Stand Still (Sio)

Le petit chat mangeait avec un appétit tel qu’il aurait probablement pu avaler l’équivalent de trois fois son propre poids. Siobhán ne put s’empêcher de sourire encore plus largement lorsqu’elle entendit son doux ronronnement arriver à ses oreilles.

S’occuper des animaux, qu’ils soient magiques ou non, était un plaisir auquel elle ne pouvait déroger tant il lui apportait le calme et la plénitude dont elle avait quotidiennement besoin. Le partager avec Edel donnait à ce moment privilégié une saveur encore différente, d’autant que c’était lui qui avait créé l'instant, en prenant soin de la petite boule de poils ces derniers jours.

Secrètement, elle se demandait pourquoi Edel était venu là. Comment il était tombé sur le chat, ce qui l'avait amené à croiser sa route. En somme, cela revenait à se demander ce qu’il faisait quand elle n’était pas là. Mais elle ne l'interrogerait pas. Cette question-là, elle la garderait pour elle, par respect pour cette indépendance qui le qualifiait. Par respect pour ce qu'il était et parce qu'elle ne voulait pas qu'il change. Parce qu'elle aimait ce qu'il était.

Lui jetant un regard en coin, elle se mit à sourire de nouveau quand elle vit qu’il prenait plaisir à caresser la petite créature, ne pouvant manquer sa requête alors qu’il proposait de le garder. Malgré elle, Siobhán prit soudain une certaine distance avec le chaton, son visage arborant des traits tout à coup un peu plus sérieux.

« Pour les mêmes raisons qui m’ont poussée à chercher la compagnie des tableaux et des fantômes du château, je pense » confia-t-elle avec une pointe de réserve, mais sans aucune animosité.

La peur de perdre ceux qu’elle acceptait à ses côtés, la crainte de les voir partir, préférant encore rester seule que de ressentir la douleur s’ils venaient à s’en aller.

Le chat laissa quelques-uns de ses longs poils noirs sur sa robe alors qu’il se frottait à elle, comme un remerciement qu’il ne pouvait exprimer autrement. Laissant sa main se perdre dans la douceur de son pelage, la vélane eut un sourire tendre alors qu’elle se tournait lentement vers Edel.

« Mais j’imagine que beaucoup de choses ont changé, depuis. »

Il y avait eu Céleste, puis @Saúl Ochoa, puis @Xris Andērson.

Puis Edel. À qui elle avait accepté de donner quelque chose que personne à part lui n’avait jamais tenu entre ses mains.

Il avait tout changé, à sa façon. Le pire, c'était probablement qu'il l'avait fait inconsciemment, sans même s’en rendre compte.

A leur manière, chacun à sa façon, ces prénoms avaient remplacé tous ceux qui l’avaient accompagnée sans être réellement vivants. Si elle avait accepté des humains dans sa vie, pourquoi refuserait-elle la compagnie d’un petit animal, probablement encore moins susceptible de la blesser que ceux qui étaient désormais à ses côtés ? Elle ne voyait aucune objection à ouvrir la porte à celui qui se tenait sur ses quatre pattes, même s’il flanchait sur le côté parfois, pataud comme il était.

« S’il n’a pas sa mère, je crains le pire, surtout s’il a trouvé refuge près de la forêt interdite. Peut-être qu’il sera plus en sécurité avec nous… »

Sa phrase faisait écho à son propre passé.

Le « nous » était sorti de sa bouche sans même qu’elle ne s’en rende compte, naturellement. Parce que c’était dans la suite logique d’une histoire dans laquelle ils s’étaient lancés, ensemble. Car si elle décidait d’en prendre soin, et qu’elle continuait à passer autant de temps dans les bras d’Edel, il y avait fort à parier qu’ils se retrouveraient souvent à trois. Comme il l’avait prédit.

« Je pensais à Mimi ou à Felix, tu en penses quoi ? »

Elle essayait tant bien que mal de rester sérieuse et de se retenir de rire devant ce faux manque d’originalité criant. Alors qu'une autre idée de prénom traversait en vérité son esprit, Siobhán était surtout désireuse de l'entendre lui donner ses idées.

De l'entendre, tout court, en vérité.

Le changement n'avait rien de négatif en soi, bien que Siobhán l'air refusé pendant de trop nombreuses années. Cantonnée à sa simple zone de confort, elle y avait trouvé ses aises, sans jamais envisager d'en sortir, ne serait-ce que pour obtenir un aperçu sur la vie qu'elle aurait pu mener si seulement elle avait accepté de s'ouvrir aux autres. La vie qu'elle menait actuellement, finalement. Et si cette vie là avait apporté son lot de peurs, elle avait aussi été le synonyme de grandes joies et de plaisirs partagés. Des souvenirs puissants, heureux, qu'elle n'échangerait pour rien d'autre au monde.

« Comme quoi, hm ? Laisse-moi deviner. Ce sont des surprises, c'est ça ? »

Souriant et arborant un air bien certain, elle avait laissé ses doigts s'entrelacer avec les siens, consciente que c'était sa façon de montrer qu'il comprenait. Il avait les gestes, elle avait les mots. Même si, souvent, en sa compagnie, ils arrivaient parfois à lui manquer, quand ce n'était pas Edel qui les lui enlevaient de la bouche, comme il se plaisait à le faire dès qu'il en avait l'occasion.

Parce que les deux Serpentard passaient énormément de temps ensemble, Siobhán prenait ses petites habitudes en sa compagnie, parmi lesquels, le taquiner. C'était probablement là son passe-temps favori. Aussi, elle ne fut pas surprise de voir qu'il entrait dans son jeu en affichant une moue faussement fâchée. Il ne pouvait pas l'être pour si peu, elle le savait.

Mais pourtant, ce furent ses traits à elle qui changèrent brusquement, à la mention de son père. Toujours marquée par leur dernier échange et ce qui s'était dit dans cette pièce, baignée par la lumière offerte par les hautes fenêtres gothiques dans son fond.

« D'ailleurs. Mon père est au courant », commença-t-elle en relevant les yeux vers lui, amère et avec davantage de sérieux. « Il savait déjà pour nous deux quand je suis allée le voir. »

Il n'y avait pas besoin d'aller franchement plus loin dans ses explications. Siobhán s'assit sur le sol, lassée d'être à genoux, préférant encore se caler au niveau du petit chaton qui l'apaisait seulement par ses ronronnements.

Elle savait par avance que ces mots suffiraient probablement à attiser sa curiosité, et cela constituait une merveilleuse excuse pour n'avoir pas la nécessité d'en rajouter encore. Elle se contenterait d'en dire le minimum à ce sujet : pas parce qu'Edel n'avait pas le droit de savoir, mais parce que cette discussion lui avait laissé un goût amer dans la bouche, que les prémices d'une réconciliation n'avaient pas réussi à faire complètement disparaître.

Mais en mettant un nom de rose noire sur la table, Siobhán ne put s'empêcher de marquer un temps d'arrêt. Parce qu'elle avait passé assez de temps dans les serres pour y avoir pensé, elle aussi. Parce que ce nom de fleur faisait écho à son prénom à lui. Là où les pétales blanches de l'Edelweiss aurait pu se fondre sans mal dans la neige, la couleur de la baccara était son stricte opposé. Cette idée la fit sourire et la poussa même à se relever pour se rappo

« Non. Baccara, c'est parfait », assura-t-elle en se laissant attirer vers lui.

La créature se baladait fièrement, partant à la chasse des premiers papillons qu'elle croisait. Il n'y avait aucun doute quant au fait que ce prénom lui allait à ravir, au-delà de la symbolique qu'il revêtait à ses yeux. C'était Edel qui avait mis ce chaton sur sa route, et ça ne pouvait être que lui qui choisirait comment l'appeler.

Tout à coup, la question d'Edel fit réaliser à la vert-et-argent qu'elle n'avait même pas vérifié s'ils avaient à faire à un mâle ou une femelle, probablement parce qu'elle voulait avant tout un prénom porteur de sens. À aucun moment elle ne réalisait que cette question innocente pouvait avoir un double sens caché, trop concentrée sur la nuque étirée du chaton qu'elle tenait entre ses doigts fins, au-dessus de son visage, pour tenter d'y percevoir quelconque indice. Ses miaulements suraigus laissaient à penser que le félin avait déjà son petit caractère bien trempé.

« C'est une femelle », déclara-t-elle sans laisser quelconque place au doute, laissant Baccara se balader sur ses épaules alors que Siobhán s'approchait avec assurance des lèvres d'Edel. « Bon courage », chuchota-t-elle à quelques centimètres à peine, un sourire espiègle sur ses lèvres.

Nul doute qu'il en aurait besoin. Baccara feulait déjà de les voir aussi près.

Chaque baiser sur ses lèvres était annonciateur d’un plaisir sans faille. Chaque contact de son épiderme sur le sien révélait de larges frissons qui se dessinaient sur sa peau pâle, comme si c’était, à chaque fois, la première fois qu’Edel touchait Siobhán.

Il y avait de ces gestes dont on ne se lassait jamais vraiment quand on aimait réellement quelqu’un, et la vélane en prenait conscience seulement maintenant. Il l’amenait avec lui vers un monde où l’amour et la confiance n’avaient d’égal que la pureté de sentiments partagés, sincères, tangibles et il lui montrait quotidiennement tout ce qu’elle avait manqué ces dernières années. Refusant instinctivement ce qui s’avérait aujourd’hui la meilleure partie d’elle et qui se tenait là, devant elle, non sans lui montrer systématiquement ce que sa bouche ne pouvait répéter à chaque instant.

« On verra si tu gères toujours quand elle fera sa crise d’ado », lança-t-elle malicieusement.

Comme un souvenir de cette période tendue dont @Luke Korrigan et @Finn Gavalagh-Korrigan devaient encore être hantés. Toute sa rébellion, tout son caractère affirmé était un héritage de ces années qui l’avaient forgées. Et si l’on avait pour habitude de dire qu’un animal pouvait tirer certains traits de son maître, il fallait espérer pour Edel que Baccara saurait se souvenir de la main qui l’avait nourrie, bien avant que Siobhán accepte de s’en occuper.

Même si c’était avec des cacahuètes.

Sa tête prenait appui contre les lèvres qui l’embrassaient. Siobhán continuait de laisser vivre ses pensées en regardant la boule de poils s’activer maladroitement. Certains brins d’herbes faisaient le double de sa taille et pourtant, elle n’avait pas l’air d’en être effrayée.

Pour sûr, Edel avait des prédispositions pour les êtres qui pouvaient paraître fragiles au premier abord, mais qui étaient finalement tout le contraire, une fois qu’on apprenait à les connaître.

« L’avantage c’est que tu n’auras même pas besoin de te présenter », annonça-t-elle, le regard un peu plus sombre. « Il t’accueillera probablement avec son meilleur ami Braxton, les bras croisés sur la poitrine, un dossier sur son bureau relatant tous tes faits et gestes des dernières années. Au cas-où, si t’avais pour ambition de me kidnapper, tu ferais mieux d’y penser à deux fois parce que ces deux-là sont capables d’envoyer un ministère entier pour me chercher. Et si Finn vient à être au courant… C’en est fini de toi, Monsieur Almadovar. Notre idylle aura été de courte de durée. Intense, puissante, profonde, sincère, mais de courte durée. »

Son propre discours avait esquissé les prémices d’un sourire, imaginant sans difficulté @Braxton Clearwater le visage sombre, se tenant debout aux côtés de son père comme s’il s’agissait de son homme de mains. Le portrait qu’elle dépeignait dans sa tête aurait pu être fondamentalement drôle s’il n’avait pas été si proche de la réalité.

« En fait, il a fait des recherches sur toi et sur ta famille. Heureusement pour toi, si je suis en ce moment même avec toi, là, tout de suite, c’est qu’il n’a rien trouvé de compromettant à ton sujet. Ou peut-être… peut-être qu’il est déguisé en buisson. »

Par réflexe, ses yeux furetèrent autour d’elle, comme pour vérifier.

Ça ne l’aurait même pas étonnée.

L’image de son père tapit dans l’obscurité de la forêt interdite ne lui arracha, cette fois-ci, pas l’ombre d’un sourire. Leur discussion l’avait aidée à mieux comprendre le pourquoi du comment, mais ce n’était pas pour autant qu’elle approuvait ses méthodes. Surtout qu’elle ne savait pour le moment pas s’il serait capable de tenir ses promesses. Après tout, ils n’avaient eu recours à aucun serment inviolable.

« Je ne sais pas si ça suffira. J’espère que ça lui aura fait un électrochoc mais avec mon père… Je ne suis jamais sûre de rien. Il a écrit à Braxton, tu te rends compte ? Et Flinky qui passe sa vie d’elfe de maison derrière les fesses des jumeaux Korrigan doit en avoir ras-le-bol même s’il ne peut pas le dire. Bref, j’imagine que tu ne me diras pas ce que tu vas lui raconter ni avant, ni après. Mais à l’occasion, rappelle-lui ce qu’il m’a promis », quémanda-t-elle en s’approchant plus près de lui. « Je ne suis vraiment pas sûre de pouvoir lui pardonner s’il recommence ça. J’ai déjà du mal à n’avoir pas pu lui annoncer moi même ton prénom… »

Quant à l'idée de rencontrer sa mère cet été, Siobhán se mit à sourire instinctivement. Du portrait qu'Edel en avait dépeint, elle avait pu saisir toute la force et le courage de cette femme qui avait élevé seule ses deux enfants pour leur offrir la meilleure des vies. Pour autant, et probablement parce qu'elle manquait cruellement de recul, le parallèle avec son père et la façon dont il avait éduqué ses jumeaux ne se fit pas.

« Il faut que tu retiennes quelque chose d'important. J'irai n'importe où si tu es là. » C'était un fait, il n'y avait rien d'autre à rajouter. Sauf peut-être... « J'ai hâte de lui dire à voix haute que je ne veux que le bonheur de son fils et que je la remercie d'avoir fait de lui ce qu'il est aujourd'hui. »

À bien voir la façon dont Edel et Siobhán parlaient ensemble de Baccara à Baccara, il ne faisait aucun doute que la petite chatonne venait de trouver en eux sa nouvelle famille. De celle qu'elle n'avait jamais demandée (ou miaulée) ni probablement désirée — d'autant plus quand on considérait qu'aucun des deux Serpentard n'avait parlé d'adoption auparavant — mais qui s'était imposée naturellement, comme chaque étape franchie par ceux qui ne s'étaient jamais vraiment cherchés non plus avant de se trouver.

Avec tout autant de naturel et de simplicité.

À cette pensée, son sourire s'élargit. Elle céda à une pulsion soudaine, née d'un éternel cheminement qui ne trouvait jamais sa fin dans son esprit, et attrapa les lèvres d'Edel au passage pour lui voler un baiser. De tous ceux qu'elle avait l'occasion de déposer, c'étaient bien les dérobés, ses préférés. Au hasard d'un couloir, au détour d'un fin de cours synchronisée...

Voilà que ses pensées reprenaient la fuite.

« On les balancera chez quelqu'un qu'on aime pas », soumit-elle avec malice, tentant de revenir au présent.

Cette espièglerie dans ses traits avait-elle toujours été là, quelque part, cachée ? Ou bien était-ce Edel qui déteignait progressivement sur elle ?

D'abord, elle avait mis à l'eau ce bon vieux @Michel-Ange Grimm, qu'elle ne regardait même plus, quand elle le croisait. Puis, il y avait eu ce jeu de cartes, à la soirée des Serpentard. Ensuite, ce défi stupide, lancé à @Xris Andērson, au dessus du Lac Noir, qui lui avait valu une petite virée improvisée à l'infirmerie. Et maintenant, l'idée de balancer des souris décédées dans le dortoir de quelqu'un qui, à ses yeux, devait vraiment le mériter. Mais était-ce seulement le cas ?

Le rire d'Edel à la mention de @Braxton Clearwater créa la surprise et l'interrompit dans ses réflexions. Si Siobhán resta d'abord silencieuse en comprenant que les deux hommes se connaissaient déjà, elle se notait à elle-même de cuisiner celui qu'elle considérait comme un membre à part entière de sa famille. Comme un deuxième père, à l'image de @Maeve Cynfeirdd qui avait été une véritable mère pour elle quand elle en avait eu le plus besoin.

Sa famille de cœur était plus vaste encore que celle du sang, et c'était probablement ce qui l'avait aidée à ne pas ressentir le manque d'une amitié aussi vivement qu'elle aurait dû.

« Oncle Braxton, comme tu dis, va donc devoir me faire un compte-rendu bien fourni », déclara-t-elle en ne pouvait s'empêcher d'insister sur le mot "Oncle" alors qu'elle ne l'appelait jamais comme ça. C'était @Luke Korrigan qui le dénommait ainsi devant les jumeaux, depuis toujours. « J'ai hâte de savoir ce qu'il a répondu à mon père. Si ça se trouve, c'est noté sur ton dossier que tu ronfles en dormant... C'est une question qui mérite d'être posée en tout cas. Et si ça n'y est pas, je vais voir avec lui pour l'ajouter parce que franchement... » Pendue à son cou alors qu'elle s'était retournée vers lui, l'Irlandaise ne manquait pas une seule occasion de voir apparaître un sourire sur son visage, faisant naître instantanément le sien. « Mais il te connait depuis longtemps alors ? C'est drôle. Et c'est drôle aussi parce que j'ai envie de rencontrer toute ta famille. »

Nulle vérité n'était plus sincère que celle-ci. À chaque fois qu'il parlait de lui, bien que ce n'était pas très souvent, la vélane mourait d'envie qu'il ne s'arrête jamais. Elle brûlait d'apprendre chaque détail de son existence, tout en feignant de se contenter de ceux qu'il acceptait de lui donnait. Mais la vert-et-argent n'était jamais rassasiée quand il s'agissait d'Edel. À tous les niveaux, d'ailleurs.

La main d'Edel parcourait sa peau et elle dut pincer ses lèvres pour s'empêcher de sourire. Il savait parfaitement toutes les pensées qu'il faisait naître dans son esprit en cet instant, quand elle aurait plutôt dû les rendre muettes.

« Je ne t'aurais pas suivi si tu ne m'avais pas tendu la main », répliqua-t-elle, dans sa constante d'avoir le dernier mot.

Les images de cette soirée défilaient silencieusement devant ses yeux bleus. Incapable d'oublier ce qu'elle avait ressenti lorsqu'il lui avait proposé de faire partie des privilégiés, vibrante jusque dans sa volonté de le suivre pour voir ce qu'il avait à lui proposer. La vérité, c'était qu'il l'avait charmée dès le premier soir, quand sa beauté à elle n'était d'aucun effet sur lui, et seulement sur lui.

Son cou accueillait volontiers son souffle et tout ce qu'il voulait, désireuse de le sentir plus près encore, à chaque instant. Baccara ne manquait pas de faire savoir son mécontentement entre leurs pieds, visiblement très déçue de ne pas être considérée. Siobhán baissa la tête vers elle pour coller son front contre les lèvres d'Edel.

« En parlant d'en avoir quelque chose à faire... Tu as recroisé mon frère, récemment ? », demanda-t-elle simplement.

L'espace qu'elle laissait à @Finn Gavalagh-Korrigan pour digérer la nouvelle de sa relation avec Edel ne lui octroyait nullement la possibilité de savoir s'il commençait ou non à s'apaiser à ce sujet. Aussi insoutenable que devenait cette distance séparant deux jumeaux qui n'avaient jamais vécu autrement que l'un avec l'autre, la vert-et-argent devait accepter de lui accorder du temps. Alors, elle se contentait d'attendre silencieusement son retour, sachant pertinemment qu'il finirait par revenir, tôt ou tard.

« Je lui offrirai un bouquet d'Édelweiss, alors. Elle comprendra ce que je n'aurai pas besoin de prouver. »

Pour une passionnée de botanique sous tous ses aspects, aucune lettre ne faisait mieux passer des messages que des fleurs. Elle espérait que la mère d'Edel y serait sensible et qu'elles se trouveraient des points communs, au-delà de ce qui les liait à un même être. Mais c'était plutôt bien parti, elle qui avait donné à son fils le prénom d'une herbacée.

« Il va me demander des comptes alors que je ne saurai même pas ce que tu lui as dit. Et je viendrai te demander des comptes pour savoir ce que tu as dit. Alors que ce serait tellement plus simple de tout me dire maintenant... », insista-t-elle, maintenant son regard bleuté vers le sien, avant de se laisser embrasser avec douceur comme il savait si bien le faire, lui faisant oublier le fil de sa propre discussion.

Son premier amour, bien loin d'une simple idylle, avait le don de lui mettre la tête et le cœur à l'envers.

Mais jamais il ne l'avait fait avec une telle force que lorsqu'il mentionna les plans d'une maison.

« Une maison ? Quelle maison ? », demanda-t-elle sans réussir à masquer son intérêt, marquant spontanément un mouvement de recul.

Envisager qu'il puisse mener des plans d'un futur sans la consulter eut au moins le mérite de lui remettre les idées à l'endroit, même furtivement.

À l'orée de la forêt interdite comme dans n'importe quel autre endroit, il semblait qu'il n'y avait qu'eux. Le monde paraissait s'éteindre de chacune de ses lueurs à chaque fois qu'ils se retrouvaient. Ils étaient les seuls sous la lumière et toute la vie du château se mettait en pause le temps d'une étreinte, d'un baiser, d'un regard, ou simplement d'une discussion, comme c'était le cas maintenant. Chaque phrase prononcée leur permettait de se découvrir et de s'apprendre encore davantage, testant leurs limites réciproques à chaque instant sans se lasser de flirter avec leurs extrêmes pour voir jusqu'où ils pouvaient bien aller.

Tout en restant ensemble.

Avec Baccara qui s'était enfin posée sur son pied, comme s'il s'agissait du lieu le plus confortable au monde. Les chats avaient une drôle notion du confort.

« Mmmmh. Non, désolée. Tu dois te tromper. Déjà parce que... je dors beaucoup trop rarement quand tu es là. Par conséquent, mon sommeil n'est pas assez profond puisque tu me réveilles souvent et pour finir, je ne vois que deux possibilités... Soit c'est ta propre bave que tu retrouves sur ton oreiller, soit tu as un escargot particulièrement ravageur qui traine dans ton dortoir. »

À nouveau, ses lèvres se pincèrent pour ne pas rire, sentant le pouce d'Edel dangereusement s'en rapprocher. Il fallait qu'elle parle pour ne pas se laisser tenter par celles qui lui souriaient en retour, qu'elle l'écoute pour se distraire de ce regard ambré qui l'avait fait tant de fois basculer. De ce sourire, auquel elle ne pouvait définitivement pas résister. De qui parlaient-ils déjà ? Ah oui. @Braxton Clearwater.

« Appelle-le comme tu veux, alors. Il n'empêche qu'il me devra quelques explications et qu'il ne s'en tirera pas comme ça. Oncle Braxton ou Braxton tout court, il n'avait pas à accepter toutes les doléances de mon père. Tu sais quoi, si un jour mon père refait sa vie comme je le lui ai suggéré, on ira voir ta cousine ou Saúl et on leur demandera de faire des recherches. On verra ce qu'il en dit. »

Peut-être que c'était une stratégie à adopter. Changer les rôles, l'espace de quelques jours, pour leur montrer à quel point il pouvait être désagréable de se voir surveillé ses moindres faits et gestes. Siobhán notait cette idée dans un coin de sa tête tant elle la trouvait excellente et se promettait de s'essayer à l'exercice, utilisant les dossiers auxquels pouvaient avoir accès les Aurors de la famille d'Edel.

« Mais oui, je connais Braxton depuis que je suis petite. Mon père et lui ont fait la guerre ensemble. Ça les a marqués et ils se comprennent mieux que personne. Braxton est comme un père pour moi. Malheureusement pour lui. »

Car réciproquement, s'il considérait Siobhán comme sa fille spirituelle, il était certain que cette dernière n'agirait pas différemment avec Luke ou avec Braxton : si elle avait quelque chose à dire, elle le dirait dans tous les cas. Car c'était ainsi qu'on l'avait élevée. L'honnêteté était une valeur à laquelle elle ne dérogeait pas.

C'était probablement pour cette raison qu'elle ne put s'empêcher d'afficher un air outré à la remarque d'Edel, concernant leur première véritable rencontre. Celle qu'elle n'effacerait pour rien au monde parce qu'elle l'avait marqué comme aucune autre jusqu'ici. Pour autant, les deux Serpentards semblaient en savoir un souvenir bien différent.

« Je t'ai... quoi ? Pas du tout. Tu te trompes. Je ne t'ai embrassé qu'après que tu l'aies fait une première fois. Sur la joue, certes, mais ça reste un baiser et c'était le premier », annonça-t-elle, assurée, pointant un doigt sur son buste. « Ne t'y méprends pas. J'espère que ce sera noté sur ton dossier, ça aussi », ajouta-t-elle en se redressant. De mauvaise foi. »

Et si ces souvenirs l'attendrissaient, il y en avait un qui n'avait visiblement toujours pas accepté cette relation. À la réponse d'Edel, nette, franche, Siobhán comprenait sans mal que ça restait un sujet sensible qui méritait d'être abordé avec douceur.

« J'irai lui parler. Je ne veux pas que ça se passe mal entre vous à cause de moi... Je ne veux pas que ça se passe mal entre vous tout court. Il m'écoutera. »

Son cœur se pinçait en repensant à une autre amitié qui lui faisait défaut ces temps-ci. Et parce qu'elle aimait Edel au point de ne vouloir rien d'autre que son bonheur, elle ne put s'empêcher de lui demander.

« Et Xris ? On a jamais reparlé de ce qu'il s'est passé au stade de Quidditch... »

Probablement était-ce pour une bonne raison. Il y avait même de grande chance qu'Edel ait volontairement évité le sujet. Mais si la vélane savait que le Serpentard était on ne peut plus sociable — à sa manière, certes, mais sociable — ses vrais amis, ceux avec qui il passait tout son temps, se comptaient sur les doigts d'une main. Et en ce moment, à en croire ce silence qui pesait, ils s'étaient tous temporairement absentés.

Et Siobhán comptait bien y remédier.

En attendant, elle se laissait basculer au sol sans chercher à lutter, appréciant chaque instant privilégié comme celui-ci à sa juste valeur. Mais là encore, elle savait que c'était un jeu dangereux dans lequel ils se lançaient. Sans aucun mur à proximité d'eux pour abriter la bulle qu'ils se créaient lorsqu'ils étaient à deux. Posant sa main sur sa joue avec une délicatesse démesurée, témoignant de tout ce qu'elle ressentait pour lui en cet instant, elle plongea son regard dans le sien pour lui faire comprendre qu'elle n'attendait que ça. Qu'il lui montre à quoi ressemblerait une vie à ses côtés, dont l'aperçu qu'il lui laissait au quotidien ne lui donnait que plus envie de se perdre dans ses bras.

« Quoi que mon père en dise de toute façon. Quoi que mon frère en dise, aussi. C'est toi que j'ai choisi et personne ne pourra rien y changer. »

Avec un sourire narquois, elle lui laissa le temps de noter cette information primordiale tandis qu'il n'hésitait pas à lui expliquer à quoi ressemblait une maison, lui arrachant un léger rire qui ne la détourna pas de ce qu'il était en train de lui avouer.

« Tu as dessiné les plans de ta future maison, c'est ça que tu es en train de me dire ? », chuchota-t-elle sans même chercher à savoir si elle pouvait s'inclure dans ce projet. Car il n'y avait qu'une chose qui comptait. « Je veux voir. Montre-moi. »

Cette fois-ci, ce fut elle qui le surplombait. Sa demande était expresse, parce qu'elle ne demandait qu'à voir chaque morceau de vie qu'il acceptait de lui partager.