La valousie est un jilain défaut [ft. Zoey]

En chantonnant, Vicky remettait en place les cartons déballés en raison de l’inventaire dans les immenses étagères de la boutique familiale. Remettre en place était en vérité un bien grand mot… En raison de la potion d’inversion ingérée quand elle était toute petite, Vicky évoluait avec un bien curieux handicap : tout le côté gauche de son corps se pensait à droite et inversement. Heureusement pour elle, sa baguette avait l’habitude de son manque de coordination et quand elle pointait sa baguette à droite, les cartons comprenaient qu’ils devaient faire le chemin inverse. De même, la cape enchantée qu’elle portait prévenait ses moindres faits et gestes, la retenant perpétuellement de chutes et de mauvais coups qu’elle aurait pu prendre.

Vicky n’avait donc que peu de raison de se plaindre. En réalité, elle avait même tendance à oublier son inversion, se reposant avec une certaine inconscience sur ses accessoires magiques. Il était dans sa nature d’être généralement heureuse, pour tout et rien. Mais aujourd’hui était un jour particulier. Elle fêtait secrètement la victoire des Canons de Chudley, portant fièrement un petit badge en forme de boulet de canon épinglé à sa poitrine.

La sorcière était une fan de la première heure de ce club de la ligue irlandaise et britannique de Quidditch. Déjà à Poudlard, lorsqu’elle était étudiante, elle avait pris l’habitude de porter la célèbre robe orange vif sous son uniforme en hommage à son club favori. Ses goûts avaient été très largement orientés par le fait qu’un autre étudiant était lui aussi fan de cette équipe. A force d’observer de loin cet éclatant Gryffondor, la petite Poufsouffle avait souhaité un peu plus lui ressembler. Et pourquoi pas – soyons fous – attirer son attention. Mais l’attention de l’Appolon ne s’était jamais posée sur elle, et Vicky avait fini par devenir une vraie supportrice, en toute indépendance. Cependant, aujourd’hui encore, la victoire était toujours plus belle quand elle songeait que @Charlie Chance la fêtait lui aussi de son côté.

La clochette de la porte d’entrée sonna, et tous les mannequins de bois levèrent leur tête sans visage dans cette direction. Ces grands pantins de bois animés aimaient se rendre utile et souhaitaient donner un coup de main à Vicky dans son rangement. Cependant, le fait de ne pas avoir d’yeux les rendaient assez inutilrs et ils mettaient joyeusement la boutique sens dessus dessous. La seule chose qui pouvait les arrêter dans leur élan était l’arrivée d’un nouveau client. Alors, ils se précipitaient tous pour l’accueillir et lui présenter des vêtements sans même lui laisser le temps d’entrer.

- Que tout cadet semoule… je veux dire, que tout le monde se calme, tonna Vicky de sa voix ridiculement faible. Michel, s’il te plait, tirule quoi… euh… recule-toi, tu vois bien que la dame ne peut pas entrer !

Le mannequin du nom de Michel baissa piteusement ce qui lui servait de tête en ramenant à lui le tutu vert forêt qu'il présentait, et se recula de quelques bonds. Aussi, la réceptionniste-couturière put offrir son plus beau sourire à la nouvelle venue, la saluant de ses incompréhensibles mots inversés.

- Bienvenue chez Brissard et Todette… je veux dire… TIssard et Brodette. Que fuis-je paire… puis-je faire… pour vous ?

Je peste pendant tout le chemin. Je prends volontairement mon temps et rallonge le trajet. Pour pester plus longuement. « Et gnagnagna, il faudrait refaire mon ourlet. Et gnagnagna il faut recoudre un bouton à ma blouse…Et gnagnagna tu serais un amour… » Je grimace pendant ma très mauvaise imitation des demoiselles. Quelle idiote aussi de m’être proposée de déposer quelques vêtements à ma visite à la boutique. Vraiment, quelle cruche ! Mais ne dit-on pas que l’amour rend stupide ? Depuis que je suis sur mon petit nuage, je perds de ma hargne légendaire, je baisse ma garde, je sourie, je suis… sympa. Et là c’est le retour de bâton ! Elles ont sauté sur l’occasion. Elles m’ont vraiment confié leurs fringues. Et je me retrouve avec de quoi rhabiller un village !

Je bougonne encore en arrivant devant la boutique. Tissard et Brodette. Au départ, c’était surtout pour emmerder la concurrence. Guipure. La vieille Guipure et ses idées très arrêtées sur l’élégance que je m’étais amusée à faire rougir en lui détaillant ce que l’Ensorceleur pouvait offrir, parce qu’elle m’avait agacée d’entrée de jeu en haussant un sourcil quand je lui avais dit où je travaillais. Pourquoi poser la question si elle n’était pas capable d’encaisser les réponses sans froisser la clientèle ? Ensuite, je voulais quelque chose de plus spectaculaire que du prêt à porter. L’ordinaire n’a pas sa place à l’Ensorceleur ! Et de ce que certaines charmeresses m’ont dit, Tissard et Brodette est un bon endroit pour ça.

Je pousse la porte et fais tinter la clochette. Je sursaute aux mouvements des mannequins, n’ayant pourtant senti qu’une personne dans la boutique. Je recule d’un pas à leur approche, dans un début de position défensive, prête à montrer les crocs. Ces dernières semaines n’étaient pas de tout repos, j’étais sur le qui-vive et un rien agitait la louve. Sans compter la pleine lune qui avait eu lieu hier soir, cela faisait donc déjà deux nuits que je me transformais, contrainte par l’astre. Je manquais cruellement de sommeil. Et j’allais devoir remettre ça ce soir. Tu dormiras quand tu seras morte, ma vieille ! Car je n’avais pas le temps de remettre à plus tard. Ça, je l’avais déjà fait d’où l’urgence qui commençait à naître.

Une voix humaine s’élève derrière les silhouettes de bois. Je rends son sourire à la jeune femme bien que le mien est un peu crispé, étant encore aux aguets du moindre mouvement suspect des mannequins. Je tique face à ses paroles étranges qui me rappelle un habitué dont la langue cafouille arrivé au quatrième verre de bourbon. Avec les années, je commence à avoir de la pratique et parviens presque toujours à décrypter ses phrases. Presque. « Bonjour ! Pour commencer, j’ai un sac entier de vêtements qui nécessiteraient d’être raccommodés, est-ce que vous pouvez faire ça ? Il me semble qu’une bonne partie provient de chez vous. » Je l’espèce du moins. Je lève le bras pour lui montrer le sac de voyage en cuir marron que j’avais en main. Je sors un bout de parchemin de la poche de mon manteau. J’avais essayé d’inscrire chaque réclamation pour ne rien oublier. Mais vraiment, hein… trop bonne, trop…Trop. « Tout est noté dessus mais votre œil expert constatera certainement les dégâts... »

Mes yeux sont interpelés par le badge à sa poitrine. Je sourie sincèrement cette fois, pas peu fière de reconnaître. A force d’en entendre parler maintenant… « Go Cannons ! » Que je lance en levant le poing.

Une sublime blonde avait fait son entrée dans la boutique, et Vicky ne put s’empêcher de cligner plusieurs fois des paupières devant son énergie irrésistiblement charismatique. Même Michel, qui appréciait pourtant tellement les nouvelles rencontres, se montrait prudent en restant un peu à l’écart après un simple coup d’œil de sa part. Avisant le sac qu’elle portait, la couturière amorça une expression de surprise avant de lui préférer un large sourire.

- Massez-loi… Laissez-moi vous débarrasser de ça, je vais regarder sous tas… tout ça…

Avec l’avidité d’un marmot devant ses paquets au pied du sapin, Vicky déballa les premières nippes du baluchon. Aussitôt, elle fut reversée par une avalanche d’étoffes soyeuses, de cuir travaillé, de perles et de plumes. Évidemment, comme souvent dans le monde magique, le sac renfermait bien plus de surprises que ce qu’il laissait paraître. Loin d’en être déstabilisée, la Graham éclata de rire, se hâtant de les poser les unes après les autres sur le comptoir avec un commentaire personnalisé pour chaque.

-Oh gnon nain dos car… nom d’un cognard… Sublime ! Cette broderie… Mais sa fi nique… C’est magnifique. Oh… Plan dix… Splendide…

En quelques minutes, le comptoir fut recouvert d’une montagne de costumes et la pile dépassait presque Vicky en taille. Cette fois-ci, si un nouvel éboulement devait se reproduire, la sorcière ne s’en sortirait pas…

- C’est une quelle temps bitter… belle quantité de vêtements que nous avons là, se contenta de lancer Vicky avant de reporter son attention sur la note confiée également par la cliente. Veux joie…Je vois, je vois… Ça ne devrait cependant pas prendre rot de train… trop de temps…  

Mais quand la sorcière avisa son badge, lui lançant une petite phrase bien connue des supporters, Vicky en lâcha le bout de papier pour sautiller vers elle laissant ses mains effectuer une étrange danse de la joie.

- Pigea croix… J’y crois pas ! Vous êtes une canne des fanons… fan des Cannons vous aussi ?! Volet haut, volez fier, vautrez montre latent… montrez votre talent ! Les Cannons de Chuddley, toujours gagnants fête sadisant… c’est évident !

Gagné par son enthousiasme, Michel le mannequin avait placé son tutu autour de son cou pour se mettre à danser lui aussi, restant cependant toujours à distance de la cliente qu’il semblait étonnamment légèrement craindre. La cape enchantée de l’habilleuse qui paraissait avoir l’habitude de ce genre d’éclat s’attachait pour sa part à retenir sa propriétaire pour éviter qu’elle ne s’emmêle dans ses gestes inversés. Ainsi freinée dans son élan, Vicky finit par se calmer pour retrouver une posture un peu plus professionnelle.

- Ahaha désolée… C’est que, j’ai pas dali bute… l’habitude de rencontrer d’autres fans des Cannons. On se fait de lupe en puits… de plus en plus rares, j’ai l’impression…

La sorcière se recoiffa, lissant de nouveau la jupe de son uniforme avant de porter de nouveau toute son attention sur sa cliente.

- Est-ce que je peux vous aider pour chaux trop ose… autre chose ? Souhaitez-vous faire un tapis pour… petit tour de la boutique ?

Je suis embarrassée par la montagne de vêtement que la jeune femme sort du sac mais soulagée par son professionnalisme et sa bonne humeur. Guipure m’aurait sans doute lancé une pique déguisée. Ou se serait contenté de pincer les lèvres vu le balais qu’elle avait dans le derrière.

« Oui, ces pièces sont très belles et mettent ces dames en valeur. »

Que j’acquiesce. Contrairement à ce que certaines personnes semblaient encore penser, l’Ensorceleur était un établissement respectable et surtout respectueux. Le choix de leurs tenues n’était pas que pour le plaisir de la clientèle mais également pour celui des filles. Elles n’étaient pas qu’une marchandise que l’on proposait mais bien des employés, des êtres vivants qui méritaient respect et gentillesse. Si des étoffes pouvaient aider à leur bien être alors elles les avaient, dans la mesure du raisonnable.

« Il n’y a aucune urgence de ce côté-là, elles ont encore largement de quoi se vêtir. De quoi remplir encore plusieurs sacs ! »

C’est avec un sourire amusé que j’accueille l’enthousiasme de la couturière à l’évocation de l’équipe de Quidditch. J’écarte malgré tout les bras, prête à la réceptionner à la moindre chute, sentant ses mouvements maladroits, cependant elle tient étonnement bien sur ses jambes.

« Je vous avoue que je n’y connais pas grand-chose. C’est surtout… » J’ai un bref moment d’hésitation quant au terme à employer, ce n’était pas comme si on se voyait souvent avec Charlie depuis ce fameux soir où il m’a renversée. Et en dehors de ces messages alcoolisés qu’il laisse parfois sur mon répondeur… « … un ami qui en est passionné, comme vous ! »

Cependant, je faisais à présent attention lorsque l’équipe était évoquée en ma présence. Était-ce parce que je m’étais retrouvée à porter ses couleurs ? J’ai encore des frissons au souvenir de ce survêtement d’un orange criard qui a tant fait parler à l’Ensorceleur.

« J’ai cru comprendre qu’ils avaient gagné et votre joie semble le confirmer ! Chance doit être en train de cuver à cette heure… »

Que j’ajoute, plus bas. Lui pour qui tous les prétextes semblaient bons pour lever le coude, il n’avait pas dû se priver. Mon regard s’éclaire lorsqu’elle me demande s’il y a une autre raison à ma venue.

« Il me faut en effet autre chose et c’est surtout ce qui m’amène chez vous. »

Je joins les mains, frottant doucement les paumes l’une contre l’autre.

« Nous allons bientôt célébrer la réouverture de l’Ensorceleur et il me faudrait une nouvelle robe. J’ai déjà quelques idées en tête mais un tour de votre boutique serait avec plaisir ! Qui sait, peut-être avez-vous déjà la perle rare sur vos montants ? »

Je lance un regard à la ronde.

« Ce ne sera pas une soirée conventionnelle alors étonnez-moi. »

Vicky ignorait qui étaient ces dames, mais elles semblaient être des princesses imaginaires qui habitaient toutes dans un magnifique palais dédié à la beauté et à l’amusement… Si un tel lieu existait, la Graham voulait y vivre elle aussi ! Malgré elle, la couturière ouvrit la bouche de ravissement en apprenant que ces élégantes petites fées avaient encore largement de quoi se vêtir dans ces costumes tous plus étonnants les uns que les autres.

Elle replia précieusement les étoffes soyeuses faisant voleter au passage quelques plumes orphelines. Impossible pour elle de perdre son joyeux sourire quand la cliente se mit à lui expliquer sa connaissance en équipe de Quidditch de qualité.

- A mamie… Un ami, balbutia Vicky en rougissant furieusement, songeant au profil parfait de Charlie, à son charisme inégalé, à son humour mordant et plus éblouissant encore que le soleil. Mais quand la sorcière mentionna son nom, l’habilleuse en profita pour aspirer une plume de surprise – toussant et s’étouffant à moitié jusqu’à ce que la plume finisse par lui ressortir par le nez.

- Chance ? Chanssarly… Charlie Chance ? Quoi, vous sot nez quai... connaissez Charlie Chance ?

A la fois brulante et soudainement glacée, elle se mit à trembler et suer en même temps en faisant son possible pour ne pas laisser voir son trouble. Pourtant, c’aurait été comme demander aux mannequins de bois de se jeter dans un feu sans carboniser. Si Vicky avait des difficultés à s’exprimer, on pouvait cependant lire en elle comme dans un grimoire de potion. Ce fut donc avec un désintérêt absolument feint qu’elle rejeta ses cheveux en arrière, dévoilant son teint écarlate, pour centrer de nouveau une attention polie sur la jolie sorcière.

- Il vous faut chaux trop s’ose… autre chose ? Je vous écoute…

Heureusement pour Vicky, les centres d’intérêts qui pouvaient accaparer toute son attention étaient nombreux. Si Charlie Chance en était un majeur, l’habillement lui faisait une âpre concurrence. Ainsi, le simple fait de savoir que sa cliente cherchait un costume extraordinaire suffit à l’exciter de nouveau.

- L’heure sorcerelle… L’ensorceleur ? C’est là que vous travaillez ? Je ne connais pas mais cet en l’air à droit… endroit à l’air absolument incroyable ! Vous ne cherchez pas une couturière tard tirée… attitrée par hasard ? Moi aussi j’ai envie d’être une paresse de prélasse… princesse de palace, s’amusa-t-elle en gloussant.

Il était temps pour Vicky de montrer ses talents. Inutile de partir sur un modèle déjà préconçu, elles allaient faire une tenue sur mesure en se basant sur les goûts, les envies et l’aura dégagée par la cliente. La Graham allait se surpasser par simple passion. D’un coup de baguette totalement inversé, elle fit voleter à elles de brillants tissus, pailletés et vaporeux, leur faisant prendre différentes formes autour de mannequins dénudés.

- Nous pourrions partir sur une sorbe Irène… robe sirène qui épouserait à la perfection votre soubrette lumine… sublime silhouette…

Le décolleté plongeant était finement brodé, et ses lignes se perdaient le long de la robe, soulignant les formes généreuses qu’elle lui faisait prendre avant de se perdre dans un évasé extraordinaire. Mais Vicky poursuivait dans son élan créateur, faisant danser sa baguette en s’oubliant presque au passage. Dans un tissu pâle et mousseux, elle avait fait apparaître une autre robe à côté dont les volumes semblables à des bouquets de fleurs paraissaient changeants et flottants, presqu’aussi légers que l’air. Ce n’était toujours pas fini, et en tournoyant, la couturière fit apparaitre une troisième robe toute en dentelle sombre aux motifs complexes qui prit forme autour d’un séduisant bustier souligné de perles à l’éclat travaillé.

- Vent quand c'est poux... Qu'en pensez-vous ?

« Est-ce que tout va bien ? »

Alors que la jeune femme s’étrange Je sors ma baguette et tente déjà de me remémorer le mouvement pour le sortilège contre l’étouffement mais à peine je retrouve le nom de l’Anapneo que la plume lui sort du nez et qu’elle semble retrouver une respiration plus normale. Je réponds à sa question mais garde un œil attentif sur son état, prête à intervenir.

« Connaître est certainement un bien grand mot, mais oui. Son Magicobus est très… percutant. »

Je n’arrive pas à savoir si elle est encore sous le coup de la plume ou si c’est le nom de Chance qui la met dans un pareil état. J’aurais bien continué sur le sujet mais la jeune femme ne m’en laisse pas l’occasion et la discussion se tourne vers mon lieu de travail. L’Ensorceleur lui est donc inconnu, ce qui pourrait expliquer l’absence de jugement négatif. C’est rafraichissant et rassurant à la fois, de ne pas être tombée sur une âme qui se perd à l’occasion au Marché aux Trolls !

« L’endroit est incroyable, oui, comme son créateur... »

Je devrais me sentir ridicule de réagir comme une proud wifey sachant que ça m’a toujours donné la gerbe d’entendre des femmes parler comme ça de leur compagnon mais c’est plus fort que moi, je déborde réellement de fierté face au travail de mon écossais, à ce qu’il a bâti. Je ris avec elle quant à la possibilité qu’elle vienne travailler chez nous. Si la mention de Charlie suffit à lui faire piquer un fard, qu’est-ce que ce sera à la vue des services que nous proposons ?

« Vous risqueriez tout de même d’être déçue. J’aime à croire que nous sommes est bien plus distingué que la concurrence mais on n’en reste pas moins une maison de Charme. »

Je lui laisse quelques secondes pour digérer la nouvelle.

« Mais si l’idée de travailler dans un tel lieu ne vous effraie pas, je peux en toucher un mot au patron. Tous les talents trouvent leur place chez nous et vous n’en manquez clairement pas ! »

J’ai un hoquet de surprise alors que, sous mes yeux, trois superbes robes prennent naissance aux mouvements de sa baguette. L’espace d’une seconde j’en reste bouche bée devant leur beauté.

« C’est extraordinaire ! Les trois sont magnifiques, vraiment ! »

Je tourne autour des mannequins revêtus des créations de la jeune femme et laisse mon regard émerveillé courir sur les tissus. Je suis en effet tombée au bon endroit, on est loin du travail conventionnel et ennuyeux de la vieille Guipure ! Mes yeux sont particulièrement attirés par la dernière, ayant toujours eu un faible pour les couleurs sombres. Je tends la main mais crains de briser la magie au moindre contact.

« Si j’osais… »

Je fais un nouveau tour, observe les détails les plus minimes, m’imagine à la place des mannequins et pince les lèvres. Malgré ses compliments, je ne suis pas certaine de réussir à remplir de telles robes convenablement. Je mange comme un ogre, certes, mais ma poitrine reste désespérément petite comparée à celles de certaines de nos filles… L’herbe semble toujours plus verte chez le voisin.

« Serait-il possible d’augmenter le volume de la dernière ? Je me suis découvert un amour pour les retombées de princesses, certainement un rêve de petite fille bien enfoui… Pas trop bouffante non plus, je dois pouvoir circuler aisément entre les convives. Ni trop sage ! Excentricité et élégance, c’est le thème… »

Alors qu’elle agite toujours sa baguette avec savoir faire je ne peux m’empêcher de repartir sur le conducteur du Magicobus, meilleur sujet qui soit pour briser la glace et faire les présentations avec la talentueuse couturière, un grand sourire aux lèvres.

« J’en déduis à votre question de tout à l’heure que vous connaissez également Charlie ! Je m’appelle Zoey. Zoey Woods ! »

Alors qu’elle vantait les mérites de son palace, la sorcière crut bon de préciser ce qu’il se passait derrière les murs capitonnés et les rideaux de soie. Vicky l’observa en clignant plusieurs fois des yeux. Une maison pleine de charme, ça elle en était persuadée. Mais voyant le regard lourd de sous-entendu que la cliente lui lança, la couturière comprit qu’elle faisait fausse route.

Son teint pris une coloration de flan à la fraise des bois et elle piqua du nez en se concentrant sur son travail d’aiguille. Une maison de Charme ! Des costumes qui mettent ces dames en valeur… Pas une soirée conventionnelle… Se doutant certainement du petit côté prude de la Graham, la jolie sorcière prit quelques instants avant de continuer son explication. Si Vicky était effrayée ? Oui sans doute. Il y avait peu de choses qui n’effrayaient pas Vicky G. Graham…

- Votre patron adhère l’hêtre… a l’air d’être quelqu’un qui sait se paire à fessier… faire apprécier des siens. On meurt et zipper… peut mesurer sa qualité à va très… travers votre loyauté, se hâta-t-elle de lui répondre avec un petit rire.

Après tout, en voyant la délicatesse raffinée des différentes étoffes que Vicky avait pu avoir entre les doigts, cette maison pouvait en effet se targuer de maîtriser un certain sens de l’élégance. Finalement… Si Vicky se concentrait sur les raccommodages de ces chefs d’œuvre vestimentaires…  peut-être pourrait-elle en oublier ce qui se tramait derrière les paravents raffinés, quand les plumes s’envolaient et que les perles tombaient au sol…

- Je ne sais si j’ai le nattant télé Cère… talent nécessaire…

Cependant, l’exclamation ravie de la cliente devant ses créations ne l’aida pas à moins rougir, et un supplément framboise agrémenta ses pommettes alors qu’elle se tortillait sur place. La sorcière tournait autour de sa robe comme un loup autour de sa proie tant la convoitise brillait dans son regard. Voilà qui n’aurait pas pu faire plus plaisir à l’habilleuse, qui se hâta de répondre au moindre de ses désirs. Plus de volume… Pas trop bouffante… Pas trop sage…

- Électricité et exigence… Excentricité et élégance, répéta-t-elle avec un certain délice en vérifiant sa nouvelle création sous toutes ses coutures avant de relever un regard brillant vers la sorcière qui se présentait à elle.

Se laissant emporter par son corps inversé, elle tenta de lui serrer la main non pas avec la paume, mais avec le dos de celle-ci.

- Enchantée, je suis Qui vive… Vicky. Vicky G. Graham. Oh je ne connais pas Charlie bi sein cabas… si bien que ça. Nous étions de qu’amples sérénades… simples camarades à Poudlard. Je suis jamais heureuse…  juste amoureuse de lui. Non… Pfff… Qu’est-ce que rage acompte… je raconte…

De framboise, elle passait à une vilaine couleur myrtille en se rendant compte de la teneur de ses mots.

- Ne faites tas patentions… pas attention à ce que je dis. J’ai la langue vin versé… inversée. Mes mots n’ont sequin once… aucun sens ! Je voulais plein ciment… simplement dire que Charlie et moi sommes à mie déjà peines… à peine des amis. Je ne suis tapait roche… pas très proche de lui, simplement l’offre de fuie… folle de lui. Quoi ? Non. Juste molle du four… folle d’amour. Que… Attendez… Vous devriez ettayer resnobe… essayer cette robe pour que je puisse vérifier raie le touche… les retouches…

Désespérée, elle poussa Zoey vers la cabine d’essayage afin d’échapper à cette situation gênante tout autant qu’à ce passage aux aveux où elle tenait à la fois le rôle du bourreau et celui de la victime.

Je ne renchéris pas sur mon patron et la loyauté que je peux lui vouer, je ne suis plus le moins du monde objective concernant Léandre. La bague à mon annulaire démontre l’amour que je lui porte et le degré d’engagement que je suis prête à prendre. Je me retiens surtout d’évoquer son délicieux fessier devant la jeune femme qui a eu le malheur de l’évoquer et qui rougit déjà bien trop facilement. Mes joues prennent aussi de la couleur à son souvenir et je dois m’éclaircir la gorge et les idées.

« Oh, si, croyez moi ! »

Il n’y a qu’à regarder son travail pour ne pas en douter ! La robe change sous mes yeux, s’adapte à mes demandes et mes yeux s’agrandissent à ce spectacle merveilleux. Voir mes idées prendre vie, et non les sombres, celles que je prie pour ne jamais voir prendre corps, me donne une énorme satisfaction ! Je lance un regard interrogateur à la créatrice de cette beauté en tissu alors que je tends une nouvelle fois la main que je caresse délicatement après son assentiment. Quand elle me tend maladroitement sa main, je prends celle-ci entre les miennes, chaleureuses.

« Est-ce qu’au moins quelqu’un a pu résoudre le mystère qu’est Charlie Chance ? »

Cependant les lapsus se font nombreux. Bien trop nombreux. Et son teint la trahie davantage ! Cependant je n’ai pas le temps de réagir qu’elle me pousse avec sa création. Une fois isolée dans la cabine, je ne peux que tourner et retourner son nom dans ma tête. Vicky G. Graham. Vicky. Vicky ! Oh, ce prénom m’est clairement familier ! Pour l’avoir lu dans des textos brouillons aux lettres mélangées. Pour l’avoir entendu sur mon répondeur, dans le discours éméché du conducteur du Magicobus. Combien déjà ? Sept Zoey que m’avait confirmé son acolyte de monsieur muscle ? Voilà donc la fameuse Vicky qui m’a, par bonheur, détrônée dans l’esprit de Chance ! Alors que je retire mes vêtements, j’ose quelques remarques.

« Chance est beau garçon et très gentil quand il veut. Vous n’avez pas de honte à avoir d’être tombée sous son charme, Vicky ! »

Tant qu’il ne boit pas… Je me glisse dans la robe en gardant cette réflexion pour moi, bien qu’il faudrait sans doute avertir la jeune femme. L’alcool, consommé sans modération, comme j’ai pu observer Charlie faire, peut être un poison pour la personne comme pour son entourage. Et le petit oisillon de l’autre côté de la cloison ne mérite pas de subir les affres de la boisson. En y repensant, j’hésite à continuer mon petit manège. La dernière fois que j’ai tenté de jouer les entremetteuses, ça n’a pas fonctionné des masses et j’ai dû prêter mon épaule…

« Mais ce ne sont pas les hommes qui manquent à Londres… »

Je lutte avec la fermeture de la robe qui échappe à mes doigts. Je sors de la cabine, tenant délicatement le bustier d’une main, l’autre retenant mes boucles blondes. Je lui présente mon dos.

« Pourriez-vous m’aider ? »

De la cabine où Vicky avait isolé la cliente se mirent à sortir d’autres mots qui se voulaient flatteurs pour Charlie. Le visage cramoisi, Vicky se prit la tête entre les mains, se loupant de plusieurs pouces en raison de ses gestes inversés. Son cœur battait la chamade, tellement fort qu’elle ne s’entendait plus réfléchir. Inlassablement, le profil aguicheur de Charlie lui revenait en tête.

- Oui il est fard paix… parfait, soupira-t-elle dans un murmure inaudible avant d’enfoncer son crâne dans la pile de vêtement pour l’y enfouir là.

Il n’y avait pas de honte disait Zoey, là où pourtant l’habilleuse en ressentait une immense. Elle se contentait d’observer le sorcier, l’élu de son cœur, de loin et dans la crainte perpétuelle qu’il ne finisse par bel et bien lui échapper. Ce n’était pas la bonne manière de faire, elle s’en rendait bien compte. Malheureusement, elle n’en connaissait pas d’autres. Les rares fois où leurs chemins s’étaient croisés, Vicky avait tout mis en œuvre pour se ridiculiser au plus haut point – la rendant au mieux invisible aux yeux de Charlie, si ce n’était complètement grotesque.

Elle était tellement à sa merci qu’il lui était même difficile d’imaginer une quelconque avancée. Peut-être Vicky avait-elle tant idéalisé Charlie qu’elle avait fini par s’interdire tout espoir de rapprochement entre eux… Tant pis. Elle finirait sa petite existence de couturière entourée de ses mannequins de bois, et sa vie serait très bien ainsi. Pourquoi espérer plus ? Pourquoi risquer de s’amputer le cœur en jouant trop dangereusement avec ?

Déjà Zoey l’invitait à ouvrir les yeux sur d’autres possibles prétendants. Son incitation poussa Vicky à relever la tête et à sauter sur ses deux pieds inversés afin de retrouver un semblant de dignité professionnelle. Il fallait qu’elle se reprenne, une vente était en cours. Quand sa cliente lui demanda de l’aide, la Graham accouru pour la lui apporter, s’y prenant à deux fois pour fermer la robe de ses gestes inversés.

- Oh traitre bateau… très très beau, commenta-t-elle en tournant autour de la sorcière, ajustant ça et là quelques replis de tissus. Oui, c’est fresque parapet… presque parfait, mon estimation ébène tonne… était bonne… Il faudra tue paitre… peut-être une retouche ici, et une l’outrera… autre là… Qu’en pensez-vous ?

Après avoir épinglé quelques plis, la boutiquière se recula de plusieurs pas pour observer son œuvre. Zoey était magnifique, et en toute modestie, elle l’avait sublimée.

- Oui, c’est braie tien… très bien ainsi. Je vais avoir besoin thym deux te dent… d’un peu de temps pour les retouches. Quand est-ce la queue… qu’à lieu votre soirée ? Je ferai sans rote… en sorte de la préparer à temps.