La Chose la Plus Incroyable

29.11. Dilshad resta quelques instants aussi silencieux qu'une tombe. Sa peau naturellement colorée semblait s'être dépossédé de toutes pigmentations lui donnant un air malade. Il resta quelques instants à observer Sheraz avant de finalement lui demander s'il avait de la famille pakistanaise. La réponse de ce dernier lui fit froncer les sourcils alors qu'il entendait malgré lui les propos de @Luke Korrigan sur un jeune sorcier venant de Poufsouffle qui était passionné de mécamagie en plus d'être doublé d'un héros. Il tenta du mieux qu'il put de se défaire de cette pensée à laquelle son cœur semblait se rattacher tout à coup, mais cela semblait à peine perdu.

Quelque chose au fond de ses entrailles lui faisait comprendre que c'était précisément de ce jeune garçon-là dont Luke parlait. Si Dilshad avait pensé que ce dernier lui avait menti pour tenter de lui faire changer d'avis sur son refus pour le poste de professeur de Métamorphose, il semblerait que le sorcier se soit trompé sur le compte de son meilleur ami.

Ce fut grâce à Selma que Dilshad parvint à reprendre de la couleur. Par ses propos, elle le rappela à sa promesse faite il y a un peu plus de quinze ans lorsqu'il avait mis au point ce stratagème, dans un espoir vain, de retrouver son fils Anwar.

Il cligna plusieurs fois des yeux, reprenant alors contenance, pour laisser un sourire fragile se dessinait sur ses lèvres.

« - Bien sûr, oui... Euh... »

Dilshad leva l'index pour leur demander une seconde et disparut dans l'arrière-boutique. De ses mains tremblantes, il retira les objets entassés ici et là pour accéder à cette espèce de coffre où il avait enfermé la récompense pour finalement revenir dans la boutique. S'approchant de Sheraz, il la lui tendit non sans plonger son regard dans le sien avec une étrange intensité.

« - Voilà. »

Le sorcier se tourna alors vers Selma avec un sourire qui ne pouvait cacher le trouble intérieur dans lequel le sorcier se trouvait.

« - J'ose espérer que vous êtes venu de Cuba pour autre chose qu'un vieux mystère paru dans la Gazette du Sorcier, il y a quinze ans, environ. »

S'il y avait un véritablement cubain dans la pièce, c'était uniquement elle et seulement elle. Le nez de Sheraz ne trompait personne puisque Dilshad avait le même de vissé sur sa face bronzée. C'était un cliché honteux, mais probablement véritable, surtout au sein de la famille Zaman.

« - Vous avez besoin de quelque chose, jeunes gens ? » Demanda Dilshad qui tentait un maximum de garder son attention sur la sorcière plutôt que sur son ami même si l'envie de le dévisager du regard était forte.

Comme toujours, Sheraz se montra bien trop complaisant en avançant qu’il était prêt à renoncer à l’argent, ce qui n’était clairement pas le cas de Selma. Mais quand il argua avoir résolu cette énigme pour lui faire plaisir, elle se contenta de l’observer en écarquillant les yeux. Lui faire plaisir à elle ? Certes, elle appréciait toujours quand Sheraz prouvait au monde entier l’entièreté de son génie… Une one de fierté et de supériorité à laquelle elle ne disait jamais non. Cependant, à choisir, elle préférait l’argent. S’il faisait tout cela pour elle, il fallait quand-même qu’elle le lui dise…

Néanmoins, la mine de son ami perdit rapidement de sa superbe quand l’horloger se montra plus qu’insistant à connaître son arbre généalogique. C’était étrange… Mais même si le sorcier semblait très curieux, il ne paraissait pourtant pas si dangereux à Selma. Elle ne comprit pas pourquoi Sheraz se mit à fabuler si effrontément. La jeune Montero le dévisagea, comprenant que si son ami avait de nombreuses qualités, il maitrisait toutefois mal l’art du mensonge.

Sheraz semblait autant cubain qu’elle-même paraissait sur le point d’ouvrir une association de défense de la cause des elfes sans maîtres. S’il souhaitait avoir l’air un peu plus latin, il devrait travailler un peu plus ses dons de métamorphomage. Ça aurait cependant été dommage de changer un seul de ses traits, car il était parfait tel qu’il était, du moins du point de vue de Selma.

Le vendeur paru contre toute attente le croire, ou du moins, il ne chercha pas plus à connaître la vérité. Peut-être lui-même ne comprenait pas pourquoi le jeune homme lui mentait. Toute cette situation commençait à être réellement bizarre, mais Selma choisir de ne pas s’en préoccuper quand il ramena une petite caissette sensée contenir la récompense. Sheraz pourrait ainsi s’offrir ce qu’il souhaitait : la journée n’était donc pas perdue !

Le boutiquier finit par se tourner vers elle, ce qui était compréhensible vu l’étrange comportement de Sheraz. Il voulait savoir ce que les deux étudiants souhaitaient acheter chez lui, après lui avoir si éhontément piqué son trésor. Malheureusement pour lui, Selma n’avait absolument rien à lui commander. Et si son ami était venu avec un achat en tête, il ne semblait plus vouloir qu’une seule chose : quitter les lieux au plus…

- Je n’ai besoin de rien, gracias señor.

Sans savoir bien pourquoi, elle se sentait embêtée pour lui. Il avait une bonne tête… Un je-ne-sais-quoi agréable, voire presqu’attendrissant dans le regard. Un peu comme dans celui d’un agouti qui observerait de loin une papaye bien mure qu’il espérait voir s’ouvrir. Aussi, la jeune fille se pencha sur le comptoir pour attraper l’une de ses cartes de visite avant de lui lancer un regard entendu.

- Mais je prends votre carte, on ne sait jamais…

29.11. Dilshad fut presque triste de voir que la jeune sorcière n'avait rien à lui demander. C'était forcément ce cubain. Et même si une partie de lui désirait ardemment le regarder sous toutes les coutures avec ce douloureux espoir d'y voir ce que son cœur voulait plus que tout au monde, Dilshad posa ses yeux sur le visage du jeune homme. Il donnait presque l'impression que soutenir le regard du jeune sorcier lui était difficile, comme douloureuse.

Dilshad ne savait pas ce qu'il voyait réellement. Son esprit et son cœur, à l'unisson, désiraient y voir une quelconque trace d'Anwar. Et, au vu du mensonge éhonté du jeune homme, Dilshad ne pouvait pas poser les questions qu'il voulait. C'était comme si on mettait devant un enfant un bonbon et qu'on lui disait de ne pas l'ouvrir, de juste veiller sur lui. C'était à peu près la même torture bien que l'exemple paraissait bien moindre quand il s'agissait là de retrouver son fils volé il y a un peu plus de vingt ans.

Lorsque le jeune sorcier annonça la raison de sa venue, Dilshad ne put s'empêcher d'être profondément surpris. Ce n'était pas quelque chose qu'il avait l'habitude d'entendre comme demande. Curieux, Dilshad ne put s'empêcher de plonger son regard dans les iris de Sheraz. On pouvait voir dans les yeux de Dilshad une étincelle d'excitation à l'idée d'en savoir un peu plus.

« - Oh ! Bien sûr ! »

Dilshad se recula légèrement avant de se tourner pour prendre la direction de l'étagère sur lequel il avait disposé ses nombreuses vis. On pouvait le voir farfouiller rapidement avant de se retourner vers Sheraz et Selma.

« - Une chance que tu ais gagné les 500 gallions parce qu'elles valent une petite fortune. »

Dilshad arriva à leur hauteur, leur présentant quatre vis de 14 barres de pression de convection arcanique.

« - Ceux sont mes dernières. J'attends une livraison de la Forge Grimm, mais ils sont tellement demandés qu’il y a toujours un petit délai... Enfin, ça devrait aller maintenant que leur fils vint leur filer la main, j'imagine. »

Dilshad parlait, bien évidemment, de @Michel-Ange Grimm et de la forge tenue par Abraham Grimm, un sang pur à la tête plutôt sévère, mais qui avait le mérite de produire un travail de qualité digne des plus grandes orfèvres gobelins. Ce n’était pas forcément donné, mais c'était toujours plus attractif que d'aller dans un repère de Gobelins. Ils aimaient tellement pas les sorciers que Dilshad avait une chance sur deux de se faire arnaquer. C'était son père qui lui avait déconseillé de faire avec cette espèce (probablement un truc de sang pur).

« - 15 gallions pièce. Mais je vous les fais à 50. » Annonça Dilshad avec un sourire timide.

Peut-être était-ce la vue de son butin, ou bien peut-être le regard d’agouti du commerçant. Toujours était-il que Sheraz changea soudainement de comportement, montrant de nouveau tout son intérêt pour la raison de leur venue en ces lieux. A la mention de sa liste de course, les yeux de l’horloger s’illuminèrent tels deux rouages qui s’enclenchèrent l’un l’autre. Il se tourna précipitamment vers l’un de ses étagères pour leur apporter une poigner de ces fameuses barres de pression.

Ces objets n’avaient rien de très impressionnant pour le regard morne de Selma, et il n’y avait bien qu’un horloger loufoque et un génie de la mécamagie pour s’extasier devant. Elle patienta poliment que le sorcier finisse sa présentation, levant un sourcil à la mention du prix. Alors, elle avança d’un pas pour se rappeler à leur bon souvenir, s’interposant au milieu de leur transaction.

- Je souhaiterais payer s’il vous plait !

Elle se tourna avec un sourire en coin vers Sheraz en poursuivant.

- Je ne t’ai rien offert pour ton anniversaire, alors, ça me fait plaisir ! Après une petite pause, elle reprit en haussant les épaules dans un geste de fausse indifférence. Comme ça, tu gardes tes gallions pour ton moteur à combustion arcanique !

Sans leur laisser le temps de répondre, la jeune fille déposa assez brutalement sa bourse sur le comptoir pour en sortir la somme demandée. Sa musette renfermait au moins le double, Sheraz avait pu déjà pu être témoin par le passé des sommes astronomiques avec lesquelles la jeune cubaine se promenait inconsciemment. C’était le risque quand on avait passé son enfance à grandir à l’ombre d’un cartel fleurissant dans lequel l’argent n’avait jamais été un problème.

Il s'était bien douté que cet achat allègerait considérablement son portefeuille mais, maintenant qu'il avait un petit magot de 500 gallions en poche, ça ne lui faisait ni chaud ni froid. Il avait noté cette petite note dans le regard de l'horloger qui lui disait qu'il avait affaire à quelqu'un qui le comprenait. Ils n'étaient pas si nombreux les gens de cette espèce là. On les reconnaissait facilement.

Sheraz eut un petit sourire amusé à la mention de @Michel-Ange Grimm. Il ne savait pas s'il devait être soulagé ou triste de ne plus l'avoir comme coloc. Un peu des deux sans doute. En tout cas, il s'abstint de toute remarque, simplement satisfait de la fiabilité du fournisseur.

« Oh euh... merci. Mais, avec les cinq cent gal- », fit-il un peu gêné que le commerçant lui fasse une ristourne alors qu'il venait quand même de lui soutirer son pactole. Il n'eut pas le temps d'aller au bout de sa pensée que Selma intervint, se proposant de régler l'achat.

Sa mâchoire inférieure tomba littéralement. Il commença à protester mais elle coupa court.

« Mais mon anniversaire c'est en avril ! Selma ... merci. », couina-t-il en commençant déjà à réfléchir à quel cadeau à 50 gallions il allait pouvoir lui offrir ou lui fabriquer pour effacer sa dette puisqu'elle avait déjà mis l'argent sur la table, « Quand même, comment ça se fait que tu te balades toujours avec autant d'argent Selma ? », fit-il, quand ils quittèrent finalement la boutique avec tous leurs trésors.

Décidément, cette horlogerie semblait l'endroit de toutes les providences...