Music soothes the soul (Eynaelle)

Je grimace au petit speech d’Enya. Je la laisse malgré tout aller jusqu’au bout, l’écoute en silence. Je la laisse même s’épancher sur sa passion pour le duel. Mais je grimace toujours une fois qu’elle a terminé. Les mains jointes dans le dos, je viens me placer devant elle, me penche un avant, un sourire goguenard aux lèvres.

« Parce que t’es la porte-parole des Poufsouffle maintenant ? C’est marrant, j’étais pas au courant. »

Là encore, la démocratie des jaunes laissait à désirer. Tantôt certains se proclamaient Roi et maintenant une troisième année venait me dire ce que c’était qu’être un Poufsouffle. Si on était censé avoir des qualités communes, je refusais de croire qu’on soit tous identiques. Ce serait d’un ennui. Surtout son point de vue.

« Je ne pense pas que faire semblant apporte le bonheur. Déjà. Et quand bien même ! Les meilleurs morceaux n’ont pas été écrit dans l’extase. L’art se nourrie aussi de la peine, de la souffrance, de la perte… »

Je libère mes bras et frappe dans mes mains. Je lui tourne autour tandis que je continue, avec passion. Je fais de grands gestes exagérer, hausse la voix, y met une intonation plus prononcée.

« Les grands auteurs, les peintres, les musiciens… Tu connais beaucoup de chansons qui ne parlent que de bonheur et qui parlent à beaucoup de monde ? Les oiseaux qui chantent, on s’en fout. Le soleil qui brille, ça va deux secondes. Surtout au Royaume Unis, on ne nous la fait pas.   »

Je sens bien que je dérape totalement maintenant que je suis lancé mais c’est parce que son point de vue m’attriste et que je veux vraiment lui faire comprendre le mien, par mes yeux, par mon putain de cœur.

« Un deuil surmonté. Une histoire d’amour épique. Un cœur brisé. Ou encore la haine ! Ça, oui, ça parle aux gens ! Parce que la vie c’est pas un putain d’arc en ciel et que le ciel est carrément plus nuageux. Ces émotions, ils s’y accrocheront plus facilement. »

Je reviens me placer face à elle, plonge mes yeux dans les siens, lui prend le visage dans les mains et colle mon front au sien. C’est risqué, généralement son contact, sa proximité me fait perdre les pédales. Mais là je les ai déjà perdu. Foutu pour foutu.

« Alors non, les souffrances il n’faut pas les snober, les glisser sous l’tapis. Il faut les transformer, les utiliser. Et c’est pas avec ton masque que ça se fait. D’ailleurs… Si un jour ça ne va pas, derrière ton masque. Et que tu as envie d’en parler avec un crétin comme moi… Je suis là, Ténia. »

Je m’écarte doucement et lui colle un baiser sur le front. Comme je l’aurais fait à Ash, espérant peut-être lui faire entrer quelque chose d’utile dans la caboche, qui sait. Puis je pars dans un rire plus léger ayant vidé mon sac.

« Je veux bien te suivre dans ton idée de duel car, oui, je sais que c’est utile, c’est pas pour rien que je me suis inscrit cette année. Mais juste, n’sois pas trop vache avec le débutant que je suis. »

« Cacher ses émotions ? Faire semblant ? Je n’ai pas le souvenir que ce soit des traits de caractères des blaireaux. J’aurais pu coller ça sur les lions, à la limite… Ou les verts et leur petit air supérieur… »

Mon discours n’a pas fait mouche et semble même l’avoir froissée, ce qui m’étonne et me déstabilise quelque peu. C’est donc ça ? Elle porte un masque depuis tout ce temps ? Je note cette possibilité dans un coin de ma tête, me dis qu’il faudrait peut-être que je garde un œil sur la jeune femme au cas où il se fissurerait et qu’elle ait besoin d’une oreille attentive qu’elle refuse pour l’instant. Parce que je ne peux pas m’empêcher de vouloir jouer le grand frère avec cette petite peste qui ressemble décidemment bien trop à la frangine ! Je ressens d’ailleurs un pincement au cœur à l’idée de ne pas savoir ce qui se trame dans la vie de cette dernière, si tout va bien à la maison… Je lui écrirai une lettre ce soir pour m’en assurer. En attendant, Eyna va devoir supporter ce foutu transfert que je fais.

« Le front. Juste ton front ! Je ne t’ai pas non plus roulé un patin, ne fais pas ta mijaurée. Mais ok, la prochaine fois je t’enverrais un hibou pour savoir si j’ai le droit de poser mes lèvres sur ta peau, princesse. »

Si ça me rappelle la réaction d’Ashleigh quand elle a été en âge de ne plus vouloir ce genre de démonstration devant ses amies car elle était ‘’trop grande pour ça’’, je n’en lève pas moins les yeux au ciel tandis qu’elle pointe une nouvelle fois les rumeurs probables qui circuleraient à notre égard. Je ne la pensais pas aussi tracassée par ce que les autres pouvaient penser d’elle et ça me déçoit un peu, je dois l’admettre. S’inquiéter du jugement des autres est une perte de temps, surtout à nos âges. C’est un frein !

« C’est aussi que j’ai déjà pas mal cogité sur le sujet. J’ai même prétendu être heureux quand c’était pas le cas à une époque. »

A la mort de mon père, j’ai voulu cacher ma tristesse pour protéger ma sœur. Et pour jouer les garçons solides aussi, car ça ne pleure pas un mec, selon Thomas. Que les Monaghan ne sont pas des chiffes molles. Non, on encaisse les coups et on frappe plus fort. On provoque les larmes des autres mais on ne les verse pas. J’ai failli gober cette connerie et suivre son exemple vu qu’il était celui qui me restait. Heureusement que mon oncle est intervenu.

« Et je n’adhère pas. Mais si, toi, ça t’aide… Okay. »

Je n’insiste pas plus longtemps et arrête de jouer les psy de pacotilles. Je soupire de soulagement quand elle renonce à son idée de duel, je n’avais pas spécialement envie de finir la journée à l’infirmerie, mon nez m’a suffi.

« On est d’accord, ce ne serait pas équitable et donc amusant pour aucun de nous. »

Je plisse les yeux et un sourire mutin nait sur ma bouche.

« Ce serait si horrible que ça qu’on te croit ma copine ? Dans ce cas… »

Je me laisse tomber à genoux devant elle, les mains posées sur mon cœur, une gestuelle digne des SOAP OPERA que regardait ma mère, affalée dans son canapé à cuver les excès d’alcool de la veille, plongée dans le noir.

« Non, Eynaelle, je t’en supplie ! Ne me rejette pas ! »

Je me laisse complètement choir sur le sol, les mains toujours sur ma poitrine.

« Tu me brises le cœur ! »

Je roule sur le sol et me relève, la mine exagérément triste et lance aux autres étudiants présents :

« Elle ne veut pas être ma cavalière ! » Un clin d’œil à une demoiselle avec un sourire qui se veut charmeur. « Mais du coup je suis dispo, miss ! »

Qui ne tente rien n’a rien. Même si je ne compte pas mettre les pieds à cette petite sauterie. Les froufrous, la mauvaise musique et les hormones qui s’emballent, ce n’est pas ma tasse de thé. Je reporte mon attention sur Eyna, un sourire moqueur sur les lèvres.

« Là ! Rassurée ? »

« Les acteurs sont des menteurs. Ne jamais leur faire confiance ! Pour ça que je ne traîne pas avec les théâtreux, là, ils sont louches. Même ceux qui jouent mal. C’est un coup à y laisser un bras au poker. »

Je plisse les yeux quand elle évoque un possible flou dans sa répartition de maison. Une Eynaelle verte, ce n’était pas si improbable. Et puis, au fond, est-ce qu’on n’en avait pas tous le potentiel ? Au départ j’ai vraiment cru que ce bout de feutre sortait le nom des maisons aux hasards, ou juste ce qu’il fallait pour remplir un quota. D’ailleurs, c’est toujours étonnamment équitablement réparti… Mais on me dit parano.

« Tu me sembles suffisamment rusée pour être des leurs, oui. Mais pas assez mauvaise pour envisager de piétiner les autres pour te faire une place au soleil. »

Casse pied quand elle s’y met, oui, mais opportuniste, non, je ne la vois pas comme ça. Sauf si son jeu d’actrice ne se limite pas à se coller un sourire sur le visage quand il ne lui vient pas naturellement. Je lève les yeux au ciel, encore, quand elle confirme que cet innocent baiser pourrait cacher autre chose aux yeux de certains.

« J’ai probablement déjà collé ma bouche sur le front de Sheraz… ou Cam… peut-être même Mich, oui. Ils n’en ont pas fait tout un fromage. Mais je note, vraiment, la prochaine fois je pars sur une accolade bien bourrue, promis. »

M’accuser de tricherie parce que j’ai pu commettre les mêmes erreurs par le passé me semble exagéré mais elle s’accroche à son idée, ce que je peux comprendre. Je ne vais pas lui répondre que ça me semble bien trop simpliste comme raisonnement avec le recul, que c’est aussi pour ça que j’ai laissé tomber cette méthode qui m’a plus desservi qu’autre chose. Cacher ses émotions ne les fait pas disparaître, ça risque juste de les transformer en quelque chose de plus sombre, de nous ronger de l’intérieur, de contaminer la chair… Je hausse les épaules, lui laisse ce point si ça peut lui faire plaisir. Et alors que je suis plutôt fier de mon petit jeu et du sourire que me rend la petite brune à ma réflexion sur le bal, Eyna me prend de court en laissant entendre qu’elle ne m’offrait pas de refus.

« Hein ? Mais c’est que… Hein ? Au bal ? MOI ? Avec… toi ? AU BAL ? »

Plus que patauge dans mes questions, plus ma voix monte dans les aigües. Mon visage doit virer au cramoisi par l’incompréhension totale et le malaise qui me gagne. D’une blague, je me retrouve coincé ? Si je pouvais rembobiner pour comprendre… Bordel !

« J’ai d’autres projets ce soir là, c’était pour blaguer, Eyna ! Puis, t’imagines ? Moi en pingouin ? Au bal ? »

Je pouffe de rire, d’un rire forcé flagrant. Me passe une main à l’arrière du crâne, me tenant droit comme un piquet, gauche. Le bal n’est clairement pas un objectif que je cherche à atteindre. C’est tout ce qui me file la chair de poule. La musique ringarde, les gens guindés, les petites danses… J’en frissonne d’horreur. Non, moi vivant, hors de question que j’y foute un pied !

« Je ne les hais pas, je ne leur fais juste pas confiance... »

Cependant, ma camarade de Poufsouffle a possiblement mis le doigt sur quelque chose. ‘Liv, mon amour de lycée qui m’a brisé le cœur, cumulant duperies et faux semblants… Ça pourrait venir de là, en effet. Les sourires de façades, les fausses gentillesses… Peut-être bien que mon ex m’a rendu parano. Elle est l’une de mes plus grandes erreurs et j’ai appris pas mal de choses à son contact. Ne pas les écouter quand elles disent ne pas vouloir de cadeau à la Saint Valentin, entre autres.

« RAAAAAH c’est juste un putain de smack sur le front, LE FRONT ! » Je lève les bras au ciel, désespéré par ce débat stérile. « Mais, okay, à partir de maintenant je garde mes distances avec vous autres, les nanas ! Une bonne grosse tape dans le dos, c’est tout ce que vous aurez de moi. »

Je me crois sérieusement de retour au collège, quand un simple bonjour poli à une demoiselle déclenche les gloussements insupportables de toutes les filles alors qu’elles se montent le bourrichon, s’imaginant un amour naissant, une passion dévorante et tout ça dans un simple ‘’Bonjour.’’ C’est bien trop épuisant de devoir faire attention à ses moindres faits et gestes surtout en essayant de se glisser dans leurs têtes d’œstrogênées ! Comme sa mauvaise interprétation de mon malaise, là. J’arque un sourcil.

« La guitare m’aide pas mal à choper, oui, ne t’inquiète pas pour moi, miss, je n’suis pas en mal d’amour. Et je serais certainement canon en robe. Mais jamais tu ne me verras mettre les pieds dans un foutu bal. On se serait sûrement marré, oui, mais c’est contre ma religion, ces conneries. »

Je me détourne, file récupérer Betty, la glisse sur mon épaule avant de revenir faire face à la demoiselle. La religion. Ça, c’est ma carte joker. La religion, on peut la foutre à toutes les sauces. Des asperges ? No way, contre ma religion. Du haggis ? Same. Ceux qui me connaissent savent qu’il n’y a pas de personne plus athée que moi, ce qui ne m’empêche pas de balancer cette excuse. La religion du rock’n’roll. A la limite du punk, parfois. Je n’aime pas le conformisme, j’en ai horreur. Les moules imposés, la bienséance, ça me donne la gerbe. Peu importe si c’est free drinks.

« Misia sera sûrement contente d’y aller, elle. Amusez-vous, faites chier les vieux cons ! Moi je serais au chaud dans le château, au calme, pendant que vous serez tous à vous dandiner. »

J’adresse un clin d’œil à la jeune femme et m’éloigne en direction de notre salle commune. Oh oui, au calme ! Pas de cris, pas de jérémiades. Juste du silence.