Strangers like me - ft. Eynaelle Sanderson

Eynaelle avait parlé presque d'une seule traite, les différentes parties de son discours seulement interrompues par des émotions qu'elle ne pouvait retenir. Elles se traduisaient tantôt par un sourire, tantôt par le rose qui lui montait aux joues. Et lorsqu'elle avait terminé sa tirade, Siobhán avait manqué de s'étouffer avec sa propre salive en comprenant quel type de relation elle entretenait avec Freya. La Korrigan était devenue maîtresse dans l'art des faux-semblants, oui, mais... lorsqu'il intégrait certaines informations, c'était son corps qui réagissait, sans même qu'elle ne puisse le contrôler. Ce n'était qu'une fois le message arrivé à son cerveau, qu'elle pouvait arborer son masque, celui qui laissait croire qu'elle ne ressentait pas. Mais face à Eynaelle, l'Irlandaise ne put retenir un petit rire léger — le premier depuis qu'elles se connaissaient. Cette situation était pour le moins inattendue, et toute trace de méfiance avait disparu.

« Finn est mon frère jumeau, oui. Et pour ce qui est de Freya, elle est la fille du frère de mon père, donc ma cousine au premier degré... Comme toi, en fait. Je pense en effet que cette nouvelle pourrait l'intéresser. Mais ne t'inquiète pas, je ne vais pas vous faire att... enfin, je vais faire au mieux pour lui annoncer ça rapidement, je ne veux pas qu'elle l'apprenne de quelqu'un d'autre », promit-elle avec un ton à moitié hésitant, à moitié amusé.

Définitivement, Eynaelle et Siobhán étaient deux opposés, ce qui ne rendaient leur rencontre que davantage intéressante. Bien que nées avec le même don, chacune avait appris à se l'approprier différemment. Il était captivant de voir l'impact des autres dans le parcours de chacun. Combien la présence d'un mentor, d'un frère, d'un ami, d'une cousine, d'une mère pouvait tout changer, poussant à emprunter une route différente de celle qu'on s'était imaginé prendre au départ. À quoi ressemblerait Siobhán aujourd'hui si sa mère avait été là pour l'accompagner ? C'était une question à laquelle personne ne pouvait répondre, mais qu'elle n'avait pu s'empêcher de se poser.

Ses yeux se redirigèrent vers le sol alors qu'elle repensait aux paroles d'Eynaelle sur ce leur pouvoir. Jamais elle ne l'avait perçu comme ça, parce qu'il était beaucoup plus simple de rejeter ce qu'on subit plutôt que de s'efforcer à le transformer en quelque chose de mieux. Siobhán avait toujours été très fière de cet héritage laissé par sa mère, mais il n'en restait pas moins lourd à porter, parfois. Et c'était ce qui prévalait sur le reste. Notamment quand il s'agissait d'entretenir des relations avec les autres, tout du moins lorsqu'ils étaient sensibles à ce qu'elle était. Pourtant, force était d'admettre qu'une immunité à ses pouvoirs ne simplifiait rien.

La vert-et-argent s'arracha à ses pensées avant qu'elles ne dévient davantage.

« Tu crois qu'on est les prochains ? »

Un frisson avait parcouru son échine lorsqu'elle avait prononcé ces mots. L'idée de devoir vivre dans un monde où elle était montrée du doigt pour ce qu'elle était la terrifiait. Surtout quand jamais, ô grand jamais, elle n'avait pensé user de son don pour blesser quelqu'un, d'une façon ou d'une autre.

« À ce propos, puisqu'on parle de personnes qui nous voudraient du mal... Tu m'as dit la dernière fois que certains Gavalagh avaient formé une sorte de regroupement de chasseurs de vélanes. Comme je te disais, ils m'ont attaquée moi aussi. Est-ce que tu en sais plus sur eux ? Peut-être que c'est pour ça que ma mère a décidé de rompre les liens avec tous les Gavalagh ? »

Siobhán prit une grande inspiration avant de se tourner vers sa cousine et de partir à la recherche de son regard.

« Ta maman n'a pas été oubliée », avait-elle précisé, marquant Siobhán au cœur avec ses paroles.

Eynaelle était une jeune femme surprenante, dont l'extravagance n'avait d'égal que sa douceur. Une qualité plus qu'appréciable dans des moments comme celui qu'elles étaient en train de vivre.

« Merci Eynaelle pour tes réponses. En dépit des circonstances, ton aide est précieuse. » Une pause, un sourire sincère. « J'espère qu'on pourra rattraper le temps perdu... »

Le rire d’Eynaelle était beau et tendre, à l’image de son visage. Siobhán la voyait désormais sous un jour nouveau alors que le soleil caressait ses cheveux blonds et lui rappelait avec délicatesse la chaleur des champs de blé en été. Le cœur de la demie-velane se réchauffa à son tour malgré la fraîcheur de cette journée.

« Des refuges de velanes ? » demanda-t-elle en arquant un sourcil, quémandant davantage d’informations. «Je n’en avais jamais entendu parler. »

Et bon sang que ça la frustrait. Siobhán avant l’impression d’être passée à côté d’une partie de sa vie. D’abord en discutant avec @Saúl Ochoa, qui lui faisait doucement prendre conscience de sa propre liberté, et maintenant avec Eynaelle, qui avait baigné toute sa vie dans cette vérité. La jeune femme ne pouvait s’empêcher de se sentir étrangère dans ce monde qui était pourtant également le sien.

« Je peux te garantir que je ne l’accepterai pas non plus. »

L’Irlandaise avait le sang chaud, naturellement impétueuse et fougueuse, de celles qui s’embrasaient des luttes dans lesquelles elles se reconnaissaient. Si quiconque venait à oppresser celles et ceux qui lui ressemblaient, nul doute qu’elle s’adonnerait avec passion dans la défense de ses propres idées. Et tant pis si cela venait à déplaire à quiconque autour d’elle, car elle en avait fini d’agir selon le bon vouloir des autres. Son cœur réclamait cette dose d'adrénaline qui lui avait toujours cruellement manqué.

Elle écoutait maintenant sa cousine parler de leur famille, sentant combien raconter ces histoires pouvait la peiner. Siobhán savait qu’elle devait en passer par là pour mieux comprendre et mieux s’apprendre. Alors, son attention ne se dissipait pas. Jusqu’à ce qu’Eynaelle ne lui pose les questions auxquelles elle s’attendait à propos de l'attaque des Gavalagh. Comment, pourquoi. A peine elles se connaissaient et déjà elles ressentaient cet esprit de protection mutuelle qui les envahissait.

« J’ai un peu été les chercher, à vrai dire. Quand j’ai fait le plein d'informations sur les Gavalagh, j’ai compris qu’une certaine partie s’adonnait en quelques sortes à la chasse aux vélanes et j’ai voulu en savoir plus. Je les ai suivis dans l’Allée des embrumes justement. Et ils m’ont vue, bien sûr. Ils m’ont attaquée et mon père a rappliqué. Et c’est là… que les ennuis ont commencé. Mais ça fera l’objet d’une autre histoire, je présume », ajouta-t-elle dans un petit sourire triste.

Penser à son père pouvait la mettre en colère tout en blessant son cœur. Et elle n’avait pas envie d’aborder ce sujet pour le moment. Siobhán devait faire preuve de méthode : comprendre avec Eynaelle, en parler à son frère, confronter son père (encore), se confier à sa cousine. Dans cet ordre précis.

Heureusement, Eynaelle avait saisi sa main, lui communiquant par ce geste toutes les ondes positives qui semblaient la caractériser. Sans compter sur ces mots qui venaient toucher l'Irlandaise, là, au plus profond de son cœur.

« Je suis heureuse qu’on ait pu parler aussi sincèrement, Eyna », dit-elle avec des yeux malicieux alors que sa cousine venait de la rappeler à l’ordre sur sa façon de s’adresser à elle. « Je vais essayer de faire le point avec mon frère sur tout ça. J’aimerais beaucoup que tu le rencontres, tu sais. Au-delà de devenir amies, on partage le même sang et la famille, c'est important pour moi. »

Elle avait marqué un petit rire en l'entendant parler d'histoires de cœur, parce que Siobhán savait bien qu'elle ne parlait de ces sujets à personne, de toute façon. Mais elle se garderait de lui dire, Eynaelle finirait bien par le comprendre toute seule.

« Je dois filer, j'ai des choses à faire. Merci pour tout, Eyna. »

Siobhán n'était pas très douée quand il était question de mener des démonstrations d'affection mais elle ponctua ses mots d'un sourire sincère avant de s'éloigner.

Ses deux petits papiers à destination de @Xris Andērson et @Céleste Delacroix  n'allaient pas s'écrire ni s'envoyer tous seuls, après tout.