If it doesn't hurt

ft. @Saúl Ochoa-Reyes

Saúl n'avait pas seulement son don de vélane pour lui. Il avait aussi cette capacité de parler avec les yeux, et autant dire que le regard qu'il lui lançât quand elle sollicitait son avis n'était pas de bonne augure. Ses pupilles n'avaient rien de sombre, mais c'était sûrement ça le plus inquiétant là-dedans, en dehors de ce geste tendre qui rapprocha leurs phalanges et qui la fit sursauter.

Siobhán comprit immédiatement que la conversation était en train de prendre une autre tournure. Les mots de Saúl auraient pu se faire silencieux que ça n'aurait pas changé cet état de fait : il était inquiet. Malheureux. Un mélange des deux. Quoiqu'il en soit, sa réaction donnait juste le sentiment à la vélane de taper juste. De s'approcher du cœur de l'action. Cette simple idée la fit frémir, quoi que ça aurait pu tout aussi bien être le visage de Saúl marqué par une peur communicative. Elle le laissa parler, avant de répondre dans un même murmure.

« Fais ce que je dis mais pas ce que je fais, mh ? » Comme si cette logique là avait déjà prouvé son efficacité par le passé. L'océan de ses yeux avait désormais l'obscurité qui annonçait la tempête. « Tu ne peux pas me demander ça, Saúl », avait-elle continué après un silence avant d'enchaîner avec un autre. « Surtout pas si toi et Eynaelle êtes impliqués là-dedans. »

Siobhán n'avait jamais eu de mal avec l'autorité en dehors de celle de sa famille. Mais aujourd'hui, alors que l'amour de sa vie s'en était allé et qu'elle avait perdu toute confiance en elle, il lui semblait que la seule possibilité pour ne pas sombrer était de se laisser voler de ses propres ailes. Saúl l'avait toujours encouragée à agir selon ses propres envies. Pour qu'il cherche à l'en dissuader, c'était que la suite s'annonçait plus périlleuse qu'elle ne le pensait. Mais pour parler franchement, maintenant qu'Edel avait clairement fait savoir qu'il ne voulait plus d'elle et tant que les siens restaient en dehors de tout ça, elle n'avait plus grand chose à perdre. Et elle serait aux côtés d'@Eynaelle Sanderson et de Saúl pour veiller sur eux.

« S'il te plait », lâcha-t-elle dans un écho aux supplications de l'ancien Auror. « Ne me force pas à rester en dehors de ça. Je préfère encore le faire avec toi que de me lancer toute seule. » Un nouveau silence fendit l'air, plus brutal et plus imposant que tous ceux qui l'avaient précédés. « Parce que tu sais que je suivrai mon propre chemin. »

Les larmes montaient à ces cils de nouveau, sans jamais rien submerger d'autre que cette vue qui devenait tout à coup plus floue. « Laisse-moi en être... Si tu es là, je sais qu'il ne m'arrivera rien. »

Ça faisait partie de ces événements de la vie qu'on ne pouvait pas prévoir, mais qu'on se plaisait à anticiper pour se rassurer. Parce qu'il n'y avait au monde aucune sensation plus grisante que celle qui nous prenait quand on s'apprêtait à se jeter dans la gueule du loup et que toute les excuses étaient bonnes pour s'y laisser tomber corps et âme.

Un nouveau refus de Saúl et son cœur serait brisé pour la deuxième fois de la journée.

ft. @Saúl Ochoa-Reyes

Une fraction de seconde avait suffit pour bouleverser l'équilibre précaire de leur conversation. La tristesse de Saúl laissa alors place à une forme de colère sourde qui trahissait toute la complexité de son conflit intérieur et les dégâts qu'il avait déjà fait. Loin de s'attendre à cet éclat de voix spontané mais néanmoins vigoureux, la demie-vélane en resta bouche-bée, le regardant s'éloigner d'elle comme si elle venait de lui annoncer qu'elle avait la dragoncelle. Ses sourcils se froncèrent sous le coup de l'incompréhension et une partie de son cœur se brisait ; non pas du refus qu'il allait certainement lui servir dans les prochaines secondes, mais plutôt de voir l'ancien Auror dans cet état.

Siobhán avait cette habitude si particulière de ressentir les émotions des autres, parfois même au détriment des siennes. La détresse de Saúl l'animait de la même colère et d'une envie profonde de se battre à ses côtés. Et alors que son cerveau réfléchissait déjà à une manière d'approcher ce fameux groupe de l'ombre dont personne ne voulait lui parler sous les feux de la lumière, la voix de Saúl arriva de nouveau à ses oreilles. Plus calme, plus tempérée, moins dévastatrice. Siobhán, elle, restait immobile, se gardant de tout commentaire au risque de tout faire flancher une seconde fois.

Y compris quand les cordes vocales du demi-vélane semblaient bien déterminée à l'empêcher d'en dire plus. D'en dire trop. Certains de ses mots se perdaient dans le néant et plutôt que de le questionner, Siobhán s'approcha plus près, bien loin de penser qu'il y avait quelconque enchantement magique là-dessous. Les émotions étaient parfois si fortes qu'elles nous coupaient la parole et elle se disait qu'en s'approchant, elle parviendrait à insuffler à Saúl sa volonté profonde de croire que tout irait mieux bientôt. Mais sa tentative n'eut aucun effet, et à plusieurs reprises, la voix de Saúl s'éteignait comme si quelqu'un s'amusait à en baisser le volume dans les moments clé.

Au moment où la force de son corps sembla l'abandonner, Siobhán s'emmêla dans ses gestes pour tenter de lui apporter l'appui dont il avait besoin mais qu'il préféra puiser dans un mur dur et froid.

Quelque chose ne tournait pas rond, mais aucun son ne sortit de sa bouche, comme si elle était sous le coup du même maléfice.

A cette pensée, la jeune femme releva le menton vers l'ancien Auror. Se pouvait-il qu'il soit sous le coup d'un mauvais sort qu'on lui aurait lancé pour ne rien révéler de ce qu'il savait ? Etait-ce pour cette raison qu'il ne lui en disait pas plus sur ce groupe ? Eynaelle était-elle, elle aussi, tenue par la magie ? Interloquée et compatissante, la vert-et-argent le laissa terminer et le regarda s'éloigner de nouveau comme pour partir à la recherche de quelqu'un ou quelque chose. Par mimétisme, elle tendit l'oreille sans rien percevoir de plus que le bruit d'un vent sifflant à travers les ouvertures de la plus haute tour de Poudlard. Lui non plus ne devait rien avoir vu, car il prononça alors cette phrase énigmatique qui sembla déverrouiller ses lèvres roses, pour la première fois depuis de longues minutes.

« Saúl, je ne...»

Sa voix ne s'interrompit pas sous l'effet de ses émotions, cette fois. Un bruit de pas bel et bien réel se fit entendre depuis l'escalier, et elle retint un sursaut sonore en voyant son père apparaître dans l'ouverture en haut des escaliers. Le directeur de Poudlard avait un oeil sur tout ce qui se passait entre les murs de Poudlard, alors il n'était pas franchement étonnant qu'il vienne aux devants d'une intrusion au coeur de l'école de sorcellerie. Pourtant, Siobhán avait été si captivée par ce qu'il venait de se passer qu'elle avait complètement oublié qu'il pouvait faire irruption à tout moment. Elle ne montra rien de son désarçonnement et fut la première à prendre la parole bien que Luke s'adressait à Saúl pour lui demander de quitter les lieux.

« C'est ma faute », avoua-t-elle en se plaçant entre les deux hommes pour les dissuader de laisser libre court à un quelconque coup de sang. « C'est moi qui ai demandé à Saúl de venir. » Ca n'était pas tout à fait vrai, mais elle préférait tout prendre pour elle afin qu'il n'ait pas plus de problèmes que ceux qui semblaient déjà le pétrifier. « Edel et moi, c'est fini », ajouta-t-elle d'un air indifférent, bien loin de la douleur qu'elle avait montré à Saúl un peu plus tôt.

L'aveu de cette vérité à son père la rendait pourtant encore plus réelle. Parce qu'il était celui qui l'avait accompagnée jusqu'à son mari, dans cette allée. Parce qu'il était celui qui avait tenté à de maintes reprises de la dissuader d'aller si vite et parce que quelque part, l'annonce de leur rupture lui donnait raison.

« Je voulais l'annoncer moi-même à son cousin, à sa famille. Parce que c'est de ma faute et que tu m'as toujours appris à assumer mes erreurs. Ca te va si je te tutoie, d'ailleurs, ou devant Saúl aussi, ce sera Monsieur le Directeur ? »

La colère et la rancœur avaient pris le dessus pour faire taire la tristesse qui menaçait à tout moment de la submerger, mais aussi pour ériger un nouveau mur, plus haut que les autres, entre elle et son père. Si elle s'était montrée vulnérable aux yeux de Saúl, elle ne pouvait se permettre de refaire la même erreur devant Luke sans prendre le risque de l'inquiéter et d'être mise sous une surveillance accrue. Elle devait agir le plus normalement possible, quitte à faire semblant que cette rupture ne la touchait pas. « Tu as bien fait de venir. Comme ça, tu es au courant aussi. » Une pause, puis elle ajouta, sur le même ton, sans sourciller. « Saúl allait partir »

Il ne fallait pas qu'elle donne l'impression d'avoir envie de poursuivre cette conversation, et pourtant. Ils avaient encore tant de choses à se dire...

Tous ses membres se contractaient pour l'empêcher de tourner la tête et d'avoir ce regard qui supplierait Saúl de ne rien dire de leur échange.

Il avait toute sa confiance, et un regard comme celui-ci ne serait d'aucune utilité.

Au fond, elle le savait. Et lui aussi.

ft. @Saúl Ochoa-Reyes

Depuis l'arrivée de Luke au sommet de la tour d'astronomie, l'air de la nuit qui traversait l'immense ouverture panoramique devenait plus lourd, comme chargé d'une intensité nouvelle. L'ambiance était elle aussi nettement plus pesante et chaque mot, chaque geste était calculé comme si tout pouvait basculer à n'importe quel moment.

Le regard inquiet et suspicieux de Luke n'y était pas étranger, sans parler du sujet de discussion qu'il venait d'interrompre en débarquant sans prévenir. Siobhán avait par ailleurs du mal à se détacher de cette conversation passée et les mots de @Saúl Ochoa-Reyes tournaient en boucle dans sa tête comme un disque rayé, la replongeant dans ses réflexions.

Le danger est déjà là.

Et si personne ne voulait attaquer personne, tous les trois se tenaient prêts à riposter au moindre écart de conduite.

Pour ne rien arranger, il y avait aussi un soupçon de méfiance réciproque qui flottait tout autour d'eux. Il avait beau dire affirmer à voix haute que Saúl n'était pas une menace, Luke était loin d'être idiot et connaissait sa fille suffisamment pour savoir quand quelque chose ne tournait pas rond. Au fond d'elle, la demie-vélane savait déjà qu'elle allait devoir trouver un subterfuge assez puissant et suffisamment crédible pour éloigner ses craintes, au moins temporairement, le temps de la laisser prendre les décisions qui s'imposaient.

Il fallait donc qu'elle trouve une raison plausible pour avoir fait venir Saúl en cachette à cette heure avancée de la soirée, et surtout, une explication quant à cette confidence prématurée concernant sa rupture avec Edel.

Son cerveau fonctionnait à toute allure, parce que le temps était compté et que Saúl allait bientôt s'en aller. Si Luke n'avait pas une preuve suffisante devant les yeux, tout serait plus compliqué et la vie l'était déjà suffisamment pour ne pas en rajouter.

Elle écoutait son père avec patience et Saúl lui demander l'autorisation de quitter les lieux sans heurts, quand une idée fit son apparition dans son esprit embaumé, devançant de loin son instinct et son habituel bon sens. Il y avait de grandes chances que les regrets prennent le dessus après coup, mais elle ne pouvait se résoudre à mettre Saúl en quelconque difficulté quand il y avait fort à parier que son père doutait de sa sincérité. La preuve en était, l'usage d'un dialecte spécifiquement adressé à sa fille et réservé à ce genre de situation, précisément.

« Níl sé ina bhagairt*», affirma-t-elle en regardant Luke droit dans les yeux.

Mais ça, encore fallait-il le lui prouver.

Alors, elle se tourna vers Saúl, qui s'apprêtait à s'en aller.

« Attends », lui intima-t-elle pour le retenir encore un peu. D'un pas lent mais assuré, elle s'approcha de lui, si près que leurs visages s'effleuraient. Et comme si ça avait déjà eu lieu plus d'une fois, elle retrouva sans peine son chemin jusqu'à ses lèvres.

Pour ne pas prendre le risque de choquer son père, elle privilégia la brièveté, la tendresse et la douceur à la passion et la longueur de la première fois, sans prendre la peine de penser outre-mesure à la portée de ce geste ni même à la force avec laquelle Saúl pourrait lui en vouloir d'agir ainsi, à peine encaissée l'annonce de sa rupture avec son cousin.

Elle n'avait trouvé que ça pour s'éviter de devoir expliquer longuement à son père les raisons de sa rupture avec Edel, tout en éloignant de fait les soupçons sur ses réelles intentions. Il serait probablement assez préoccupé par un sermon sur leur différence d'âge pour ne pas poser davantage de questions.

Et c'était là tout le but recherché.

* Il n'est pas une menace.