire un peu plus, pour le plus grand plaisir de la rouquine. Ça lui donnait envie de sauter sur ses lèvres pour apprécier encore plus sa fougue.

Le baiser sauvage qu’ils échangèrent au début, le premier de la journée, avait eu un goût de trop peu. Trop court aux yeux de Norà. Pourquoi devait-il décider du début et de la fin? C’était la réflexion qu’elle se faisait en le voyant s’éloigner vers La Tête de Sanglier. Elle n’avait pas dit son dernier mot. Alors qu’Israfel entamait une phrase pour tenter d’apaiser temporairement Norà, cette dernière en profita pour, au contraire, jeter de l’huile sur le feu. C’était un moment court mais intense. Et ça en avait valu la peine, il avait eu l’effet escompté. Israfel se trouvait là, comme deux ronds de flan, obligé de subir l’arrêt volontaire de la Gryffondor. Pas de raison qu’il n’y ait qu’elle qui soit frustrée. Et au passage, elle lui avait subtilisé un baiser. Double bingo. Elle se contenta de sourire pour elle-même à la remarque du Gryffondor. Plus fou qu’il ne l’était? C’était une perspective enivrante.

Les deux étudiants rentrèrent dans le vieux pub miteux qu’était La Tête de Sanglier et s’installèrent à l’une des tables libres. C’était une vieille auberge odorante et mal-aimée des étudiants. Pourtant, quand on connaissait les pubs traditionnels écossais, on ne pouvait y voir qu’un cousin de nombreux autres pubs de la capitale. Rien de bien étonnant. A part peut-être pour les du Lac pour qui ce lieu devait être le summum de l’immondice.
Norà ne pu s’empêcher de pouffer de rire en écoutant les quelques mots de gaélique d’Israfel. Elle ne savait pas grand chose de ce dialecte. Bonjour, au revoir, merci. L’échelle zéro de ce que l’on pouvait connaître en écossais gaélique. « Tha i… » commença-t-elle, peu sûre d’elle. « Bòidheach? » Elle éclata de rire, se demandant si ce qu’elle disait signifiait réellement quelque chose.

Norà regarda Israfel énumérer tout ce qui pouvait lui faire envie sur la carte. Elle n’avait quasiment rien avalé et son estomac criait famine. L’angoisse du vol en balai n’avait pas achevé l’appétit de la lionne. Si elle voulait manger… quelque chose? Elle jeta un regard de connivence au Gryffondor, relevant le potentiel sous-entendu. «  Hmmmm… » commença-t-elle, l'index sur la bouche, en parcourant le visage puis le torse, les bras et les mains d’Israfel. L’envie ne lui manquait pas de le dévorer, mais il fallait rester un minimum correct dans le pub. « Regardons la nourriture d’abord » conclua-t-elle en posant son regard sur la carte. « Oh des Rowie… Ca fait un bail aussi que je n’en ai pas mangé. Alors je vais prendre ça et puis… un Cullen Skink et un Tatie Scone s’ils ont oui… Le Dundee cake me fait de l’oeil mais le balai risque de ne plus supporter nos deux poids. » avoua-t-elle en riant tout en refermant la carte. « Qu’est-ce que tu voudrais faire après? Une idée?» Demanda-t-elle, le coude sur la table et la main reposant dans sa main.

Israfel plissa légèrement les yeux en voyant qu’elle cherchait visiblement ses mots. Il étira ses lèvres dans un sourire qui se voulait encourageant et en même temps pincé parce qu’il n’arrivait pas vraiment à comprendre où elle voulait en venir. Il termina finalement par rire avec elle, passant une main sur son propre visage et une autre sur son ventre. Lui qui maîtrisait aussi bien le portugais, que l’espagnol et le gaélique (pour des raisons qui étaient bien évidemment de comprendre ce que les vieux pouvaient raconter en pensant qu’il ne comprendrait pas), la tentative de la pauvre Norà lui rappelait de vieux souvenirs. A l’époque, il avait été à la place de la petite rousse, parce que dans le clan on ne se retenait pas de se moquer des uns des autres, sans méchanceté aucune, seulement il fallait bien acquérir un peu d’autodérision pour survivre dans ce monde brut de coffre.
« Je sais pas c’que tu trouves beau, si c’est ce que tu as voulu dire… ? » Il se pinça de nouveau les lèvres, riant de nouveau un peu : « mon oide-baistidh c’est, mh, mon… ghoistidh ? Mon parrain en fait, désolé, je… mon cerveau s’mélange les pinceaux » se reprit-il, avec un petit sourire amusé.

Il termina par baisser les yeux sur la carte, listant à peu près tout ce qu’il pouvait trouver d’appétissant et il y en avait des choses. La Tête de Sanglier avait au moins ça de bien qu’elle proposait toujours des plats purement écossais, ce qui ne le dépaysait pas. A Londres, il avait principalement le droit à du poisson, un peu de cozido quand Rosa avait le temps, et le soir c’étaient souvent des soupes comme du caldo verde. Le Portugal rencontrant l’écosse, c’était quand même quelque chose, n’ayant en commun que la mer.

« Va pour tout ça alors, le balai a porté bien pire », Israfel lui jeta un petit regard tendre. Il aimait les formes de Norà, et quand bien même elle aurait été plus pulpeuse, plus voluptueuse, ça n’aurait probablement rien changé à leur petit jeu. Il jeta un regard aux alentours pour repérer le serveur mais ce dernier était en train de se faire tirer l’oreille par un grand mec pas commode.
Israfel détourna le regard, prenant ses aises sur son tabouret. Il croisa les bras sur son torse, haussant les épaules : « On pourrait prendre une chambre », ses iris noires tombèrent sur Norà, le temps de voir sa réaction, avant de sourire d’un air amusé : « Non, j’déconne, c’est assez craignos comme endroit, même s’ils ont d’excellents scones. »

Le serveur, un mec en blouson de cuir et l’air pâle, se planta devant eux. Il jeta un regard à Israfel avant d’avoir un large sourire, laissant apparaître au moins six dents en platine pour presque autant dorées. Des dents qu’il avait dues récupérer après une ou deux bastons générales comme ça arrivait souvent le weekend après deux heures du matin ici. Sur sa gorge on voyait de multiples tatouages, de même que sur ses avant-bras. Ses oreilles étaient percées à peu près tout le long de l’oreille. Rien n’allait chez lui, à part peut être l’odeur. C’était un jour où Bugsy avait pris une douche.

« Salut Isra’ » commença le serveur, jetant un œil à la petite rousse, « ‘venu accompagné à c’que j’vois. Mam’selle », il eut un petit signe de tête qui aurait pu être poli si seulement Bugsy n’était pas aussi tendu, voir raide dans ses habits.
« Salut Bug’, je vois que tu as l’œil ! C’est Norà, ma copine » présenta Israfel, ne cherchant pas à entrer dans les détails avec un repris de justice aussi sympathique et aimable soit-il. Un ricanement passa malgré tout sur les lèvres du premier année.
« Tu diras b’jour à ta tante pour moi. »
« Je n’y manqu’rais pas. »

Israfel eut un petit sourire fier. Rosa était un bon agent de la BIM, même si ce qui la faisait vibrer c’était plutôt d’être auror à l’origine. Elle avait dû demander une mutation de proximité, d’abord à Londres puis finalement à Edinburgh pour se rapprocher de son neveu, pour toujours être là, disponible.

Bugsy, de son véritable nom de famille Benjamin Zwillman, était un ancien de leur promotion. Un p’tit gars qui avait mal tourné à la sortie de Poudlard et qui avait été repêché in extremis. En dénonçant toute la petite bande de magouilleur qui l’avait entraîné, il s’était mis à dos pas mal de monde et à en juger par ses dents manquantes, certains étaient venus lui demander des comptes. Pour autant, il n’était jamais reparti dans ces sombres délires, s’accrochant à son travail. Il savait que s’il ne s’y tenait pas fermement, Azkaban se tenait juste à portée de mains et avec le courage dont il faisait preuve, y avait peu de chance qu’il survive au-delà d’une année.

« J’te sers quoi ? »
« Tout ce que t’as d’écossais et une carafe de jus d'orange si t'as » balança Israfel, lui tendant la carte.

Bugsy hocha la tête d’un air entendu avant de s’éloigner sans un regard derrière lui. Dans le fond de la salle, des gars frappaient leur pinte vide sur la table pour demander une nouvelle rasade. Il était à peine neuf heures, mais ça n’étonna pas Israfel qui passa sur eux un regard curieux avant de reporter toute son attention sur Norà.

« C’est Bugsy, une connaissance de travail d’ma tante, si on peut dire ça comme ça… » Il croisa de nouveau les bras sur le torse, semblant réfléchir : « Du coup on disait quoi ? Tu veux voir un truc en particulier ? Moi j’aime bien aller à Honeydukes, sinon chez Zonko. Tu veux p’t’être faire un tour à Gaichiffon ? J’vais avoir besoin de nouveaux gants pendant que j’y pense… »

Les siens commençaient à être usés, et si Norà voulait se mettre au balai, il lui en offrirait. Qu’on ne lui dise pas qu’il n’était pas galant et qu’il n’avait pas tenté de l’aider dans cette aventure qu’était celle de le battre à la course de balai.

Il fallait admettre que Norà n’était pas très douée en écossais gaélique. C’était comme si elle prétendait parler français en jetant simplement un « oui oui», « baguette », « Paris » de manière aléatoire avec un accent ridicule. Elle parviendrait difficilement à faire croire à Israfel qu’elle parlait cette langue à part entière, et ce n’était pas son objectif non plus. A vrai dire, elle ne comprenait pas toujours ce qu’il disait lorsqu’il se mettait à parler gaélique. Elle se doutait qu’il évoquait des personnes de sa famille, sans en savoir plus que cela. Non pas que cela ne l’intéressait pas, au contraire. C’était surtout pour éviter toute indélicatesse ou pour ne pas se faire coller l’étiquette d’imbécile au passage. Elle préférait ne pas relever. Après tout, elle saisissait l’essentiel. Un jour peut-être qu’elle creuserait vraiment. Ou elle oserait demander.
« Ce que j’ai trouvé de beau? Le pub peut-être? Ou alors serait-ce toi? Peut-être les deux? J’te laisse deviner. »
Après avoir détaillé du regard la moindre ligne du menu, Norà fit son choix. Un choix qui lui semblait raisonnable pour un petit déjeuner copieux. Sauf si l’on ajoutait le Dundee Cake. Ses proches étaient de bons mangeurs et elle n’était pas la dernière à s’asseoir à table lors des repas. Ce n’était pas le genre de nana qui mangerait de la salade pour les beaux yeux d’un garçon.
Quelle tristesse, pour une écossaise comme elle, d’avoir un jour à devoir manger de la salade toute sa vie parce qu’elle était casée. Norà ne voulait pas de ça. Elle voulait avoir de la liberté, y compris la liberté de manger ce qu’elle voulait.

« C’est pas raisonnable le Dundee Cake, je l’prendrai pas. » confirma-t-elle. « J’voudrais pas casser ton balai. » lança-t-elle avec humour. Elle ne vit pas le regard tendre qu’Israfel posait sur elle, tournant légèrement la tête pour observer la querelle naissante dans le pub. Le serveur était en train de se faire asticoter par un client. Elle songea qu’elle n’aimerait probablement pas ce métier. Les gars qui crient fort et s’amusent à mettre une claque sur les fesses d’une serveuse une fois trois pintes avalées, très peu pour elle. Elle aimait l’ambiance festive des pubs mais gardait toujours une certaine méfiance. Une vanne maladroite et l’ambiance tournait vite au pugilat. Elle n’écumait pas tous les bars d’Édimbourg, mais c’était suffisamment habituel pour qu’elle l’ait déjà observé de ses propres yeux.

Elle se retourna vers Israfel alors qu’il s’aventurait sur un terrain risqué. Une chambre? A la Tête de Sanglier? Comme c’était charmant. Il disait cela avec une telle désinvolture que Norà ne pu s’empêcher de rire. Ce n’était pas une moquerie mais plutôt le reflet de sa surprise. Si ses yeux ne la trahissaient pas, ses joues le feraient sûrement. « Alors comme ça tu veux prendre une chambre mais tu préfères attendre avant de poser tes yeux sur mes reins? » Le taquina-t-elle, se penchant comme pour lui faire une confidence. Elle se redressa avec un sourire charmant. « Tu fonctionnes à l’envers, à moins que tu sois plus tactile que visuel. »

C’est à ce moment que le serveur s’approcha d’eux. Visiblement Israfel était un habitué des lieux. C’était un drôle de mec qui avait dû se bagarrer plus d’une fois à en juger par ses dents. Un type tatoué de partout avec une multitude de piercings en tous genres. Il lui sembla bien sympathique.  Etrange mais sympathique. C’était le genre de gars que Norà n’aimait pas juger d’un seul regard. Souvent, derrière ce genre de type se cachaient d’intéressantes histoires. Ils n’étaient pas toujours de bonne compagnie, ce qui invitait à rester sur ses gardes, mais parfois c’étaient de vraies pépites. « M’sieur » répondit-elle alors qu’il la saluait. Elle jeta subitement un drôle de regard à Israfel alors qu’il la présentait à Bug. Sa copine? Elle arqua un sourcil interrogateur à cette remarque et ne rajouta d’abord rien, amusée. « T’aurais pu dire une amie, il y aurait cru aussi non? On fait sage ensemble, tu crois pas? » Finit-elle par dire, se penchant de nouveau vers lui.

Alors que Bug revenait avec les bras plus chargés que nécessaire, Norà pensa à ce qu’ils pourraient faire ensuite à Pré-au-Lard. « Si tu m’emmènes à Gaichiffon il faudra me mettre des oeillères. Enfin ceci dit je n’suis pas une du Lac, ça devrait aller. On va où tu veux, moi peu importe. J’aimerais juste m’arrêter deux secondes à la librairie, si ça ne te gêne pas. Sinon j’irai une autre fois, c’est pas urgent. » dit-elle en saisissant sa soupe au passage. Elle jeta un oeil à leur tablée, pensant qu’il y en avait presque pour cinq personnes. Elle finit par creuser un peu sur la vie d’Israfel « T’as l’air proche de ta tante, elle bosse dans quoi au juste? Elle vit pas loin d'Uist aussi?»

Un petit sourire amusé fendit les lèvres d’Israfel qu’il mordillait nerveusement, jetant un œil sur le côté, pas certain qu’on veuille entendre sa conversation. Ça ne l’empêche pas de reposer ses iris noirs sur Norà, la dévorant sur place : « J’ai le droit d’être romantique sélectif, ok ? »
C’était un peu comme la surdité sélective mais pour les sentiments. Plutôt pratique au demeurant, parce qu’Israfel pensait qu’il y avait un temps pour tout, et notamment un temps pour la drague et le côté plus sérieux. Avec Norà, ils oscillaient toujours à la façon d’un pendule. Un coup à droite, un coup à gauche, jamais au milieu, jamais sur la même longueur. Fallait surtout pas se croiser, c’était un coup à synchroniser les cœurs et à tomber amoureux et ça, certainement pas.
« J’suis un chaton en manque d’affection », Israfel eut une petite moue toute chagrine, ostensible et théâtrale. Il fallait peut-être qu’il songe à investir les planches tant il faisait dans le cirque vivant, à gesticuler, à moduler ses expressions comme les tonalités de sa voix. Sa vie entière n’était qu’un spectacle, passant du drame au sketch, sans s’arrêter, à la vitesse d’un balai en pleine course.

Israfel jeta un regard à Norà, d’abord surpris, puis éluda finalement la remarque comme si de rien n’était, les bras croisés sur le torse : « Ah, ça, non, ça a rien à voir. C’est juste que dans ce genre d’endroit, si t’as pas un mec, t’es vite emmerdée. Vaut mieux dire que t’es ma copine plutôt que de les avoir tous à la porte, crois-moi. »
Y avait que Rosa qui savait les tenir à carreaux, et fallait dire qu’ils mouftaient pas tant que ça à la pointe du couteau de chasse avec lequel elle se baladait tout le temps. Israfel ne l’avait vu s’en servir que deux fois dans sa maigre existence et ça lui avait bien ramolli le courage (ou les pruneaux, question de point de vue).
Il ajouta cependant, jetant un regard sur Norà, d’un air amusé : « J’partage pas avec ces ploucs. »

Bien évidemment, ils n’étaient pas ensemble et en théorie, Israfel n’aurait rien eu à dire si elle avait décidé de se lever et d’embrasser le premier venu. Il ne savait même pas vraiment, à ce moment-là, s’il aurait dit quelque chose. Il aurait probablement été vexé, ou blessé, ou un peu des deux – mais il aurait ravalé son jus d’orange et son amertume, aurait fait comme si de rien n’était et il aurait continué sa route comme ça.

Bugsy revint avec un plateau chargé pour au moins cinq alors qu’ils n’étaient que deux. Israfel paye sur le moment avec un petit surplus – question de garder le garçon discret sur ses visites, Rosa lui avait déjà dit plusieurs fois de pas traîner dans le coin, « chez les grands » comme elle disait. N’empêche qu’il était grand désormais, avec un port autorisé de la baguette et tout.

Il se redressa sur son tabouret, servant un verre à Norà puis ensuite à lui-même, ricanant :
« Gaichiffon ça m’va, comme je disais j’ai des gants à acheter. On f’ra un tour là-bas, puis après on aura qu’à aller à ton truc, à la librairie, et on finira par Zonko. J’ai deux trois trucs à acheter pour un ami. »
Un sourire fin se dessina sur le visage d’Israfel, une petite pensée allant à son cousin Adil Mesli qui, s’il ne le savait pas encore, finirait venger de Michel-Ange Grimm. Maintenant qu’il y avait matière à faire une connerie, il n’allait quand même pas la laisser s’échapper comme ça, pas vrai ?

« Ma tante ? Elle est agent de la BIM », le sourire qui fendit le visage d’Israfel était d’une fierté sans nom. C’était comme crier qu’elle était la femme la plus incroyable du monde – et il le pensait. « Elle avait un appart’ sur Londres mais elle s’est faite mutée en Ecosse y a six ans. C'est pas du tout une écossaise, haha, plutôt portugaise. »
Un petit silence s’ensuivit. Il aurait voulu lui dire qu’elle et lui vivaient ensemble, qu’ils étaient comme un frère et une sœur, mais c’était encore trop tôt. Encore trop douloureux. Alors au lieu de ça, il dévia le regard sur Bugsy, seulement le temps de faire comprendre à Norà qu’il parlait bien de lui :
« Elle est du genre barbare mais elle a un bon fond. Son truc c’est de faire un maximum pour la réinsertion. Son secret ? » Un petit silence pour le suspens. « L’intimidation. »
Il écarta ses deux index jusqu’à une belle taille, de bien vingt bons centimètres :
« Elle se balade avec un couteau comme ça et c’est une ancienne auror, alors niveau duel, c’est un peu un monstre. Elle tient en respect pas mal de monde. Elle est complètement louca*. » (*fou en portugais)
Il eut un rire franc avant d’engloutir un scone, souriant à Norà.

Les yeux perdus dans ceux d’Israfel, Norà se contentait de sourire en l’écoutant. Ils étaient comme deux joueurs de tennis qui s’affrontaient pour le plaisir. La balle changeait constamment de camp. L’un cherchait à déséquilibrer l’autre: un coup inattendu, un coup qui frôlait la ligne de sortie. C’avait un côté exquis. Norà jouait sans trop réfléchir à l’issue de cet échange. Elle avançait les yeux bandés, et elle se laissait faire tant qu’elle le voulait bien. Elle jouait avec plaisir les jeunes femmes sauvages, ajoutant un jouet étoffé de plumes devant le félin folâtre. Elle était loin de se considérer comme libertine ou comme une femme aux moeurs légères. Elle avait envie de se laisser aller, de profiter de sa liberté. Quand elle en avait envie.

« T’as le droit Israfel, tu fais ce que tu veux » dit-elle avec un sourire. Israfel était aussi libre qu’elle de faire ce qui lui chantait. En y pensant bien elle se demanda comment elle réagirait s’il la voyait au bras d’une autre jeune femme, lui faisant la même cour qu’à elle. Techniquement il aurait pu, il ne devait rien à la rousse. Norà décida d’arrêter d’imaginer des choses qui n’étaient pas encore sur le tapis, voulant s’éviter tout remous sentimental.
Fidèle à lui-même, Israfel endossa son rôle d’acteur, de pauvre chien battu pour amadouer la Gryffondor. Il n’en avait pas réellement besoin, mais c’était bon de lui faire croire le contraire. « Pauvre petit chat » ponctua-t-elle d’un air attendri. « Je n'prends pas assez soin de toi? » Eut-elle le courage de lancer avec un sourire entendu. Il aimait la manipuler avec ses divers masques, Norà aimait regarder les différentes scènes de théâtre. C’était une bonne spectatrice. C’était aussi une bonne actrice avec Israfel, et elle n’hésitait pas à surjouer ses propres tirades.

Norà jeta un oeil aux autres clients, veillant à ce qu’ils restent sagement de leur côté. Elle n’avait clairement pas envie de se faire enquiquiner par d’autres. D’autant qu’elle se savait vulnérable. « Ouais, je t’avoue que j’ai pas réellement envie d’avoir des soucis. Surtout pas ici avec des gabarits comme ceux-là. » Norà n’imaginait pas que des lourdingues aient pu venir la draguer, et qui sait quoi d’autre, elle pensait plutôt aux bagarres qui dégénéraient, accentuées par l’effet de l’alcool. Elle ne savait pas si Israfel était particulièrement doué, mais elle n’était qu’un bébé sorcière qui se débrouillait en première année. Soit à peu près… pas grand chose dans le monde de la magie. Une fourmi qu’on écrase au passage sans la voir. Elle se promit de ne venir ici qu’accompagnée.
Elle se retourna vers Israfel et ne lui répondit pas du tac au tac. Il ne partageait pas avec ces ploucs? Contre n’importe qui d’autre, Norà aurait grogné qu’elle était une femme libre et indépendante. Qu’elle faisait ce qu’elle voulait avec qui elle voulait. Elle laissa finalement tomber. C’était sûrement une phrase banale parmi d’autres. Elle ne fit alors que lui rendre le regard amusé qu’il lui lançait, pendant quelques secondes. « Tu n’partages pas avec ces ploucs? Et avec d’autres? » aurait-elle voulu demander tant la question lui brûlait les lèvres. Elle haussa les sourcils, soulevant l’étrangeté de la situation au passage. Elle ne savait pas ce qu’il lui aurait répondu. Elle aurait voulu glisser le nom de Grey comme ça, l’air de rien, même si James ne ferait jamais partie de ses prétendants. Il avait tant tiqué dans la salle commune en pensant au Serpentard qu’elle ne pouvait s’empêcher de se demander ce qu’il y avait entre ces deux-là.


Norà bu le jus d’orange que le Gryffondor lui servit à petites gorgées. « Merci pour le repas. Mais t’aurais dû me laisser payer un peu… » dit-elle avec une petite moue vaguement boudeuse, gênée de ne pas avoir participé au paiement. Elle se redressa avec plus d’entrain « La prochaine fois ce sera moi, ok? Dis oui. Si tu dis non je ne viendrai plus. » tenta-t-elle de négocier avec un air à la fois farouche et boudeur, les bras croisés en signe de défi.

Laissant son visage tomber entre ses mains, elle concéda avec un sourire; « Ok, Gaichiffon ce sera, mais juste pour acheter tes gants, pas plus! Ne me tente pas. Et puis la librairie et Zonko. Mais d’ailleurs, t’as prévu de faire quoi comme bêtise? Qui est ton partenaire de crime? Je croyais que tu luttais contre le crime Israfel? » Les partenaires de bêtise ne manquaient pas chez les Gryffondor. Elle songea à la dispute du dortoir qui avait poussé  @Apolline Dunn à monter sur ses chevaux. Elle avait vraiment exagéré et avait réussi à faire pester une Norà à demi réveillée. « Ne me dis pas que tu penses à piéger  @Michel-Ange Grimm? T’es resté là-dessus? Dis-moi, tu serais pas du genre têtu toi?» C’était l’hôpital qui se fichait de la charité. Si l’on pouvait reprocher quelque chose à la Gryffondor, c’était d’être trop obstinée.


Norà écouta Israfel parler de sa tante avec les yeux pétillants. « Waw, ta tante a l’air trop badass. » Le visage d’une grande brune armée d’un couteau, prête à faire la peau au premier qui lui chercherait des poux la laissait admirative. La rousse hocha de la tête alors qu’elle imaginait une grande brune au teint d’olive menacer quiconque toucherait un cheveu d’Israfel. « Un jour j’inspirerai le respect comme elle. Quand j’sortirai ma baguette on détalera sous mes yeux. » assura-t-elle, un peu de confiture sur le coin de la bouche. Elle pensa à sa famille, dont elle ne savait finalement pas grand chose. Y avait-il de telles forces de la nature dans son arbre généalogique?