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Palate Cleanser — Miranda V.

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INFOS
FICHE DE PERSO
(the art of being in pain while remaining silent)
@Miranda Vayne

thème musical

Le corps épuisé fractionne les vestiges de sa rationalité, amplifie la cadence infernale qui pulse à ses tempes. Un métronome implacable à la place du cœur. La peau gronde, le torse se creuse dans un frémissement hargneux. Dans sa tête, il a enclenché Satie. Il la cherche dans chaque refrain. Les tons rouges orangés, les couleurs chaudes glissant sur la tourmente embrasée des notes répétitives. De quoi recouvrir la douleur, de quoi le distraire un temps. On se perd dans le labyrinthe de la mélodie, l’écho du sable esseulé en gouffre lointain et amer. Il ferme un instant les yeux, laisse les harmonies le soulever hors du fauteuil, le transporter dans un ailleurs indicible où la douleur est écarlate et menace de tout recouvrir. Il sent l’âcre odeur de la mélopée qui s'étire et qui se fait bien sombre à ses tympans. L’arpège brûle, le diapason hurle. Il devine que le sang valse dans ses veines, les pas gauches, le rythme trop fort pour le piano languide.

Franz cille dans sa prison de parfums chantants. Il doit s’arracher à l’attraction du vide, aux maelströms d'harmonies à son esprit divaguant. Les vagues de musique semblent s’échouer à ses pieds et il se penche en y voyant un éclat mordoré, comme un coquillage de fortune. Un fil. Une voix. Il s’en empare, conscient de trouver son Ariane de l’autre côté de la pelote. Ne serait-ce pas là d'ailleurs, une bien meilleure histoire ? Qu’elle sauve le Minotaure et non pas Thésée ? Le pépiement de Miranda scintille, incandescent et doré. Il lui forme un bracelet fauve au poignet, lui permet de l'amarrer à nouveau à son fauteuil et ce, de justesse. Les yeux se rouvrent dans une stupeur muette qui ne se perçoit pas. « Tourmaline rose ou noire… ? » Il ne comprend pas, seul le fil est important. La mécamage en porte le hâle, elle rayonne d'une aura safran sous l’ondulation hypnotique qui pare sa gorge. Il lui a demandé de parler et elle le fait malgré l'ouvrage dangereux et les enjeux lourds à ses frêles épaules. Pourtant, c’est ce qui le sauve en définitive, autant que ne le font ses doigts experts désamorçant le poignard figé dans ses chairs. « J’y suis presque. Reste avec moi, ne ferme pas les yeux. » Le martyr lui dessine une couronne luisante au front. Les cheveux s’y collent alors que l’air lui manque. Arrive un moment où la douleur est trop grande, où le cosmos rayonne derrière les iris sous les méandres indicibles dans lequel le corps plonge. Dans ces moments précis, la mécanique du corps veut que celui-ci s’éteigne un temps pour mieux revenir. On perd connaissance pour préserver l'esprit. La chair se sacrifie volontiers pour que la tête puisse survivre. Il lutte pour ne pas laisser à ses muscles et à l'imperturbable système nerveux qui le régente le loisir de se reparamétrer en le faisant sombrer dans l’inconscience. S’il replonge dans son labyrinthe, il n’est pas certain de garder le fil en main et alors il en sera fini de la plage, des vagues et Ariane continuera à sangloter au vent.

Les doigts frémissent, les notes imaginaires sous la pulpe exsangue. Il y a deux accords qu’il faut toujours laisser en arrière puis rattraper ensuite, exactement comme le fait son souffle en cet instant. Il l’a joué si souvent, ce morceau. Le gramophone enchanté de Miranda tourne encore et encore dans le vide, le bruit mat de la neige en berceau pour la mélodie qui le berce intérieurement. Les notes s’incrustent d'une désolation plus prononcée tandis que les croches se déchirent sous les afflictions. Le brun-vert des iris se brouille alors qu’il perçoit à peine un cliquetis dans sa poitrine. Un gargarisme secoue la cage thoracique, du sang vient perler au coin des lèvres qu’il serre un peu plus fort. Le métal a un goût nauséeux sur sa langue et lui empoisonne le souffle déjà instable. « Miranda. » Il s’humidifie les lèvres tandis que l'hémoptysie ne fait qu’éparpiller un vermeil désastreux sur ses bords. Il aimerait sourire mais ses dents en sont tacheés. S’il survit, il sait déjà qu’aux premières lueurs de la Gnossienne n°1 de Satie, la chair s’éveillera aux souvenirs des tourments infligés.

Un autre fil, ocre celui-là, se met à danser autour de lui. La douleur rend sa propension à la synesthésie plus profonde. Tout n’est que sons et couleurs, parfums et odeurs. Un jour, il avouera à Miranda, au creux d’une nuit sans fin, que c’est ainsi qu’il est devenu si bon à son ouvrage. Il voit, avant même que les sortilèges ne soient lancés, la couleur de la magie s’amonceler autour de la baguette adverse. Il perçoit facilement les harmonies dissonantes et tempétueuses durant les combats. Il peut créer des symphonies sur les rings, se faire maitre d’orchestre durant les duels où les cymbales et les percussions tonnent et crépitent à travers les poings et les coups. La mort n’est pas noire, elle est blanche, pâle ivoire qui suggère l’absolu et l’infini. Il sait en envelopper l’adversaire, l’écarter aussi quand cela s'avère nécessaire. Le bleu ressemble à Stravinsky, c’est la même cruauté. Beethoven est vert. Debussy est violine. Umebayashi… la gorge se fige.

Franz s’assoupit.

Les reflets bleutés miroitent tout autour de lui, lumière tranchante au beau milieu d’ecchymoses fraîches et de plaies vives. La fébrilité disperse les raisonnements les plus sensés. Franz est éreinté, l’épuisement réel à même la peau. L’humeur basse, massacrée par une lutte vaine, il darde un regard morne vers l’inconnu. L’œil vrille en direction de la mallette déposée sur une table où le sang sèche lamentablement. L'oreille sature autour des mots prononcés. Médicomage. Très bien. Il ne cherche pas à rassurer ou à contredire. Il aurait voulu le bouffer, il l’aurait déjà fait. Peut-être. Il n’est pas si certain de la chose vu l’étirement douloureux qui lui sillonne le plexus. Il répond d’un grognement, le dialogue décousu qui n’amène qu’à des mouvements creux, périlleux même. Les éléments se remettent en place tandis que Miranda escorte le docteur Maboul à la porte. Le processus a dû être plus compliqué que prévu s'il a fallu faire appel à un médicomage. Il tâche de se souvenir de chaque élément : il est venu. Le poignard. La main tâtonne, engourdie sous la meurtrissure générale. « Tu l’as retiré… » Et il est encore vivant. Il cille longuement, prend conscience de son souffle et de la douleur bienheureuse qui l’occupe. Il est encore vivant. Le corps roule péniblement et il est presque assis quand il l’entend fondre sur lui, le regard plein d’une exquise gronderie qui manque de le faire sourire. « Tu nous enterreras tous. Moi, de Clare… même Oswald. » Le nez frémit de mécontentement crasse, des restes de bile mal évacuée. « Oswald, ce sera un grand bien. » Il n’en pense miette mais la violence éphémère le réconforte. La brutalité a toujours eu un parfum de coton pour lui. Le flegme lui revient tandis qu’elle le couve d’un regard inquisiteur où la tendresse le dispute à l’effroi. L’âme lui déflagre au fond du ventre en la voyant subitement si fragile. Il passe une main pleine de défaites inavouables sur son visage, se pare à nouveau d'un sang-froid coutumier. Il est vivant. Mal en point, certes, mais c’est un détail. Le faciès présente les traces d’une violence mal gérée, sur les flancs, les hématomes conséquents fleurissent encore, la cicatrice lui zèbre le torse, les cernes marquent le manque de tout, principalement de sérénité – d’accord. Oui. Il sait. Il le voit en miroir dans les beaux yeux noirs qu’elle plante dans les siens en guise de représailles. Et quand il la voit venir à lui, il ferme un instant les yeux. La chaleur qu’elle dégage est un soleil plein d’un enthousiasme merveilleux. La silhouette se joue de doigts souples sur son épiderme, à la manière d'une harpe pleine de joliesse. Miranda se fait ombre en plein désert, mirage providentiel à qui il sait pertinemment devoir la vie.

Elle égrène des multitudes de reproches qui n'en sont pas. A l’entendre, il lui donnerait presque raison. La personnalité, parasitée par la privation de sommeil et de sang, désagrège les habitudes, et avec elles, ses autres comportements toujours si mesurés. Les mains remontent, se suspendent à quelques centimètres du corps de la Sylphide sans oser puis finissent par céder et s'y posent délicatement. D’ici, il peut entendre battre son cœur, percevoir les sanglots qui s’étouffent et se refusent. Il a presque l’idée de lui demander de remettre le poignard à sa place, que cette souffrance là est moins pénible que de la sentir ainsi affligée. Les doigts brûlent de la toucher plus encore, l’imagination s’enflamme sous l’éventualité de froisser ses désirs, ses humeurs et ses tissus improbables. Elle met du velours dans sa voix, du satin sur ses lèvres qu’elle promène dans une insolence nacrée sur son visage. Après le chaos, après les affres d’une survie crépitante, la douceur lui semble presque brutale dans son irrésistible candeur. Il ferme les yeux, son prénom au bord des lèvres qu’il ravale obstinément. Les notes de Satie lui revienne, emplissent la pièce au silence implacable où seules les respirations se touchent véritablement. « Est-ce que tu me menaces d'enlèvement, Miranda ? » Un sourire se forme, à peine esquissé tandis qu’elle s’éloigne. Il a son odeur partout sur lui, le bas-ventre qui se tord d’envie, le regard qui s’immisce sur l’allure de chaton soyeux qui sautille et se fend de moues délectables à quelques pas. Il voudrait mordre les lèvres bardées de rouge pour en effacer la provocation – parce que c’en est une, n’est-ce pas ? Il n’y a guère de pitié pour les convalescents a-t-il envie de pointer du doigt. Il n’en fait rien pourtant. Flirter serait trop savoureux avec elle, l’engrenage serait trop implacable.

« Oswald laisse vraiment trainer ses germes partout, c'est ce que font les champignons généralement… » Il a un soupir. « Miranda… j’apprécie ton invitation et ton sauvetage… je me doute que le médicomage n’est pas intervenu uniquement pour tes beaux yeux, même s'il y a sûrement pensé. » Il a un léger mouvement de tête. Belle, elle l’est. Pire encore. La sirène a des gestes qui invitent et une vivacité qui enchante. Ceux qui ne le voient pas sont aveugles ou stupides. Or, il n’est ni l’un, ni l’autre. « Tu me diras ce qu’il en est. Quant à rester ici… » Il abaisse son regard, cille, des luttes intérieures perceptibles dans la nacre des yeux. « Je ne peux pas. » La main se lève avant que les récriminations ne fondent. « Je me reposerai. Je te le promets. Mais pas ici. » Il a un sourire discret. « Tu es délicieusement épuisante. » Il lui aurait fait une déclaration que le ton employé aurait été le même. Toute la tendresse du monde dans cet aveu qui ne cherche pas à se nier. Le cœur stagne. « Et je suis extrêmement pénible le matin. Le soir aussi. Je joue du piano à n’importe quelle heure. Tu me détesterais au bout de quelques jours seulement. Ce sera compliqué ensuite de travailler ensemble comme on l’a toujours fait. » Il y a un soupir de contrition et de résipiscence sur sa langue, des envies de ravaler les raisons informes qu’il donne.

Le minotaure et sa pelote de laine, le fil d’or au bout des doigts.

Et cette plage de sable chaud et de pleurs inversés.

Il voit bien qu’il y a de la supplique muette au bord des longs cils gantés de noir, qu’il ne peut rien lui refuser après tant d’inénarrables exploits. Rien sauf ça. « Tu as réussi… pour le poignard. Je savais que tu le ferais. Ne m’en veux pas d’avoir saigné sur ton sofa. Je savais que tu parviendrais à désamorcer le mécanisme. »


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Palate Cleanser

Bien sûr, elle essaie de ne pas trop se laisser attendrir par la façon dont il se rappelle lentement à lui-même, membre par membre, frisson par frisson, souvenir par souvenir – note par note : c’est tout un homme qui doit se recomposer là ; et quel homme ! En a-t-elle jamais rencontré de plus solide et de plus fort ? Elle essaie de ne pas accueillir avec trop de douceur la conscience familière, tant chérie et presque inespérée qui investit de nouveau son regard, l’irréductible grognonnerie qui le rend singulièrement beau.

La perspective d’enterrer trois de ses amis, tous précieux à leur façon, lui donne envie de le museler pour de bon. Pourtant, il y a dans ses mots la preuve bienvenue que le monde a recommencé de tourner rond. Son rapport carnassier à Oswald ne laisse pas de la faire sourire intérieurement. Elle n’est pas dupe de l’exaspération qu’il affecte : ces deux-là ont tout le charme des meilleurs ennemis qui mettent constamment un point d’honneur à être à la hauteur l’un de l’autre. Et puis, elle devine avec la clairvoyance d’une amante ce besoin qu’il a de se raccrocher à son répertoire habituel – celui du déchaînement. Tout, sauf la vulnérabilité, quand bien même la main dont il lisse son visage semble charrier avec elle les débris d’un échec inavouable. Cela ne dure pas. Il y a quelque chose de profondément fascinant à le voir ainsi récupérer tout son aplomb, en dépit des stigmates de la souffrance qui blêmissent encore ses traits, et qu’elle aurait voulu remplacer par ceux d’une tout autre mort – la petite, dit-on.

Elle a aimé le poids sage et pudique de ses mains sur ses hanches. Elle en perçoit encore l’impression, maintenant qu’elle s’est éloignée de lui, de même qu’elle sent toujours le grain si particulier de sa peau contre ses lèvres. Par mégarde, elle s’émeut du souvenir de la ligne de ses paupières closes, tragiquement confiantes sous ses baisers.

N’aurait-il pas mérité, de fait, qu’elle l’enlève sans plus de considération pour ses improbables réticences ?

Oh, elle ne devrait pas se réjouir si fort et si vite de retrouver son sourire, se morigène-t-elle sans pour autant s’amender ; car elle sait qu’il n’y a rien de plus juste et de plus évident que son attachement pour lui. Du reste, la rancune n’a strictement aucun sens avec Franz, la remontrance et la réprobation non plus. Une autre pique destinée à Oswald lui rappelle qu’en fait, c’est lui, la chipie. Rien ne le fléchit. Pas même elle.

Pas même elle.

Car enfin, elle sait ce que signifie son soupir avant même qu’il n’ouvre à nouveau la bouche pour lui en traduire la teneur. Il n’a pas son pareil pour assembler ainsi politesse et muflerie : son invitation, son sauvetage et ses beaux yeux, il l’invite cordialement à s’asseoir dessus. Même la façon dont il harponne immanquablement l’attention que les autres hommes peuvent lui porter ne le rend pas détestable. C’est que Franz sait exactement comment exercer sa jalousie : jamais sur elle directement, comme si sa liberté de femme inconstante lui était tout aussi chère qu’à elle.

Elle ne détourne pas les yeux quand il baisse les siens, s’apprêtant de toute évidence, une fois encore, à la contrarier. Sa bouche se referme dès qu’il lui intime de le laisser finir d’un geste de la main. Il ne veut peut pas rester. Allons bon. Son sourire s’apparente peut-être à un baume appliqué sur la vexation que font naître ses paroles, mais elle s’en défend d’une moue incrédule. Délicieusement épuisante, a-t-il le toupet de ronronner. « C’est le moment où je dois te remercier… ? » s’enquiert-elle en arrondissant ironiquement l’arc de ses sourcils. Tu n’as pas encore idée d’à quel point, pourtant, s’abstient-elle d’ajouter – son regard, qui a subitement pris une fixité incisive, presque reptilienne, le renseignera sans doute assez bien sur le cheminement de ses pensées. Il n’en est pas moins difficile d’ignorer la façon dont sa voix s’est infléchie : ce n’était rien d’autre qu’un aveu, infiniment tendre et qui lui fait fondre le cœur. Le portrait supposément insupportable qu’il peint de lui-même achève de la bouleverser. Ce qui est insupportable, c’est d’imaginer si bien sa présence entre ces murs, assis à ce piano qu’elle a installé tout spécialement pour lui, faisant ployer avec une délicatesse insoupçonnée, sans outrance malvenue, chacune des touches sous la pulpe de ses doigts. Elle l’imagine partout chez elle – et partout sur elle. Après tout, ne lui a-t-il pas promis, menace effroyable, de lui faire apprécier Beethoven ?

Mais elle ne dit rien, pour quelques secondes encore. Elle le dévisage, sans chercher à le tranquilliser, pendant qu’il se débat avec ses prétextes.

Peut-être a-t-il raison, au fond. Aurait-elle seulement été capable de le laisser en paix, de respecter le repos du convalescent ?

La contrariété ne se dissipe pas, néanmoins. Il n’est pas seulement question de cet instant ou des jours à venir. Ils le savent tous deux. Il la refuse absurdement, d’un endroit obscur où elle ne peut accéder.

Elle, qui a toujours eu la sensualité si heureuse, se demande bien de quoi il s'estime obligé de la protéger.

Ces caresses qui n’en sont pas lui font plus mal qu’autre chose. Ne pas lui en vouloir d’avoir saigné sur son sofa. Comme si tout l’enjeu se trouvait là. Et pour le reste ? Elle ne se fatigue pas à lui rappeler que le monde où elle le laissera mourir n’existe pas. Elle croit ne pas s’émouvoir de la confiance infinie qu’il lui accorde – c’est faux : cela lui tord douloureusement le ventre de tendresse – et se félicite vaniteusement de ne pas pousser la malice jusqu’à lui faire remarquer qu’il semble tout de même s’étonner de sa réussite par moments. Plus tard, elle examinera l’arme cauchemardesque de plus près, dans le secret de son atelier. Pour l’heure, elle n’a qu’une chose en tête. « En somme tu me dis non, conclut-elle d’une voix affermie par une trompeuse quiétude olympienne. Une fois encore. » Il saisira évidemment l’allusion. De longues secondes de silence s’écoulent, passées à le regarder, le front marmoréen ; avant qu’elle ne déclare, en feignant une féroce indifférence – ou une insolente complaisance, qui sait : « À ta guise. »

Sans un mot de plus, elle se détourne et monte souplement les escaliers menant au vaste espace de sa chambre, passe entre les portants et les rayonnages mécanisés de sa garde-robe pour en ressortir fraîche comme l’aurore, sans désordre ni froissure. Quelques minutes supplémentaires lui suffisent pour retoucher son maquillage, à peine éprouvé par l’usage de ses lunettes mécamagiques – ou la menace de ses larmes.

Lorsqu’elle redescend, il est toujours là, et elle reprend le fil de leur conversation comme si elle ne l’avait jamais interrompue : « J’aurais pu faire semblant de me réjouir mesquinement pour exprimer ma vexation, en te répondant quelque chose comme : “Je craignais que le poignard ne t’ait éraflé le cœur, mais encore aurait-il fallu que tu en aies un.” ou te reprocher plaintivement ton indifférence par un “Tu ne me trouves pas assez désirable, c’est ça ?” Car en fin de compte, c’est bien ce que tu me signifies, n’est-ce pas, Franz ? Que je suis résistible. » Elle a au fond des yeux beaucoup d’amour, et beaucoup de cruauté aussi. Ne m’en veux pas d’être méchante, aurait-elle tout aussi bien pu l’implorer pour contrefaire ses précédentes paroles. Qu’importe : bientôt, tout s’entrelace chez elle en une expression un peu peste et effrontément rieuse. Elle a conscience de se montrer désobligeante et ingrate, alors même qu’elle a intimement conscience de ne lui tenir rigueur de rien ; mais voilà, c’est plus fort qu’elle : cet homme est impossible, et elle le lui rend bien. « Tant pis, feint-elle de se résigner. Du moins ai-je le champ libre pour ne pas rentrer seule, puisque tu ne comptes pas me faire le plaisir de rester. » Cette épine aussi, elle se la reprochera plus tard. Elle n’aime pas s’en remettre à sa capacité à encaisser les coups – quels qu’ils soient, pense-t-elle avant de rectifier : comble de l’ironie, il semble disposé à tout endurer, sauf ses caresses.

La douceur reprend finalement ses droits l’espace de quelques secondes, alourdit affectueusement ses paupières tandis qu’elle murmure : « Fai dei sogni dolci su di me, tesoro mio. » Oui : c’est bien tout le mal qu’elle lui souhaite.

Alors seulement, avant de céder à l’envie de lui exprimer de manière plus expansive tout son soulagement de le voir sain et sauf, de lui rappeler qu’elle sera toujours là pour lui, malgré tout ; alors seulement elle disparaît, le claquement de son escarpin contre le sol précédant celui de son transplanage.

Elle ne lui dira pas qu’elle a eu toutes les peines du monde à fixer son esprit sur la destination souhaitée – qui, à cet instant, n’aurait su être autre que lui.

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(the art of being in pain while remaining silent)
@Miranda Vayne

L’air se charge d’une tension muette, les murmures inaudibles, les appétits trop voraces pour être formulés. La discorde s’épaissit, lèche avidement les frustrations intestines, autant d’étincelles à même d’aviver le brasier qui s’est déclaré tout près du cœur. Il s’humidifie les lèvres lentement pris dans son propre incendie. Il croyait avoir accepté ses propres fatalités mais l’empressement de son attirance se fait assourdissante face à tant d’avides tentations. Le regard tranche, sectionne le pouls. La guillotine est de sortie. Quelques battements désordonnées qu’il fustige de lui-même, des tempêtes de convoitise qu’il s’empresse d’étouffer de ses mains puissantes et puis, plus rien. « En somme tu me dis non » Il cille longuement. La tournure lui déplait, tout comme le reste. Tout comme ce « à ta guise » qu’il chérit et exècre. La raison commande, impose, le reste se doit de plier.  Il en a toujours été ainsi chez lui. Les volcans existent mais ils se cachent sous les banquises et la lave en fusion est à peine perceptible sous les kilomètres de glace. Alors oui, peut-être que dans son esprit, il l’attire déjà à lui, lui remonte sa robe et sa silhouette contre le mur, les pulsions rapaces, les paroles en revendications affamées ; peut-être qu’il la prend mille fois ici, sur le piano, à même le sol ; peut-être qu’il l’embrasse au creux des jambes, au creux des seins, au creux du cou, partout là où le sang pulse et s’éveille. Peut-être. Le regard glisse sur les longues jambes et il la fixe d’un air sombre, où l’espoir s’écrase dans une brutalité nette.

Dans les faits, il la laisse remonter les escaliers et reste dans sa solitude.

Il expire douloureusement et l’air se pare d’une mélodie aux touches frénétiques et morbides.

Il y a un vieil adage qui dit que Rome ne s’est pas faite en un jour. Il a fallu nettement moins de temps pour que Néron y foute le feu par contre. La collision s’avère inéluctable, il le sait. Il s’en doute. Il n’a pas peur de grand-chose. C’est un fait dont il ne tire pas la moindre arrogance pas plus qu’il n’y trouve un quelconque plaisir. Avoir peur est une bonne chose, elle démontre un esprit sain. Le métier l'a pourtant délesté de ces épouvantes ordinaires mais Miranda ? Il déglutit en contemplant l’escalier vide. Elle a le charme terrible de ces fleurs colorées au parfum entêtant. Une digitale aux corolles précieuses dont le pollen est nectar et dont le chant glisse sur sa peau en promesse de rosées matinales exquises. Il en est terrifié et ne se fend d’aucune illusion sur le sujet. Il veut en dépit du bon sens, en dépit de tout. La logique n’a pas la moindre chance face à ses sourires, la pondération s’effondre sous le vertige de sa sensualité joyeuse. Il a dans l’idée que la goûter une fois lui sera fatal, que ce ne sera plus alors un simple caprice, juste une pagaille émotionnelle. De quoi verser son âme au Styx – tout du moins le peu qui lui en reste.

Il n’a pas bougé d’un centimètre lorsqu’elle réapparait, le sourire en éclipse, l’aura en touches roses d’agacement à peine contenu. Franz démêle à peine ses propres pensées, se saisit plus mal encore de ce qu’elles révèlent. Il la frustre et il ne sait pas s’il en est soulagé, mortifié ou si ça ne fait que creuser un peu plus l’effroi déjà bien omniprésent. Elle doit le voir pourtant qu’elle est nappée de gazoline fraiche et qu’il est rectiligne comme une allumette. « Tant pis » L’impassible accuse le coup sans ciller. Il en a un, de cœur. Il en a un, de corps. Mais ce sont des machines, les muscles des mécaniques, le sang l’huile propre aux rouages – rien d’autre. Il accepte les remontrances. Elle en a le droit. C’est stupide, vraiment. Il n’a rien à lui proposer et il ne se résout pas à l’idée de la traiter comme une simple passade, l’égoïsme en pierre angulaire finalement dans sa décision. L’hubris aussi.  L’adjectif « résistible » a quelque chose d’obscène entre les lèvres de Miranda. C’est tout le contraire justement. Elle est trop belle pour ne pas s’y fondre durablement, trop spirituelle pour ne pas la voir s’ancrer plus encore à son monde. La lutte serait inégale.

Il se voit contraint à l'attente avant de pouvoir reprendre la parole pour se dégager de la chaleur générée. Elle le griffe avec élégance et il ne s’en formalise pas. La chair meurtrie ne suffirait pas à l’arrêter, quelque chose de plus incendiaire encore s’éveille toujours en son sein à sa présence, un embrasement singulier qui flirte avec les interdits d’une vie entière de manière bien trop périlleuse. « Passe une bonne soirée, Miranda. » Les mots sont compliqués à aligner, à confier. Ils demeurent imparfaits. Les partitions ont des codes, le moindre faux pas et c’est le chaos. Aussi magnétique soit-il. Le désordre en cet instant a les yeux noirs et les lèvres ourlées d’un rouge gourmand.

Il meurt une seconde fois ce soir et cligne des yeux sous l’italien de miel. Les doigts grésillent d’envies avortées. Il a la gorge sèche de désirs encombrants. Le ventre se creuse en la regardant une dernière fois. Il se lève enfin, délie les douleurs et les étirements funestes. Il garde pour lui les vérités indicibles et il sait qu’elle lui en voudra plus encore de ses silences écarlates. « Merci pour... » Il esquisse un sourire grave. Elle sait. « Je fermerai en partant. » Elle maîtrise les sortilèges, lui aussi même s’il devine que d’autres mécanismes bien plus ardus pavent les lieux. La cambrioleuse connait son ouvrage après tout. Ils sont ce qu’ils sont, le poids de fantômes invisibles sur leurs épaules, les destins faits de tourmentes et de desseins ombrageux.
Elle disparaît, et il y a quelque chose de douloureusement péremptoire dans le claquement de ses talons aiguilles. Les chats retombent toujours sur leurs pattes, n’est-ce pas ? « Si tu l’étais, résistible, je resterais. » Les mots sortent enfin mais seul le vide les accueille. Il rajuste les boutons de sa chemise, revêt à nouveau ses habitudes judicieuses. Elles ont un goût amer sur sa langue. Le manteau siège quelques secondes entre ses bras et Franz regarde le piano que Miranda a fait aménager, les touches noires et blanches soyeuses au toucher. Comme doit l’être sa peau s’imagine-t-il. Il ferme les yeux, la respiration lente, la douleur diffuse en un murmure vermeil. Dans le silence de l’appartement de Miranda, il joue. Il regarde les notes s’incruster aux murs, les sons se poser en poussière d’or sur les meubles. A défaut du reste...

Sous ses longs doigts rapides, les failles se cristallisent pour mieux s'éteindre.



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