The flying leaf || Ambroise

Debout au bord de la falaise, les yeux clos, j’écoute le vent, ses murmures, ses chants, me laisse bercer, tenter. Lorsque j’ouvre mes paupières, mes yeux se posent sur les vagues qui s’écrasent avec fraquas contre la roche. La nature dans toute sa beauté et sa violence. Je lutte contre l’envie de plonger dans le vide, de savourer la chute avant de me laisser gagner par le feu intérieur et porter par les bourrasques, pour profiter d’une liberté que j’ai déjà l’impression d’avoir perdue, à peine mes valises posées. Cette histoire de villages magiques limités, ces interdictions, cette surveillance accrue… C’est une situation contre nature pour ceux qui, comme moi, passent leur temps sur la route, et qui ne m’a certainement pas empêchée de me glisser hors des frontières autorisées, n’étant pas à une règle près.

Je remonte ma grosse écharpe sur mon nez froncé car peu coutumier à cet air marin, et soupire en admirant encore quelques secondes le paysage qui s’offre à moi avant de prendre la direction de la boutique qu’@Aram Romanez m’a conseillée quand je me suis plainte des plantes rabougries qu’on trouve actuellement au Marché aux Trolls. Si certains de leur client ne sont pas regardants, je préfère encore enfreindre le décret pour acheter l’herbe plus verte du voisin...

J’ouvre la porte de la boutique, faisant tinter une cloche cristalline, et savoure aussitôt les parfums qui m’assaillent, me coupant de l’air iodé. Mes prunelles sont aussitôt attirées par les vitraux avant de se poser sur les étagères chargées de fioles. Tournant le dos au comptoir, je rabats la capuche de mon manteau et retire mon écharpe alors que je me rapproche de ces étagères. Absorbée par l’observation des produits alignés, je manque de sursauter lorsqu’une voix s’élève derrière moi. Je me retourne avec un sourire aimable sur le visage avant de le perdre immédiatement en reconnaissant l’homme.

« Ambroise… ? »

Je reste interdite un petit moment, partagée entre l’envie de lui sauter au cou face à ces retrouvailles inattendues et l’agacement d’avoir été à ce point mise dans l’ignorance de sa présence ici. L’arrêt de nos échanges avait été aussi difficile à digérer que son départ de la réserve… Je me rapproche du comptoir d’un pas léger, écharpe toujours en main avant de la glisser dans mon sac en bandoulière.

« Ça pour une surprise ! C’était donc ici que tu te cachais… »

Mes mots sont teintés de reproches, cependant je me reprends rapidement et désigne la boutique, un sourire timide aux lèvres.

« Te voilà bien loin des dragons, monsieur le dresseur. »

Le plaisir de le revoir l'emporte sur l'amertume et je lui fais signe d'approcher, dans un sourire bien plus sincère et joyeux, les bras grand ouvert pour accueillir le gaillard aux cheveux d'or.

Ambroise était confortablement installé sur le fauteuil de sa cousine, en train de feuilleter les nouveaux contrats avec les laboratoires Flemmings, Amaranth avait signé des deals tout à fait avantageux avec l'héritière  @Aena Nightingale. Les pourcentages étaient honnêtes, et l'une des affaires ne porterait pas le nom des Mapleleafs. Leur assurant une nouvelle source de revenus, et d'anonymat. L'écarlate avait un sens aigue des affaires, et ajouter toujours Ambroise sur les pourcentages, lui assurant une rente confortable. Après tout, il géré aussi l'entreprise, quand elle n'était pas là.

Elle l'était la seule, ou presque pour qui le dresseur acceptait de renoncer à ses vadrouilles. Bien qu'elle ne lui ai jamais demandé quoi que ce soit. Il restait parce qu'elle était sa soeur, presque. Sa mère s'inquiétait toujours pour elle, et prenait des nouvelles grâce à son fils. Moirà restait à distance, à cause de la matriarche et de sa position dans la famille. La dernière de la fratrie n'avait jamais obéis à sa mère, et avait fait le choix de fuir en France et de se consacrer à la vie, et à celles des animaux. Moirà n'avait jamais partagé les allégeances et le commerce de mort de sa famille. Elle avait toujours admiré sa belle soeur, Varda qui avait fait changer le coeur de son frère, et qui avait apporté la rédemption. A sa mort, elle s'était même proposée d'élèver sa nièce, Roderick étant dans un état second. Mais Agrippine l'avait banni. Et les sortilèges de sang, étaient difficiles à rompre. Elle n'avait jamais remis les pieds au Domaine. Son fils, veillait pour elle.

Ambroise se fit surprendre par la clochette de l'entrée, et se redressa en acceuillant le client de sa voix puissante et chaleureuse.

- Bienvenue à la Boutique Mapleleaf ; Serres Apothicaire et Botanistes ! Comment puis-je vous aider? Son regard clair se posa sur la silhouette encapuchonnée, découvrant avec stupeur l'identité de la " dite " cliente.

« Ambroise… ? »
« Ça pour une surprise ! C’était donc ici que tu te cachais… »

- Naïri ! S'exclama t il, plus choqué que surpris. Que faisait-elle, en Angleterre et ici dans la boutique familiale. Il perçut un air de reproche dans ses mots déguisés. Il ne releva pas. C'était peut être mérité. Les derniers mois, il n'avait pas donné de nouvelles. Et avec la tsigane tout était confus et intense.

« Te voilà bien loin des dragons, monsieur le dresseur. »

Elle rangea les crocs, et s'adoucit. Son sourire était le même qu'il y a des années. Il ne pouvait argumenter avec celui-ci. Son appel à l'accolade, le rassura. Et sans fausse modestie, ou timidité il rejoint son étreinte, et enfouie son visage dans sa chevelure brune et sauvage. Retrouvant le parfum de ses tourments. Il ne l'avait jamais oublié, cette effluve qui pouvait lui faire perdre le sommeil. Tendrement, il embrassa sa joue.

- Il y a des créatures bien plus terribles que des dragons par ici... des agents du Ministère, pire encore.. des comptables ! Plaisanta le colosse au sourire facile.

Il la laissa s'échapper de ses bras, pour reprendre une distance disons correcte.

- Il me semble que tu es loin de tes roulottes, et des carpates ? Questionna t il à son tour, nostalgique des terres de l'est. Est ce que tout va bien pour toi ? Enchaina t il, soudain inquiet. Que faisait elle dans ses terres reculées, dans cette boutique ? Avait elle besoin d'aide ? D'une plante ? De soins ?

Mon cœur a comme un raté quand il embrasse ma joue. Je cligne des yeux, fronce légèrement les sourcils face à la réaction de mon corps. Malgré toutes ces années… bon sang ! L’homme qui murmure à l’oreille des dragons me trouble encore.

« Je leur préfère largement les dragons, bien moins sournois ! »

Que je ris à la blague du grand blond. Bien que je sois sérieuse concernant les agents du Ministère. Ils n’ont jamais été fans des miens, de notre mode de vie. Ils ont une certaine obsession pour nos habitations, menacent régulièrement d’y mettre le feu… Un pays très accueillant. Au moins, avec les créatures fantastiques, on sait généralement à quoi s’attendre, pas de faux semblant.

« C’est là tout l’avantage des roulottes, dresor *, ça se déplace au besoin. »

Je lui réponds avec un sourire mutin. Une nomade perdue sur l’île anglaise n’est pas ce qu’il y a de si surprenant. Mais il est vrai qu’il ne sait rien sur l’aspect de ma vie qui me pousse à tant voyager et à venir m’échouer sur cette côte. Il ne connait de moi que ce que je laisse voir. Le chant, la danse, mes peintures… ça ne dévoile rien de risqué, ça ne montre que ce que je peux partager.

« Je vais rester quelques temps à Londres mais j’ai un peu de mal à m’acclimater. Aram aime sauver les âmes perdues qu’il croise, apparemment… la dernière recueillie plombe un peu l’ambiance à couiner tous les soirs, elle me fout le bourdon et je n’arrive pas à trouver le sommeil. Le problème c’est que je finis sur les dents. Et une malédictus insomniaque ce n’est pas l’idéal… »

Je me passe les mains sur le visage et soupire. Si je deviens victime de mes humeurs, il ne restera bientôt plus grand-chose du campement. Juste une nuit à dormir du sommeil du juste, c’est tout ce que je demande. De quoi recharger mes batteries, calmer mon dragon intérieur, l’amadouer et garder le contrôle. Sinon, il me faudra aller poser mes valises ailleurs, m’isoler. Aller là où je ne risque pas de blesser qui que ce soit en déployant mes ailes. Ce qui compliquerait ma mission, le campement étant l’endroit idéal pour laisser traîner mes oreilles de par son emplacement. Le tract trempé et fatigué que j’ai trouvé sur le sol d’une ruelle me le prouve, le Witan rode au Marché…

« Ce que j’ai pu trouver au Marché aux Trolls ne ferait l’affaire que pour une tisane de grand-mère, il me faut de la qualité et c’est ce qui m’amène ici. Je ne sais pas encore si c’est pour le cabot qui hurle à la pleine lune ou pour moi, mais dans les deux cas il me faut du costaud. J’envisageais quelque chose comme ce que vous appelez un philtre de mort vivante. Il me faudrait de l’armoise, de l’asphodèle… Et de la valériane. »

Si je n’arrive toujours pas à dormir avec ça, j’utiliserais la valériane pour lui faire oublier ce qui la rend triste et on n’en parlera plus. Ça, ou alors ça se terminera en kebab. Mais il paraît que ce n’est pas correct de traiter ainsi les invités, alors… Je vais faire au mieux pour que ça ne dérape pas et me comporter en gentille dragonne.

« Après, si tu as une meilleure idée pour m’assommer, monsieur l’expert, je suis preneuse. »

Ambroise ne manqua pas de remarquer l'étrange gêne qui s'empara de son visage, l'espace de quelques secondes. Etait elle encore contrariée par le peu de nouvelles qu'ils avaient échangés, ou bien le souvenirs douloureux de son départ de la réserve. Il y a des années. Il avait renoncé à son regard sombre il y a bien longtemps, elle lui préférait ses semblables ou encore Ayden. Le Mapleleaf ne pouvait lui en vouloir, Ayden était hypnotique, et bien plus élégant que le bourru qu'il était dans sa jeunesse. Son coeur se serra, il préféra se concentrer sur l'explication de sa venue en Angleterre.

Il avait du mal à l'imaginer dans les rues bouillonnantes et brouillantes de la Capitale. Elle qui n'aimait que les grands espaces, et la nature aussi sauvage que ce qu'elle cachait sous sa peau miel. Des écailles dont la beauté pouvait rendre fou, un mortel. Une femme, une tsigane, une sorcière, un dragon. Maledictus. D'une rareté unique. Et son sommeil en était troublé. Un détail qui pouvait conduire aux pires catastrophes. Quand un double aussi, puissant ne trouvait pas la paix, tout le monde pouvait en souffrir. Il faisait la comparaison avec sa cousine, qui souffrait d'un mal presque similaire. Sans qu'il est besoin d'y mettre des mots, il avait très vite compris que dans les entrailles et l'âme d'Amaranth se terrait un double à la fois salvateur et meurtrier. Bien sur, il n'en dirait mot.

- J'ai une poudre qui conviendrait tout à fait à l'animal qui trouble ton sommeil, ma cousine a une sainte horreur de ce genre de sac à puces.. Recemment l'un de ses cabots a bien failli la rendre folle.Grogna t il, sans élégance.

Il faisait référence à celle qui se présentait comme la cousine Yard. Un lycan n'avait rien à faire avec Ama. Elle souffrait déjà assez, et dès qu'une de ses créatures étaient dans les parages, elle revenait dans des états effroyables. D'abord Glenn, qu'il avait maudit, puis maintenant sa soeur. Définitivement, il ne voulait rien à voir avec cette sois disant famille éloignée. Ils avaient assez à gérer ici, leurs propres démons.

Un philtre n'était pas une mauvaise idée, mais peut être pas suffisant pour reprendre des formes et tranquiliser son double infernal. Ama, distillait sa propre création l'Algostrophe Maculatum.. Et il savait les effets et le but de cette mixure. Il jaugea la situation avec attention, cela semblait assez similaire. Mais il ne pouvait pas lui proposer cette solution sans s'assurer de sa fiabilité.

- J'ai quelque chose qui pourrait te soulager, et te permettre d'être en pleine forme, déclara t il d'un air pensif, en fouillant dans le comptoir. Il savait qu'elle laissait une réserve à la boutique, au cas ou. La dernière fois, qu'elle avait manqué ici. Elle s'était elle-même cruxifié la main.. pour arrêter la crise. Sans  @Nathanael E. Pierce, la suite aurait été une torture quotidienne. Il était soulagé que l'homme qui partageait son lit et sa vie était un médicomage de génie.

- Mais, tu dois dormir ici.. avec moi. Il s'empourpra. Non, je veux dire pas dans le même lit, enfin, dans la même pièce. En faite, je dois te surveiller. En tout bien tout honneur ! Les explications étaient mal parties. Il reprit une respiration profonde pour affronter son regard, et éclaircir la situation.

- Comment expliquer ça.. Amaranth souffre d'une certaine condition. Et elle a croisé des plantes, pour créer un hybride. C'est une brillante Botaniste, tu sais. Ma mère dit souvent, qu'Amaranth aurait pu être sa fille.. Elle prétend que le talent d'Ama vient d'elle, plaisanta t il pour détendre l'atmosphère. Ahem, et elle a mit au point un macérat, une mixure.. Il mit enfin la main dessus, une fiole à la couleur sombre et douteuse. Qu'il lui permet de plonger dans un sommeil - pour ne pas dire un autre mot - réparateur, et apaiser.. Mh, ce qui la trouble. Mais, le dosage et la prise requiert la plus grande prudence.. Je ne voudrais pas que tu t'endormes.. pour ne plus jamais te réveiller.. Je risquerai de voir débarquer..  @Aram Romanez et toute ta famille.

Ce matin il n'aurait jamais pensé qu'il retrouverait la Romanez dans la boutique familiale, encore moins qu'il lui ferait une telle proposition. Et pourtant, si Ambroise avait fait attention, il aurait remarqué que certains signes étaient là.

Je souris en coin quand il me propose de quoi régler l’histoire de lycan mais c’est surtout son grognement qui étire mes lèvres. C’est déjà ce qui m’avait plu, à l’époque, ces réactions vraies, sans filtres, sans chichis. Surtout lorsque je l’observais avec ses protégés, il faisait preuve d’un tel naturel avec eux, était si à l’aise, dans son élément… Ce qui rend sa présence dans cette boutique assez déconcertante.

« Ta poudre est tentante. Cependant, la louve est une invitée du clan. Elle est… protégée, en quelque sorte. »

Je marmonne ces derniers mots en levant les yeux au ciel. Je devrais me montrer plus tolérante avec cette femme. Après tout, ma mère aussi a cherché refuge chez les tziganes. Je fais partie de ces âmes perdues qu’ils ont acceptées… Je manque réellement de sommeil, c’est certainement la raison qui me pousse à ne pas l’apprécier, à ne voir que ses mauvais côtés. A ne pas comprendre le malheur de celle qui a un avenir possible, de celle qui aura toujours le choix de son apparence, de sa nature. De celle qui se dit abandonnée alors qu’elle pourrait rejoindre les siens si elle le désirait. De celle qui pleure alors que tout pourrait lui sourire. C’est peut-être par envie que je la prends autant en grippe.

Je suis intriguée quand il dit avoir en sa possession de quoi me requinquer. Je me penche sur le comptoir tandis qu’il le fouille mais manque de trébucher quand il précise les termes. Je me demande un instant si j’ai mal interprété ses paroles mais le rouge qui lui monte aussitôt aux joues attire mes prunelles sombres et tend à confirmer que non, j’ai bien entendu. Intéressant. Mais pas autant que son embarras qui m’amuse autant qu’il m’interpelle. Je décide de me glisser dans la brèche, un sourire provoquant aux lèvres cette fois quand je recroise ses yeux.

« Tu n’es pas censé m’inviter à dîner, d’abord ? Vous êtes toujours aussi directs, vous autres, les européens ? C’est ton côté français, c’est ça ? »

Je me rembrunis aussitôt quand son prénom franchit à nouveau sa bouche. Ah. Encore cette femme. Elle est donc toujours présente dans sa vie, bien intégrée dans sa famille… Je cache difficilement ma déception et l’expérience proposée n’en est que plus perturbante. Je l’écoute malgré tout d’une oreille attentive, même si sa boutade me laisse de marbre vu qu’il est encore question de l’autre femme, celle qui met une barrière entre nous depuis que j’ai appris son existence. Mes yeux caressent la fiole pleine de promesses et je hausse les épaules quand il me fait part de ses craintes.

« Une maledictus dans le comas ou… morte est un danger moins grand pour les autres. D’accord ! Tentons le coup, voyons ce que cette mixture peut faire sur moi ! »

Je suis réellement curieuse de l’impacte que le contenu de cette fiole peut avoir sur ma personne. Ayant confiance en l’homme aux cheveux couleur des blés, je ne m’inquiète pas. Seules les conditions me troublent. Je ne peux d’ailleurs m’empêcher de rajouter, menton relevé, peut-être pour lui faire piquer un autre fard et non sans une certaine sincérité :

« Ce n’est pas comme ça que j’avais imaginé une nuit ensemble. » Au cours des années, bon nombre de scénarios m’étaient venus à l’esprit et celui-ci n’en faisait clairement pas parti. Surtout pas avec cette ombre au tableau. « Et ça ne va pas déranger… Amaranth que tu la passes avec moi ? »

Il arqua son sourcil, une invitée des tsiganes. Une louve d'autant plus. Il manquerait plus que ce soit le même cabot qui fasse perdre le sommeil à l'héritière pour convaincre Ambroise d'utiliser l'arsenic de la boutique. Décidément, de toutes les créatures, les lycans n'étaient pas ses préférés. Il esquissa une grimace, avant de se faire surprendre par ses réflexions sur sa proposition audacieuse ou du moins en apparence.

- Euh, bien sûr que je te ferais à manger, je veux dire. Je vais pas te mettre au lit sans rien dans l'estomac, enfin. Il se massa la nuque, pas certain que ces explications étaient plus claires que les précédentes. On peut bien sur passer la soirée ensemble..

La réputation du pays de son père n'était plus à faire. Et Ambroise avait hérité du plaisir de la table de la France tout comme ceux de la chair, mais il demeurait toujours maladroit avec Nairi. Parce qu'il n'avait jamais été vraiment certain que son attirance soit réciproque. Et il s'était retiré sans un bruit. On ne force pas une femme à aimer, de quelconque manière. Il préférait l'avoir en amie, plutôt qu'elle déserte son existence.

Il sortit de derrière le comptoir pour lui indiquer le petit salon. D'un pas pressé, il atteint le plateau qui siégeait sur la table de bois massif, pour remplir deux verres d'une citronnade fraiche et toujours disposé à satisfaire les clients. Alors qu'il portait sa propre boisson à ses lèvres étrangement déshydratées par les retrouvailles. Il avala sa gorgée de travers à l'entente de la réflexion de la Romanez.

« Ce n’est pas comme ça que j’avais imaginé une nuit ensemble. »

Il manqua de s'étouffer dans un deuxième temps. Ambroise était à des années lumières d'imaginer un tel interêt pour sa personne. La seconde réflexion manqua de l'achever. Il ne saisissait pas. Que venait faire sa cousine dans l'invitation à dormir avec l.. sous sa surveillance. C'était le manoir familial, il était chez lui, il avait les clés.. Quelque chose manquait. Comme souvent, Ambroise était maladroit dans les signes, et les interprétations.

- En quoi ça dérangerait Ama ? Ma cousine ne s'intéresse pas à ce qui se passe dans mon lit.. Enfin, elle espère un jour que je lui présente une future madame Mapleleaf. Elle est persuadée que je suis l'avenir de cette famille... Parce que de son côté, c'est plus compliqué.. enfin ça va mieux, maintenant qu'elle est avec son médicomage ! Pierce, un chic type ! Déclara t il en dévoilant quelques détails de la vie sentimentale de sa cousine, avant de s'arrêter brusquement.

Ambroise se figea, une expression d'effroi passant sur son visage chaleureux et souriant. Il comprenait le ton suspicieux de la belle aux écailles. Le non dit qui teintait leurs échanges.

- Attends... Nairi, Amaranth Mapleleaf n'est pas ma épouse.... c'est ma cousine ! Déclara t il d'un ton choqué.

La provocation quitte mes lèvres pour laisser place à l’amusement un brin dissimulé face à sa réaction. Je le suis jusqu’au petit salon où je m’installe, prends la liberté de retirer mon manteau que je pose à côté de moi, dévoilant l’énorme pull en laine qui me sert de rempart face au froid humide et mordant des côtes britanniques, avant de lâcher mes remarques quelque peu directes qui n’ont pas l’effet escompté. Je porte mon verre de citronnade à mes lèvres, les yeux plissés, et je commence à saisir le malentendu alors qu’il s’étale dans ses explications. Plus tôt, je n’avais pas fait le lien entre la cousine rapidement mentionnée puis cette Amaranth. Là, c’est déjà plus clair par l’enchaînement de ses phrases et je commence à me sentir ridicule. L’expression de son visage, alors qu’il achève de confirmer ces soupçons, augmente mon sentiment de honte.

« Oh… ! »

Je plonge une nouvelle fois mes lèvres dans mon verre, me cache presque dedans alors qu’un rire gêné s’échappe de ma bouche. Mon rire augmente en intensité alors qu’il devient plus franc face à la bêtise dont j’ai pu faire preuve tout ce temps. J’éloigne le verre de mon visage avant d’en mettre partout dans mes éclats de rire et viens, de ma main libre, tenter de masquer mon visage qui prend à son tour des couleurs tandis que je détourne le regard.

« Ta cousine ! C’est que tu as toujours parlé d’elle avec une telle émotion… ! Ta cousine, ok. »

Je ris encore, essayant de me souvenir de ce qui aurait pu me mettre la puce à l’oreille à l’époque, rapprochant le verre de ma bouche pour y noyer l’embarras qui ne me quitte pas, auquel se mêles désormais des regrets. Moi qui me suis juré de vivre sans avoir à regarder en arrière en éprouvant ce genre d’émotion !

« Si j’avais su… »

Que je marmonne dans le verre avant de boire une nouvelle gorgée fraîche et salvatrice, noyant les derniers rires dans mon gosier. Quand je vrille de nouveau mes prunelles dans les siennes, les miennes sont plus pensives. La révélation de la cousine change la donne, amenant une possible nouvelle approche de la relation particulière que nous avions jusque-là. Persuadée que son cœur était pris, j’avais décidé de taire mon attirance pour le dresseur, n’étant pas une briseuse de ménage bien qu’un esprit libre. Ce que j’ai horreur des regrets. Non, je m’accroche au fait que, même si les choses auraient pu être différentes, je garde d’excellents souvenirs des moments partagés et c’est le principal. Quant à la suite… Je m’éclaircie la gorge et demande avec culot :

« Juste pour éviter un tout autre malentendu… Il n’y a personne qui serait contrarié que je passe la nuit ici ? »

Non pas que j'ai réussi à déterminer ce que l'information du lien familial implique réellement, cependant mon corps m’a déjà montré qu’il est toujours sensible à celui d’Ambroise, le simple contact physique qu’on ait eu me déstabilisant comme au premier jour. Et si je pouvais éviter de me méprendre une nouvelle fois, ce serait appréciable. J'aimerais savoir où je risque de mettre les pieds, avoir toutes les cartes en mains cette fois et non pas me baser sur des déductions erronées.

« Et donc tu travailles avec Amaranth, maintenant ? Tu ne deviens pas chèvre à être enfermé toute la journée ? » La question est sincère bien que surtout dans le but de noyer le poisson, de détourner la conversation, de façon plus légère. « Tu voyages encore ? »

Ambroise observa les différentes expressions se succéder sur le visage parfaitement dessinée de la belle tsigane. Etait ce donc ce quiproquo qui avait bâti un mur entre les deux adultes toutes ses années. Il reconnaissait qu'il parlait de sa cousine avec une tendresse que l'on attriburait volontiers à un être cher, mais pour lui c'était presque sa soeur. Il était son gardien, le plus proche confident. Le seul qui avait un influence direct sur Amaranth. Qui pouvait comprendre leur famille nécrosée.

- Elle est... comme ma soeur. Et j'ai toujours veillé sur elle.. Ajouta Ambroise, la gêne ne quittant pas son visage toujours aussi confus. Une simple confusion ? Amaranth était l'objet d'une discorde non dite depuis toutes ses années. La discrétion sur la nature même de sa famille était sans doute à blâmer. Les Mapleleafs n'étaient pas un clan sympathique.

Le fait qu'elle réitère sa demande, et la confirmation que personne ne soit dérangée par le fait qu'elle dorme au Domaine. Il passa sa main puissante sur son visage fatigué.

- Nairi, je t'assure que je ne partage ma vie avec personne.. ! Il toussota, il n'était pas à l'aise avec ce genre de conversation. Je veux dire, que je ne me permettrais pas de t'inviter pour te.. " soigner " si j'étais marié, ou en couple. Je ne suis.. pas quelqu'un d'infidèle ou de volage. Ajouta t il d'une moue presque vexée. Avait il donner l'impression de courir plusieurs dragonnes à la fois. Ambroise avait eu des aventures, bien entendue. Toujours en étant libre, et à sa connaissance, ses partenaires l'étaient aussi. Peut être que sa spontanéité avait été pris pour du libertinage. Il n'avait que faire des racontards, mais l'idée que la Romanez l'imagine en bourreau des coeurs et mari infidèle ne lui plaisait pas du tout.

Il acceuilla sa dernière question avec un certain soulagement. Changer de sujet lui permettrait de retrouver un peu plus d'assurance.

- Oui, mon oncle nous a quitté il y a un an, et Ama.. Il hésita à prononcer son prénom... a vite eu besoin d'aide avec l'entreprise, à ce moment là, elle enseignait à Poudlard.. donc je m'occupe des fournisseurs et rarement de la boutique.. Non, non je ne suis pas enfermé toute la journée.. Très souvent, je fais des achats pour le domaine, ou je suis en vadrouille dans le pays. Ama s'occupe de la clientèle le plus souvent !

Il s'hydrata avec une nouvelle gorgée, ravie qu'elle s'inquiète de son activité.

- On pense à engager pour les affaires courantes.. De nouveaux contrats, et projets arrivent. J'aime voyager, mais avoir un foyer est aussi agréable ? Passez un âge, la stabilité est une notion à approfondir. J'ai une maison, mais je peux.. toujours m'envoler vers de nouvelles aventures, et rentrer quand je le souhaite. Réfléchit il à voix haute. Le sentiment d'appartenance était parfois quelque chose d'étrange. Ambroise n'était pas attaché à la terre, mais à sa cousine. A ce qui pouvait être encore une famille, ses parents et sa cousine. C'est peu mais essentiel.

« Je croyais qu’il était simplement question de me surveiller en tout bien tout honneur ? »

Que je relève, sourcil arqué et les lèvres étirées en un sourire espiègle. Sourire qui se fane rapidement à la vue de l’expression que prend son visage. Ma bouche se tord à la constatation que cette conversation va de mal en pis et que mes taquineries se transforment en maladresses sans nom. J’en arriverais presque à regretter ce coup du destin, de l’avoir remis sur mon chemin… Si c’est pour que je gâche ces retrouvailles d’une façon aussi idiote. Je plisse le front et l’implore du regard.

« Excuse-moi, dresor. Je ne voulais pas laisser entendre que… Je me doute bien que tu n’es pas comme ça. »

Qu’il vaut mieux que ça. Mieux que moi. Ma poitrine se serre car je sais qu’aux yeux de beaucoup je fais partie de ces personnes volages et la façon dont il prononce cet adjectif m’est désagréable. Je m’enfonce dans la banquette comme pour disparaître, hésite même à me défiler pour l’expérience du coucher, de la potion. Si l’idée me semblait amusante au départ et des plus intéressante une fois la potentielle compagne retirée de l’équation, le malaise que je viens de créer me refroidie au sens propre. Un frisson me parcourt alors que je récupère mon écharpe dans mon sac et l’enroule autour de mon cou avant de boire doucement une nouvelle gorgée de citronnade et de reprendre d’une voix d’où perce la fatigue qui menace mon équilibre émotionnel.

« N’oublie pas que je ne maîtrise pas parfaitement toutes les subtilités de la langue de Shakespear. Si mon accent se fait plus discret avec les années, la gymnastique reste encore parfois laborieuse… Ce qui peut te sembler évident ne le sera pas forcément pour moi. Sans compter que, plus le temps passe et moins j’en ai devant moi. Alors, peut-être bien que je perds la patience des mots et que je deviens trop directe dans mes questions. Je ne voulais pas… t’offenser, Ambroise. »

Le manque de sommeil est tel que la simple idée de l’avoir contrarié m’est insupportable et pourrait me faire pleurer. Je ne saurais l’expliquer mais l’homme aux cheveux d’or m’a toujours intimidée. Est-ce sa stature impressionnante ? Le fait que je ne parvienne pas à le déchiffrer aussi facilement que certaines personnes ? Il est déstabilisant dans son attitude, dans ses réactions, et si c’était agréable et grisant la majeure partie du temps, cela me laisse parfois… fragilisée et déboussolée, comme là. J’étouffe au mieux la boule qui se forme dans ma gorge et me concentre sur son présent, sur les raisons de sa présence dans cette boutique.

« Je suis désolée pour ton oncle… mais je note que je suis particulièrement chanceuse d’être tombée sur toi aujourd’hui ! Je suis heureuse pour toi si ta nouvelle vie te convient, si tu as trouvé l’équilibre qu’il te faut. Et je comprends. Mon peuple aussi se pose de plus en plus… » Et de ceux de mon âge, nombreux sont ceux qui ont décidé de fonder une famille. Personne n’est à l’abri de ce genre d’envie, pas même parmi les autres agents. « Même les nomades peuvent être fatigués de toujours être en mouvement... Et quelle maison ! Du peu que j’ai aperçu de l’extérieur, elle est énooooorme ! Un vrai palais ! »

L'euphorie des retrouvaille se muer en quelque chose de bien différent, d'amer. Des regrets, des incompréhensions. Ambroise avait été plus sévère qu'il n'aurait penser. Il se mordit la lèvre de culpabilité. Elle avait raison, il oublié que l'anglais n'était pas sa langue maternelle. Et Ambroise, connaissait ce sentiment, souvent il intégrait des mots français à ses pensées, ou réponses quand quelque chose lui échappait. Il voyait au visage de la tsigane que la conversation lui faisait également peine au coeur.

Il abandonna son verre de consolation pour se rapprocher de la sorcière. Il l'entendit s'excuser, et se sentit encore plus coupable.

- Nairi, tu ne m'as pas offenser.. peut être ais je aussi besoin de sommeil.. Pardonne mon caractère de merde* déclara t il avec un demi sourire. D'un geste tendre, il déposa sa main sur celle de la belle brune. Espérant que le geste apaise leurs incompréhensions mutuelles. Il faisait ça aussi avec les créatures dont il prenait soin. Pour apaiser le coeur et l'esprit de son partenaire, qu'il soit fait de chair, ou d'écailles.

Quand le sorcier repensait à l'étrange mort de son oncle, il était toujours dubitatif. Personne n'avait pu se recueillir auprès du corps, la matriarche avait fait main basse sur son fils, et les circonstances demeuraient toujours obscurs.

- Merci, je n'irais pas dire qu'il était le meilleur des oncles ou des pères mais c'était surprenant.. bouleversant. Il sourit à sa reflexion, réattrapant sa main pour l'entrainer au fond de la boutique, pour passer par la porte de service.[b] Je vais te faire visiter ! L'enthousiasme retrouvait, il était plus qu'heureux de montrer le domaine familial.

[...]

Après avoir traversé le couloir et la librairie, il conduit la princesse tsigane dans le salon au plafond de verre. Des dizaines de plantes suspendues, provoquant une ambiance presque organique à la pièce.

- Cette verrière fait la fierté d'Ama.. ! Je l'aime bien aussi, on a l'impression d'être un peu à l'extérieur. Et c'est apaisant.

Il porta son regard sur les grandes baies vitrées qui occupaient les murs du salon. Tout le jardin semblait presque envahir la terrasse. D'un geste habitué, il ouvrit un peu plus les rideaux de velours, savourant la vue. Si on poussait un peu plus la vue, on voyait les falaises et la mer du nord.

Ambroise désigna la cuisine au plan de travail de marbre, et aux meubles sombres et les escaliers élégant.

- En haut, il y a l'ancien bureau de mon oncle, deux salles de bains, une bibliothèque, une pièce pour les potions, plusieurs chambres, dont celle d'Ama et la mienne.. Il s'interromput, soudain gêné de lui faire la visite de cette manière.



* en français