Be somebody — ft. Edel Almadovar

Ils étaient là, à discuter de tout et de rien, sans qu’aucun ne prenne la mesure immédiate de l’importance d’un tel instant. Il n’y avait aucun enjeu ni aucun jeu, simplement la pureté d’une parenthèse qui n’avait en elle-même rien d’exceptionnel et qui marquait pourtant un nouveau tournant dans leur relation. C’était l’illustration d’un lien de confiance qui s’établissait peu à peu, la démonstration que l’amour qu’ils s’étaient déclaré ne se cantonnait pas seulement à des aveux enflammés ou à des élans de passion. Ils apprenaient aussi à se connaître, à s’apprivoiser et à devenir des amis, et ça faisait toute la différence.

Se perdant par moment dans ses yeux, Siobhán se sentait à sa place et elle n’aurait voulu briser la tendresse de cet instant pour rien au monde tant elle se sentait bien juste là où elle était, à rire aux côtés de celui qu’elle aimait. Pourquoi bouger ?

« À ce stade avancé de métamorphose, je n’aurais plus besoin de poser de questions, tu me donneras les réponses de toi-même tellement tu auras peur de moi. »

La vélane fit mine de lui grogner dessus, arquant ses doigts fins comme s’il s’agissait de griffes, avant de se laisser tomber sur lui en embrassant la première parcelle de peau qu’elle rencontrait. Il la faisait rire. C’était une prouesse en soi, quand on savait que la seule personne qui arrivait à susciter ce genre d’émotion chez elle habituellement était son frère. Siobhán n’était pas réputée dans les rangs des comiques comme Finn pouvait l’être, et on ne la reconnaissait pas non plus pour être bon public.

Rapidement d’ailleurs, son visage redevint sérieux à la mention de son père et de ce lieu de plénitude qu’il lui avait accordé. Pour sûr, il aimait ses enfants comme on pouvait l’espérer d’un père aimant qui aurait dû les éduquer seul si Maeve ne s’était pas retrouvée dans l’équation de part son mariage avec Eochaid ne l’avait pas liée aux Korrigan. Mais l’on pouvait aimer de différentes manières, et la sienne n’était pas adaptée à ce qu’étaient devenus ses jumeaux en grandissant. Il avait cherché à les restreindre plutôt qu’à les laisser s’envoler, de peur certainement qu’ils ne l’abandonnent quand ils n’avaient pas un seul instant envisagé de le laisser sur le côté.

« C’est vrai. Mais ce que j’attends de lui est immatériel et je ne sais pas quand est-ce qu’il acceptera de me l’accorder. Sa confiance. Sa bénédiction pour vivre comme je l’entends. J’ai 21 ans. Il faut qu’il me laisse partir et qu’il comprenne que ça ne signifie pas que je ne vais pas revenir. Mais tu as raison. Peut-être qu’il faut tout simplement que je lui dise tout ça. »

Il était certain que l’Irlandaise ne mesurait pas la portée des mots qu’elle prononçait devant Edel. Jamais elle n’avait confié avec autant de profondeur l’état de ses pensées auprès d’un homme extérieur à sa famille. Jamais elle ne s’était confiée de la sorte à une personne portant un nom autre que Cynfeirdd ou Korrigan. Pas même à Céleste, qui connaissait pourtant presque tout d’elle. Mais le sujet de la famille était autrement sacré à ses yeux. Il s’agissait là d’informations précieuses qu’Edel semblait prompt à recevoir. Ce dernier l’attira dans ses bras dans une position réconfortante qui lui permettait de savourer pleinement la chaleur de son corps dans son dos nu. Avait-il seulement conscience de la taille du vide que ses gestes et ses paroles venaient compléter ?  

« Ai-je omis de préciser que mon père aussi, est Irlandais ? Et plus âgé, par conséquent, il est encore plus mauvais perdant que moi et mon frère réunis. Je te souhaite bien du courage. Et si tu rencontres mon père, alors je veux rencontrer ta maman. J’ai quelques raisons de la remercier, moi aussi », lui annonça-t-elle avec sérieux après avoir ri doucement en mentionnant Luke, caressant ces bras qui l’enserraient. « J’étais pas si nulle que ça », ajouta-t-elle en se retournant seulement de moitié. « Je ne sais peut-être pas me transformer en troll sans mon père mais je peux toujours tester la furie, si tu veux, dans le cadre de mon entraînement. »

Ses yeux se relevèrent à sa dernière réplique et elle ne manqua de laisser s'échapper les mots qui se précipitaient comme dans une course effrénée jusqu'au bord de ses lèvres.

Elle aurait pu répondre : « Qu’est-ce que tu attends, alors ? »

Mais les paroles qui sortirent véritablement de sa bouche furent les suivantes : « J'en conclus que c'est toi qui décides de la date, alors ? »

Edel avait une façon de voir la vie qui lui donnait systématiquement un angle de vue différent sur ce qu’elle percevait. Ainsi, si elle avait toujours eu du mal à supporter cette façon que son père avait de la brider dans tout ce qu’elle faisait sans même s’en rendre compte, par pure maladresse et sans doute apeuré à l’idée qu’il puisse arriver quelque chose à sa fille, Siobhán n’avait jamais réalisé le poids que pouvait avoir eu sa propre jeunesse dans ses réactions au présent. Et s’il était beaucoup plus attentif à Siobhán qu’à @Finn Gavalagh-Korrigan, c’était probablement parce qu'elle l’avait soit laissé faire, soit elle avait fini par faire le centuple de ses craintes, ce qui ne lui avait jamais permis de trouver un équilibre dans la façon d’agir de sa cadette.

Sans compter sur le fait qu’elle ressemblait beaucoup à sa mère et que Luke devait probablement la voir à travers ses yeux bleus, dès qu’il levait les siens vers elle. Mais Siobhán avait tracé son propre chemin et entendait bien le suivre.

Avec ou sans son consentement.

Son silence face à la question d’Edel se voulait purement approbateur. Et si elle voulait toujours avoir le dernier mot, elle n’avait plus aucun argument, cette fois-ci. Après un instant, elle finit par chuchoter, fermant ses yeux sous la douceur de ces lèvres qui caressaient son cou.

« J’irai le voir la semaine prochaine. On verra bien ce que ça donnera. Et ça sera l’occasion de lui parler de toi… Je doute que Finn l’ait déjà fait, bizarrement, cette fois, il ne doit pas s’amuser à reprendre l’information. »

Un léger rire la fit vibrer contre Edel alors que sa main la parcourait, faisant apparaître des frissons sur son corps recouvert par un drap fin.  

« Elle me connaît déjà », répéta-t-elle bêtement même si elle était déjà au courant qu’Edel avait parlé d’elle à sa maman. Cette information ne la laissait clairement pas indifférente. « J’espère juste être à la hauteur. »

À la hauteur de ce qu’Edel avait présenté d’elle ; à la hauteur de ce fils que Lola Almadovar avait éduqué seule ; à la hauteur de cette relation qu’ils étaient en train d’entamer et qui lui faisait déjà tant de bien, au quotidien. Mais elle ne précisa l’étendue de cette hauteur qu’elle souhaitait atteindre. Finalement, a ses côtés, peut-être reprendrait-elle cette quête effrénée de la perfection dans laquelle elle s’était lancée. Pour être à la hauteur.

« Tu as déjà tout », admit-elle finalement dans un sourire malicieux qu’il ne pouvait pas voir de là où il était. Seulement le deviner.

Le laissant parler, elle nouait encore plus fort ses jambes aux siennes avant de se retourner face à lui et de recommencer le même processus pour être au plus proche qu’elle le pouvait. La discussion était trop importante à ses yeux pour être menée de dos.

« Il n’y a qu’avec toi qu’on peut décider de ce genre de choses avec un pari », murmura-t-elle en relevant ses yeux vers lui. Il donnait une pointe d’unique à tout ce qu’ils étaient quand leurs âmes et leurs corps se rejoignaient. Elle qui avait planifié chaque petit détail de son existence se retrouvait à souhaiter qu’il la surprenne dans ce qui serait probablement l’un des moments plus importants  de sa vie. « Dans tous les cas je vais aller parler à Céleste à la seconde où je serais sortie de cette salle, tu le sais. Peu importe quelles seront les modalités pour décider, la robe sera prête et il ne restera plus qu’à glisser ces bagues une deuxième fois autour de nos doigts. »

Un sourire en coin orna son visage alors qu’elle avait relevé sa main pour la faire tourner autour de son doigt.

« D’ailleurs, je n’ai pas précisé mais si tu vas voir mon père, tu éviteras de lui parler tout de suite de nos projets… Le fait qu’on soit… ensemble… » — c’était la première fois que l’un d’eux posait à haute voix des mots sur leur relation — « … va déjà lui faire un choc, parce que je ne lui ai jamais présenté qui que ce soit. J’aimerais bien lui éviter la syncope. Attends au moins le deuxième repas de famille. »

Il était intéressant de constater que lorsqu’elle se mettait à nu, il ne restait sur son corps que ce collier et cette bague pour l’habiller.