Save Your Tears

Parfois, lutter ne sert à rien.

Les épaules de Kathleen se délièrent, comme si Dâriush venait de défaire ce noeud de nerf qui le coinçait depuis des mois. Elle baissa les yeux alors qu’il lui revanti les images de Jameson l’attrapant sans douceur, sa voix grave et venimeuse lui siffler «t’aurais peut-être du te jeter du haut d’un pont» ; la colère plus explosive de Braxton lui promettant de lui briser les os.

La respiration de Kathleen se fit doucement plus posée alors que son esprit se remplissait petit à petit d’autant de petits flocons d’une violence sourde qui avait pour ainsi dire toujours sonner à ses oreilles. De sa naissance à aujourd’hui, elle s’était accrochée jusqu’à la nausée mais est-ce que ça l’avait sauvé ? A une époque, elle avait cru que @Braxton Clearwater était différent. Quelle ironie de voir que le seul qui ne l’oubliait jamais, dans le temps, était cet enculé de Ryan.

Elle passa une main sur son visage, alors qu’elle relevait les yeux sur cet homme vulnérable qui lui parlait de cette voix simple, qui ne haussait pas, qui ne s’agaçait pas, qui avait la patience des ruisseaux qui resteront toujours filets d’eau même au sein de la tempête. Elle eut un petit sourire mais ne répondit pas ; il n’y avait pas besoin de mots, du moins la chatte le pensait. Les mots c’était surfait. Elle s’était trop longtemps excusée pour finalement du vent, sans jamais pouvoir prouver quoi que ce soit.

Un jour elle le ferait.
Un jour elle aurait le courage, un courage d’un autre niveau que de se jeter sur lui.

Elle soupira doucement, avec un sourire un peu triste. Une personne lui voulant du bien. Ca devenait difficile d’en trouver des comme ça. Il ne lui restait bientôt plus qu’Amour Whisteldown, qui d’aussi loin qu’elle s’en souvenait ne l’avait jamais jugé, mais il n’avait jamais non plus été mouillé dans les affaires dans lesquelles elle trempait.

Jusqu’à quand - c’était ça la bonne question à se poser. Jusqu’à quand Amour serait épargné.

Elle se gratta nerveusement le poignet, évitant cette fois soigneusement le regard du médicomage pour ne pas avoir à lui répondre. Pour ne pas faire pitié encore, pour ne pas s’enfoncer plus dans le misérabilisme dans lequel elle avait sans doute fini par se complaire. Elle s’arrêta de gratter au moment où cela commençait à lui faire mal, relevant les yeux vers l’homme qui posait de nouvelles questions.

Comme un félin ahuri, elle cligna des yeux, avant de finalement se racler la gorge.

« Je... je dors mal oui, j’ai souvent... envie de vomir, et comme je mange pas, j’ai-j’me sens faible, avec parfois la tête qui tourne, mais dès que je mange un peu, ça va mieux. Je dois juste manger, c’est juste que... j’oublis, et que j’ai pas très faim, de rien... » Elle glissa sur lui un petit regard malheureux, toujours dans son coin, prostrée mais au moins, elle le voyait, elle lui rendait un regard et admettait qu’il y avait un souci oui. Ce souci c’était un peu elle. « J’ai été témoin d’un accident magique, en-en juillet, et depuis j’ai du mal avec tout ça. Du mal à me concentrer. Du mal à trouver une raison de le faire. »

Pourquoi devait-elle s’autoriser à vivre alors que @Sean Clearwater était revenu brisé ? Pourquoi ? Qui était-elle pour vivre quand tant était mort à cause d’elle ? Elle recommença à se gratter, nerveusement.

TW : mentions subtiles de violence domestique et de viol

Le médicomage sembla réfléchir de longues minutes. Kathleen l’observa d’un regard peureux, non sans s’imaginer un court instant qu’elle avait peut-être une maladie étrange, un petit cancer peut-être comme les moldus avaient parfois ou pire encore, une dragoncelle ? C’aurait été assez ironique à bien y réfléchir. Crever d’une maladie infectieuse après avoir été aussi longtemps proche d’un tueur. Elle baissa finalement les yeux, avant de les relever avec un air presque effrayé par la question du médecin.

Son petit cœur rata un battement en imaginant qu’il pouvait être au courant de quoi que ce soit, et son visage se vida de ses couleurs. Soudainement, elle se sentait mise à nu par ce regard qui ne semblait rien lui reprocher mais qui avait, en seulement quelques mots, ébranler tout ce qu’il lui restait de confiance.

Pouvait-elle fondamentalement dire « non » ? Est-ce que ça n’aurait pas été encore un mensonge – un énième ? Après avoir menti à @Braxton Clearwater au sujet du matagot, après avoir omis à @Jameson Clearwater tout l’ombre de son passé, après avoir s’être menti à soi-même pendant des années, pouvait-elle encore dire « non, je ne savais pas » en toute conscience ?

Une larme s’échappa, puis une autre, rapidement ses pupilles claires furent des ruisseaux inconsolables. Elle ne bougea pourtant pas d’un pouce, ni pour les essuyer, ni pour se cacher. Trop tard pour se cacher.

« Je… C’est… »

Elle sursauta en entendant sa voix un peu rouée. Le son même du timbre la sortit d’elle-même alors qu’elle terminait de comprendre la question. Ses iris quittèrent la silhouette du médicomage pour aller jusqu’à la fenêtre, voir au loin la pleine lune qui la narguait encore. Partout où elle allait, elle la suivait, et son voile de mépris la couvrait tant est si bien que quoi qu’elle pouvait faire, Kathleen n’avait d’autres choix que d’y être désespérément associée.

C’était comme une seconde peau qu’elle n’arriverait jamais à arracher – une peau fauve, une peau de loup qui tâche et entrave.

« C’est… à cause de moi… », balbutia-t-elle, même si cela la brûlait de l’avouer, et pourtant, si elle ne s’était jamais attachée à Braxton, Ryan n’aurait jamais rien eu contre lui. Si elle était restée, docile, servile, sous sa main, dans leur appartement, peut-être que tout ça n’aurait jamais eu lieu et alors… alors Sean…

« C’est mon… »

Mon… quoi ?

Le mot lui manqua.

« Excusez-moi » couina-t-elle, prenant cette fois le temps d’essuyer ses joues et de se composer, de prendre le temps de se calmer et de respirer, car pour l’heure, elle n’avait l’air que d’une pauvre femme au discours bien décousue. Kathleen ne donnait pas l’impression d’être capable du moindre mal, et encore moins de torturer un étudiant pour le simple plaisir de briser son esprit.

En revanche, son « quelque chose » n’y avait vu qu’un moyen détourné de faire mal, de faire mal à celui qui le lui en faisait tout autant.

« Désolée », hoqueta-t-elle, reprenant doucement, tentant de se calmer, « c’est parce que… j’ai… toujours – cette envie de vomir… cette nausée… quand j'y pe-pense... »

Cette peau, elle aurait aimé l’arracher d’elle, s’écorcher jusqu’à ne plus imaginer une seule seconde la caresse de sa main sur elle, l’emprise de ses poings sur ses hanches, poings impérieux et impitoyables. Elle avait pris l’habitude de ne pas bouger, de le laisser faire, mais cette fois elle n’avait pas même eu la force de contester tant il avait broyé ce corps avant de s’en servir.

La nausée la prit de nouveau, mais Kathleen ne fit rien de plus que de hoqueter de nouveau, se mordant la langue pour se tenir.

Il lui suffirait de quelques minutes de plus pour ravaler sa salive au goût amer et se calmer.

« J’irais mieux demain » souffla-t-elle, se forçant à se calmer.
« Tout mais pas à Sainte-Mangouste, par pitié » couina-t-elle presque dans la minute.

Kathleen releva les yeux sur le médicomage qui lui semblait sympathique, mais elle n’avait qu’une seule envie, c’était de retrouver le calme de sa cabane et la chaleur de ses couvertures. La potion commençait déjà à faire effet mais il lui faudrait encore un peu de repos, aussi elle resta prostrée, prenant soin de calmer son myocarde pour ne pas affoler davantage le médecin.

Silencieuse, la jeune femme semblait réfléchir ; parler n’était jamais une option viable, pas même dans un monde où elle mourrait tout juste après. Les yeux un peu lourds, la chatte termina simplement par se lever enfin, quittant enfin le sol pour finalement déplier ses membres engourdis.

« Un jour, peut-être, peut-être que je le pourrais », commenta-t-elle simplement, ne souhaitant pas nécessairement entrer dans les détails de ce mal qui rongeait la peau de ses poignets.

Elle jeta un regard à Dâriush, sa respiration davantage posée :

« Un jour peut-être. »

Cela tomba comme la seule chose qu’elle pourrait lui offrir ce soir.