Strangers like me - ft. Eynaelle Sanderson

Eynaelle & Siobhán
Never-Utopia



Pendant le cours de métamorphose, Siobhán avait entendu la petite voix fluette d’@Eynaelle Sanderson répondre expressément aux questions de son père, quand sa fille elle-même avait décidé de garder le silence et de ne pas donner à son géniteur le plaisir de la voir participer à sa leçon. Cette tonalité, aiguë mais tendre, l’avait ainsi plongée, à plusieurs reprises, dans une grande perplexité.

Il était cocasse de penser que @Luke Korrigan et Eynaelle n’avaient tous deux aucune idée de qui ils étaient l’un pour l’autre. Bien entendu, la rouquine ne manquerait pas de faire tomber la nouvelle sur les épaules de son père dès qu’elle en aurait l’occasion. Pour qu’il se rende compte à son tour de toute la véhémence des informations qu’il avait pu garder pour lui. De l’impact que pouvait avoir le passé sur le présent. Car pendant deux années, depuis le premier jour où Eynaelle avait fréquenté les murs de ce château, les deux jeunes femmes s’étaient côtoyées de près ou de loin, sans jamais n’avoir aucune conscience de leur lien de parenté. Là encore, si Siobhán n’avait pas cherché les réponses à ses questions, elle n’aurait jamais rien su de l’existence d’une tante. D’une cousine. D’une grand-mère. De toute une famille qui avait continué de grandir dans le plus grand secret, sans qu’elle ne puisse choisir d'y prendre part. Sous prétexte que son père avait décidé, pour elle, pour @Finn Gavalagh-Korrigan, qu’il ne s’agissait pas du bon chemin.

Sauf que Korrigan et Gavalagh avaient l’habitude d’aller exactement où ils voulaient, sans que personne ne puisse les empêchr de suivre la voie qui leur était tracée. Alors imaginez ce qu’un mélange de ces deux sangs pouvait donner.

Siobhán et Eynaelle ne s’étaient pas adressé la parole depuis qu’elles avaient appris qu’elles étaient cousines. Leur discussion dans un petit local éloigné s’était retrouvée écourtée par toute la violence de la vérité qui avait explosé, ce jour-là. Depuis, le temps était passé et entendre la voix d’Eynaelle dans la Grande Salle avait fait prendre conscience à la demie-vélane qu’elle se sentait prête à en savoir plus. Même si elle se doutait que son départ précipité n’avait certainement pas été du goût de la Poufsouffle. Même si elle n’avait pas encore tout à fait digéré la réalité qui s’était imposée à elle.

À la fin du cours, elle s’était précipitée pour ranger ses affaires et avait marmonné à @Xris Anderson quelque chose comme « Désolée, je dois y aller » avant d’accélérer le pas en direction de la sortie. En passant la porte de la Grande Salle, Siobhán avait serpenté entre les élèves pour rattraper Eynaelle par le bras. Ce n’était pas une accroche des plus tendres, mais c’était de loin la plus efficace pour s’assurer qu’elle n’allait pas filer.

« Eynaelle, on peut parler ? »

L'accueil plutôt chaleureux réservé par Eynaelle avait de quoi surprendre. Siobhán s'était imaginée qu'elle aurait pu lui en vouloir d'être ainsi partie, sans avoir pris le temps d'écouter ce qu'elle avait à lui dire, ni même cette chanson dont elle avait voulu lui parler. Mais aucune animosité ne se lisait dans son visage ; simplement, peut-être, une pointe d'inquiétude qui transparaissait dans ses traits. Sans doute craignait-elle que cette nouvelle discussion ne se passe mal, ou, en tout cas, pas comme elles l'auraient toutes les deux souhaité. Comme la première fois. C'était en tout cas ce que traduisait sa voix mal-assurée. Siobhán tenta de l'apaiser avec un fin sourire dont elle seule avait le secret.

« D'accord, allons-y », accepta-t-elle d'une voix douce en commençant à marcher à ses côtés sur les pierres usées du Hall d'Entrée.

Un fois n'était pas coutume, la demie-vélane ne savait pas trop par où commencer alors qu'elle n'avait, à nouveau, pas pris le temps de réfléchir à la manière dont elle allait aborder la suite de leur dernière conversation. Pourtant, leur dernier échange aurait du lui servir de leçon. Mais y avait-il vraiment une bonne façon de mentionner un sujet comme celui-là, de toute façon ? Quand il était question d'histoires de famille, les mots choisis avait de grandes chances de ne jamais être les bons. Surtout quand on se savait du même sang mais qu'on ne s'était jamais réellement parlé auparavant.

Tout aurait pu être si simple, pourtant. S'il n'y avait eu aucun secret pour tout gâcher, les jeunes femmes auraient pu grandir ensemble et apprendre à communiquer. Comme Siobhán l'avait fait avec son frère et ses cousines, toute sa vie. Les deux Gavalagh étaient elles aussi de la même famille et pourtant, elles ne savaient pas comment s'adresser l'une à l'autre. Tout simplement parce qu'elles ne savaient rien l'une de l'autre.

« Je t'ai cherchée, dans les jours qui ont suivi notre... discussion », avoua Siobhán d'une voix neutre en marchant. « Je voulais m'excuser pour mon comportement. Mais je ne t'ai pas trouvée, dans la Grande Salle. Tu étais... partie ? »

Finalement, presque un mois s'était écoulé, et aucune excuse n'avait été formulée. Parce que quand la jeune femme avait de nouveau croisé la Poufsouffle à l'heure des repas, elle ne s'était plus senti le courage de l'approcher. Se laisser du temps pour digérer s'était alors imposé comme la meilleure option. D'autant plus que Siobhán avait eu d'autres "choses" en tête depuis cette date.

« J'imagine qu'il est encore temps de te présenter mes excuses. Je n'aurais pas dû partir comme ça. »

Mais voilà, quand le passé faisait surface, certains sentiments ne se maîtrisaient pas.

En grandissant, Siobhán avait appris à cacher ses émotions. À force de déceptions, elle avait saisi que les montrer revenait à donner aux autres toutes les clés pour l'atteindre. Pour la toucher. Pour la blesser. Au fil des années, la petite Korrigan était ainsi devenue maîtresse dans l'art des faux-semblants. À tel point que, lorsqu'elle le décidait, il était impossible de lire sur son visage ce qu'elle ressentait. C'était ainsi qu'elle se maîtrisait ; en faisant preuve de retenue, la plupart du temps.

Eynaelle était, sur bien des aspects, son strict opposé. Siobhán l'avait déjà remarqué lorsqu'elle était allée la trouver, dans la Grande Salle, lors de cette fameuse journée. La Poufsouffle était alors en train de se donner en spectacle, usant de ses charmes sans même chercher à les restreindre, quand la Serpentard, elle, avait toujours cherché autant que possible à ne pas se montrer. Et puis, contrairement à sa cousine Korrigan, il semblait qu'Eynaelle ne disposait d'aucun filtre pour dissimuler ce qu'elle pensait. Dans ses yeux, en cet instant, on pouvait d'ailleurs aisément lire toute sa détresse à l'idée de devoir expliquer la raison de sa "disparition".

« Tu t'es... transformée ? »

Siobhán avait marqué un temps d'arrêt, stoppant jusqu'à sa marche alors qu'elle regardait sa cousine, interloquée. Dans sa jeunesse, elle avait déjà vu certaines parties de sa peau se couvrir d'écailles, ses doigts si fins se transformer en pattes crochues. Mais jamais sa métamorphose n'avait été plus loin. Était-ce parce qu'elle cherchait justement à toujours tout contrôler, qu'elle avait toujours réussi à s'arrêter avant que ça n'aille trop loin ? Ou bien était-ce du au fait qu'elle ne connaissait pas toute l'étendue de ses capacités ? Il était bien entendu, trop tôt pour obtenir une réponse claire à ce sujet.

« Est-ce que... ça t'arrive souvent ? Jusqu'où est allée ta transformation ? »

Elle marqua une pause en reprenant le rythme initial de leur marche, alors que les questions fusaient dans son esprit. Au vu de l'attitude de la jaune-et-noir, mieux valait la préserver de cette curiosité qu'elle sentait monter à plein nez.

Car visiblement, Eynaelle avait déjà poussé les limites de ce don qu'elles partageaient. C'était une preuve supplémentaire, s'il en fallait vraiment une, que Siobhán n'avait fait jusqu'ici qu'effleurer ses propres capacités. Elle n'osait s'imaginer ce que donnerait sa première vraie perte de contrôle, si un jour cela venait à se produire.

« Eynaelle, je suis désolée de ne pas être restée à ton chevet. Vraiment. »

Même si leurs différences semblaient jusqu'ici bien plus nombreuses que leurs points communs, Siobhán éprouvait déjà un attachement tout particulier à cette sensibilité que lui témoignait sa cousine. Malgré la mauvaise tournure de leur dernier échange, Eynaelle n'hésitait pas à lui parler avec son cœur, et cette tendance avait quelque chose de fondamentalement touchant.

Au fond d'elle, la Serpentard espérait que le reste de cette famille inconnue partageait les qualités qu'elle pouvait déjà lire en cette nouvelle cousine. D'ailleurs...

« Tu leur as parlé de notre découverte ? »

Son cœur brulait d'en savoir plus.

Alors qu’elles marchaient toujours en lisière de la forêt interdite, la conversation prenait un tournant intime, presque secret, tandis que la Poufsouffle commençait doucement à se confier. Mais contrairement à leur dernier échange, où les non-dits avaient été balancés sur la table sans sommation, l’ambiance restait calme. Peut-être le fait de marcher les aidait-elles à canaliser leurs émotions réciproques.

Ou peut-être que la Korrigan commençait à accepter ces révélations, à défaut d’être en mesure de pardonner celui qui était à l’origine de ce déferlement inédit de découvertes.

En entendant Eynaelle parler, il apparaissait clairement que sa maitrise du don avec lequel elles étaient pourtant toutes les deux nées était bien meilleure. Bien plus avancée. Qu’elle s’était aventurée sur des terrains que Siobhán avait toujours, par son caractère, et certainement par chance aussi, réussi à éviter.

Pour autant, il semblait que sa cousine n’en possédait pas encore toutes les clés, laissant présager qu’il leur restait encore un long chemin à parcourir, à toutes les deux. Son sang se glaçait déjà à l’idée de pouvoir perdre le contrôle au point de ne plus maîtriser ce qu’elle était et cette pensée lui fit fermer les yeux. La vert-et-argent avait déjà compris lors de ses entrevues avec Saúl qu’elle avait encore tout à apprendre. Ce n’était pas une nouveauté, mais ce retard était d’autant plus difficile à admettre quand on faisait tout pour être parfaite.

Elle fut brusquement interrompue dans ses pensées lorsqu’elle vit Eynaelle se saisir de son bras et reculer d'un pas, comme si elle avait honte. Mais de quoi ? Siobhán s'arrêta pour jeter son regard dans le sien, puis s'approcha pour toucher son bras dans un geste qu'elle voulait rassurant. Elle était peu habituée à ces démonstrations tactiles en dehors des proches auprès desquels elle avait grandi. Et, plus récemment, une autre exception. Elle restait immobile, baissant simplement les yeux sur ce contact nouveau qui les reliait, sans trop savoir ce qui l'avait guidée à l'initier.

Ce geste était aussi une volonté inconsciente de les ramener l'une comme l'autre au moment présent. Siobhán se contenta alors d'écouter, car la perte de contrôle était une notion qui lui était inconnue et qu'elle avait tendance à vouloir à tout prix éviter, jusqu'à même la mentionner. Mais lorsqu'Eynaelle lui parla de sa mère, il était devenu impossible de garder le silence. Sa main retomba le long de son corps.

« Comment est-ce qu'elle a réagi ? Quand tu lui as parlé de... moi ? De sa sœur ? Enfin je veux dire... De ma mère ? »

Comme à l'accoutumée, la douleur dans sa poitrine se réveilla silencieusement, lui rappelant indéfiniment ce vide que sa mère avait laissé.

Bien-sûr que Siobhán irait se confronter à leur grand-mère, quand le moment serait venu. Bien que cette simple pensée étriquait sa gorge, créant des nœuds puissants qui pourraient l'empêcher de respirer s'ils venaient à trop se resserrer. Ne pas répondre par la positive était un moyen de se laisser une porte de sortie, au cas-où le courage venait à lui manquer.

Mais pour l'instant, tout ce qui lui importait était d'avoir une idée, même infime, sur la place qu'elle pourrait tenir auprès de cette famille qu'elle n'avait jamais connu. Et qui ne l'avait jamais connue non plus.

De savoir comment la disparition de sa mère avait été perçue. Car la réponse d'Eynaelle allait aussi permettre à sa cousine de déterminer si cette partie de sa famille étaient aussi dangereuse que son père le prétendait. Ou bien si elle pouvait se fier à la voix tendre de la Poufsouffle lorsqu'elle parlait de cette tante dont elle ne savait rien.

Le silence s'était imposé entre elles quelques secondes, quand la Sanderson l'avait interrogée sur ses pouvoirs. Siobhán avait plongé dans ses iris pour guetter sa réaction.

« C'est compliqué. »

Oui, ça l'était. Là encore, trouver les mots justes était vain.

« Disons que quand ton père est prof de métamorphose à Poudlard, tu connais la théorie par cœur. Mais la pratique... »

Un petit sourire triste se dessina sur ses lèvres.

« Tu dois l'apprendre toute seule. »

C'était en tout cas ce que son père lui avait clairement fait comprendre, au mois de janvier dernier, après sa petite escapade dans l'Allée des Embrumes.

À cette pensée, Siobhán se remit à marcher.

En y repensant, Siobhán n'avait jamais vraiment perçu @Maeve Cynfeirdd comme une tante. Officiellement, c'était ce rôle qu'elle aurait été censée interpréter si le destin n'en avait pas décidé autrement. Si @Luke Korrigan n'avait pas trouvé en elle la mère qui manquait à ses jumeaux qui étaient nés quand son épouse, elle, s'en était allée. Alors, entendre Eynaelle parler de la sœur de sa mère, sa tante de sang, avait quelque chose d'étrange. Ce sentiment qui finissait d'agrandir ce trou béant dans sa poitrine.

« Comment ça se fait que ta mère n'ait pas su... ce qui était arrivé à la mienne ? Comment se fait-il qu'elle n'ait jamais su que Finn et moi, on existait ?  »

Autrement dit, dans quel monde pouvait-on ne pas avoir connaissance, en vingt-et-une longues années, du décès de sa propre sœur ? Cette pensée plaça Siobhán sur la défensive. Elle n'avait jamais pris les choses sous cet angle, mais maintenant que cette question était posée, elle se demandait bien quelle réponse sa cousine Poufsouffle allait bien pouvoir lui apporter.

La réaction de cette dernière lorsque Siobhán avait mentionné son père finit de l'étonner, parce qu'elle pensait que la Poufsouffle avait déjà fait le rapprochement, depuis bien longtemps. Une partie d'elle était Gavalagh, certes, mais il lui semblait bien s'être présentée avec son nom entier. Elle le faisait toujours. Peut-être Eynaelle n'avait-elle tout simplement pas fait le rapprochement. C'était l'explication la plus plausible, à l'heure actuelle.

Il était étonnant de constater à quel point les secrets pouvaient empêcher d'avoir une vision globale sur le monde qui nous entourait. À quel point quelques paroles qui n'étaient jamais prononcées dans le passé pouvaient impacter le présent, sans même exister réellement.

« Je n'ai rien d'un génie. Je ne m'en sors pas, Eynaelle. J'apprends sur le tas, sans trop savoir où je vais parce que je ne sais même pas où aller. »

Sa voix avait tranché l'air alors qu'elle s'était faite plus froide, plus distante qu'elle ne l'avait été jusqu'ici. Elle était passé à travers les affres de la transformation, à travers la douleur que l'absence de maîtrise pouvait créer, mais c'était une question de tempérament et de chance plus que de réel savoir-faire. Elle reprit, plus calmement.

« J'ai déjà rencontré quelqu'un comme nous, oui, très récemment d'ailleurs. Mais c'était le premier.  »

Le corps de Siobhán frissonnait alors qu'elle voyait apparaître devant elle le visage de  @Saúl Ochoa ; elle ferma les yeux pour s'échapper de ses pensées. Et au vu de la réaction de la Sanderson, elle ne pouvait pas faire plus longtemps l'impasse sur son père et sur...  @Freya Korrigan ? Elles s'étaient arrêtées de marcher, comme à chaque fois qu'une nouvelle information venait tout chambouler.

« Oui, c'est bien mon père. », avait-elle renchéri en souriant légèrement, car lui non plus ne savait pas encore qu'il venait de mettre sa nièce en retenue. « Je n'ai pas fait preuve de grande délicatesse pour te l'annoncer, je pensais que tu avais compris quand je t'ai dit mon nom la première fois. Et puis la plupart des gens ici nous connaissent mon frère et moi parce qu'on est ses enfants avant d'être... nous. »

"La fille du prof", voilà comment elle avait été perçue pendant ses premières années à Poudlard. Comment se faisait-il qu'un nom de famille pouvait suffire à définir quelqu'un en tant que personne, avant même sa personnalité, les choix, les actions qui lui appartenaient ? C'était quelque chose que Siobhán n'avait jamais réellement compris, mais elle avait arrêté de lutter à ce sujet, consciente qu'elle ne pouvait pas aller contre les autres toute sa vie. Peut-être était-ce l'une des raisons qui l'avait motivée à changer son nom. Même si elle savait bien qu'au fond, c'était surtout une manière ne jamais effacer la partie de sa mère qui vivait en elle, quelque part.

« Sinon quoi ? », demanda Siobhán en levant un sourcil inquisiteur, se penchant vers sa cousine qu'elle vit rougir légèrement. « Freya ne sait rien. Il n'y a que mon frère qui est au courant de notre discussion. Et pour le moment, j'aimerais bien que ça reste comme ça, si tu le veux bien. Pareil pour mon père. Je ne tiens pas à rajouter des secrets sur les secrets, mais mon frère et moi on doit encore se poser pour réfléchir à... comment gérer tout ça ».