Save Your Tears

L’homme manqua de chuter, ce qui fit sursauter la chatte. Kathleen tendit la main vers lui, avec l’espoir un peu fou de le retenir dans sa chute malgré son état, mais il s’était raccroché rapidement à l’encadrement de la porte, aussi se ravisa-t-elle.

Il entra en silence et elle le laissa prendre place au milieu de la cabane, non sans lui jeter un regard en coin.

Depuis la disparition des deux croups, elle était plus silencieuse, elle était plus propre aussi la cabane. D’un silence mortuaire. Ce n’était que lorsqu’il y avait du bruit qu’il s’y passait des choses horribles de toute façon.
La décoration, quant à elle, était un drôle de mélange de couleurs et de sensations. Il y avait ici et là de lourds coussins et d’épaisses couvertures, des édredons à n’en plus pouvoir, comme si la personne qui vivait ici aimait à se lover, seule, et était frileuse.
C’était d’autant plus amusant que dans la cheminée, un feu saisissant crépitait, chauffant les intérieurs d’une chaleur uniforme.

À quelques endroits de la pièce, subsistaient des souvenirs. En lieu de place de la chaîne hi-fi qu’elle avait ramené dans la planque et que @Braxton Clearwater avait éclaté une fois, un gramophone ensorcelé qui avait été son cadeau de noël. Un des rares. Nasreen avait l’oeil partout et c’était un peu comme ça qu’elle s’était retrouvée avec.
Il n’arrêtait pas de tourner en boucle et alors, en fond, on pouvait entendre ce vieux rock des années 70-80’, et quelques chansons qui lui amenaient tant de morgue dans l’âme, lui faisait ressasser des moments de sa vie qui avaient parfois la saveur des rêves.
Ils étaient là, gravés dans sa mémoire, si cotonneux qu’elle ne savait plus vraiment si elle les avait vécu ou si elle avait tout imaginé depuis le début.

D’un geste mécanique, Kathleen toucha son propre front alors qu’elle approchait de la cafetière. Un café à la moldue. Aucune voix dans son dos pour le lui reprocher, même gentiment, même sur le ton de l’humour ou de la taquinerie.
En plus il avait fini par le faire de cette manière, alors...

Elle cligna plusieurs fois des yeux, avant de se tourner vers l’homme. Son front la brûlait, mais plus encore, un sentiment d’urgence la prenait tout entière. Qui était-il vraiment ? Un guérisseur, mais avait-il été envoyé par...
Lentement la chatte se retourna, jetant un oeil au guérisseur.

Elle l'écoutait d'une oreille alors que l'eau commençait à passer dans le filtre, lui tirant une grimace, puis plus qu'une grimace, une mine dégoûtée, puis encore plus...

« Non, je crois que... j’ai besoin de m’asseoir » maugréa-t-elle doucement, avant de se laisser glisser le long des portes de la cuisine, la tête soudainement lourde et l’envie de vomir s’arrachant dans sa gorge.

L’odeur du café lui était soudainement insupportable et le son de la musique lui vrillait les tympans. Des sueurs froides glissaient le long de ses reins sans qu’elle ne puisse rien y faire.

En entendant un mouvement, Kathleen leva la main vers l’homme, sortant machinalement des griffes - maigres défenses mais tout ce dont elle était capable dans son état.

« Ne m’approche pas, ça va aller, c'est-ça va passer » couina-t-elle, la voix quelque peu étranglée.

Sa gorge se serra, et la panique commença doucement à l’envahir. Où était-elle ? Avec qui était-elle ? Pourquoi se sentait-elle aussi mal ? Sa peau fut parcourue d’un frisson désagréable alors que son coeur s’accélérait.

L’angoisse la piquait comme cent aspics au milieu du désert.

« Ne me touche pas » souffla-t-elle plus fort, le cœur au bord des lèvres.

La chatte avait tout l’air d’un animal apeuré, dans son coin de cuisine. Pour peu, elle aurait presque miaulé le prénom de @Braxton Clearwater, tout en sachant qu’il ne viendrait pas. Elle se serait probablement excusée d’ailleurs. Quelque chose mais j’avais peur Brax’, comme si ça pouvait excuser. Elle secoua doucement la tête, tentant de faire s’évaporer les pensées, toutes plus sombres et insidieuses les unes que les autres, avant de lui jeter un regard en coin.

Il n’avait pas bougé d’un cheveu et semblait tout aussi mal à l’aise qu’elle. C’était le genre de truc qu’elle pouvait sentir, à travers ses os, à travers sa peau. Comme un sixième sens animal, celui qui sait lire la peur dans le regard des autres, mais aussi la joie et tout un tas de trucs. Kathleen se mordit l’intérieur de la joue alors qu’elle se détendait, son coeur commençant à ralentir, l’affolement à se chasser de lui-même.

Ne restait que cette horrible fièvre et la fatigue des jours derniers.

Assise sur le sol, la tête un peu lourde, elle releva les yeux sur l’iranien quand ce dernier continua à lui parler. Sa voix venait à elle comme s’il était à des milliers de kilomètre de ses oreilles, comme si sa tête était enfoncée dans un édredon épais. C’était moelleux et ténu, presque un murmure derrière le sifflement continu des acouphènes.

Elle eut un petit sourire pauvre :
« La potion, oui... Je veux bien, s’il vous plaît, et, euh, désolée... Je... je me sens pas très, euh, assez en forme--p-pour la faire, c’est pas que je veux pas hein, c’est--je sais que vous avez des choses plus... imp-portantes à faire ou, euh, d’autres gens à voir, qui sont plus malades, je suis vraiment désolée, mais j’ai du... j’ai du me faire mal, à un moment, je crois, ou c’est la fatigue, je dors pas vraiment en ce moment, je...j’ai du mal à dormir, mais c’est la pleine lune, alors... ‘fin, pas que je sois, euh, une-euh-louve, mais j’ai... j’aime pas vraiment la... pleine lune... »

Sa voix s’éteignit alors que ses paupières clignaient, comme pour tenter de reprendre le contrôle complet de cette enveloppe bien fragile.

Kathleen resta quelques secondes, suivant d’un regard toujours méfiant l’iranien, ses iris allant de temps en temps vers la fenêtre. Elle inspira profondément, bien posée là, contre son meuble, le corps rompu sans avoir rien foutu.
Elle ne savait pas d’où lui venait cette fatigue mais elle imaginait que toute l’angoisse, tout le stress accumulé ces derniers mois avait fini par la rattraper.

Et pas seulement cette histoire de pleine lune..

« Non, non, pas la fenêtre, ne vous approchez pas de la fenêtre ! » siffla la chatte entre ses dents, se rendant compte qu’elle venait de presque râler sur le soigneur qui ne faisait depuis le début que son travail.
Elle passa sur son visage une main pour en chasser la torpeur, murmurant un petit « je suis désolée, je ne voulais pas, j'ai eu... », quand bien même elle n’avait pas eu de toute façon la force de crier ou de le haranguer.

Jones se frotta le front, avant de reporter son attention sur la potion. Il lui avait donné quelques secondes auparavant, et désormais elle se retrouvait à devoir prendre quelque chose qui était sensé lui faire du bien. Rien n’aurait vraiment su lui faire du bien. Elle inspira profondément et finalement commença par prendre une gorgée. Un frisson désagréable lui remonta l’échine ; c’était amer, mais l’effet était doux, chaud sous la peau, mais d’une chaleur qui n’étouffe pas, d’une chaleur qui réconforte.

Elle le termina avant de reposer devant elle la fioline. L’homme était toujours là, l’observant avec un air compatissant et ennuyé à la fois. Kathleen baissa les yeux, l’écoutant distraitement. Elle se concentrait à ressentir ce que son corps voulait lui faire comprendre. Peut-être devait-elle prendre un peu de repos, peut-être qu’elle devait parler avec @Sean Clearwater... remettre les choses à plat, lui demander comment allait son père ? Non, non, ce n’était pas le moment. @Jameson Clearwater était toujours en colère à sa façon de la regarder et elle...

Les yeux noisette de Kath’ se levèrent sur le médicomage. Elle en avait vu énormément avant lui, des plus ou moins doux, des plus ou moins tendres. Elle avait pu en entendre des bonnes parfois, des pourquoi elle ne s’en va pas si elle est pas contente, comme s’il aurait été simple de le quitter. Si elle y retourne c’est qu’elle doit aimer ça. Oui, elle en avait entendu des bonnes...

La potion commençant à agir, Kathleen sentit son coeur ralentir dans sa poitrine sa course effrénée. Cela lui fit du bien. Elle posa doucement sa tête sur ses genoux serrés contre sa poitrine, légèrement prostrée. Elle ferma lentement les paupières, laissant le temps à ce corps rompu par la vie de se remettre.

D’une toute petite voix, elle prit pourtant le soin de répondre le plus honnêtement possible. Ce n’est pas qu’elle devait au médecin une véritable réponse, mais il était temps de mettre des mots sur les maux, d’appeler le loup un loup et le chat un chat.

« Elle ne l’est pas. Elle me fait peur. »

Kathleen ouvrit doucement les yeux, devinant qu’elle devait être prise pour une folle par l’homme.

« Ça me rappelle de mauvais souvenirs. Des jours rouges et des nuits blanches. Des morts, aussi... Je n’aime pas la mort, ni la nuit » souffla-t-elle, sentant la fatigue s’installer. Elle n’avait pas besoin de beaucoup lutter pour rester éveiller, mais elle n’aurait pas eu la force de se relever tant elle se sentait soudainement bien, là, assise sur le sol.

Voyant le visage de Dâriush changer, sans comprendre pourquoi, la chatte rajouta, d’une voix blanche et fatiguée :

« Vous ne devez pas avoir peur de la mort, dans votre métier... Vous devez la voir souvent... Je ne le pourrais pas. »

Elle ne le voulait pas.

Le ton sincère, authentique même, de l’homme la toucha sans qu’elle ne s’en rende compte. Aucune réponse ne traversa ses lèvres ; au lieu de ça, elle repensait aux enfants et aux animaux qui avaient jadis été avec elle, dans ces cages qui étaient devenues floues dans son esprit au fur et à mesure des années. Elle se souvenait avoir entendu cette femme, cette auror, lui dire qu’elle avait eu de la chance. Kathleen ne pensait pas qu’elle en avait eu. Pas qu’elle n’était pas heureuse d’avoir été libérée ou d’avoir survécue, mais Dariûsh avait raison. La douleur était pour ceux qui restaient. Sans s’en apercevoir, et en misant sans doute un peu trop sur la résilience de l’enfance, les adultes avaient gommé toute la vigilance qu’ils auraient dû lui offrir. Au lieu de ça, ils l’avaient lâché dans un monde où elle devait saisir sa chance.

Kathleen était un chat noir. Les chats noirs n’attiraient pas la chance.

Lentement la jeune femme baissa les yeux, d’un air triste, alors qu’elle l’écoutait en silence. Ses doigts se tordirent les uns les autres alors qu’elle imaginait un lieu de quiétude pour elle. Elle y voyait la lucarne et le lent vol des mouettes rieuses sur la plage. Ce n’était pas Bristol. Ce n’était plus Bristol qu’elle voyait, et ce depuis longtemps. Cela faisait longtemps que le rire taquin de Braxton Clearwater et la vieille musique américaine avaient remplacé le vide de l’ancien orphelinat.

La professeur cligna doucement des yeux, les relevant doucement sur le visage du médicomage. Ses doigts courraient sur le plancher. Elle y était bien. Elle ne bougea pas, préférant détendre doucement son corps tendu ici.

Le visage tiré, elle repensa aux hangars où les râles d’agonie étaient monnaie courante, à l’odeur puissante de la décomposition rampante, au bruit des vers qui grouillent et roulent sur le sol. Elle ravala difficilement sa salive, la tête lourde encore.

« J’ai vécu si longtemps dans la nuit, que j’ai eu peur... je crois, du jour... »

Sauvée et libérée, on avait attendu d’elle qu’elle soit une petite fille parfaite, toute pleine de reconnaissance. Elle n’était que des lambeaux pourtant de ce qu’elle aurait pu être. Kathleen n’en voulait pas à Madame Langley, parce qu’elle savait qu’elle n’était ni parfaite, ni reconnaissante à l’époque. Elle avait simplement eu peur, longtemps, des autres. Petite fille mutique, au regard hagard, toujours plongée dans des cauchemars dont il ne fallait surtout pas parler, parce qu’en parler, c’était faire exister les fantômes, c’était donner une place au passé qu’on voulait faire oublier.

« Dans la nuit, je suis tombée amoureuse de la lune, parce qu’il disait que j’étais la plus jolie des étoiles et que, même si c’était pas vrai, au moins il le pensait... » Elle pencha doucement la tête, repensant aux premiers baisers, à cette pudeur que Ryan avait parfois, dans ses mains tremblantes à la déshabiller, toujours au grès de la nuit, loin des regards indiscrets. « Mais la vérité, c’est que je ne suis pas faite pour ça. Pour la nuit. Pour les lunes. »

Elle repensa à Braxton, au matagot et à ses grands yeux qu’il décrivait toujours comme ayant capturé le soleil. Non, pas capturer. Ayant laissé le soleil entré. C’était beaucoup trop beau pour elle, mais elle sourirait à chaque fois, avant de se rappeler qu’il parlait du chat. Pas d’elle. Juste du chat.

« Je me suis perdue il y a longtemps, dans une nuit sans lendemain. Et maintenant que j’essaye de vivre dans le jour, c’est... douloureux, ça me brûle. »

Un petit sourire désolé passa sur les lèvres de la chatte, alors qu’elle relevait le visage du Dariûsh.

« Je crois que je suis juste fatiguée d’essayer de trouver une place, entre le jour et la nuit. »