Like a moth to a flame — ft. Sheraz Mahal

ft.  @Sheraz Mahal

Cette conversation à cœurs ouverts la ramenait quelques mois en avant, quand tout était plus simple et plus compliqué en même temps. Toutes ces étapes par lesquelles passait actuellement Sheraz, elle y était passée elle aussi.

La peur de s'exprimer sur ce sentiment si particulier qu'était l'amour, d'abord. Avouer ses sentiments à l'être aimé était à bien des égards comparable à la douce sensation que pouvait procurer un saut dans le vide sans aucun système de sauvetage. Autant dire que ça n'était pas bien agréable de se voir tomber mais de devoir se laisser faire quand même.

Et cette impossibilité quasi symptomatique d'avouer toute la teneur de ses sentiments à la personne concernée lui était bien plus familière que Sheraz n'aurait pu le penser : par un malheureux concours de circonstances, c'était @Xris Andērson qui avait obtenu la primeur de l'aveu. Mais la technique du Veritaseum dans la salle commune avait beau avoir prouvé son efficacité, Siobhán ne se voyait pas la conseiller à son meilleur ami.

Aussi, elle se gardait bien de mentionner cette potion.

« Je sais... »

Elle savait avec une telle précision ce qu'il ressentait, d'ailleurs, que de le voir en passer par là lui procurait à quelque chose près les mêmes sueurs froides que lorsqu'elle avait traversé le château de part en part pour retrouver Edel et lui avouer qu'elle l'aimait.

« Je n'ai pas de conseils à te donner sur la façon de lui avouer. Toi seul saura quand ce sera le moment et quand tu devras y aller. Et si tu doutes, c'est que ce n'est pas le moment, tu m'entends ? »

À les voir tous les deux, à l'abri des regards indiscrets, on aurait presque pu croire que le Poufsouffle s'apprêtait à entrer dans la fameuse arène du Marché aux Trolls et qu'il se faisait coacher par un de ces types à la gueule cassée.

« Ce que je peux te dire en revanche, c'est qu'une fois que ce sera sorti, tu te sentiras libéré. Et c'est à ça qu'il faut te raccrocher si tu sens que tu as besoin d'un coup de pouce, le jour J. Quel que soit le scénario, avouer ses sentiments à l'égard de l'autre est profondément libérateur. Souviens-toi en. »

Elle se sentait le devoir de confirmer à Sheraz cette peur panique avait ses limites - et quel soulagement c'était de savoir que ses sentiments étaient réciproques. En attendant, il lui faudrait patienter, même si ce n'était pas la partie la plus agréable.

L'amour demandait de la patience. Encore fallait-il qu'il soit capable d'attendre, mais ça, c'était une autre histoire. Une étape qu'il n'avait pas encore atteint.

« Non, bien sûr que non », répondit-elle sur le vif alors qu'il insinuait qu'elle manquait d'objectivité sur la relation entre @Selma Montero et sa soeur. « Ce n’est pas ce que j’ai dit. Mais tu ne peux pas nier que si @Alejandra Montero te gifle des qu’elle se sent d’humeur destructrice ou que vous vous disputez, ça ne va pas être évident à gérer. »

C'était un fait. Et Sheraz n'était pas du genre à nier les faits.

Ou alors, la légende selon laquelle l'amour rendait aveugle était-elle avérée ?

Quoiqu'il en soit, cette possibilité lui arracha une grimace. Elle aurait bien voulu donner quelques conseils à Selma sur la façon de gérer un jumeau trop possessif, mais à en croire la suite des mots du préfet, aucun de ses conseils ne seraient les bienvenus.

La demie-vélane en fronça même les sourcils d'étonnement, comme si cette théorie était invraisemblable. Et pourtant, à mesure qu'il lui donnait des explications concernant le pourquoi du comment, tout paraissait plus limpide.

Au-delà d'être la nouvelle copine de son ex du passé, Siobhán était devenue l'amie gênante de celui qu'elle aimait dans le présent. En somme, elle n'avait rien pour plaire aux Montero et leur amertume envers sa personne se justifiait. Mais ce n'était pas le seul élément qui faisait sens, là-dedans.

Bientôt, ses sourcils se détendirent de nouveau et son visage s'illumina. Sheraz se montrait étonnement clairvoyant sur la jalousie naissante de Selma et pourtant, cela ne lui suffisait pas à mettre le doigt sur l'évidence.

Quelque chose clochait.

« Mais c'est une très bonne nouvelle qu'elle soit jalouse, Sheraz. Ça veut dire que ce que tu ressens pour elle est réciproque. »

Et c'était un bon début. Combien de personnes avaient dû connaitre les douleurs d'un amour à sens unique ? Alors pourquoi Sheraz ne se satisfaisait-il pas de ça ? Elle marqua une pause avant de reprendre, davantage sur la réserve :

« Et ensuite quoi ? Il y a eu autre chose ? Sheraz tu ne peux pas - Je ne peux pas t'aider si tu ne me dis pas tout ce qu'il s'est passé. »

Elle s'efforçait de ne pas laisser de place aux scénarios qui naissaient dans sa tête. Si Selma lui en voulait tant que ça, c'était probablement qu'il n'avait pas su trouver les mots pour la rassurer sur la nature de sa relation avec Siobhán, ou bien qu'il avait été suffisamment maladroit pour la faire douter.

Rien d’irréparable, en soit.

À aucun moment elle n'imaginait que son amitié avec Sheraz puisse être le seul et unique obstacle à leur relation.

ft.  @Sheraz Mahal

Sans le savoir, elle venait de tomber juste. Ses questions allaient chercher exactement les réponses qu'il fallait pour l'aider à donner du sens à tout ça. Il existait donc bel et bien une raison tangible à la pièce manquante du puzzle de leur histoire. Et à en croire ce ton de voix changeant tout à coup, Siobhán n'était pas au bout de ses surprises.

D'ailleurs, elle ne comprit pas tout de suite comment ils en étaient arrivés à parler d'Edel. La mention de ce prénom qu'elle s'efforçait d'oublier jour après jour lui fit relever les épaules et adopter une posture plus droite. C'était sa manière de se préparer physiquement au pire, parce qu'à ce stade de leur discussion, il ne pouvait être plus question que de ça. Mais même dans les plus terribles scénarios qui se faisaient et se défaisaient déjà dans sa tête, elle n'aurait pas pu s'attendre à ce que Sheraz lui raconta ensuite. Son discours avait beau être brouillon et confus, tout était plus clair désormais.

« Attends. Qu'est-ce que ça veut dire ? », demanda-t-elle, les sourcils froncés.

En vérité, elle posait la question plus pour confirmer sa théorie que par réel soucis d'entendre la réponse. Au cas-où il existait encore une infime chance qu'elle ait pu faire fausse route, elle devait s'en assurer.

« Il m'a dit... Sheraz ce ne sont pas nos affaires, pourquoi... ? »

Parler au nom des autres était ce qu'elle détestait le plus au monde. Mais être tenue responsable d'un crime qu'elle n'avait pas commis était pire encore, parce que ça relevait de l'injustice. Que Sheraz puisse être mêlé d'une quelconque façon à ces histoires de famille était en revanche intolérable.

« Je sais qu'une partie de la famille d'Edel est responsable de la disparition de leur mère. Mais ce n'est pas parce qu'il porte leur nom qu'Edel doit porter la responsabilité d'un meurtre qu'il n'a pas commis. Moi non plus. Et toi encore moins. »

Comment Selma pouvait-elle refuser à ce point de voir l'évidence ? Siobhán avait perdu une mère, elle aussi. Elle connaissait tout de ce besoin fourbe et maladif de trouver un fautif à tout prix, comme s'il pouvait y avoir une chance que ça apaise la douleur de l'absence. Mais dans le cas présent, les soeurs Montero se trompaient de cible.

« Si je comprends bien, c'est soit Selma, soit moi ? »

Son ton, rempli de rancœur, était la preuve que l'idée d'être un obstacle à cette histoire d'amour lui était insupportable. Mais Sheraz était trop important pour elle et l'amitié qu'elle entretenait avec lui était de loin la plus pure et la plus désintéressée qu'elle ait jamais connue. Y renoncer, c'était renoncer à une partie d'elle qui l'aidait chaque jour à se sentir plus complète. Ce n'était pas le genre de relation que l'on balayait d'un revers de la main sous prétexte que quelqu'un d'autre l'avait plus ou moins gentiment demandé.

@Selma Montero n'avait pas le droit. @Alejandra Montero non plus. Personne d'autre n'était en droit de décider de l'avenir de leur amitié. Personne, à part eux.

« Laisse-moi aller lui parler. S'il te plait. » Elle marqua une pause, ce qui eut pour effet d'interrompre la montée rapide de ses larmes. Parce qu'elle-même se surprenait de demander aussi clairement l'autorisation. Mais quand bien même son meilleur ami refuserait d'accéder à sa requête, Siobhán ne pouvait pas vraiment faire autrement. « Je ne veux pas vivre avec ça. »

Avec cette culpabilité démesurée que l'on ressentait quand on nous tenait responsable de la mort de quelqu'un qu'on avait jamais entendu, vu, connu.

Ou encore, plus simplement, celle d'être un frein au bonheur de quelqu'un qu'on aimait, quand bien même on ne voulait rien d'autre que son bien.

Non, définitivement : Siobhán pouvait faire bien des choses, mais vivre avec ces pensées-là  était au-dessus de ces forces.

ft.  @Sheraz Mahal

Il n'était même pas question de sympathie ou de quelconque effort de politesse. Siobhán n'attendait rien de la part de @Selma Montero ni d'@Alejandra Montero. Seulement de ne pas être accusée d'un crime qu'elle n'avait pas commis, ni orchestré de près ou de loin. Et bien qu'elle s'apprêtait à répliquer, elle ne répondit rien. Ce n'était pas franchement le moment de se montrer plus têtu qu'un hippogriffe.

En revanche, quand il insinua que c'était elles ou rien, elle ne put s'empêcher de réagir à la mention de la seconde option.

« Ne pense pas que tu vas te débarrasser de moi comme ça. »

Siobhán n'avait pas dit son dernier mot et elle comptait bien tout faire pour débloquer la situation de son ami. Quitte à s'y brûler les plumes, au passage. D'ailleurs, le Poufsouffle ne chercha même pas à la retenir. Il la connaissait suffisamment pour savoir que c'était peine perdue. Quand elle avait quelque chose en tête, il lui était difficile d'en faire abstraction.

« J'ai compris, oui. Si je ne veux pas perdre mon meilleur ami, j'ai plutôt intérêt à être efficace. »

Ce n'était pas vraiment ce qu'il avait dit, mais c'était ainsi qu'elle concevait les choses.

Parce qu'il était hors de question qu'il renonce à son histoire par sa faute.