Little Nightmares

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Au sein du Marché au Troll, très loin dans un petit recoin des sous-sols, et se tenant bien éloigné des enseignes proposants des services plus charmants et demandant un peu de silence ou de discrétion, il y avait une sorte de marché au bestiau tenu par une vieille créature russe que tout ici appelait Baba,  grande comme une armoire et ayant un accent très marqué, respirant l’alcool, et pour Brynn, qu’il fut bon ou mauvais, il sentait pour ainsi dire la même chose. Elle ne se tenait jamais très proche de lui, peut-être car elle se demandait toujours ce qu’il se cachait derrière son immense manteau de cuir noir et qu’elle ne voulait pas vraiment le découvrir, mais elle y travaillait depuis déjà deux semaines maintenant. Ce n’était pas qu’elle avait eu le choix, une vieille bique était venue se plaindre au patron de Barjow&Beurk, et de fil en aiguille, il avait fallu rendre les clés de l’appartement et trouver une autre solution. Elle devait d'ailleurs envoyer un courrier à  @Freya Korrigan si elle trouvait le moyen de les faire sortir d'ici.

Brynn s’était réconfortée en se disant que dans toutes les étagères du magasin, elle n’avait rien trouvé concernant les guenaudes et encore moins les malédictions, alors un mal pour un bien, elle s’était retrouvée dans cet étrange laboratoire, car il ne fallait pas s’y tromper, c’était bien un laboratoire. Il n’avait de ferme que l’apparence, et « Baba » nourrissait ses bêtes seulement car elles lui servaient à un but.

A l’étage juste au-dessus il y avait « Yaga », une très jeune et jolie femme qui d’après la légende était presque aussi vieille que le Marché lui-même. Elle vendait à qui voulait bien l’entendre des secrets de jeunesse, des potions permettant de faire revenir cheveux et barbes. L’Alchimiste s’était trouvé acoquinée avec l’étrange fermier et tous les deux vivaient paisiblement, entre couinements et grognements, dans une ménagerie effrayante.

« C’est ta dernière acquisition ? »

La créature qui venait d’entrer ne ressemblait à rien que Brynn avait déjà vu, mais elle baissa assez rapidement le regard et continua de balayer. Comme elle était dans l’enclos des bonnets-rouges, ces horribles petits gobelins assoiffés de sang, elle se devait de ne pas se disperser. Balayer vite, balayer bien, et surtout ne pas tomber à genoux dans la fosse. Fort heureusement pour elle, et parce que les bonnets rouges avaient un peu de conscience magique, aucun d’entre eux n’osait vraiment s’en approcher. Ils jetaient de petits regards à la jeune femme, se demandant d’où pouvait venir cette présence qui leur rappelait leur marais originel.

« C’est mon employé » maugréa Baba avec un accent, remarquant l’œil torve du gars. « Tu m’as ramené ce que je t’ai commandé ? »

« Elle n’a pas peur avec tous ces petits bonnets-rouges ? »

Le gars ouvrit calmement son sac, dévoilant une cage toute pleine de chauve-souris renards, de petites créatures étranges avec de grands nez et des oreilles rousses. Elles se mirent à piailler, aussi il remit aussitôt le drap par-dessus.

« Elle est sacrément jeun- »

« Tu m’avais dit qu’il y en aurait cinq au moins. »

Le gars prit la mouche presque aussitôt.

« J’ai fait ce que j’ai pu ! Tu devrais y aller toi, au Japon, si tu penses que c’est aussi facile que ça ! »

Baba eut un grognement qui calma un peu les ardeurs du garçon. Il roula finalement des yeux et récupéra la grosse poche que le Russe lui fit glisser sur le comptoir. Il se pencha juste pour voir Brynn, qui se détourna pour enjamber prestement la clôture, laissant les touts petits bonnets-rouges à l’intérieur. Par quel miracle ou horreur ces horribles créatures pouvaient naître ?

« Brynn ! »

La sorcière sursauta et avança jusqu’au comptoir, levant un regard vers Baba. Il lui tendit la cage couverte.

« Va donner à Yaga. »

La jeune fille acquiesça servilement, le garçon lui fit un sourire avant d’être chassé par un nouveau grognement de la part du vieux russe. La Gwent releva sur la vieille créature un regard curieux. Elle dut comprendre aussitôt, car Baba reprit sur un ton calme, en attrapant plus loin un des balais :

« C’est un nouveau de la Guilde des Roys. On fait affaire avec eux. » Il glissa son regard sur Brynn, même si elle ne pouvait le voir tant ses sourcils étaient épais et formaient comme deux gros nuages noires : « Ce sont de vrais marins. »

Brynn eut une grimace en comprenant rapidement ce que ça signifiait, même si au Marché, il était un peu difficile de savoir de quelle façon les créatures et les hommes qu’elle croisait compter la manger. Baba l’avait d’ailleurs quelque peu sauvé le second jour, après qu’@Aram Romanez l’ait conduite jusqu’ici en lui disant qu’elle y trouverait peut-être des réponses, puisqu’au Marché, on trouvait tout ce qu’il y avait de caché.

« Yaga » grogna Baba.

La gamine sursauta une nouvelle fois et finalement déguerpit avec la cage et les chauves-souris renards.


La  journée avait été longue et harassante. La lumière des cristaux environnant avait diminué considérablement, aussi elle s’imaginait qu’il devait être le jour, ou la nuit. Une besace en travers du torse et une longue cape dissimulant son bras, Brynn avançait en mangeant calmement une pomme que Yaga lui avait donné. Elle se serait bien méfiée, mais force était de constater que l’étrange couple n’était pas aussi diabolique que la devanture de leur bicoque le laissait croire. Pas simples, mais pas diaboliques.

Elle passa devant l’étalage de viande d’un autre tenancier et s’y arrêta, jugeant la découpe. Dans le fond, on voyait une sirène tranchée en deux dans le sens de la verticale. le spectacle était peu ragoûtant, pour ne pas dire déranger, mais une partie d’elle n’était pas émue. Une partie d’elle qui grandissait et qu’elle cherchait encore à endiguer.

Brynn croqua une nouvelle fois dans sa pomme, l’air hypnotisé un moment, puis tourna la tête en sentant qu’un regard l’épiait – chose qui arrivait souvent au Marché et dont elle devait se méfier.

Quand elle reposa ses yeux verts clairs sur le garçon qui la fixait, en pensant voir le jeune pêcheur des Roys, elle laissa échapper la pomme dévorée à moitié sur le sol. Il était là. Elle ne l’avait ni senti ni vu, mais il était là, à seulement quelque pas. Son sourire d’abord se fit radieux, mais en un quart de seconde il se mua en une peur folle, presque panique. Un frisson désagréable lui remonta l’échine et elle tourna la tête, d’abord à gauche, puis à droite, avant de filer à toute vitesse. D’abord en se faufilant grâce à sa petite taille entre les divers personnages, plus ou moins grotesques, du Marché, ensuite en prenant une petite venelle qui coupait deux immeubles en deux.

Courir vite, pour s’éloigner, pour s’arracher – pour protéger.

Le Nishi Chōme dominait le bloc ouest du Marché aux Trolls, tant par son architecture atypique que par sa gamme d'activités variées fièrement affichée en vitrine. À l'écart des flambeaux dépravées de la luxure ou des bouillonnantes fosses de combats, cette maison de jeux fraîchement inaugurée proposait à sa clientèle un large éventail de divertissements lucratifs dans une atmosphère accueillante et chaleureuse. Une subtile ambiance à l'envoutement mystique en vue d'alléger ces prospecteurs de fortune de leurs pesants gallions. Et si la faune hétéroclite du sous-sol se cherchait de diligents mercenaires pour que sonne la loi du talion, les back room offraient l'hospitalité aux moindres requête contre une bourse bien repue. Ainsi, il n'avait pas fallut longtemps pour que cet établissement ne se farcisse d'une bande de réguliers tout aussi accrocs aux vices de l'argent qu'à ceux de l'alcool.

À l'étage, loin du tumulte récréatif, le gérant de cette fructueuse affaire se délectait d'un moment de flottement avant le rush nocturne. Un repos nécessaire, mais toujours perturbé par les réminiscences d'une naïade dont seuls les écrits lui rappelaient que tout n'était pas vain ou illusion. Le parchemin d'un ultime échange chancelant sous sa respiration, le yōkai se redressa à l'approche d'un pas alerte en halte devant ses quartiers. Refermant le tiroir supérieur de son cabinet, la vipère se redressa. Les portes des appartements privés du Wakagashira s'ouvrirent à la volée, dévoilant un Shatei à peine remis de sa course. En nage et essoufflé, l'homme de main s'inclina par respect avant de tutoyer son jeune maître sans que jamais ses amandes ne viennent à croiser le fer avec la vision prédatrice de l'Orochi.

« Ryūjinchi-kashira ! La fille est ici… sur le Marché aux Trolls !, siffla-t-il hors d'haleine entre deux respirations striées. Elle travaillerait sur le marché aux bestiaux de Baba et Yaga ! » conclut-il haletant.

Le loup juvénile contourna son bureau et doubla son subalterne non sans lui glisser une pièce dorée. Une bien mince récompense pour celui qui avait, au fil des semaines, parcouru les frontières de Gorsedd Arberth à la recherche de son enfant le plus précieux. Arrachant une pelerine de son patère, le japonais sauta par la fenêtre et se faufila à travers les toits mitoyens de cette immense cave magique qu'il ne connaissait que par cœur.

Agile, il ne fallut à l'acrobate que quelques pirouettes pour avaler les encablures le séparant de la plaque tournante de créatures. Passant de auvent en hangar, les contours vétustes du champs de foire se profilaient finalement sous le pâle halo des candélabres à cristaux. Loin de l'agitation de l'arrondissement des plaisirs, le pavé grouillait néanmoins d'une certaine activité. Le trafic de biens vivants avait le vent en poupe.

Le revers de sa main plaquée contre ses narines, le lycanthrope eut un haut-le-corps. Ici, le remugle supportable de l'ouest se mêlait à toutes sortes de relents organiques tout juste endurables. Répugné par les émanations entêtante, l'Ōkami comprenait enfin. Si la Gwent avait choisi le foirail pour se cacher, elle n'aurait pu retenir meilleur tiers-lieu pour se soustraire aux instincts du champion de la nature. Amortissant sa juste dans une charrette de paille, l'obake hissa le capuchon de sa cape et s'engouffra à l'intérieur du comptoir animalier.

Sitôt affranchi du pavement, une clameur de bêtes s'insurgea de la présence du bakemono. Ça et là, les captifs se heurtaient aux barreaux de leur geôle, montraient les crocs face au prédateur jouissant d'une liberté dont ils étaient eux-mêmes privés. À l'ouïe, ce fabuleux canon de cris d'alerte bestial se faisait l'écho d'une jalousie aggravée. De l'arrière boutique, une imposante figure se tira de la pénombre, peu ravi du branle régnant.   

« Tu effraies la marchandise gamin !, ronchonna la vieille créature en un accent pentu que l'asiatique eut le plus grand mal à comprendre. Alors t'achètes ou tu fiches le camp ? » Le russe apparaissait presser de voir cet hybride débarrasser son plancher.

« Je cherche quelqu'un… , qu'il lança de but en blanc tandis qu'il laissait volontiers trainer les yeux entre les enclos et l'alchimiste. Accoudé contre le comptoir, le menton relevé, le garçon s'imprégnait des arôme jonglant au creux de l'éther gâté de l'étal. Rien de personnel, mais une fille au charme plus naturel et insoumis ! » Diplomatie maladroite, le nippon décocha une risette polaire. Sincèrement navré de reléguer la beauté divine de Yaga en une Vénus anecdotique, mais rien ne serait plus le charmer que la grâce insouciante d'une gamine champêtre.

« Esprit de la forêt, si tu ne fais pas affaires, je te conseille de rebrousser chemin fissa ! » Armé de son balai, la patience de Baba avait atteint son seuil de tolérance et il n'aurait su accepter un nouvel affront à l'égard de sa partenaire de négoces.

Sans demander son reste, le loup-garou prit congé de la ménagerie avec la certitude d'avoir capter une essence à laquelle il pouvait désormais s'accrocher.


Le flair en exergue, suscitant les attributs de son alter latent, le brun s'attelait au train de la traque. Un linon invisible l'orientait docilement vers la maudite si bien qu'il arpentait désormais le district commerçant. Lubie aiguisant une nature en sommeil depuis le massacre du Ryūgū-jō, le minot ressentait l'euphorie de la battue laver ses sens et poudrer son carmin d'une commotion dangereuse. Le fumet de la carne volant au quatre vent, l'appât de la viande crue arrosait son odorat d'une tentation provocante. Et parmi ces délices attractifs, la lueur de son guide creva en un bouquet d'arôme enjôleur.

Immobile, le lycan couva des yeux la silhouette de cette nymphe déracinée de son tertre. Son rythme cardiaque divaguant, le myocarde coula d'un battement célère et alors qu'il s'apprêtait à aller à sa rencontre, la praire verdoyantes de ses mirettes gela les amants d'un vis-à-vis contemplatif. Un bref plaisir passa sur leur masque surpris et en un frisson de paupières, la couleuvre se libéra du mysticisme d'une rencontre imprévue. Détalant entre le chaland de figures fantasques, le norainu lui donna la chasse.

Percutant la plèbe de ses coudées franches, d'un sprint sauvage soulevant les acclamations excédée de ces badauds dérangés en pleine transaction, l'Otokonoko traversa la petite place. Cette fois-ci, il avait l'avantage du terrain pour l'avoir sillonner en large et en travers, la jeune fille ne pouvait lui échapper. Du coin de l'œil, il la suivait s'engager entre les venelles taillant un labyrinthe de passes entre les bâtiments du souterrain. Disparaissant dans une ruelle parallèle et dégagée, le champs libre, d'une foulée aérienne l'ombre se faufila avec adresse entre les monceaux de détritus amassés. En une glissade domestiquée, le souffle si peu entamé, il se posta à la sortie de ce goulot d'étranglement.

Le piège tendu, le filet de ses bras se referma en menottes sur les lignes consommées de la fuyarde. Sans peine, la dryade quitta la stabilité du sol et vint délicatement se poser sur un rond de tonneau percé. Assise et sa merci, Viper la coinçait contre une façade humide. Son visage flirtant avec le derme échaudé de ses pommettes, elle pouvait sentir la brise brûlante ventiler sa nuque.   

« Suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis hum ? » qu'il murmura un brin amusé avant de déposer un léger baiser sur les lèvres de la serpentine.

Un sourire radiant bousculant ses fossettes, l'enfant de la nuit aurait apprécié cette dynamique bluette, si seulement il n'avait eu à retourner ciel et terre avec le maigre espoir de croiser à nouveau cet émeraude clair, de sentir son souffle tiède heurter l'ardence de sa chair. La tête légèrement penchée, les papillons noirs de ses iris survolaient le minois de la galloise, appréciant ce jais jaillissant de sous sa coiffe de laine.

Si elle n’avait pas été à quelques centaines de kilomètres de son tertre originelle, et si ses pieds n’avaient pas été enfilé dans ces horribles petites chaussures noires, sans doute que ce jeu aurait été amusant. Mais la nymphe ne s’amusait pas. Ses joues empourprées et son souffle plus court dans la panique, elle s’enfonçait au travers des créatures, d’une souplesse rare mais trop confuse et désordonnée dans sa fuite pour anticiper qu’une fois dans les dédales des venelles auxiliaires, ce serait la fin. L’espoir ténu vibrait encore quand elle osait croire qu’elle réussirait à passer le dernier carrefour qui la dégueulerait plus loin dans la rue commerçante, et après quoi elle pourrait disparaître dans sa chambre de bonne, juste au-dessus d’un agayoleur toujours fâché.

Au lieu de ça, un torse l’accueillit et n’osant faire usage de ses mains, l’une tenant fermement l’autre dans un geste aussi équivoque que devenu mécanique, le visage de la petite nixe s’écrasa un instant contre la chaleur du loup. La fille-serpent en reconnut l’odeur et la chaleur si caractéristiques, et après tout ce qu’elle avait vécu ces derniers temps, elle sentit son cœur tombait comme dans le fond de son estomac. L’instant d’après ses pieds ne touchaient plus le sol, et elle se sentit si petite, si insignifiante dans les griffes du loup, qu’elle se laissa faire et retomba les fesses sur un rond de bois qui sentait bien des choses, mais aucune que Brynn ne reconnut.

Elle baissa doucement les yeux à voir Viper se rapprochait, mais elle n’avait pas peur de lui, et le voir lui faisait malgré tout un plaisir qu’elle n’aurait su décrire. Elle se mordit doucement l’intérieur de la joue, sentant que le rouge de ses joues n’était pas seulement dû à sa course, alors que ses yeux couvaient petit à petit le visage de Viper. Elle eut un petit frisson agréable, et serra plus fort sa main autour de son poignet derrière le large pull qui avait l’honneur de cacher ses lignes, ses formes graciles. La nymphe avait quitté le tertre et il semblait qu’elle n’avait rien trouvé de mieux qu’un marais vaseux. De guenaude elle n’en avait pas l’apparence encore, mais les frusques, elles, commençaient à suivre leur mode.

Brynn ferma doucement les yeux, laissant l’enfant-loup s’approchait. C’est qu’elle le désirait comme elle le redoutait, non pas pour ce qu’il pourrait lui faire mais ce qu’elle pourrait lui infliger. Et des peines, Viper en avait bien assez comme ça.

Elle rouvrit doucement les lèvres en entendant sa voix.

« Je ne te fu- », elle voulut s’offusquer mais le baiser la fit taire, aussi bref fut-il.

La nixe baissa doucement les yeux, le cœur soudainement plus rapide dans la poitrine. Elle ne se souvenait plus de ce qu’elle voulait dire, et le petit sourire qui s’accrocha sur ses lippes était un peu triste parce qu’elle avait l’impression d’avoir échoué. Même à ça, même à se cacher, malgré qu’elle ait coupé ses beaux cheveux longs en un carré approximatif, malgré qu’elle ait laissé les robes de lin blanche pour des pull mal taillés pour des hommes bien plus gros qu’elle. Malgré tout les efforts, malgré tout ce qu’elle venait d’endurer de solitude, elle se retrouvait presque de nouveau au début.

Et pourtant, Viper lui souriait, comme si ça n’avait jamais été une trahison ou un abandon, juste un petit obstacle, une péripétie. Elle était pourtant partie sans un mot ce matin-là, et depuis, il n’y avait pas eu un seul jour où elle s’était dit qu’il lui en voudrait. Qu’il lui en voudrait vraiment, car elle lui avait demandé de ne pas mourir et de toujours lui revenir, et c’était elle qui était partie.

Elle eut une petite moue, dont elle sut que si elle ne résistait pas cela finirait en larmes, mais Brynn n’avait aucune envie de pleurer devant l’enfant-loup alors qu’ils se retrouvaient à peine, après autant de silence et de fuite, mais elle n’avait pas menti. Ce n’était pas lui qu’elle avait fuit. C’était elle-même, d’une certaine façon.

L’influence de la guenaude était trop loin et cela faisait longtemps qu’il n’y avait plus eu de voix ou d’incidents, mais la petite nymphe voulait rester prudente, alors plutôt que d’enrouler ses bras autour de lui comme un serpent, au risque de se trouver à planter ses vilaines griffes dans sa gorge dans un moment d’oubli, elle vint tout simplement poser son visage contre son torse, profitant du moment pour humer simplement son odeur, son parfum, s’imprégner de nouveau de sa chaleur.

Cela dura aussi longtemps que Brynn en eut besoin, avant qu’elle ne relève un peu le nez, se redressant doucement. Elle soutint un instant le regard noir de jais du nippon, puis baissa de nouveau ses deux iris vertes, un peu honteuse peut-être. Elle ne savait pas bien quoi dire. Des excuses seraient probablement un peu début, et en même temps, elle ne pouvait pas se résigner à accepter la situation.

« Tu ne devrais pas me suivre, tu sais que c’est dangereux, et tu as déjà bien assez de problèmes comme ça... »

La petite galloise ne savait rien de ce qui avait changé ou non, mais une chose était certaine, c’est que pour elle, la situation n’était pas des plus réjouissantes. Elle n’avait pas envie de s’épancher dessus, et si Viper y jetait un œil de plus près, il remarquerait que son bras gauche était désormais bandé et ce jusqu’au coude, ce qui n’avait pas été le cas de tout l’été.

« J’ai... j’ai... »

Et comme à chaque fois elle n’arrivait pas à aller jusqu’au bout de cette phrase, puisque l’horreur de son erreur la submergeait comme une vague implacable. J’ai tué Noodle -- c’était une phrase toute simple pourtant, mais son cœur se serrait, et elle se confrontait à ce que son crime signifiait. Si elle pouvait tuer Noodle, cela signifiait que tout le monde était en danger, à commencer par lui. Comment se faire confiance ? Comment dormir ensemble quand à tout moment cette horrible main noircie pouvait en décider autrement ? Elle sentit des larmes naître et les essuya rapidement, de sa main bandée et de celle intacte, outre la corne qui commençait à naître à force de travaux manuels de bas étage.

« Tu devrais avoir peur, pourquoi t’as pas peur ? »

Parce qu’elle-même était terrifiée, dans le fond. Finir comme un monstre n’était pas le destin qu’elle s’était imaginée, et encore moins devenir un monstre dans l’indifférence de sa mère ou de ses amis d’école. Avait-elle eu seulement des amis ? Les larmes roulaient mollement. C’était la première fois depuis qu’ils étaient allés dans le terrier de la vieille Oiche qu’elle se trouvait à craquer, mais ça avait été si dur ces derniers temps, si usants, si fatiguant d’avancer à l’aveuglette et de se sentir seule dans tout ça. C’était aussi parce que c’était Viper qu’elle pouvait montrer ce visage. Elle enfonça ce dernier dans le torse du loup, les mains plaqués sur le visage, honteuse. Pourquoi tout était si compliqué ?

L'enfant-loup n'avait que trop remarqué la précipitation de la serpentine à dissimuler un bras qu'il imaginait maudit par l'infortune de la guenaude. Et pourtant même cette calamité n'avait su freiner ce désir à goûter à nouveau au parfum envouteur de ses lèvres. Enivré de ce contact ayant manqué, le palpitant du Ryūjinchi se calqua aux brides lâchées d'un myocarde coulant d'une frénésie, martelant la cage thoracique de la nixe copieusement. Et d'un accord mordu, le cœur du japonais battit à tout rompre aboyant joyeusement son affection. il ne put retenir le cachet sincère d'un sourire. Brynn pouvait le repousser ou fuir encore et toujours, ces battements ne mentaient pas et dans un sens, le garçon se rassura de cette arythmie.

L'étau de la fragile silhouette contre son torse arracha à l'obake un frisson. Pas l'un de ceux qui bannissait la chaleur en un soupir, mais un chuchotis à la bise agréable et délicate dont le parfum versait du baume sur les ronces du doute et des incertitudes. Et dans cette étreinte silencieuse dont il espérait ne jamais se défaire, Viper s'imprégnait de son odeur, se réappropriait cette proximité délectable. Et si lieu ne se prêtait guère plus à des chaleureuses embrassades, il lui en fallut si peu pour retomber à nouveau dans les filets de la jeune femme.

Leur visage contemplatif se perdirent l'un dans l'autre, un court instant, bien trop bref pour que le yōkai ne s'en accommode. L'émeraude fugueur de la couleuvre s'affaissait et l'onyx du lycan luttait pour ne pas lui donner la chasse. Était-ce devenu une habitude pour la Gwent de fuir le regard des autres ? Une moue peiné fana les traits épanouis du japonais sous l'accent de Brynn. Oh, il lui aurait bien tout avoué sur le champ. Il aurait volontiers confesser ses crimes si elle le lui demandait. Mais accepterait-elle encore de fondre toute entière au creux de ses bras si seulement elle avait conscience que ces mêmes mains étaient désormais capables du pire ? Elle n'avait pas idée de la noirceur dans laquelle l'esprit de son Jinroh avait succombé, ni même des envies carnassières caressant son subconscient animal. À présent, son loup avait pris gout au fer de l'hémoglobine et seul la volonté de l'homme l'empêchait de céder aux caprices primitifs de son alter.

Fatalement, ceux deux amants n'étaient pas des êtres parfaits et personne ne pouvait le prétendre, mais ils se devaient d'être là l'un pour l'autre, se soutenir qu'importe les épreuves. Ce n'était certainement pas la malédiction d'une vieille sylve qui empêcherait le nippon de profiter de la compagnie de l'enfant de Gorsedd. Et si il était nécessaire de se glisser dans le tertre de Branwen afin de tailler l'écorce et tronçonner de ses griffes la Oiche, alors il était prêt à mouiller son pelage pour débarrasser la naïade de cet mal.

Les doigts du lycanthrope repoussèrent l'irrégularité de jais d'une mèche grossièrement taillée et son index glissa sous le menton de sa belle. En doux guide, il releva le minois éhonté de la galloise et plongea ses billes ténébreuses dans la lagune d'aigue-marine de la brune. Un sourire attendrissant évinçant un élan mélancolique, son pouce effleura les lèvres du serpent.

« Peut-être est-ce dangereux, mais je ne serais pas… Il s'étrangla sur un mot qu'aucun d'eux n'était encore parvenu à prononcer en ces longs mois d'une relation hachée d'absences et de secrets. Je ne mériterais pas d'être ton Kareshi, si je ne prenais pas de risque à vivre dangereusement à tes côtés… » qu'il articula alors que ses pommettes se pâmaient d'une introversion soudaine.

Les mots de Brynn se faisaient peu à peu les témoins d'un fatalisme certain. La résolution qu'aucun remède ne parviendrait à rompre le maléfice dont elle était la malheureuse victime. Élan d'égoïsme ou simple altruisme, le bakemono ne pouvait se réduire à accepter un dénouement où il se trouvait privé de la Gwent. Le bras de l'Okami s'enroula autour des épaules de la frêle celte et ses doigts s'égarèrent entre ses boucles anthracites. Elle avait beau se cacher contre sa poitrine, l'or blanc de son sanglot ruisselait d'une chute lente aux soupçons de torture à l'oreille fine du garçon-loup.  

« Il semblerait que je ne sois ni un lâche ni un homme ordinaire. se répondit-il à lui-même en se ressassant ce vieil adage que sa défunte okāsan lui rabattait sans cesse comme pour excuser la faiblesse des simples mortels. Je mentirais en disant que je ne suis pas inquiet, mais je ferais tout mon possible pour t'aider à briser cette malédiction... » qu'il proclama avec tendresse.

Sa menotte se fraya une chemin entre leur bas-ventre et sa paume recouvrit avec précaution les mains jointes de la nixe - tandis que sa jumelle se blottit au creux de ses reins pour l'attirer tout contre lui, resserrant cette union de corps gâtés par la vie. Il ne savait pas par où il commencerait, mais il était certain d'une chose. Il était prêt à prendre tout les risques si la vie de sa nymphe en dépendait, puisqu'il ne pouvait plus envisagé un avenir sans elle à ses côtés. Le menton baissé et flirtant avec le front de Brynn, sa joue courtisa la peau la Seishin exilée de son bosquet féérique.

Elle avait oublié, l’espace de quelques longues semaines, le plaisir d’être blottie contre lui. Son sang ophidien était d’ordinaire glacé, mais contre lui, son petit cœur doux palpitait et elle appréciait aussi bien sa prévenance que sa douceur. Quoi de plus beau que la patte qui caresse quand elle pourrait simplement vous arracher la tête ? Quoi de plus savoureux que les lèvres qui vous embrassent quand à toute autre elle mordrait pour dévorer seulement ? Brynn baissa les yeux sur la bouche de Viper, hypnotisée par les mots, par l’accent de l’enfant du Japon, par sa façon de lui tenir le menton, de la guider sans vraiment la forcer. Elle ouvrit légèrement la bouche comme il y passait le pouce, éprise et perdue. Le prédateur était plus séduisant que dans ses souvenirs, ou peut-être était-ce juste elle, le manque de sa peau, la solitude, qui la poussait dans ses retranchements.

Mais l’envie qui se créait, en seulement une étincelle de rien, car elle n’avait besoin que d’un regard pour se sentir désirée et existée, sa conscience lui rappelait qu’elle n’avait pas fui pour rien. Qu’on ne fuyait pas son bonheur pour le plaisir d’être triste et esseulée.

« Kareshi ? », reprit tout bas Brynn, ce qui sonnait bien différemment avec son accent gallois.

Ses grands yeux verts ne comprenaient pas toujours, mais elle devinait et alors ses joues se firent un peu plus roses, presque rouges,  et son cœur fit comme un bond de fauve dans sa poitrine. A quel jeu jouait-elle ? Elle l’avait fui, elle s’était fui, et pourtant elle était là, perdue, la bouche en cœur à n’appeler que les siennes.

Et si tout ça n’était que le jeu de la vieille Oiche ? Lui faire croire que son influence malfaisante était endormie pour mieux les surprendre ? Elle en avait rêvé bien des nuits, de ce qui pourrait arriver. Réveillée en haletant, vaseuse et cette envie de vomir qui grattait toujours, tandis qu’elle aurait pu le jurer, il y avait bien eu une pointe d’excitation dans tout ça. La même qui rôdait dans le creux de son ventre quand elle était à la merci de l’enfant-loup.

L’envie malsaine n’était pas la sienne. Elle le savait, mais Brynn devait le vivre, et plus elle le vivait, plus elle le sentait en elle, plus cela la répugnait.

Elle avait peur d’elle, peur de se jeter une nouvelle fois dans sa gueule et de finir par le supplier de la dévorer. Mourir jeune et faire un beau cadavre, ou attendre et se voir petit à petit métamorphoser. Elle en était arrivée à envisager secrètement aux pires remèdes, à se dire qu’un bras en moins ce n’était pas si grave, surtout celui-là. Mais quoi alors s’il repoussait plus laid encore, plus déformé ?

Les larmes suivirent la pensée qui s’enfonçait, de plus en plus sombre, de plus en plus agitée. Peur de lui faire du mal, peur de le blesser. Peur. Voilà ce que la vieille Oiche lui avait offert.

Blottie contre Viper, les mains plaquées sur le visage, la petite blonde qui n’était plus que l’ombre d’elle-même se laissa un instant aller à ce que l’univers avait décidé pour elle. Elle ne luttait plus. Brynn n’en avait plus ni le courage ni la force, et cela car Viper était là. Elle s’agrippa tendrement alors qu’il tentait de la réconforter, mais les mots se perdirent, et les larmes séchèrent quand il n’y avait plus rien à pleurer que sa propre faiblesse.

La tendresse de Viper la cueillit bien malgré elle, et elle se recula comme il glissait sa main le long d’elle. Brynn renifla, mais ne se débattit pas quand il posa sa main sur les siennes. Aucune n’eut un tréssaut, et elle leva sur lui un petit regard noyé de larmes, vision que l’on aurait jamais pu envisager pour la nymphe qui de toute se voulait la plus farouche.

Lentement et doucement, Brynn glissa ses mains à plat sur le torse de Viper alors qu’elle reniflait une dernière fois. Ses doigts chassèrent d’ailleurs les quelques larmes que l’habit de l’enfant-loup n’avait pas bu d’elle. Elle inspira profondément, pour reprendre doucement sa respiration,  alors qu’elle reprenait petit à petit des couleurs moins cramoisies.

Elle vint d’elle-même déposer un baiser sur le menton du loup, puis à la commissure de ses lèvres, frottant comme un chat sa joue contre la sienne.

« C’est une promesse ? », murmura-t-elle avec un petit air amusé, bien que son sourire avait bien du mal à rester ancrer sur ses lippes délicates.

Ce n’était pas tant qu’elle ne le voulait pas, mais la peine resterait jusqu’à que le sujet change, jusqu’à qu’elle accepte, et il n’était pas facile d’accepter l’inacceptable. Elle retira doucement ses mains du torse du loup, se décrispant à peine. Son souffle était presque posé, alors qu’elle fixait le regard noir de jais du nippon.

« Est-ce que… est-ce que ça va, toi ? »

Alors qu’elle attendait gentiment une réponse, un bruit de verre cassé la fit sursauter et s’agripper à Viper, hérissant presque la tignasse restante sur le haut de son crâne. On aurait cru un chat, alors qu’au milieu de la ruelle, c’était une grosse souris – ou alors un petit rat – qui se trouvait à déguster avec plaisir les restes d’un peu de vin rouge qui était resté dans le fond de la bouteille désormais brisée.

Un petit sourire passa sur les lèvres de la brune, avant de rire finalement, de bon cœur. Un fond de désespoir et en même temps, la vie n’était-elle pas absurde d’une certaine façon ? Brynn glissa son regard de nouveau sur Viper, relâchant les griffes qu’elle avait enfoncé dans ses épaules.

« Désolée, ça m’a surprise. On ne devrait pas rester là… J'ai un petit appart' dans le coin, pas terrible mais, mh, c'est toujours ça de pris, sauf si mon Kareshi a mieux ? »

Un sourire fila sur ses lèvres.

C’était un coup à se retrouver couvert de merde puisqu’il semblait que la ruelle même servait de débarras. Une bonne pioche pour les collecteurs en tout genre, mais un peu moins quand le sac vous tombait sur le coin du museau.

L'accent imprécis de Brynn lui arracha un élan taquin, un de ces éclats de rire glissant librement entre les lèvres et rinçant de ses échos le vivant, avant de se fondre en un sourire spontané. Le regard fuyant, Viper secoua légèrement la tête comme pour se défaire de cette carnation rosée dévorant le porcelaine de ses joues. L'endocarde frappé d'un palpitant bondissant à tout rompre, le yōkai se fit fille de vertu devant la substance d'un mot d'esprit. Promouvoir ses sentiments en une allocution aussi simple avait le pouvoir de rendre la chose plus réelle, telle une promesse renouvelée dans la franchise de l'innocence.

« はい、彼氏. », répéta-t-il dans un japonais suave sublimé par la pudeur, tandis que son teint s'embrasait d'une fournaise indomptable.

Blottis l'un contre l'autre, leur chaleur dressée en un rempart providentiel, le sanglot de la nixe n'échappa pas à son Okami qui consolida son embrassade d'une main recouvrant l'échine fébrile de sa partenaire. L'empreinte d'une lippe sauvage contre son menton et remontant à la commissures de ses lèvres pluma la chair du Jinroh d'un énième spasme fougueux. Et malgré les marques de tendresse qu'ils s'offraient au grand jour, le myocarde de l'enfant-loup coula d'une mélancolie clandestine. Le garçon avait beau faire contre mauvaise fortune bon cœur, la Gwent demeurait inconsolable et le sujet creusait peu à peu un désespoir. Une mort dans l'âme qu'il était incapable de moissonner de ses crocs. Alors comme pour consacrer ce serment solennel, il faucha d'un baiser soigné l'arc de cupidon de la serpentine.

Reculant son visage, le nippon la dévora des yeux, un sourire expansif illuminant ses traits figés dans l'ombre d'une appréhension galopante dévorant le mysticisme de l'instant. Si Viper éprouvait une confiance aveugle envers la fille de Gorsedd, il redoutait de la voir s'éteindre à la faveur d'une calamité vorace. Refusant de composer avec la peur de perdre un être pour lequel il était résolu à se sacrifier, le gamin de Naha se plaisait à croire qu'après l'hiver viendrait enfin le printemps, une saison plus généreuse et propice aux plaisirs simples de leur liaison. Ainsi, quoi que l'avenir leur réservait, il était prêt à faire front et partager le fardeau de cette malédiction si les cieux lui en donnaient la chance.

À l'initiative de la galloise leur union se rompit et leurs iris se confondirent en échanges pensifs. Sous la lueur fluctuante des cristaux, le regard smaragdin de la nymphe trahissait  les doutes qui la rongeaient. Un cafard en suspens communicatif qui agrippa les tripes de l'obake. Ce que le destin pouvait se montrer injuste et obsédé à les lyncher des pires afflictions. Et finalement, Brynn vanna cette page écrite dans le silence d'une question ingénue à l'hésitation mignarde.

« Disons simplement que les choses s’arrangent… », qu'il proclama avec tendresse bien ses paroles se firent avaler pour la confusion d'un rongeur assoiffé.

Le jeu des trônes auquel il s'était livré avec son Kyōdai n'avait rien d'un conte de fée et il fut satisfait de ne pas avoir à entrer dans le détail d'une mutinerie sanglante. Bien-aise de balayer sous le tapis ses prouesses meurtrières à la ferveur d'un aléa plus bénin, il s'engouffra au creux de la brèche tendue par ce mulot. Loin de faire preuve de naïveté, il était conscient qu'un jour ou l'autre au fil des conversations, les révélations de ce coup de force lointain entacheraient l'utopie d'une paisibilité. Mais saurait-elle sereine, si elle venait à savoir que dans le feu de l'action le fauve s'était adonner aux plaisirs d'une frénésie consommée en sang versé ?

Une moue de douleur mariée à la jovialité d'une légèreté, le Ryūjinchi grimaça en flairant le fléau de la guenaude entamer le cuir de son épaule. En dépit de la brûlure imprimée sur sa chair, son sourire accompagna le sifflement amusé de la couleuvre. Détournant le regard de sa belle, le Seishin lâcha un grognement éraillé contre un campagnol de bonne taille buvant un tord-boyaux à même les bris de verre. Ce sème trouble chassé, le lycan reporta son attention sur une nymphette entreprenante.

« Hmm, il se pourrait que j'ai mieux… » souffla-t-il en une petite moue capricieuse et magnifiée d'une risette radieuse.

Non content de léguer les rues malfamées du souterrain aux êtres sans scrupules les peuplant, les paumes de l'asiatique papillonnèrent le long de la silhouette de Brynn et se refermèrent contre sa taille. Avec précaution et dans le grincement d'un rond de tonneau au chêne gâté, il la détrôna. D'un chassé sans subtilité, la semelle du lad repoussa les cadavres de bouteilles et autres miettes de canons vides. Reconduite sur le pavé souillé et glissant de leur venelle, le bakemono recula d'un pas avant de lui tendre une galante invitation.

Un petit rire perça les lèvres jusqu’alors bien tristes de la petite nixe. Brynn se laissa guider, car si elle était tout aussi indépendante que sa mère avant elle, la chaleur de Viper lui avait manqué plus qu’elle ne se l’avouerait jamais. Aussi elle se laissa faire, appréciant autant le geste que la simplicité avec laquelle l’enfant-loup le faisait, comme s’il pensait à tout. Les doigts de la petite galloise vinrent chercher machinalement la main de son Kareshi – elle poserait davantage de question quant à la signification exacte de ce terme – mais pour l’heure, elle enlaça ses doigts aux siens, signifiant sans un mot qu’elle ne partirait pas. Pas cette fois, du moins.

« Mieux ? T’es sûr ? J’ai un vrai palace pourtant » reprit-elle sur un ton plus léger et joueur, le suivant en observant les rues du Marché au Troll. Il semblait qu’ici, il n’y avait jamais un moment de répit, les allers et venues donnaient l’impression d’un noyau grouillant, d’une masse informe de visages grotesques, de silhouettes tantôt maigrichonnes, tantôt immenses. « Une pièce dans un véritable gratte-ciel, à deux pas du travail, toutes commodités à portée. Ça change de la cambrousse. »

Son sourire perché sur ses lèvres en demi-lune, Brynn manquait à Gorsedd autant que le Gorsedd manquait à Brynn, mais elle savait aussi qu’elle ne pouvait pas y retourner. Pas maintenant, car c’aurait été aussi dangereux pour elle que pour les mauvaises herbes que sa mère mettait tant de mal à protéger et à élever dans son arbre-monde.

Les doigts de la jeune femme se raffermirent dans ceux de Viper, se faisant la réflexion qu’il n’y avait guère que lui finalement. Branwen n’était probablement pas sortie de Gorsedd puisque telle était sa promesse, telle était sa punition, et aucun Gwent n’était venu à sa rencontre. Oui elle s’était cachée, mais Viper l’avait trouvé après tout, et si Viper l’avait trouvé, pourquoi eux n’y arrivaient-ils pas ? @Freya Korrigan lui avait dit qu’aucun élève de Poudlard ne parlait d’elle, pas même @Sheraz Mahal. C’était comme si soudainement, le monde l’avait oublié. En était-elle heureuse pour autant ?

Les questions lui brûlaient les lèvres mais Brynn calma son cœur en se rapprochant seulement de Viper, pour éviter d’être happée par la foule des badauds qui remontaient les allées, pour se sentir exister en sentant sa main dans la sienne.

« Est-ce que c’est loin de chez Baba ? Je reprends le travail dans cinq, six heures, je crois. »

Le temps se perdait, s’étirait, se raccourcissait avec l’enfant-loup. Il n’avait soudainement plus ni la même saveur ni la même durée, et ce n’était pas pour déplaire à la fille-serpent, mais il y avait toujours cette implacable réalité au-dessus d’elle. Sans argent, elle n’avait rien, et il aurait été difficile de se rendre dans une banque gobeline sans se retrouver expédié à Caerwent. Si les Gwent étaient sa famille, elle ne savait toujours pas comment ils prendraient la chose.

Branwen avait cherché à la cacher, à l’éloigner un peu. Dans un arbre-creux de la forêt, à l’orée du bois, pour que personne ne te voit… Comme si ça allait régler le problème, pensa Brynn. Et appeler les chasseurs, demander de l’aide à @Maeve Cynfeirdd ou sa sœur était improbable, puisque l’accès au bosquet leur était interdit. Finalement, il fallait attendre et mourir ou sortir du bois et risquer de se faire tuer une fois transformée.

Au même moment, ses yeux passèrent sur un agayoleur qui exposait ses dernières trouvailles, toutes venues de Dartmoor. Le regard de Brynn s’attarda un instant sur l’étalage, non pas parce qu’elle désirait en posséder un, de ces humains capturés et transformés en oiseau de toutes les couleurs, mais parce qu’à Dartmoor elle pouvait peut-être espérer des réponses. Ysbyrd aussi. Mais ces forêts étaient lointaines et dangereuses…

Ses yeux revinrent machinalement sur l’enfant-loup et elle eut un sourire pour lui, seulement pour lui. Même au milieu du chaos, même au milieu de la nuit, il semblait que la Lune l’accompagnait toujours.

Que tout semblait d’une banalité analeptique dans le faste d'une clandestinité décomplexée, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Loin de la surface, Viper n’avait guère besoin de se soucier des regards se posant furtivement sur leur sillage, car il savait qu'ici-bas on ne saurait les cataloguer pour ce qu’ils étaient, - un hybride fugitif et sa nixe maudite, mais seulement afin de jauger la bonde d'une bourse pendant à la ceinture. Un bol d'air frais dans ce climat où il ne faisait pas bon d'apparaître sur la liste de bâtards à abattre du Ministère. Fnalement, en ce monde, il n'était qu'une ombre énigmatique noyée dans la masse de solitaires éconduits par le microcosme d'en haut.

Un énième sourire pourfendait les lèvres de l’enfant-loup, alors que les doigts de Brynn fortifiaient leur prise contre les siens. Ses iris au jais étincelant se délectaient sans mesure de cette intimité. Bousculé par la foule de noctambule profitant du calme qu'offrait la sorgue, un soupir amusé lui échappa. Le yōkai secoua la tête avec mollesse tout en se détachant subtilement de la serpentine sans lâcher l'étreinte de leur main. À dos donné, chahuté par la vague du vivant et comme fendant la mer agité du quartier, le nippon lui fit face.

« Ok Princesse ! Il est encore temps de faire demi-tour. » , qu’il riposta d’un timbre faussement agacé, mais tout aussi joueur et pétillant. C'est que je ne voudrais surtout pas te dépayser ! » , s'empressait-il d'ajouter tout en inclinant légèrement la nuque dans une révérence maladroitement exécutée.

Il ne fallait pas être sorti de la cuisse de Merlin pour connaître le style de vie que menait la grande majorité des résidents du Marché aux Trolls. Pour les avoir subies à son arrivée, le luxe des initiés se résumait le plus souvent en une pièce unique au confort spartiate. Une existence de trime pour quelques gallions tout juste suffisant pour se permettre un loyer et de quoi subvenir à ses besoins primaires. Seuls quelques habiles détaillants ou négociants étaient en mesure de se vanter de commodité digne. Un toit, un travail, ça restait le prix que beaucoup de bannis étaient prêts à payer pour échapper au dictat de l'extérieur et consommer pleinement une liberté gracieusement accordé par ce sanctuaire.

Pourtant, le Ryūjinchi était incapable de tolérer l'idée de laisser la galloise seule et à la merci du premier venu aux intentions moins chevaleresques. Et s'il ne se permettait pas de douter de l’expertise de Baba dans son domaine, malgré une certaine réputation, il avait la garantie que la vieille créature et son associée n'autoriseraient aucun malin à avoir la main leste sur une de ses employées. Un bien maigre lot de consolation, aussi un rictus crispé aiguillonna la lippe du garçon. Et après, qu'en était-il de l'après ? Viper lui était redevable à bien des égards. Il ne pouvait certainement pas lui offrir ce même paradis qu'elle lui avait dessiné en lui accordant l'asile des grands espaces de Gorsedd, mais au moins, il avait la possibilité de garantir sa sécurité auprès de lui, au Nishi Chōme.

Ses pensées chassées en un haussement d'épaules nuancé, le japonais se greffa de nouveau aux flancs de la brune. Sa silhouette flirtant avec la sienne, la demande innocente de la Gwent le consola simplement. Son insouciance la perdrait, mais c'était en partie ce pourquoi le cœur du jeune homme s'était éprit d'elle.

« Pas plus de cinq minutes au sol, beaucoup moins si tu connais le Marché et ses secrets., riposta-t-il la fleur au fusil et l'index pointé vers les auvents. Si tu veux je te montre ! », qu'il enchaina d'un chant courtisant la frime.

Exit les ruelles et venelles crasseuses et tout juste bonnes à entasser les déchets des commerces voisins, si la nymphe n'avait pas froid au yeux, son loup s'engageait à la mener à bon port en quelques bonds aériens. Les doigts défait de leur enlacement affectueux, la lippe fendillée de ses canines, le Sheishin la doubla d'un entrechat excité et s'agenouilla promptement devant elle. Sans même attendre son accord, il la fit glisser contre sa colonne vertébrale et enroula délicatement les bras de la nymphe autour de son cou.

« Accroche toi, ça risque de secouer un peu ! » Son rire rinça la place de son éclat et d'une foulée endiablée, ses avant-bras lovés contre les jambes de la couleuvre, en un bond agile le Kodomo s'éclipsa du pavement et apponta en douceur un ensemble de pénates singulièrement plates.  

L'insolent prit un instant pour admirer une vue privilégier qu'il avait l'habitude de contempler lorsque le vide s'insinuant en meurtrissure de l'âme et d'un sprint aérien le paysage urbain défila. Là, sur le toit du monde, la vie se jouait au ralentie. La crapuleuse plèbe se mouvait avec lenteur en de grotesques caricatures. Le parfum du remeugle se faisait moins acre et l'éther plus respirable. En adroit funambule, sous ses pas, le craquement des tuiles s'harmonisait en une vocalise harmonieuse. Les mèches ondulant au vent, l'alter lupin du gamin pouvait s'exprimer à cœur ouvert. Une oisiveté de courte durée. Les phares du bloc ouest finirent par crever le gaz sépulcrale de la nuit. Ils étaient arrivés à destination.

Au point culminant du Marché, le Nishi Chōme trônait fièrement tel un sémaphore inondant la baie de son halo convivial. Par chance pour son propriétaire, le coup de feu nocturne n'avait pas encore retentit et lui ménageait tout juste le temps de se faufiler discrètement, hors de vue de ses subalternes. D'une main tendue, l'enfant-loup attirait Brynn contre lui et la conviait à la suivre à travers le grand escalier menant directement à l'aile centrale. Oh, elle devait avoir une myriade de questions, mais il était impératif pour le jeune maître de passer inaperçu. Aussi manquant certainement de tact, il la poussa marche après marche. Un sourire d'imbécile renversant le teint glacial auquel ses kyodai s'étaient acclimatés, le yakuza avait l'impression de rentrer par effraction dans sa propre demeure, un sentiment bien ridicule, mais vivifiant.

La porte glissa entre sa paume preste et s'ouvrit sur un bureau de plein pied dont le plafond enchanté noyait d'une lumière artificielle ses appartements privés. Le centre névralgique des opérations de la succursale anglaise, en quelque sorte, le nerf de la guerre financière et idéologique qu'il menait au nom de son clan. Le pouls frappant ses tempes, les poumons rincés d'épines, l'asiatique barra la seule issue de son tout corps, comme réjouit d'avoir contourner la vigilance de ses sentinelles. Enfin presque toute. Un raclement de gorge bien distinct lui ôta cette piètre victoire. Un homme les fustigeait tour à tour du regard. Entre amusement et sarcasme, le Wakagashira n'aurait su dire si son plus proche conseiller se moquait ouvertement de lui ou prenait la situation à la légère. Une grimace évinçant le triomphe, le kashira le congédia d'un revers de patte enfantin. Sans croiser les amandes de son Chīfu ou de l'étrangère, ce stéréotype mafieux s'inclina copieusement avant de se retirer.  

Brynn plissa le regard, prudente et amusée par le soudain élan d’excitation qui semblait traverser Viper. Elle ne l’avait jamais vu ainsi à Poudlard, mais à Gorsedd, ils avaient eu des moments de joie, des moments où le loup pouvait n’être que lui-même comme maintenant. La petite nymphe eut finalement un petit rire joyeux à son tour, avant de lever les yeux au ciel et de s’approcher.

« Ne me fais pas tomber, c’est tout ce que je te demande », et elle s’approcha doucement, enroulant ses bras autour du cou de l’enfant-loup, à la façon d’un serpent blanc à la peau fraîche. Le nez collé dans la naissance de ses cheveux, elle inspira profondément et soudainement, le loup était partit, non sans secouer quelque peu la nymphette. Ce n’était pas aussi douloureux que la fois où Myrddin et elle avaient tenté de monter des cerfs bayards, ou lorsqu’un griffon s’était pris d’affection pour elle, mais ça n’en restait pas moins sportif.

De petits rires filaient sur les lippes de la galloise qui s’accrochaient, parfois un peu plus désespérément qu’elle ne l’aurait dû, mais que ce fut la cadence ou la vitesse, elle se sentait soudainement chatte et enfonçait de nouveau ses doigts dans le torse de Viper, avec l’espoir fou que ça suffirait à ne pas tomber.

Elle eut un temps de calme où elle déposa sa tête contre lui, observant du coin de l’œil ce nouveau monde qu’elle n’avait pas quitté depuis qu’elle était entrée avec l’homme aux cartes. Elle ferma les yeux un instant, mais Viper redémarra, chassant ses pensées. Elle ne relâcha son étreinte qu’au moment où il la laissa retomber à même le sol. Son visage se leva naturellement vers les nombreux éclairages que le bâtiment hors du commun, qu’elle avait vu de loin mais n’avait pas approché, renvoyait comme un halo tendre.

L’enfant-loup ne lui laissa guère le temps de repaître sa curiosité que tantôt il la poussait, tantôt il la tirait, toujours pour avancer. Elle plissa les yeux en passant sous le grand hall, et ses iris ophidiennes se fendirent davantage encore quand ils arrivèrent tant bien que mal dans une énième salle, car plus ça allait, plus ses talons se faisaient lourds et moins elle avait envie d’avancer, non pas réticente à le suivre, mais rendue moins légère par le poids des questions qui s’accumulaient sur sa langue serpentine.

Le regard de Brynn passa sur les alentours alors que ses petits poings se refermaient sur eux-mêmes, très lentement, et alors qu’elle allait pour dire quelque chose, un raclement de gorge la coupa net. Elle se retourna doucement pour voir un homme, assez jeune, qui ne ressemblait à personne qu’elle eut connu avant. Un ami ? Les lèvres fermement pressées l’une contre l’autre, la jeune Gwent attendit que l’homme ne quitte leur vision pour tourner ses iris rendus presque oblongues sur l’enfant-loup.

« Les choses s’arrangent, mh ? Si je suis Princesse de mon taudis, qu'est-ce que tu es, ici ? »

La galloise avait toujours eu un visage expressif, mais il semblait que cette fois, on pouvait y lire tout ce que ces quelques mots signifiaient vraiment. Elle n’était pas fâchée en réalité, mais plutôt moqueuse et en même temps surprise. D’une certaine façon, tout ce qui l’entourait lui semblait irréel, et en même temps, la chaleur de Viper ne pouvait être le fruit d’une illusion.

Lentement, Brynn recula, jeta un œil autour d’elle, comme si elle découvrait des choses secrètes. Est-ce que pendant tout ce temps, Viper s’était caché ici ? Et s’il s’était caché ici, pourquoi venir à Gorsedd alors ? Et ces hommes, qui étaient-ils exactement ? Des amis ? Elle inspira profondément, tentant de calmer ce qui commençait doucement à se déverser en elle, à savoir un flot continu de remise en compte de ce qui avait été, puisque jusque-là, elle n’avait jamais vraiment osé demander. Par pudeur et par respect, de la même façon qu’elle n’avait jamais demandé d’où venaient les marques dans son dos qu’elle avait tant de fois effleurées les nuits qu’ils passaient ensemble.

Elle leva la main, la passant sur son propre visage, alors que partout où elle posait les yeux, elle se perdait à découvrir de nouvelles choses. Tout lui semblait flou, incongru, bizarre. La sensation était désagréable.

Et l’attitude du pauvre gars qui s’était incliné, sans même les regarder… Que faisait-il là ? Son attitude, à la façon des chiens, avait semblé plus que respectueuse, presque servile. La brune releva sur Viper ses yeux verts, avant de regarder une dernière fois autour d’elle. Non, elle ne pouvait pas… C’était forcément vrai. Tout ça était forcément vrai.

Le cœur rendu plus calme dans sa poitrine par le silence et la contemplation, elle ravala sa salive, soufflant :

« Est-ce que tu veux m’en parler ? Ou est-ce que je dois faire comme si je n’avais rien vu ? » Ce fut dit sur le ton le plus simple et le plus honnête qui soit ; sans animosité, sans sarcasme. Une simple demande, comme il arrivait à la fille-serpent d'en faire, puisqu'elle était de ces êtres au sang-froid. Brynn savait contenir sa curiosité. Ses doigts évitaient avec soin de toucher à la moindre chose, car tout lui semblait somptueux et elle sortait de plusieurs heures à patauger avec les bonnets rouges et à nourrir des cancrelats iridescents. Elle se sentait un peu plus petite que ce qu’elle était, écraser par les éclairages et le silence.

« Est-ce que j’ai le droit d’être là ? »

Il avait mis tellement d’efforts à être dans le secret, qu’elle ne savait même plus si elle était une invitée ou autre chose. Est-ce qu’elle avait seulement le droit d’être avec lui ? Est-ce que Viper était le fils de quelqu’un – quelque chose ? – de bien plus grand qu’elle ? Et qu’est-ce que ça signifiait Kareshi de toute façon ? De nouveau sa main se posa sur son visage alors qu’elle jetait un regard en coin aux alentours, tentant de comprendre.

L'enfant-loup se renfrogna, malgré une position avantageuse fraîchement acquise, il lui était presque inconcevable que le concept d'intimité ou d'espace personnel ait pu un jour venir à l'esprit de ces Kyōdai. Le fidèle conseiller de son frère évanoui dans le dédale de couloir du Nishi Chōme, le louveteau se releva en quatrième vitesse. Comme pris sur le fait accompli, son regard se détacha de la fille de Gorsedd. Le lobe de son oreille fauchée entre son pouce et son index, le garçon sentait le fard lui monter aux joues. À présent, il lui était impossible d'échapper à une explication des plus sérieuses. Silencieux, les mains derrières le dos, il approcha de sa promise tout en prenant soin de lui accorder un instant pour se remettre de ses émotions.

En l'amenant ici, l'obake avait eu à cœur de lui montrer le monde dans lequel il était désormais appelé à vivre. Un royaume où le principe du jingi (honneur et devoir) rythmait une organisation diablement bien ficelée. Et de vaines paroles n'auraient su se suffire à elles-mêmes afin de répondre à toutes les interrogations de la Gwent. Aussi en gage de sa bonne foi, la crapule avait saisi l'occasion de lui ouvrir les portes de sa réalité. Ses talons raisonnant dans l'immensité circulaire de l'antichambre, l'ōkami se dépêtra de sa pélerine. Il se mit à son aise avant de tourner calmement autour d'un serpent hagard. Un sourire greffé d'un soupir amusé lui glissèrent avec naturel entre les lèvres au verbe moqueur de la nixe.     

« Je sais pas, un chauffage d'appoint pour un siège éjectable qui m'appartient sans vraiment m'appartenir ? », qu'il se contenta de répondre d'un haussement d'épaules mièvre accompagnant une sincérité innocente. Il se serait bien targuer d'un "je te l'avais bien dit" commode, mais le moment ne se prêtait pas réellement à un trait d'humour plus que douteux.

« Crois le ou non, c’est tout aussi nouveau pour moi que ça ne peut l'être pour toi ! » "D’une certaine manière", cet éclat de lucidité n'était ni une vérité trouée, ni un mensonge absolu.

Une particule solennellement apposée au cul d'un sobriquet et il s'était retrouvé catapulter en charge des affaires familiale dans ce pays d'adoption qu'il chérissait. Désormais à la direction de cette succursale réaménagée en un palais de vices et d'argent, il aurait eu du mal à faire croire à quiconque qu'il menait sa barque avec brio. La vérité était ailleurs, le gamin avait encore du mal à s’accoutumer à toutes ces révérences et ce respect, lui le second à naître, la tâche sur l’immaculé patronyme d’un sang divin. En monstre reconnu, Viper s'était habitué à n'être qu'un chien de garde, un moins que rien auquel on refilait la besogne la plus ingrate qu'il soit.

Contrairement à Hoori, l'Inu avait sué sang et eau avant de se hisser sur un trône de seconde main. Privé de tout depuis son plus jeune âge, Viper n'avait jamais eu accès aux privilèges ou à l'éducation traditionnelle du clan que l’on réservait d'ordinaire à l'héritier. Ainsi, certaines ficelles de ces activités souterraines venaient encore à manquer à son vocabulaire.

« En l'absence de mon frère, je suis le Kumichō de toutes les personnes placées sous ma responsabilité et le Waka-gashira de tous les autres membres d'une famille élargie au-delà du lien du sang.» Le bakemono s'exprimait d'une voix posée et calme, un quasi-murmure susurré à l'oreille ophidienne de la dompteuse de reptiles.

« Et Shūgorō, que tu viens de croiser, me seconde en tant que Shatei-gashira ! À nous deux, nous protégeons et conseillons les Kobun du clan Ryūjinchi en échange de leur fidélité inconditionnelle… » finit-il par réciter.

Les iris suivant les faits et geste de la brune, d'un pas fantomatique, le mononoke s'échoua contre la bordure de cette table massive jetée au milieu de cette pièce grandiloquente, vestige de l'ancien régime de l'autocrate déchu. Les bras croisés contre sa poitrine, le lycanthrope souffla non content d'avoir domestiqué les tenants et aboutissant d'une fratrie échappant au sens commun. L'ouïe tendue et à l'aguet d'un changement d'atmosphère, Viper couvait de l'onyx d'un regard bienveillant les allées et venues de la nymphette. Il aurait été à même de comprendre si ce raz-de-marée de données mettait en lumière chez Brynn un sentiment illusoire, ce "presque trop beau pour être vrai" qu'il avait ressenti une fois l'épée de Damoclès que représentait son paternel anéantie.

Pour un œil étranger, cette vague d'informations devait paraitre surréaliste, alors refusant de la brusquer plus que de raison, le kashira la laissait volontiers mener la conversation. Une risette distraite harponnant sa lippe, il hocha légèrement la tête en guise d'approbation. Il était prêt à vider son sac. Et tant pis si elle prenait la tangente face aux risques que sa position impliquaient. Le temps des secrets était révolu. Quittant son siège de fortune, le loup avança graduellement vers l'enfant du tertre. Tout en finesse, ses doigts se nattèrent aux écailles bandées de la couleuvre, ses billes de jais noyées dans l'écume de prunelles au jade charmeur. Son front brûlant amarré contre les lignes d'une chevelure inégale, sa patte libre effleura la pommette de la naïade.  

« Tu fais en quelque sorte partie de la famille… alors sois curieuse et demande moi ce que tu veux. la rassure-t-il d'un chuchot joueur. Et techniquement, ce qui est moi est aussi à toi… Du moins, je crois que c’est comme ça qu’ils voient les choses ! » Un rictus à la commissure des lèvres, sa main-forte incitait la nixe à prendre pleine possession des lieux.