Rookie (Yara)

ft. @Fergus Clearwater

L’immobilisme de Yara face à l’agitation de Fergus donnait en spectacle un contraste saisissant. Ses yeux d’ambre suivaient attentivement chaque mouvement orchestrés par la porte rendue vivante, jusqu’à finir par s’en détacher malgré elle lorsque la présence d’un homme à la cadence assurée et forte, se fit sentir. Un haut gradé approchait, à quelques mètres de là.

Ni le dialecte curieux du stagiaire ni ses démonstrations d’égo la firent lever de sa chaise, mais l’arrivée du chef du bureau des Aurors à leurs côtés eut le mérite de lui faire esquisser un mouvement. C'est qu'il avait du être alerté par le boucan de l’étudiant - ce n'était guère surprenant vu le raffut de son honneur couplé à celui de sa fierté. Heureusement, Yara savait à qui elle avait à faire et ne se montra pas le moins du monde peinée d’avoir été découverte.

« Il l’a insultée. Vous savez comme moi à quel point elle déteste ça. Je pense que ce jeune homme a seulement besoin d’apprendre les notions de respect et d’autorité - c'est une faveur que je vous fais », répondit Yara avec un accent brésilien ensoleillé, mais le visage aussi fermé que le loquet de la porte des archives.

Même les menaces d’un prétendu patron qui n’était de toute façon pas le sien n’y firent rien et elle se foutait éperdument du nom de famille que cette énergumène écossaise portait.

Yara aurait peut-être tout à gagner à s’inspirer des leçons d’autorité qu’elle réclamait pour Fergus, par ailleurs.

Mais la chasseuse, têtue, ne répondait qu’à sa propre hiérarchie.

« Je ne sais pas comment vous les formez et ce ne sont pas mes affaires. Mais si la porte a réagi, c’est qu’il pose problème et vous le savez aussi bien que moi. Il a aussi manqué de se battre avec Sullivan, tout à l’heure. C’est un Auror que vous voulez dans vos rangs, ou un roquet ? »

Par magie, la porte s’apaisa. Elle cessa de tourmenter l’âme en peine de Fergus et l’avala finalement dans le trou béant qui s’était ouvert au milieu de son armature faite de bois, créant un passage vers l’intérieur de la pièce réservée aux archives.

De là où ils étaient, ils avaient seulement vu le Clearwater se faire engloutir tout cru, sans avoir été mâché. Ni plus, ni moins.

« Réfléchissez-y, Backdrift. En attendant, si ma méthode de formation vous déplaît, vous pouvez vous consoler en vous disant que ça ne dure qu’une journée et que je vous le rendrai sain et sauf ce soir. Soyez tranquille, je n’irai pas sur le terrain avec lui. Il y a bien assez à faire ici. » Elle marqua un temps d'arrêt, comme si elle pesait ses mots pour la première fois depuis que le chef des Aurors était apparu à l'angle du couloir. « Et de ce que j'en vois, il est loin d'être prêt à s'aventurer sur notre terrain. Les mages noirs, c'est une chose ; les lycans en sont une autre. Je ne vous apprends rien. »

En dépit de son insolence, il était difficile de contredire quelqu'un qui les avait vus à l’œuvre de si près.

Amorçant son avancée vers la porte des archives qui avait recouvré son inertie, la Brésilienne ne marqua même pas un regard en arrière lorsqu'elle passa de l'autre côté pour rejoindre Fergus, sûre de ce qu'elle venait d'affirmer.

Elle ne faisait certainement pas partie des plus anciennes recrues de son service - Eva Baxter aimait à le répéter à intervalles réguliers à travers ses crocs acérés - mais son expérience sur le sujet était loin d'être questionnable.

ft. @Fergus Clearwater

De l’autre côté de la porte, il n’y avait rien qui pouvait la surprendre. De la vulgarité, un fort accent écossais et toujours ce trop-plein d’égo qui empestait à des kilomètres à la ronde.

Fergus n’était pas pour lui déplaire, physiquement parlant. En d’autres circonstances, il était même plutôt agréable à regarder et n’aurait pas semblé de si mauvaise compagnie au premier abord. Mais il émanait de cet homme un tel amour-propre qu’il en devenait répugnant à chaque fois qu’on s’en approchait.

Yara avait pourtant acquis une certaine expérience en la matière avec @"Eurion Cynfeirdd" ces trois dernières années. Mais il y avait une différence de taille entre les deux individus : le médicomage avait immédiatement su comment l’amadouer et la faire plier. Il savait mieux que personne comment la prendre et il était certainement le seul être sur ces terres étrangères à avoir su l’apprivoiser.

Le Clearwater, à ce stade, n’avait déjà plus rien à espérer. Et pourtant, alors qu’il se plaignait encore, la chasseuse s’approcha doucement, sans rien dire. Elle posa sa main sur l’épaule de l’Auror en devenir, comme pour le faire ralentir dans sa cadence folle. Son attitude était exaspérante au plus haut point, mais maintenant qu’elle se retrouvait seule avec lui, sans que personne d’autre n’ait la possibilité de la voir sous un autre jour, elle en faisait abstraction.

Il n’y avait rien qui pouvait expliquer ce revirement de situation — peut-être sa blessure ? — mais Yara était désormais si près de lui que leurs souffles pouvaient presque se mêler.

Sa carapace ne la quittait que rarement mais quand il en allait du bien-être d’un autre, elle se sentait obligée de faire ce qui était en son pouvoir pour agir. Ce n’était pas pour rien si elle s’était lancée à corps perdu dans une lutte vaine. Elle aspirait aveuglément à ce que les autres ne vivent jamais l’enfer qu’elle avait vécu. À les protéger, quelque part, du mal dont elle n’avait su protéger les siens.

« Si ça peut nous permettre de travailler dans le silence… », souffla-t-elle mystérieusement.

Son regard ambré s’attarda un instant sur ses pupilles. Puis, sans même daigner faire usage de sa baguette et sans même dire un mot, en l’honneur de ses racines et de son pays, elle remit en place son épaule déplacée dans un bruit d’os à en faire frémir les plus sensibles. Une manœuvre qu’Eurion avait tant de fois réalisé sur son squelette qu’elle avait fini par l’apprendre par cœur.

Et qui savait, peut-être que ça pourrait lui remettre les idées en place par la même occasion…

ft. @Fergus Clearwater

Sa baguette était posée sur une étagère comme une vulgaire branche sans intérêt tout juste tombée d'un arbre. Quand il était question de prendre soin des autres comme ses parents s'y étaient affairés toute leur vie, les mains de Yara lui suffisaient. Il y avait suffisamment de magie à l'intérieur pour remettre une épaule en place, soigner les plus vilaines blessures en aidant dans le même temps à leur cicatrisation.

Ça ne lui avait jamais été d'une grande aide sur le terrain qui exigeait davantage de rigueur et de précision, mais pour trier des papiers et faire bégayer son souffre-douleur, sa baguette lui était inutile.

« Tout pour que t'arrêtes de chouiner », railla-t-elle avec un sourire en coin.

Ses lèvres se tordirent ensuite en une étrange grimace lorsqu'il l'appela "M'dame", bien que c'était le signe qu'elle avait - enfin - gagné son respect. Ou s'il n'était pas question de respect entre eux, il avait au moins fini par la remercier et reprendre sa place de stagiaire ce qui, en soit, revenait presque au même.

Une épaule qui retrouvait la possibilité de s'articuler ne pouvait qu'aider à apaiser les tensions et si Yara ne comptait pas encore s'étendre ou raconter sa vie, ça avait le mérite de rendre le moment légèrement moins désagréable.

Enfin, du moins, jusqu'au prochain acte...

« T'es un futur Auror ou un agent de la BPM en couverture ? », s'agaça-t-elle à sa question, interrompue dans son rangement opéré à mains nues.

Parmi tous ceux qui composaient le Ministère, la brigade de police magique était bien celui qu'elle abhorrait avec le plus d'intensité. Les Aurors se prenaient déjà pour des cowboys, mais les brigadiers donnaient parfois l'impression d'avoir tous les droits sous prétexte qu'ils se seraient vus remettre l'étoile de sheriff.

Une longue inspiration vint remplir ses poumons alors que son regard se concentra à nouveau sur ce qu'elle était en train de faire.

« Quatre ans », lâcha-t-elle sans rien ajouter de plus, à contre-cœur.

Puisque Fergus avait visiblement beaucoup de questions à poser et qu'il lui état impossible de s'en empêcher, elle lui laisserait le soin de faire la conversation. S'il avait fallu choisir, Yara aurait préféré le silence mais elle avait parfois l'impression que ce n'était pas de coutume sur ces terres, de la fermer.

D'ailleurs, la suite arrivait et elle manqua de s'étouffer avec sa propre salive.

« Et moi je me rappelle que t'as toujours eu une gueule de premier de la classe, mais quand je vois que tu confonds la lettre B avec le C, je comprends mieux pourquoi on dit que l'habit ne fait pas le Moine Gras », riposta-t-elle, les dents et la mâchoire serrées sans le regarder.

Dans sa vision périphérique, elle avait aperçu qu'il venait de classer le dossier de Bonde, Oskar, derrière une grosse lettre C placardée sur un morceau de carton mâché par les affres du temps.

Les feuilles d'un autre dossier tombèrent à ses pieds sans même qu'elle ne les remarque. Pour cause : Poudlard figurait sur la liste de ses innombrables sujets tabou, avec la gastronomie européenne et ses relations d'ordre amoureux, familial ou amical. Autant dire que d'une façon ou d'une autre, tous les sujets de conversation pouvaient s'avérer dangereux pour qui les amorçait avec la Brésilienne. Mais bien qu'elle n'avait aucune envie de jouer à la parlante, elle ne put s'empêcher de cracher son venin en contrepartie de sa bonne action passée.

Il ne fallait pas qu'il pense vraiment qu'elle pouvait être gentille. Personne en dehors d'Eurion Cynfeirdd n'avait le droit de voir ses bons côtés.

« Mais si j'ai bien compris, toute ta famille y est passée alors, tu t'es dit que t'allais faire la même chose. Hyper original en tout cas. T'as des qualités sinon ? »

ft. @Fergus Clearwater

TW : émétophobie

La salle des archives était à peine éclairée. Un mince filet de lumière traversait tant bien que mal une petite meurtrière de quelques centimètres de largeur tout au plus. Mais il était inutile de voir pour savoir la fierté qui avait envahi le visage de Fergus à l'instant où il entreprenait de lui conter son parcours. Sa voix était devenue un sourire qui ne trouva jamais son écho sur le visage de Yara.

Car elle n'aurait pu parler de son expérience à Poudlard, ni même de sa famille, avec cet entrain là. Et quelque part, derrière la rigueur de ses traits et son visage constamment sérieux, se cachait une fine couche de jalousie qu'elle s'affairait toujours à dissimuler du mieux qu'elle le pouvait. Mais son aversion pour le futur Auror ne cessait d'augmenter à mesure qu'il détaillait les raisons pour lesquelles il voulait faire ce métier. Au point même que ça lui en donnait la nausée.

Le silence était donc préférable si Merrit ne voulait pas récurer à la baguette les restes de son petit-déjeuner.

Son choix en disait long cependant, beaucoup plus même que n'importe quel mot qui aurait pu sortir de sa bouche à ce moment-là. Mais Fergus ne la connaissait pas et pour lui, elle ne valait sûrement pas mieux qu'une inconnue qui aimait faire sa loi. Dans un sens, il n'avait pas tord : mais la réalité était beaucoup plus complexe que cela. Il aurait fallu plonger pendant des heures dans la Pensine pour comprendre de quoi étaient faits les  cauchemars de Yara.

Sa tête pivota sensiblement vers le rookie et sa bouche s'entrouvrit à peine lorsqu'elle s’apprêta à répliquer. Mais cette fois, rien ne vint. À croire que Fergus avait touché une corde sensible, s'il en existait une. Yara fit mine de rien, sa stratégie étant de se contenter du strict minimum.

« Oui, j'étais à Serpentard », répondit-elle froidement, se retenant d'affirmer que c'était précisément ses qualités qui l'avaient amenée à servir le Ministère britannique. Mais elle ne put s'empêcher d'ajouter sa petite touche. « Vous, alors, les Européens... À toujours mettre les gens dans des cases... »

C'était la première chose qu'ils avaient fait lorsqu'elle était arrivée à Poudlard : la plier à une cérémonie présidée par un chapeau de sorcier miteux et sans dents, pour la conformer à une catégorie de personnes qu'elle n'avait pas mieux compris que les autres, de toute façon. Pour la conformer à leur système, sans prendre en compte les raisons qui l'avaient amenée jusqu'à eux. La seule chose qu'elle avait apprécié dans tout ça, c'était de porter l'uniforme aux couleurs de son pays. Le vert sur sa robe était aussi celui de son drapeau, celui de la nature à laquelle elle avait été si sauvagement arrachée.

La suite du discours du Clearwater la ferma encore davantage. Être comparée aux Ecossais par un type venu de nulle part et qui faisait maintenant de la psychologie de comptoir... C'en était trop.

D'un geste sec et franc, Yara reposa la pile de dossier entre ses mains. Et alors qu'elle s'apprêtait à lui dire ses quatre vérités avec toute la diplomatie dont elle était capable, une missive aux couleurs de l'institution vint se glisser sous la porte pour arriver entre ses mains. Elle dut s'approcher de la minuscule fenêtre pour en dévoiler son contenu, cacheté du seau du Ministère et dissimulé sous une enveloppe sur laquelle était tamponné le mot "CONFIDENTIEL" en lettres capitales. L'ordre de mission concernait la Meute. Alors, sans un mot et d'un coup de baguette magique, elle termina de ranger l'allée entamée avant de se diriger précipitamment vers la sortie dans un enthousiasme non dissimulé.

Certaine que Fergus allait se précipiter pour la suivre, la jeune femme, qui venait de poser sa main sur la poignée de fer qui venait mystérieusement d'apparaître, fit volte-face vers le stagiaire.

« Non. Toi tu restes là. Et c'est ton jour de chance. C'est Sullivan, ton nouveau maître de stage. Si t'es sage, il t’amènera peut-être en mission avec lui sur l'affaire du lycan de Piccadilly. Qui sait. »

Dans l'obscurité, son clin d’œil n'eut absolument pas l'effet provocant escompté.

« Fais pas la gueule, Blairwater. On se reverra, t'inquiètes. »

Ou peut-être pas.

Seul l'avenir le dirait, maintenant que la porte s'était refermée dans un violent fracas, faisant voleter quelques feuilles de-ci de-là et laissant dans son sillage un bordel sans nom.