Mellon Collie And The Infinite Sadness

(Musique ambiance -- Forêt des fées)

« Ne t’inquiètes pas, rien ne nous sera fait, enfin, je crois » souffla tout bas Brynn qui eut un sourire tendre en sentant le pelage épais du loup contre elle, avec l’envie irrésistible de s’y faufiler pour seulement se réchauffer. Ses doigts glissèrent entre les poils, à la façon du serpent qui roule contre le derme, pour finalement guider doucement le loup vers le petit campement que les fées avaient fait apparaître plus loin, dans l’ourlet extérieur du bosquet des ellylons. Là ils ne dérangeraient personne, mais seraient bien évidemment observés comme les étrangers qu’ils étaient pour ceux qui étaient nés ici, au sein même des bourgeons.

Elle fit signe à Viper d’abandonner Sheraz sur une paillasse, et elle prit même le soin de le couvrir un peu – non pas par bonté, du moins elle le nierait avec un sourire agaçant à son réveil s’il lui en touchait un seul mot.

Quant à elle, le corps rompu et moins sourd à la fatigue et à la douleur, la jolie nymphe put s’asseoir sur le sol. Ses yeux cherchèrent le loup et il n’était pas loin, lui aussi sans doute la suivant. Si elle n’ignorait pas que quelques fées curieuses s’étaient accrochées aux feuilles des plus hautes branches pour les observer, cela ne l’arrêta pas de tendre le bras pour inviter Viper à la rejoindre. Cette fois, ayant enfin le temps de savourer ce moment, elle serra tout contre elle l’animal, enfonçant sa tête tout contre sa gorge, et le huma comme s’il portait un parfum de miel. C’était à la fois rassurant et incroyablement bon, sans qu’elle ne sache si c’était le fait de le retrouver après tout ce temps qui la rendait aussi émotive, ou peut-être simplement l’adrénaline qui se chassait doucement de ses veines.

Ses épaules tremblèrent un instant, en repensant à tout ce qui venait de se dérouler, mais cela ne lui tira pas une larme. Brynn avait ce côté dur parfois, que Branwen n’avait pas et qu’elle avait hérité sans doute de ce père dont elle ne connaissait rien, hormis peut-être qu’il fut blond et implacable comme elle.

« Je ne veux plus partir » murmura la petite blonde, se rendant compte que des mois de silence loin de lui avaient été une torture, et si elle s’était occupé l’esprit comme elle avait pu, elle ne voulait plus revivre la même chose. Il fallait qu’il revienne ou qu’elle le suive, mais elle refusait au moins pour l’heure d’écouter sa raison.

Quand enfin son visage fut rougi, par la chaleur du pelage ou celle des émotions chamboulées, Brynn se recula un peu pour jeter un regard à ses pieds. Ils étaient rouges sang, écorchés et bleuis par la course. Elle ne sentait d’ailleurs plus ses cuisses et une douleur toute nouvelle venait lui piquer les mollets. Elle ramena vers elle ses jambes, formant un drôle de lotus, alors qu’elle venait masser soigneusement la voûte de ses pieds avec ses pouces, se rendant compte qu’il faudrait au moins du dictame pour guérir certaines plaies.

En y pensant, elle releva le visage vivement sur Viper, l’air inquiet soudain :

«  Tu n’as rien ? Non, tu as l’air… très beau—bien, très bien. »

Mais le loup avait l’air en forme, outre un aspect confus, où de petites branches et des restes de feuille s’étaient accrochés à ses poils. Un petit sourire passa sur les lèvres de la nymphe, avant qu’elle n’étende finalement ses jambes en avant pour mieux s’allonger sur le flanc. Ses paupières étaient lourdes mais ce n’était pas l’effet d’une fée ou d’une poudre magique. C’était le résultat d’une journée longue comme la mort.

Le ronflement de @Sheraz Mahal, ténu mais sifflant, la ramena à la réalité.

Elle aussi était fatiguée.

La jeune Gwent tapota à côté d’elle, non sans lancer un petit regard à Viper.
« J’ai froid Viper », siffla-t-elle, son prénom en fourchelangue, comme si elle ne voulait qu’il n’appartienne qu’à elle et car cela faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas appelé par ce qu’il était vraiment. Du reste, ça n’avait rien de lascif ou d’enjôleur comme elle pouvait l’être parfois, c’était bien plus sincère, bien plus doux, comme l’invitation à venir dormir avec elle – la laisser dormir tout contre lui. Là où elle se sentirait un peu plus en sécurité.

« Je promets ! », la voix de Sheraz Mahal bondit hors de sa bouche en même temps qu'il se redressait. Un froissement d'ailes effarouché répondit à ce cri, tandis que sur les lèvres du jeune homme, un écho hésitant réitérait la promesse. « Je promets... »

Le jeune homme plissa le front, encore habité par l'étrangeté de son rêve. Il lui semblait que ses méninges étaient encore engourdies de sommeil, pâteuses et incapables de faire le clair de toute cette brume qui obscurcissait ses souvenirs. A qui donc s'adressait cette promesse ? Il avait beau jeter un oeil circulaire autour de lui, à ses compagnons d'infortune, rien ne lui paraissait plus vrai que les mots qui l'avaient tiré du sommeil. Il avait le sentiment de passer à côté de quelque chose d'important. De crucial même.

Réalisant qu'il ne souffrait plus, il porta sa main à la chemise de fée qu'il avait enfilé avant de s'endormir, jetant un oeil en dedans puis palpant ses mollets, pour s'apercevoir que les cloques et les brûlures avaient disparues. Il lui fallut faire un effort pour resituer à peine ce qu'avait pu être cette douleur, remonter par bribes jusque dans l'antre de la gueunaude sans plus vraiment remettre ce qui s'y était passé exactement. Apparemment, la promesse donnée à l'immensité devait avoir quelque valeur pour qu'on en eut payé le prix en lui retirant ce que cette nuit avait pu avoir de traumatisant.

Étrangement calme, malgré la présence de Brynn et de ses fauves, Sheraz se sentait différent, sans trop savoir dire en quoi. Il garderait de ces mésaventures un sentiment d'étrangeté sans affolement, une espèce d'état neutre qui lui serait utile dans d'autres occasions, ainsi qu'une tolérance légèrement plus accrue aux mauvais traitements, du moins, il fallait l'espérer.

Pour l'heure, il se contenterait d'attendre les couleurs des premiers rayons du soleil, calme et serein.

(Musique ambiance)

Enfoncée dans la fourrure du loup, Brynn se détendit sans craindre la morsure de l’animal. Au lieu de ça, sa respiration se fit lente et profonde, et ses doigts serrèrent tendrement Dokuja avant de glisser alors que Morphée l’arrachait au monde des mortels.

Dans l’obscurité de son rêve, elle se vit doucement flotter, un soleil magnifique réchauffant son corps, dorant ses écailles invisibles. La fille-serpent étendit doucement ses bras en croix, sans ouvrir les yeux pour ne pas se brûler les yeux alors qu’elle sentait sur son épiderme la morsure agréable de la chaleur.

Cela lui parut être une éternité doucereuse, mais le froid s’insinua doucement en elle par son dos, comme si des griffes béantes avaient fissuré son derme. Elle frissonna plusieurs secondes avant d’ouvrir les yeux. Le soleil était toujours là, si proche d’elle, mais les griffes s’enroulèrent autour de son ventre et elle fut comme aspirée en arrière.

Elle tendit les mains vers l’astre mais une gueule immense de loup vint dévorer une grande part de ce dernier, ne laissant bientôt plus qu’un astre mourant en forme de demi-lune.

Un grognement allait franchir ses lèvres quand elle roula sur le sol. Le froid la tira aussitôt de ses songes ; Brynn releva le visage, ankylosée par la fatigue et la douleur qui lui brûlait toujours le dos, mais son premier réflexe fut de chercher Viper et Sheraz.

L’un faisait face à l’autre, mais le Loup semblait presque comme possédé. Elle ravala sa salive, jetant un regard à Sheraz. La peur s’immisça en elle, sans qu’elle ne sache plus la dompter. La douleur encore fraîche de son dos lui rappelait qu’il n’aurait aucun mal à enfoncer ses griffes en elle s’il le voulait, pas plus qu’il n’aurait du mal à lui arracher la tête.

Brynn retint sa respiration, tentant de dompter la terreur qui faisait son chemin. Elle ferma un instant les yeux, avant de très lentement tendre ses bras, venant avec la lenteur du serpent les enrouler autour de la gorge épaisse. Ses épaules tremblaient mais elle alla jusqu’à coller son visage sous l’oreille du loup, pendue à lui, ses flans offerts à la moindre colère de la bête.

« Ne l’écoute pas, tu es plus fort que ça », elle serra plus fort la gorge forte. Ses épaules tremblaient plus forts encore mais elle restait là. Si Viper attaquait Sheraz, il finirait par s’en vouloir et Mahal n’avait rien fait pour mériter ça. Quant à elle... Peut-être que Myrddin avait raison. Peut-être qu’inviter Viper à Gorsedd était une erreur. Comme faire rentrer le loup dans la bergerie. Mais même si Myrddin avait raison, Brynn l’assumait pleinement. Elle renifla : « Si tu dois dévorer quelqu’un, dévore-moi plutôt, Ookami. Je ne t’en voudrais pas. »

Brynn espérait voir percer le jour ou que par miracle il ne l’entende et ne calme son myocarde furieux, mais en attendant, elle restait là, tremblante contre lui, avec plus de courage que son sang-serpent ne lui avait jamais offert, ou était-ce autre chose ? La peur de le perdre à jamais ? Peut-être qu’être dévoré par lui serait une bonne fin.

Quelque chose en elle de tempétueux, d'incisif, aurait presque voulu s'empaler sur les canines de l'animal. Un quelque chose qui ne venait pas d'elle mais d'impérieux.

Si Viper veut mordre...:

Il émergeait à peine de cet étrange rêve pour retomber dans le cauchemar. Face à lui, le loup de Brynn le dardait d'un très mauvais regard. L'anglo-pakistanais sentit sa gorge se serrait. Il n'avait à son avantage ni baguette ni cuir. D'instinct, qu'il fut porté par la peur ou le bon sens, Sheraz ne bougeait pas d'un cil. Le jeune homme déglutit péniblement, les poings serrés.

Il ne se passait rien concrètement mais tout était là. Brynn s'éveilla sur ces entrefaites, tirant un mouvement réflexe à Sheraz qui redouta la réaction du fauve. Pourtant la blondinette choisit une attitude pour le moins déconcertante. Voilà qui dépassait à nouveau les limites de son bon sens, à moins que le fauve n'eut pas vraiment été ce qu'il paraissait. Ca, Sheraz pouvait l'envisager non sans redoubler d'inquiétude. Alors, bien sûr, lorsqu'elle évoqua la boucherie qui pourrait bientôt se jouer entre eux...

« Moi je t'en voudrais. », contredit l'indécrottable trouillard en serrant les dents pour mieux oublier ses genoux qui s'entrechoquaient, « Qui que tu sois... »

Son regard allait de l'un à l'autre, tantôt rassurant tantôt brillant d'incertitude...

« Vi… ! »

Mais le mot s’enfonça dans sa gorge avec la même violence que le loup avait usée pour s’arracher à elle. Les yeux fixés sur la carrure sombre de l’animal, elle le vit s’enfuir mais n’avait ni la force, ni le courage de le suivre – surtout pas alors que Sheraz était encore là. A genoux sur le sol, elle était restée un instant silencieux, son regard observant les herbes qui avaient avalé la silhouette lupine.

Il ne reviendra pas.
C’est ce que Brynn s’était dit à ce moment-là, sans bien savoir pourquoi elle en était aussi persuadée, mais quand elle reposa le regard sur Sheraz, elle avait la mine des mauvais jours. Ce visage défait par la perte, et des choses, elle en avait trop perdu ce soir sans qu’elle ne sache en nommer aucune.

Ses épaules tombèrent alors qu’elle s’asseyait sur le sol, le regard perdu, en train de se demander sans doute si ce qu’elle vivait était l’affaire d’un rêve ou d’un cauchemar. Se pouvait-il que ce soit l’œuvre de la Guenaude ? Elle en doutait, bien évidemment.

Elle releva les yeux vers Sheraz, de ce petit air pincé.

« Il n’est pas comme ça d’ordinaire. »

Brynn baissa les yeux, l’air fâché soudain.

« Il ne faut pas que tu en parles. Je… Je sais que c’est beaucoup demandé, mais tout ça, ça doit rester entre nous. Même si ma mère te demande quelque chose… Fais comme si tu avais oublié, ça sera mieux pour tout le monde. »

Il sentit soudain comme un soulagement quand le monstre détala. Il n'avait pas besoin de savoir pourquoi exactement mais il avait au moins la sincérité de se dire que ça n'était probablement pas le simple fait de la petite menace mal assurée qu'il avait lancé. Sheraz n'était pas et ne serait probablement jamais quelqu'un de courageux. Mais il était loyal, sincère et, la plupart du temps, intelligent. Le poids qui lui comprimait la poitrine disparut doucement comme il reportait son attention sur Brynn.

La jeune femme semblait contrariée par la fuite de sa créature. Sheraz haussa un sourcil, décidément, il ne savait pas quoi penser de cette fille ni de ce qui s'était passé ce soir. En revanche, il était certain d'une chose, il ne ferait pas semblant. Si on le lui demandait, il ferait ce qu'il estimait être le mieux. Comme il l'avait fait en suivant Brynn pour essayer de l'empêcher de faire une connerie. Ca n'avait pas été une réussite mais la suite de leurs mésaventures ne lui avait pas donné tord, loin de là.

« Écoutes, je sais pas ce que tu caches, qui tu essaie de cacher mais je rentrerai pas là dedans. Il aurait suffi que tu m'écoutes tout à l'heure pour éviter tout ça. Tu me diras : c'était pas mes oignons, j'aurais pu passer mon chemin et faire comme si je n'avais rien vu mais c'est pas ma façon de faire. », répliqua-t-il d'un ton plus ferme qu'elle ne le lui avait jamais connu.

D'un autre côté, ça n'était pas comme s'il se souvenait exactement. Il y avait comme une absence dans le récit de leur escapade cauchemardesque qu'il n'expliquait qu'à demi... mais cela, Brynn l'ignorait encore.