Back to the wind [ft. Amaranth]

La pluie battait les pavés, les rendant aussi luisants que des gallions neufs. Il ne faisait pas encore nuit, pourtant, les fenêtres déjà allumées le long de la rue éclairaient les rares passants d’un camaïeu lumineux. Les habitants offraient ainsi à la vue de tous l’affichage de leurs intérieurs à la touche britannique unique au monde. De petits cocons confortables, molletonnés et surmontés de dentelle. Un feu de cheminée crépitait dans chaque maisonnée, auréolant le village d’un nuage aussi grisâtre que le ciel. Atmosphère douillette... Etouffante...

Aram réhaussa le col de son manteau dans une illusoire tentative de se protéger de l’humidité. En réalité, le Romanez n’était que peu dérangé par le temps pluvieux. Il lui rappelait quel air précis il respirait, et quel sol foulaient ses pieds. Pré-au-Lard… Il était enfin de retour ! Si le tzigane se sentait chez lui partout, certains lieux gardaient en son cœur une particulière saveur. En Angleterre, il avait fait des rencontres de celles qui ramenaient immanquablement ses pas dans cette direction.

A vrai dire, si le Congrès ne l’avait pas rappelé en Roumanie puis envoyé en Europe de l’Est à la traque de certaines précieuses informations, Aram n’aurait pas eu le cœur à partir. Il avait ici quelques histoires qui le préoccupaient au point d’habiter son esprit de manière permanente. Distraitement, le rom manipula l’amulette qu’il portait autour du cou. La pierre pulsait doucement, lui indiquant tranquillement le chemin à prendre. Heureusement que le sorcier n’était pas sans ressource. Ces longs mois passés loin de l’Angleterre, il n’était pas resté sourd ni aveugle, et il avait gardé une attention constante sur les petites âmes placées sous sa surveillance.

Mais quand bien-même il n’aurait eu la maîtrise de la magie tzigane, il pouvait le sentir – rien qu’en humant le parfum de l’air.

La renarde était là.

Était-ce par inquiétude qu’il se pressait vers elle, au point d’oublier ces mois de silence durant lesquels il l’avait laissée sans nouvelles ? Quand il avait quitté Amaranth, ils avaient à peine entamé un processus de guérison – rien qu’un tout premier pas dans la compréhension du mal qui le rongeait. Ça avait été le pire moment pour la quitter, et pourtant, même un rom aussi libre que l’air que lui avait certaines obligations qu’il ne pouvait refuser. Aram n’avait pu que s’assurer de loin que son état ne s’était pas empiré, sous peine de le voir rappliquer en faisant voler en éclat sa couverture du moment.

Elle était là… S’il ne la voyait pas encore, sa chevelure rousse le guidait aussi bien qu’une bougie dans la nuit. Quelques pas encore et il l’aperçut enfin.

Immédiatement, le regard du rom se mit à briller en l’observant de loin, alors qu’il se fondait avec l’architecture singulière des façades du village magique. A présent qu’il l’avait là, sous son regard, il se mit soudain à douter de la pertinence pour lui de débarquer de nouveau dans la vie de la sorcière. Ne pouvait-il se contenter de l’observer de loin ? Voir si elle continuait à s’en sortir toute seule, plutôt que de se risquer à la faire souffrir plus encore… Il pouvait simplement la débarrasser de quelques nuisances qui pouvaient l’approcher d’un peu trop près…

- Tourne ton dos au vent et à la querelle, marmonna-t-il comme un sort de protection en sa direction.

Une semaine s'était écoulée depuis qu'elle et Glenn s'étaient aventurés dans le passé. Depuis chaque nuit, elle revivait l'horreur. Ses mains, son corps recouvert de sang. Son alter/ancêtre qui la voyait malgré le voile de la pensine, cette ombre qui l'avait touché. La folie et la mort qui s'étaient saisis de Morrighàn harcelaient son coeur.

Et ce journal, qu'elle avait abandonné sur le sol sanglant du Château de Bamburgh à la demande, si ce n'est supplication de son cousin.

Amaranth se souvient du matin précédent la publication du scandale, elle s'était fait la réflexion qu'elle s'en sortait plutôt bien au vue des événements. Elle avait bien failli perdre pieds, lorsque son auror l'avait abandonné. L'écarlate s'était défendue de faire le parallèle avec le Prince des Tsiganes. Et à la lueur de cette soirée pluvieuse, la sorcière étouffa un rire ironique. Merlin jouait avec son destin, et ses cartes étaient truquées.

L'absence d'Ambroise au Domaine, la distance qu'elle avait installé entre le reste des héritiers, elle ne s'était pas confié  @Nathanael E. Pierce . Il avait déjà tellement à gérer, et elle ne voulait pas être artisan de sa chute, voilà des jours que son calme olympien risquait de disparaitre, au profit d'une colère enfouie. Amaranth n'arrivait déjà pas à gerer sa propre fureur alors .. Elle interrompit le fil de ses pensées embrumées pour porter ses doigts blessés à son médaillon. Etrange, il semblait presque vibrer.

La sorcière avait quitté son domaine pour une raison qui n'était pas des plus glorieuses. Elle était venue " parler " une de ses tantes. Cassandre Mapleleaf. Les relations n'avaient jamais été au beau fixe, mais ce soir c'était l'apothéose. Amaranth avait bien failli supprimer une branche de la famille. Elle refusait de communiquer sur la fuite de la Matriarche. L'écarlate avait préféré quitter la demeure, avant qu'un nouveau bain de sang ne revienne la hanter. Résister au portrait qu'on faisait d'elle devenait de plus en plus difficile.

Elle n'avait pas eu le courage de transplaner dans l'immédiat. Ses doigts la brulaient. La douleur était de retour, malgré son traitement. Amaranth avait franchi une limite et elle le savait. L'héritière s'était perdue dans les méandres de plusieurs whiskys. Minuit avait sonné.

Les boucles rebelles de sa chevelures se manifestèrent dès les premières gouttes de pluie. D'un geste négligé elle referma son trench. Ses joues rougies par l'alcool la faisait presque transpirer. Son regard orageux détailla la rue avec une certaine prudence. Quelque chose dans l'air était différent. Un murmure vint éveiller ses sens.

" Tourne ton dos au vent et à la querelle "

Cette voix, et la magie de ses mots. Instinctivement elle toucha le bijou offert par le Prince des Tsiganes. Cela ne se pouvait pas. Elle vivait encore une de ses visions. Etait elle déjà fiévreuse ?

Une brise fit frissonner la sorcière. Son coeur semblait déjà s'accélérer. Lentement, elle se retourna. Une silhouette plus que familière se détacha de la pénombre. Cette allure si particulière, faites d'ombre et d'intentions.

- Ce n'est pas.. possible.. A.. Aram ? souffla l'écarlate. Elle n'y croyait pas. Cela faisait des mois, qu'elle n'avait eu de ses nouvelles.

Comme tout sorcier tzigane, Aram était vu comme un être mystérieux, charismatique, au cœur aussi insaisissable que les vents changeants qui guidaient ses caravanes. Et pourtant, à peine le regard azuré de la jolie rousse croisa le sien que le Romanez su qu’il ne pourrait plus faire marche arrière. Ce n’était pas de la préoccupation, du devoir ou une volonté protectrice qu’il ressentait… Non rien de tout cela. C’était simplement un morceau de lui-même qu’il retrouvait là, dans ce bleu trop pur pour être complétement innocent. Vague souvenir d’un moment volé, lors d’une chaude journée d’été lorsqu’il avait laissé leur magie se mêler.

Ce don avait été volontaire, et même dans un sens nécessaire… Le rom laissa le destin continuer à tirer ses fils, reproduisant la tapisserie qu’on destinait à leur rencontre en réduisant la distance qui l’éloignait d’elle. Sa main s’éleva vers la cascade de mèches de rubis sans pourtant les effleurer, avant de finir sur le pendentif qu’elle portait autour du cou. Et elle l’avait accepté…

- Si c’est un rêve, alors c’est un très beau rêve, murmura-t-il dans un sourire amusé à la question muette qu’elle lui posait.

Son rictus se figea alors qu’il concentrait son attention sur les yeux de la renarde qui brillaient de leur magie indomptée. Quelque chose n’allait pas… Ce n’était pas l’ivresse légère qui parfumait son haleine et colorait ses pommettes. Aram n’avait rien contre, et l’encourageait même souvent. C’était autre chose. Une forme de violence plus souterraine qui menaçait d’éclater, une ombre qui s’attardait au fond de ses yeux. Une obscurité subtile qui s’accrochait à elle, invisible, mais menaçant de dévorer l’éclat de son âme.

- Amaranth, prononça-t-il cette fois-ci distinctement pour la rappeler à lui.

Il était rare que le tzigane prononce un prénom. Le Romanez leur préférait souvent des alternatives, des surnoms qu’il attribuait facilement au gré de ses envies. Un prénom était sensiblement lié à une personne, intimement ancré à une âme. Il pouvait appeler l’autre à travers les nimbes de l’enfer. Il le faisait briller, comme un phare dans le brouillard – le rendant apparent pour les forces visibles et invisibles, qu’elles soient naturelles ou malfaisantes.  Il était dangereux de le prononcer à tort et à travers.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé, inima mea ?

S’il s’était montré quelques instants auparavant doux et simplement heureux de la retrouver, sa voix venait de retrouver un ton empressé et préoccupé. Aram s’était laissé écarter de la sorcière sans plus de volonté qu'une feuille dans le vent d’automne. Est-ce que pour une fois, il aurait dû s’opposer au destin ? S’il avait bien retrouvée la jolie renarde, il pouvait cependant percevoir les troubles sous son apparence vibrante. Le poids d’un fardeau inavoué… Avec un soupir agacé, l'arménien secoua la tête, s’ébrouant comme pour chasser l’inquiétude de son attachement afin de reconquérir son éternel sourire moqueur.

- Dis-moi, qui viens-tu d’affronter comme ça ? On dirait que tu sors tout droit de l’antre du premier roi dragon…

Le regard embrumé d'alcool et de fureur vint se radoucir à l'entente de sa confession. Un rêve un si doux rêve. Amaranth en avait passé des nuits à parler au bijou confié par le prince. Elle avait songé, à le chercher même. Mais c'était un esprit libre, libre comme le vent s'il avait voulu qu'elle le retrouve, il aurait débarqué au détour d'une ruelle, comme ce soir.

Sa main manqua sa chevelure. Il était là, mais sans le sentir sur sa peau, l'écarlate n'y croyait pas totalement. Sans l'embrassement de ses doigts, de son souffle ou de ses lèvres. Elle ne pourrait le croire de retour. Mais son prénom échappait de ses lèvres, n'avait rien d'un soupir de plaisir. Sa clairvoyance était encore à l'oeuvre. La sorcière soupira plus fort que prévu. Des images ensanglantées lui revenant brusquement à l'esprit. Elle était aux portes d'une crise.

- Aram, il recula instinctivement. Avait il déjà senti la tempête qui sévissait sous la peau transpirante de la belle empoisonnée. Elle avait envie de lui souffler, qu'il ne fallait pas qu'il soit de retour, pas ce soir. Pas dans cette rue, pas face à elle. Elle n'était plus en capacité de résister ni à son autre, ni à la passion qu'ils se vouaient l'un et l'autre, du moins c'était le cas, l'été dernier.

- Je.. Pourquoi es tu revenu ? La question avait glissé de ses lèvres rougies par la soirée désastreuse. La soirée a été rude.. souffla t elle. La semaine... les derniers mois avoua t elle. Je ne crois que.. Ses doigts s'agitèrent brusquement. Le temps s'écoulait dangereusement, et les conséquences de sa rencontre aux châteaux ne tarderaient pas à s'éveiller en elle. Dissociation, Aliénation, Douleur et autre lacération.

- Je ne devrais pas être dehors.. Murmura t elle, son regard se perdant dans le reste de la ruelle toujours vide. Appuyé contre le mur, elle songeait à disparaitre, à s'enfuir. Loin d'Aram. Loin de tout. Il fallait qu'elle rentre rapidement, elle n'avait aucune envie que le prince la découvre dans son véritable état. Celui qu'elle déguisait la jounée sous des doses astronomiques de traitement. La fureur qui grondait en son bassin, cette colère de voir sa vie étalée dans un torchon en première page. Amaranth n'avait même pas pu en parler à Nathan, elle avait juré de taire sa découverte auprès de l'Alpha des Yards. Elle ne pouvait, et ne devait rien. Elle ignorait qu'elle en paierait le pris le mois suivant.

Amaranth ne semblait pas aller bien. Son teint plus pâle que d’habitude encore paraissait presque transparent, dévoilant aux yeux du monde la noirceur qu’elle camouflait au fond de ses entrailles. Aram effleura du bout des doigts la goutte qui perlait à son front, signe de l’effort constant qu’elle maintenait sur elle alors qu’elle semblait presque peiner à reprendre son souffle. Le sorcière était si faible… Il n’avait que trop tardé…

- Pourquoi je suis revenu, répéta-t-il la voix légèrement brisée à l’idée qu’elle vienne jusqu’à remettre en question sa présence en ces lieux. Cependant, un sourire un brin charmeur persistait sur son visage marqué qui avait connu les bises glacées de Sibérie, tout comme le vent salé du grand large. Aye miere… Mais c’est toi qui m’as appelée…

Sa main se positionna sur son pendentif qui battait au rythme de son cœur.

- Tu n’as pas conscience de ta propre magie ?…

De force cependant, elle semblait cruellement manquer en cet instant. Les yeux azur de la sorcière se baissait sur ses propres doigts aux tremblements distincts, bientôt suivi par les iris sombres du tzigane.

- Les derniers temps ont en effet l’air d’avoir été bien sombres pour toi ma douce…

Il attrapa son visage pour qu’elle détourne le regard de ses spasmes et qu’elle ne voit que lui, alors qu’il la scrutait avec attention.

- Tu es plus forte que tu le penses… Mais tu atteints ta limite… Il était temps que j’arrive.

Le visage du Romanez se tourna, observant lui aussi la ruelle vide dans laquelle ils se trouvaient. Des ombres se mouvaient doucement, projetées par la vie des habitations. Si rien dans la tranquille vie des foyers coquets de Pré-au-Lard n’avait semblé menaçant quelques instants auparavant, on pouvait à présent presque sentir le spectre du danger ramper doucement jusqu’à eux.

- Je suis d’accord avec toi. Il ne fait pas bon trainer dans les rues à cette heure tardive… On ne sait jamais sur qui ou sur quoi on peut tomber… Tu devrais rentrer. Mais à présent que je suis là, je ne vais pas te laisser rentrer seule.

D’un mouvement sec, il attrapa sa cape avec laquelle il les enveloppa tous les deux. Quelques instants plus tard, ils avaient tous deux disparus. Un sortilège de transplanage les avait menés dans une pièce recouverte de lames de bois. Les banquettes le long du mur étaient recouvertes de crochets au motifs fleuris dont la fraicheur laissait à désirer. Du plafond pendaient divers outils en métal qui cliquetaient en s’entrechoquant, ainsi que des plantes séchées aux couleurs encore vives. Sur des étagères trônaient des fioles poussiéreuses, des tableaux qui servaient de portant à des amulettes en perles et coquillages, des bougies à moitié consumées. Sous leurs pieds, un large cercle runique était peint, les encerclant.

- Bienvenue chez moi, dragostea mea. Ma roulotte est parquée non loin de Pré-au-Lard. Cette faible distance expliquait que le voyage n’ait été trop éprouvant. Mon cœur, tu te tiens sur une rune de préservation. Tu ne peux en sortir, j’en ai bien peur. Je dois d’abord t’examiner. Tu as l’air de te tenir vacillante au bord d’un gouffre, et je ne peux te voir tomber sans réagir…

Amaranth ne perçut pas tout de suite la presque déception dans sa voix, elle n'était plus habituée à deviner les couleurs derrière la poésie de ces mots. Son sourcil se arqua brusquement, elle était responsable de son retour. Si son esprit avait été apaisé, elle en aurait été surprise, peut être flattée. Mais ce soir tout était flou. L'écarlate craignait son ombre, son double endormie et son corps qui réagissait de moins en moins bien au surdosage. Elle savait qu'elle avait joué avec le feu trop longtemps.

Son visage se retrouva entre ses mains. Instinctivement, elle sentit son coeur s'accélérer. Maudite soit elle, Aram était définitivement sa faiblesse. Elle ferma les paupières, reprenant le contrôle de son corps et de ses pensées. Chassant cet après midi près du ruisseau ou encore ce matin dans sa chambre.

Alors que le Prince confirmait le danger imminent des ombres qui s'organisait dans la ruelle, il étendit sa cape sur leurs deux corps et dans un bruit évocateur. Amaranth s'accrocha malgré ses principes à son bras, et transplana avec le Tsigane.

La sorcière laissa s'échapper un chapelet de jurons gaéliques, et sentit son estomac se faire secouer dans tous les sens. Il fallut de grandes respirations pour ne pas que l'écarlate rende ses verres de Whisky.

" Une rune de préservation [..] "

Amaranth jeta un regard hébété au Prince, ne s'attardant pas sur la tendresse de ses surnoms et le fait qu'il est convié chez lui.

- Qu'est ce que cela veut dire, grogna t elle avec une humeur massacrante. Elle se sentait brusquement captive, à la merci de son amant. L'héritière n'avait jamais crains le sorcier, mais ce soir, la sensation d'être un animal sauvage et dangereux lui collait à la peau. La fatigue, l'angoisse et le souvenirs de l'horreur l'a rendait bien moins douce qu'à son habitude. La liqueur n'arrangeait en rien son état. Elle ne sentait plus les craquelures de son âme, et son changement d'allégeance. La fureur s'était infiltré dans les blessures de la sorcière à la chevelure flamboyante.

- Aram.. souffla t elle, Laisse moi partir.. Je n'ai ni le temps, ni l'envie de jouer à .. Amaranth sentit les mots se coincer dans sa gorge. Un bourdonnement morbide s'empara de sa tête. La nausée revenait, ses jambes se dérobèrent sous le poids de la sorcière.

Le traitement arrivait à son terme pour la journée, enfin la nuit. Et la redescente pouvait être bien cruelle. Dépendante de sa propre création. L'ironie était bien trop grande. D'un geste brusque et sauvage, elle se libéra de son manteau pour tenter de retrouver une température normal.

- Ca.. va.. passer articula t elle fiévreuse. Et c'était le cas, aux prix de nombreux efforts et d'une volonté presque démoniaque. Elle finissait par toujours y arriver. Amaranth s'accrochait aux souvenirs, et au moment agréable qu'elle avait passé avec les frères Pierce, Nathan ou le soutient de Glenn, Ambroise & Ayden. Comptant à voix basse, pendant de longues minutes. La crise sembla perdre en ampleur, jusqu'à s'évanouir dans la pièce étrange.

Amaranth semblait furieuse de son transplanage forcé, et Aram dû se contraindre à ne pas lâcher sa prise sur elle, même s’il craint momentanément qu’elle ne le repousse violemment. Sur le moment, il ne sut s’il devait plus la redouter elle ou son démon. La sorcière lâcha une floppée de jurons et parut se retenir de ne pas rendre sur le champ les boissons qu’elle venait d’engloutir. Avec un rictus emprunté, Aram qui la retenait par les épaules accepta de desserrer son emprise avec une certaine précaution alors qu’elle revendiquait son droit à la liberté.

- Calmes-toi, frumoasa mea… Tu n’es pas prisonnière de cette rune. Tu peux en sortir quand tu le souhaites, regarde-moi…

Il n’était pas dans les habitudes tziganes de détenir quelqu’un contre son gré. Parmi tous les droits humains, celui de la libre circulation était sans doute le plus sacré au sein de la communauté. Amaranth n’aurait pas beaucoup de mal à regagner la sienne, il lui suffisait simplement qu’Aram lui explique comment. D’un pas, il franchit la limite du cercle sans se détourner d’elle, alors que son regard gardait son éternelle ironie.

- Par contre, ça ne sera pas très agréable pour ton démon intérieur… Cette rune vise à forcer ton corps à le réaccepter dans les limites que tu lui imposes. Ni plus, ni moins… Une fois que tu auras recouvré une maîtrise satisfaisante de toi-même, tu te sentiras la liberté de sortir. Tu te souviens ? Tout n’est qu’une question de coopération. C’est dans l’avantage de toutes les entités qui t’habitent de te laisser le contrôle. C’est ce que nous devons sans cesse leur rappeler.

Mais soudain, au beau milieu de ses explications, la renarde perdit pied, et Aram se précipita juste à temps pour la retenir. Cette fois-ci, ce fut lui qui siffla sans retenue ses jurons, faisant venir à eux un vieux fauteuil rembourré au sein même du cercle runique. Il installa la sorcière dessus alors qu’elle rageait – avec toute la faiblesse de son corps – en expliquant que la crise allait passer. Le Romanez l’observa sans réagir arracher son manteau pour gagner un peu de fraicheur, avant de remuer silencieusement des lèvres. Quelques instants plus tard, elle semblait retrouver quelques couleurs qui la ramenèrent du monde des morts vers celui des vivants. Aram à son tour se sentit respirer un peu plus librement, et il s’anima en allant mettre de l’eau à chauffer sur le feu.

- Tu ne m’as pas dit que tu allais si mal, ronchonna-t-il en restant dos à elle comme s’il était vexé d’avoir été maintenu si loin d’elle tout ce temps. Un témoin de leur échange aurait pu croire que c’était elle qui l’avait éloigné, et non lui qui était parti librement et de son plein gré. Tu aurais dû me rappeler plus tôt à toi !

Quand il lui fit de nouveau face, il avait une tasse fumante à la main qu’il lui apporta en s’agenouillant devant elle, plaçant la hanse directement entre ses mains.

- Une tisane régénératrice. Bois ça, ça te fera du bien…

L’air toujours aussi morose, il jeta un œil à la rune à ses pieds, maudissant intérieurement l’acharnement qui s’abattait sur la sorcière. Le démon se nourrissait de la moindre de ses forces, et les potions qu’elle prenait pour compenser ne l’aidaient en rien à apprendre à contrôler et limiter son influence sur elle. Mais le pire, c’était quand ses philtres ne faisaient plus effet, la laissant sans force, à la merci de toutes les possessions.

- Tu veux que j’efface la rune, finit-il par lui demander lentement sans la regarder avec une moue de déception. Que je te laisse partir et courir à ta perte avec le démon aux portes de ton esprit ? Tu n’as qu’un mot à te dire, tu sais bien que je ne peux rien te refuser…

Elle se maudissait de trouver autant de réconfort dans la boisson ces derniers jours. Et pourtant l'espace de quelques heures, Amaranth oubliait le foutoir de sa vie, se perdait dans le fantasme d'une romance qu'elle ne pensait jamais aboutir, dans les yeux sombres du médicomages qu'elle évitait depuis l'article. Le temps qu'elle reprenne pieds, et figure. Alors que le tsigane la soutenait dans sa chute et son chapelet injurieux, Amaranth manqua un battement.

" Tu ne m’as pas dit que tu allais si mal " Elle n'avait pas entendu ses mots, la deuxième phrase manqua de l'achever " Tu aurais dû me rappeler plus tôt à toi !"

Comme si elle était responsable de son départ, de sa disparition. Ou était il quand elle avait renoncé à Poudlard et c'était faite remplacé à un claquement de doigts par cet imbécile de Korrigan. Ou était il quand son Auror avait pris la poudre d'escampette prétextant un voyage aux Amériques. Quand le ministère s'était mêlé de ses affaires, et menacer de lui confisquer son domaine. Quand la seule vérité qui puisse lui permettre d'avancer était celle de la mort et d'une entité. Ou était il quand elle était recouverte d'une pluie de sang, touchant de ses doigts le carnet blasphématoire de son ancêtre.

La fureur de ses sentiments passèrent sur son visage encore pâle et ses lèvres rougies par l'effort. Mécaniquement, elle se saisit de la tasse brûlante sans en ressentir la chaleur. De son regard orageux, elle observait la silhouette langoureuse du Prince agir comme s'il ne l'avait pas abandonné il y a des mois de cela.

" Tu veux que j’efface la rune [.. ] tu sais bien que je ne peux rien te refuser… "

La sorcière envoya valser la tisane d'un geste brusque, avant de se jeter sur le sorcier. Des larmes s'échappant de ses orbes accusatrices malgré sa colère.

- TAIS TOI ! Hurla t elle, en tambourinant sa poitrine. La lourdeur de ses points se transforma bien vide à coups légers, avant que ses mains ne soient secoués que de sanglots. Tu n'es qu'un menteur Aram, un horrible menteur... Je me sens si stupide.. C'est presque contagieux.. Ou étais tu pendant ses mois. Tu m'as abandonné ! Tu m'as laissé seule.. Et tu ne comprends pas ce qui m'arrive !

Elle renifla bruyamment, le souffle haletant. Il avait été le premier et le seul à lui redonner confiance dans la gestion de son alter. Puis disparue. Amaranth avait du recommencer à zéro, taire pendant des semaines, si ce n'est plus son double jusqu'à céder par honte et besoin devant la colère sourde de Nathan. Perçée à jour par Glenn, elle n'avait pas pour autant retrouver la fluidée de sa relation avec le prince. Les sentiments s'étaient mélangées, son coeur en suspend. Alors elle avait fait le deuil de cette douce rêverie pour retrouver du sens dans d'autres relations. Mais Aram, restait le premier homme à l'avoir entièrement connue. L'écarlate saignerait toujours pour lui.

Du coin de l’œil, Aram vit la tasse voler au sol et se briser à terre. Une céramique d’Arménie, réalisée par un artiste rom de son endaja. Sans pouvoir magique, mais possédant un tel talent qu’il était aussi utile à l’endaja que leur meilleur des ensorceleurs. Son motif peint à la main représentait une traversée des vastes plaines de l'Ararat à dos de chevaux sauvages, souvenir collectif si précieusement conservé et partagé au sein de leur communauté qu’ils semblaient tous avoir vécu le même.  

Le Romanez aurait pu étendre la main pour ralentir la chute du récipient et le préserver de la casse à l’aide de sa magie sans baguette, mais il n’en fit rien. Ce n’était qu’une tasse. Un objet unique, mais facilement remplaçable, à la différence de la sorcière devant lui en train de se briser.

Le tzigane s’était figé sous ses larmes, ses reproches et ses coups. C’était comme si la vie avait quitté son regard qui l’observait sans la voir, tout comme il l’écoutait sans l’entendre, sentait son toucher sans réellement percevoir sa chaleur. Une part de lui venait de les quitter, les observant de loin sans chercher à interrompre ce moment.

- Oui je suis un menteur, lui répondit-il sur un ton sans âme et sans respecter son ordre de se taire. Un tricheur, un bonnisseur, un imposteur… Je craque, je fanfaronne et je décampe. Je trompe le monde, je suis non-désiré, méprisé des bonnes gens. Je vole, je pille et je truande. Je ne respecte aucune règle, aucune morale. J’aveugle et je me défile. Je simule et me dissimule. C’est ça que je suis, et c’est comme ça que j’agis… Nous sorciers roms ne somment pas dignes de confiance. Nous sommes des enfants du vent et à la prochaine brise j’aurai de nouveau disparu…

Les coups contre son torse étaient devenus si faible qu’il finit par reprendre vie pour récupérer sa main et lui redonner un peu de sa force.

- Frappe-moi encore et encore, jusqu’à ce que toute ta rancune se soit déversée. Je suis un menteur et je sais encore moins demander pardon. Mais je sais encaisser les coups.

Aram le savait mieux que quiconque. On ne se livrait pas à un tel déversement d’émotion dans une situation de survie. Il fallait sentir une certaine forme de sécurité pour se laisser aller à faire tomber le masque. C’était au moins ça. C’était toujours ça. Ce masque de fer, la renarde l’avait porté bien trop longtemps, et il avait laissé ses marques sur son visage de porcelaine.

- Est-ce que toi tu comprends ce qui t’arrive ? Raconte-moi ce que tu sais sur toi. Que s’est-il passé ?

Il n’y avait aucune ironie dans sa voix alors que son regard sombre se reposait avec toute son attention sur elle.

Le regard de la sorcière s'affranchit du torrent de larmes qui menaçait de s'effondrer. Il rencontra la multitude de son reflet dans l'un des nombreux miroirs qui ornait le mur de la roulotte du sorcier. Amaranth n'avait jamais été une femme à se morfondre, et s'habiller des larmes d'une amante abandonnée lui donna la nausée. Lui avait il promis monts et merveilles, jamais. Qui était elle pour l'accuser ainsi. Menteur ? Oui, comme tous. L'illusion d'une relation, d'un amour et d'une amitié lui avait donc fait perdre pieds à ses retrouvailles improvisées. Bruquement, elle essuya ses joues froides. Il était partit une fois, il recommencerait. Il n'y avait qu'un seul qui ne l'avait pas quitté, et il n'avait rien en commun avec le tsigane.

Elle retira ses mains de sa poitrine, se relevant avec présomption et colère.

- Tu n'as pas à encaisser les désillusions d'une de ses maudites créatures que tu as un jour soignée. Tu ne me dois rien, et ça je l'ai oublié. Elle ne s'excuserait pas non plus pour son trop plein de colère. Si quelqu'un devait la recevoir c'était elle-même.

Elle tenta de se recoiffer pour retrouver sa consistance, et observa les dégats faite sur la porcelaine presque sacrée à défaut d'être discrête. D'un geste lent et silencieux, elle regroupa les morceaux de la tasse.

- Ce que je sais.. C'est que je suis ainsi, elle désigna les morceaux à l'allure innocente, et fit glisser son doigt sur l'un des rebords. La porcelaine vint couper la peau albâtre de la sorcière, faisant briller son sang avec une certaine fascination.

- Je suis morcelée, faites de plusieurs âmes dont celle d'une de mes aieuls... Le souvenirs de cette nuit au château la fit vibrer d'effroi. Si l'horreur était sa génitrice, l'amour et la vie devait être son salut. Son seul chemin, était la rédemption. Elle devait accorder à son âme ce qu'on avait arraché à celle de Morrighàn.

- Bamburgh est mon tombeau.. Souffla t elle. Tu ne peux plus rien pour moi Aram. Je me suis trompée sur toi, Tu es un feu dans la nuit, que j'ai pris pour une étoile. Pardonne moi, souffla l'écarlate avec une émotion retrouvée.

Doucement, elle réduit la proximité de leurs deux corps pour déposer sa main froide sur le visage si complexe du sorcier mystérieux.

- Pardonne moi, Mo ghràdh.. Ses lèvres déposèrent un baiser tendre et amer. Sans doute, le dernier. Il n'était pas son sauveur, il ne l'avait jamais été. Merlin, elle l'avait été tant aimé, et tant révé. Que c'était bien plus douloureux, que la colère qu'elle pensait ressentir. Egoistement, elle voulait le garder auprès de lui, le savoir dans son ombre était une pensée rassurante.