Traquée #Aram

Aram voyait l’indécision au cœur des pupilles brunes de la sorcière se changer peu à peu en assurance. Elle venait de prendre une décision. C’était comme si un feu nouveau habitait Améthyste et pour la première fois, le Romanez eut un aperçu de la personne qu’elle pouvait dévoiler lorsque le poids de la menace et de l’insécurité ne pesait pas sur ses épaules : une personne affirmée et pleine d’humour ! Lui-même rassénéré à cette vision, il attrapa la main qu’elle lui tendait avec un rire gouailleur.

- Aye, mais te voilà déjà à moitié tzigane on dirait ! Je préfère ça !

Avec un sifflement, il fit apparaitre son patronus : un hérisson vaporeux à qui il transmit quelques mots en romani avant de l’envoyer en mission. Puis se tournant vers Améthyste, il posa ses deux mains sur ses épaules pour la prévenir de ce qui allait se passer.

- Les anciennes vont te préparer pour la cérémonie. Ne t’inquiète pas, tout va bien se passer. On se retrouve d’ici une heure. A la fin de cette journée, tout sera terminé. Tu auras le poids de cette nouvelle alliance à porter, mais dans le même temps, tu bénéficieras d’une liberté totale. Tu as fait le bon choix !

A peine avait-il finit de parler, que deux vieilles gitanes drapées de foulards à motifs colorés firent leur apparition en soulevant un pan de la toile de tente. Avec de calmes sourires, elles prirent chacune un bras de la jeune femme pour l’entrainer en silence sous une autre tente recouverte de tapis moelleux et baignant dans une atmosphère embaumée d’encens. Retirant sa robe avec douceur, les deux vieilles sorcières entreprirent d’oindre sa peau d’huiles sacrées destinées à lui insuffler l’énergie protectrice Rom. L’un d’entre elle ouvrit un coffre pour en sortir un vêtement scintillant qu’elle aida Améthyste à enfiler.

Il s’agissait d’un chef-d’œuvre d’artisanat Rom, fait d’une étoffe qui coulait comme un clair de lune liquide. Le tissu, délicat mélange de soie irisée et de dentelle enchantée, brillait d’un millier de teintes qui se modifiaient à chaque mouvement. La silhouette de la robe, élégante et confortable, était renforcée par les symboles anciens brodés le long de ses flancs et de ses ourlets. Le corsage était entrelacé de fils d’argent était orné de cristaux et de breloques en cascades.

Murmurant des incantations en langue romani, elles la parèrent de plusieurs couches de bijoux et amulettes gravés d’anciennes runes visant à canaliser le pouvoir tzigane. Puis, elles se mirent à tresser ses cheveux à l’aide de rubans colorés, de feuilles de vigne, de fleurs et d’herbes aux propriétés connues de leur peuple seul. La coiffure finit par former une couronne qui ceignait son visage parfumé.

Une fois que la sorcière fut entièrement vêtue par leur soin, on la fit asseoir sur un siège de cuir et donné une tisane florale à boire sous l’œil vigilant de ses préparatrices, afin de l'aider à ouvrir sa perception et sa compréhension de la magie tzigane. Enfin, elle fut considérée comme prête. Alors, on l’accompagna hors de la tente, et Améthyste put découvrir un décor bien différent de celui qu’elle avait observé lors de son arrivée. Le chapiteau et le cirque avait disparu. Il ne semblait plus y avoir trace du moindre badaud. A la place, une foule de tziganes silencieux, vêtus de vives couleurs, l’observaient sous une rangée de chênes centenaires. Ces derniers menaient à une clairière où trônait un simple feu de bois. Au sol, de l’herbe aussi douce que la soie était parsemée de fleurs sauvage ; tandis qu’au loin, le plafond magique laissait apercevoir un coucher de soleil qui peignait le ciel de teintes or et pourpre. A croire qu’ils avaient été réellement transportés dans un autre lieu, au cœur même des plaines arméniennes.

Aram se tenait devant le feu, drapé d’étoffes de pourpres profonds, de bleus royaux et de noirs veloutés et ornés de cristaux. Sa tenue reflétait sa lignée – en tant que fils de Chovihani – il représentait à lui seul le futur de l’endaja Romanez. Les bras du sorcier étaient recouverts d’anneaux d’or et d’argent qui étincelaient à la lumière du soleil déclinant, chacun renforçant ses pouvoirs. Comme s’il n’avait cure de la solennité du moment, il avait conservé son rictus railleur en observant la sorcière d’un coup d’œil appréciateur.

La mélodie envoûtante d’une flûte solitaire se fit entendre, accompagnée du bruissement des feuilles dans les arbres. Alors qu’Améthyste avançait pour rejoindre son fiancé, le sol semblait se charger d’énergie et vibrer de magie sous ses pieds. A son passage, les sorciers tziganes se mirent à psalmodier en langue romani, leurs voix s’harmonisant avec le son de la flûte, créant une puissante résonnance qui semblait animer les arbres eux-mêmes.

Parvenue devant Aram, l'arménien lui prit la main pour sa positionner à ses côtés, alors qu’il fixait sa coiffure avec un certain intérêt.

- Je vois qu’ils ont placé sur ton front la couronne Romanez… Il faudra que je te fasse découvrir cet endaja dont tu vas devenir la princesse…

Plusieurs anciens s’approchèrent d’eux, entourant leur poignée de main de rubans recouverts de runes. De ces derniers, il semblait émaner une étrange chaleur qui scellait leurs deux mains ensemble. Puis d’un curieux geste, l’un d’entre eux vint fendre l'air et déchirer les tissus, les forçant ainsi à rompre leur empoignade en conservant chacun une moitié des rubans autour de leur main. Le vieux gitan marmonnait en romani, observant les deux sorciers l’un après l’autre. Sans se départir de son sourire, Aram acquiesça dans sa direction puis se tourna vers Améthyste. Il se pencha alors vers elle en prononçant quelques mots qu’elle ne put comprendre avant de poursuivre en anglais.

- J’ai dit que je te choisissais et en m’inclinant vers toi, je t’accepte comme mon épouse, que je jure de protéger, d'écouter et… d’apprécier...

Haussant les épaules en se relevant, il la désigna du menton sans se départir de son rictus.

- Si toi aussi tu m’acceptes comme époux, alors tu peux te pencher vers moi.

Quand la sorcière se fut exécutée, les flammes du feu grandir jusqu'à lécher les rubans autours de leurs mains qui s’enflammèrent à leur contact. Les fils enflammés rétrécissèrent jusqu’à prendre la forme d’un anneau sombre autour de leur annuaire. Leur alliance venait d’être créée de leur accord mutuel. Aram s’approcha lentement d’elle, et attrapant délicatement son menton entre ses doigts, il fit pencher sa tête en avant pour lui embrasser le front. Améthyste put sentir en elle comme une vague d’énergie la submerger alors que leurs témoins applaudirent, crièrent et chantèrent leur joie.

- Félicitation, et bienvenue dans ton endaja, Améthyste Miller Romanez, fille de Chovihani, lui souffla Aram à l'oreille avant de reculer d'un pas, l'observant d'un regard bien plus bienveillant.

En me levant ce matin je ne m’étais certainement pas attendue à recevoir en début de soirée la visite d’un patronus porteur d’une invitation à rejoindre la capitale française pour assister à un mariage. Son mariage. L’imprévisible petit prince ! Je reste un instant fixer le vide que laisse le hérisson en disparaissant avant de me secouer. Le temps de revêtir une robe rouge, plus adéquate et festive, et de remballer mes affaires que j’enfourne dans mon sac, je quitte rapidement la Roumanie.

Il me faut plusieurs sauts pour transplaner jusque Paris. Le temps que je me faufile jusqu’à la partie de la ville cachée aux êtres non dotés de magie puis jusqu’à l’antre des tsiganes, j’arrive juste à temps pour me glisser dans la foule et assister au début de la cérémonie. Je tends le cou au passage de la future mariée avant de lancer un regard interrogateur à Aram qui attend dans son habit de lumière. Je réalise que cela fait un moment qu’on ne s’est pas vu, mais de là à avoir raté autant de choses… ? Je décide de remettre toutes les questions qui me viennent à plus tard, et me laisse gagner par la magie du lieu et des chants, joignant ma voix aux leurs alors que la chair de poule gagne mes avant-bras. Quand la cérémonie touche à sa fin et que tous explosent de joie, je me précipite jusqu’aux jeunes mariés à temps pour entendre les questions de la jeune femme.

« Danser ? Boire ? Je l’aime déjà ! »

Je ris de bon cœur et attrape les mains de la nouvelle madame Romanez. Je suis subjuguée par la vision enchanteresse qu’elle offre à mes yeux. La robe éclatante épouse les courbes de sa silhouette à la perfection et la couronne encadre merveilleusement son visage. Mes lèvres s’étirent en un sourire appréciateur alors que je la détaille longuement du regard.

« J’ignore quel vent t’a poussée à épouser un tel roublard mais sois la bienvenue dans la famille, princesse ! »

Je saute ensuite au cou de mon ami de toujours dans un éclat de rire.

« Micul prinț* marié ! Je ne sais pas trop ce que tu manigances mais as-tu conscience qu’ils vont s’attendre à des héritiers, maintenant ? Dès qu’on me fatiguera avec mon propre cas, je te donnerai en pâture aux lions ! Merci pour ton sacrifice, fratele meu** ! »

Mon rire gagne en intensité au point que j’en ai les larmes aux yeux. La pression est déjà grande une fois qu’on passe la vingtaine mais avec cet anneau à son doigt ils ne vont pas le lâcher. Le fils de la Chovihani, casé, ce qu’ils attendent depuis si longtemps, ils vont être ravis quand je leur annoncerai la nouvelle !  

Aram ne put s’empêcher de s’esclaffer devant la répartie d’Améthyste. Une jeune sorcière qui savait apprécier les bonnes choses de la vie : ils ne pourraient que finir par bien s’entendre, c’était certain ! Autour d’eux, les Romanez et autres roms d’endaja amis se pressaient pour les féliciter. Dans leurs coutumes, l’enchantement et le divertissement se mêlaient habilement, transformant un simple mariage de convenance en un si parfait émerveillement – tout en tournant facilement en dérision même les cérémonies les plus sacrées.

Peu ici doutaient de la mascarade derrière ce mariage organisé en quelques heures à peine, et pourtant tous riaient à s’en fendre les côtes, aussi festifs que s’ils étaient témoin de la plus parfaite des unions. L’une d’entre eux, la plus bruyante, la plus chatoyante d’entre toutes se fraya son chemin jusqu’à eux. Sa sœur de cœur attrapa les mains d’Améthyste pour l’observer de plus belle, le raillant et le rabrouant de bon cœur avant de se tourner vers lui.

Aram s’ébroua de rire à la mention des héritiers qu’ils devaient en tant que jeunes mariés s’activer à produire. Naïri ne devait pas être plus dupe que les autres. Jamais les anciens n’auraient donné l’accord pour une union avec une gadji d'en-dehors de la communauté, sauf s’il s’agissait d’un plan du Congrès lui-même.

- Arrête donc, tu vas faire fuir ma toute nouvelle épouse, se gaussa-t-il en attrapant la main d’Améthyste pour la serrer dans la sienne, comme s’il était nécessaire de rappeler qui ici était la mariée.

Autour d’eux, des enfants courraient en criant leur plaisir de vivre cette fête dont ils comprenaient peu sinon l’annonce d’un festin à venir, de musiques et de danses. Aram en attrapa un qu’il fit sauter dans ses bras avant de lui asséner un baiser sur le front.

- Pourquoi ce besoin pressant de descendance ? La terre regorge déjà de quantité d’enfants perdus, indésirables et âmes en peine à prendre sous nos ailes ! Les voilà nos héritiers !

Le gamin fut relâché, permettant au Romanez de tourner son attention sur un plateau couvert de verres d’eau de vie colorée. A l’aide de sa magie, il fit venir trois verres à eux afin de trinquer avec les deux sorcières.

- A ce mariage, et à une vie libérée et sans frontières pour nous !

L’arménien évoquait bien-sûr les avantages que les deux parties retiraient de cette union. Si Aram pourrait à l’avenir entrer en tout liberté sur le territoire britannique en se soustrayant autant que possible à la surveillance renforcée que son peuple avait l’habitude de connaître, Améthyste bénéficierait de son côté de la protection tzigane qui lui permettrait d’échapper au monstre qui se donnait de nom de père. Aram prendrait le temps de tout lui montrer, de tout lui expliquer afin qu’elle maîtrise pleinement les limites presqu’infinies de cette nouvelle liberté qu’il lui offrait. Mais chaque chose en son temps, ce moment-ci était celui de la fête et de l’amusement !

- Il est l’heure de danser ma chère femme !