Nos étoiles contraires

01.03

A cette heure, les couloirs étaient encore déserts à l'exception de quelques étudiants moins affamés que les autres. Elle croisa aussi un garçon en train de nouer sa cravate à la va-vite. Son air débraillé et son allure pressée donnaient une vague idée de ce qu'il essayait de cacher derrière son air anxieux mais Grace venait d'arriver, et Aphrodite n'était pas suffisamment sûre d'elle pour se risquer au moindre commentaire. Son manuel d'Histoire serré dans ses bras, elle poussa la porte de la salle de classe bien avant tout le monde. Si  @Améthyste Miller lui avait chaudement recommandé de ne pas trop s'isoler, ce matin-là, elle avait eu l'estomac trop noué pour s'aventurer jusqu'à la Grande Salle.

C'était son premier cours et les bruits de couloir n'avaient rien fait pour la mettre à l'aise avec les différents sujets du programme de 5e année. Arriver la première lui permettrait au moins de ne pas être jetée d'emblée dans la foule de ses camarades. Embrassant la salle du regard, elle jeta son dévolu sur un bureau près d'une grande fenêtre en ogive, ni trop à l'arrière de la salle ni tout devant. De là, elle pouvait voir le parc du château. Elle commençait à le connaître par coeur.

Il passa près de trente minutes avant que la porte ne s'ouvre. C'était le professeur d'Histoire de la Magie,  @Iseult Llewelyn. Ça n'était pas un hasard si son tout premier cours se trouvait tomber avec ce professeur-ci. Comme convenu, la nouvelle fit mine de rien, saluant le professeur qui la houspillait déjà à demi en lui rappelant les horaires des cours. Ne sachant trop que faire ensuite pour n'avoir pas l'air de dévisager tout le monde, la jeune femme se prit à feuilleter son manuel distraitement. Elle l'avait déjà lu deux fois mais ça personne ne le savait. La salle commençait à se remplir petit à petit. Les étudiants discutaient entre eux sans vraiment faire attention à elle à quelques exceptions près.

Elle sortit une plume de son sac, quelques feuillets de parchemin. Juste à ce moment-là, un garçon que tout le monde appelait Popplewell se voyait arracher le battant de la fenêtre, qu'il espérait entrouvrir discrètement, par une bourrasque de vent glacial. Le courant d'air souffla les feuillets de parchemin, attirant l'attention sur la discrète nouvelle qui, dans un geste réflexe un peu ridicule, venait de plaquer ses mains sur le bureau, espérant retenir ses pages. Quelques unes s'échappèrent tout de même, pour venir s'écraser contre un autre étudiant qui s'apprêtait justement à s'installer.

« Oh déso - »

A la vue de l'étudiant, Grace Davis se figea. Ses grands yeux clairs fixaient le jeune homme victime de ses parchemins envolés avec un mélange de crainte et de naïve admiration. Elle blêmit, incapable de terminer sa phrase.

Pendant ce temps, Popplewell se faisait enguirlander par le Professeur Llewellyn. La sanction tomba sur le Poufsouffle et le jeune homme, la tête rentrée dans les épaules, se rassit, maussade.

Dans l'intervalle, la nouvelle n'avait pas décroché. C'était comme si la foudre venait de lui tomber sur la tête.

04.03

Elle venait de passer des semaines coupées du monde à languir de retrouver sa présence, ces moments d'intime complicité, simplement la chaleur de leurs silences. Mais à présent qu'il se trouvait juste devant elle, Aphrodite se sentait le coeur au bord des lèvres. Tant de choses lui venaient à l'esprit. Cet homme qui était en quelque sorte tout ce qu'il restait de son monde. Peu de choses. Beaucoup d'incertitude. Qu'aurait-il dit d'elle s'il avait pu voir derrière la petite nouvelle les traits de celle avec qui il avait partagé chaque souffle pendant un si petit mois ? Celle qui lui mentait maintenant, les yeux dans les yeux. Celle qui lui avait menti dès la première seconde. Elle avait naïvement pensé qu'ils auraient plus de temps, pour apprendre à se connaître, pour trouver les mots. Ceux qui ne lui auraient pas fait peur. Ceux qui ne l'auraient pas fait fuir. A l'époque, elle pouvait encore regarder ses mains aux doigts de fées sans trembler d'effroi. Fermer les yeux sans sombrer dans le cauchemar. Et s'il la haïssait, s'il tremblait d'horreur à la seule idée d'elle, que lui restait-il finalement ? Et n'était-ce pas mérité ?

Aphrodite se sentait au bord de défaillir. Brusquement, Grace Davis se rassit, le regard fuyant, rassemblant ses parchemins avec force désordre comme si elle s'était agrippée au fil ténu de la vie.

« Merci. », souffla-t-elle d'une voix étouffée.

Elle ferma les yeux quelques secondes, regrettant finalement d'avoir lutté contre ses cheveux afro alors qu'elle aurait pu se cacher derrière. Et puis... il lui adressa ces quelques mots. Cela suffit. Malgré elle, malgré tout, la voix de Xris Andērson l’apaiserait toujours.

« Merci. Je me serais attendue à une sanction pour tout dire. C'est le genre d'élève que je ne compte pas approcher. »

Elle s'était sans doute fait une idée un peu faussée par les règles de son monde à elle. Il ne lui serait jamais venu à l'esprit de se donner à ce point en spectacle à ce point. Ledit Popplewell continuait de lorgner par la fenêtre. Il n'avait visiblement pas abandonné ses projets si peu scolaires soient-ils.

Les derniers mots de Xris lui firent à nouveau tourner le regard vers lui, la ramenant à cette conversation sur leurs avenirs, sur leurs rêves. Si nos chemins venaient un jour à s’y croiser, ne serait-ce que pour une simple visite, je me ferais un plaisir d’y être votre guide. A leurs souvenirs.

« Merci. Mon arrivée en milieu d'année ne m'a guère donné de - », là ça n'était plus Grace mais Aphrodite. Elle se ravisa, repassant dans sa tête ce petit scénario qu'elle avait répété mille fois, « Me présenter aux autres élèves. Ni de faire le tour du propriétaire. », des phrases courtes. Simple. C'était le meilleur moyen de ne pas se trahir. Tendre la perche en espérant qu'il accomplirait à l'aveugle cette promesse faite dans les jardins de Dawnmore, beaucoup moins. Mais elle n'y pouvait rien. Elle n'avait qu'envie de passer du temps avec lui, de trouver le moyen de réparer ses tords. Mais elle ne voulait pas trahir  @Luke Korrigan non plus, quand bien même elle lui en voulait plus qu'elle n'en n'avait jamais voulu à personne, « Grace Davis. », finit-elle par dire, en lui tendant la main.

Etait si naturelle que ça ce geste ? Pour elle non. Elle avait presque déjà envie de cacher cette main tendue sous le bureau mais alors ç'aurait vraiment eu l'air de l'accuser de quelque chose. Par chance, pendant ce temps-là, Popplewell se faisait encore remarquer, détournant malgré lui l'attention du Pr Llewellyn. Mais pour combien de temps ?

xx.xx

Elle eut une pensée pour Mr Goldsworthy. Quelque part, il était à son échelle un équivalent de ce Mr Popplewell qui semblait tout faire pour attirer les foudres du professeur @Iseult Llewelyn. Un frisson désagréable lui parcourut l'échine et, intérieurement, elle se confortait dans l'idée qu'elle ne voulait rien avoir à faire avec ce Popplewell ni avec ces réplications dont Xris semblait déjà lui parler. Dans un coin de sa tête, Aphrodite croyait encore entendre Lady Antonia et ses opinions sur les méfaits de l'école publique. Elle en avait aussi longuement évoqué les bienfaits, dans une histoire qui n'avait jamais été destinée à être la sienne. Voilà qu'à présent, il allait falloir se faire une idée par soi-même.

A un énième écart de langage de ce Popplewell, Aphrodite ferma définitivement les écoutilles. Rien de ce qui pouvait sortir de la bouche de ce garçon ne semblait valoir la peine. Contrairement à ce qui sortait de celle de son voisin de table.

Un instant, elle crut qu'il n'allait pas répondre à son geste. Difficile de trancher ce qui aurait été le pire : qu'il la laisse ainsi en suspens ou qu'il lui prenne la main sans jamais la prendre comme avant. Malgré elle, elle retint son souffle alors que leurs doigts s'effleuraient sans se reconnaître. C'était plus cruel que tout le reste et en même temps, que n'aurait-elle donné pour que le lien ne se rompe jamais. Je sais, se retint-elle de dire, repassant pour la millième fois cette conversation dans les jardins de Dawnmore et toutes ces fois où elle l'avait suivi du regard, elle assise à sa fenêtre de solitude, lui poursuivant inlassablement la même routine sportive, toute aussi solitaire l'un dans l'autre. Elle fit tout de même mine de jeter un oeil intéressé par la fenêtre.

« Je viendrais. Mais pour ce qui est de m'entraîner je crois que vous seriez vite découragé Monsieur le Capitaine. », elle eut un petit sourire finalement. Il était difficile de naviguer entre le naturel et la plaisanterie qu'elle s'efforçait d'affecter. Se retrouver dans l'équipe de Quidditch de Serpentard aurait été la plus mauvaise idée qu'ils aient pu avoir mais... « Je viendrais encourager ma maison. », promit-elle, plus neutre dans le phraset.

Mais voilà que des questions moins faciles commençaient à se présenter. Sentant le stress monter, parce qu'elle savait manquer de pratique en dépit de ses répétitions sans fin dans la salle sur demande, elle s'efforça de faire de son mieux.

« Des États-Unis. J'ai fait mes 4 premières années à Ilvermorny. »

Elle s'interrompit comme le Pr. Llewellyn se mettait à passer entre les rangs, distribuant les copies corrigées du dernier devoir. Cela ne concernait pas Grace, mais elle était bien contente de ce petit intermède...

04.03

Elle sourit sur cet accord tacite. Pour tout dire, elle ne s'était jamais essayé au Quidditch, un sport qui ne convenait pas à une jeune femme de son milieu quand bien même certaines y réussissaient avec brio. Elle avait toujours eu un penchant pour les choses plus terrestres, du moins Aphrodite. Xris le savait. Mais comme il ne savait rien de Grace Davis, il se contenterait de la penser à ce point maladroite. Apparemment, il ne lui en tenait pas rigueur et la conversation allait probablement s'achever là-dessus. Une petite part d'elle-même était déçue mais cela valait mieux. Ce ne serait pas comme écouter le silence assis sur la petite bute enneigée des jardins de Dawnmore, mais au moins il était à côté d'elle. Plus près qu'elle ne pouvait l'espérer. Lissant sa plume du bout des doigts en attendant que le cours ne commence réellement, elle sentit son coeur bondir dans sa poitrine et rater le battement suivant quand finalement, contre toute attente, le sujet de Quidditch lui revint comme un cognard en pleine figure. L'américaine rougit très vaguement, s'efforçant de ne pas laisser son esprit vagabonder à ce que pourrait être ces sessions de soutien en vol. Le petit diable sur son épaule gauche aurait été près à la jeter en pâture au grand blond, étalant un gouffre d'incompétence à ses pieds pour peu qu'il lui consacre ne serait-ce qu'une petite heure de son temps, n'importe quand. Mais elle était plus avisée que cela. Passer du temps seule avec lui n'était pas une riche idée. Elle aurait été trop tentée de se dévoiler et si elle ne se dévoilait pas vraiment, pour quoi Grace Davis allait-elle passer, amoureuse transie au bout de quelques minutes de conversation seulement ?

« Oh euh... C'est... adorable. Mais - enfin... je... », qu'allait-elle bien pouvoir lui dire pour le décourager mais pas trop, « Je suis une cause perdue ! Je crois que c'est mieux que je garde les pieds sur l'air - sur terre. Je veux dire sur terre... »

Quelle angoisse. Où était donc passé toutes ces heures à pratiquer la rétorique et l'art du discours ? Qu'était-il advenu de la jeune femme qui était capable de le regarder droit dans les yeux tout en lui suggérant sans ciller qu'ils auraient pu avoir une descendance prometteuse... Envolée sans doute, avec les feuillets que Popplewell avait passés par la fenêtre un peu plus tôt. Et pourquoi diable le cours mettait-il si longtemps à démarrer d'ailleurs ?

« Elle l'aurait probablement fait si je n'étais pas arrivée ce matin. Je n'ai pas encore mis les pieds dans notre salle commune. Je viens directement du bureau du Directeur. Notre entretien a duré un petit peu c'est pour ça qu'il n'a pas assisté au petit déjeuner ce matin. », justifia-t-elle, paraphrasant tout simplement ce que @Luke Korrigan lui avait noté dans son dernier parchemin.

Curieusement, elle qui venait de passer un mois à languir la moindre conversation avec Xris, n'était plus tout à fait si ravie. Non pas que la compagnie ne fut pas charmante, mais la moindre question faisait monter son niveau de stress, lui donnant l'impression d'un interrogatoire là où il n'y avait finalement qu'un peu d'attention et de courtoisie. Elle regrettait fortement de ne pas avoir céder à la tentation d'apprendre par coeur le guide touristique de New York que Mr Plinx lui avait dégoté.

« De New York. Et toi ? »

Elle connaissait déjà la réponse à cette question mais si cela pouvait détourner un peu la conversation, c'était pour le mieux.

01.03

Il était pensif, loin d'elle. Presque inaccessible. Elle pouvait le voir, le sentir, mieux que personne sans doute et pourtant, elle ne pouvait rien y faire. Elle lui aurait pris la main pour lui rappeler qu'il ne serait jamais seul. Que quelles que soient les épreuves, elle serait toujours là. Mais elle se devait de rester distante, presque simple observatrice. Ses mains glissèrent sous le bureau, serrant les plis de son uniforme à défaut de la main de  @Xris Andērson. Grace Davis ne pouvait faire office que de distraction.

« Est-ce que ça va ? », ne put-elle s'empêcher de demander, ignorant son invitation renouvelée pour le cours de vol.

Mêmes sous les traits de Grace, Aphrodite gardait ce regard perçant. Si le bleu captivant de ses yeux s'étaient effacé derrière des nuances brun vert, elle pouvait toujours vous captiver en un seul battement de cils. Sous ce regard, il n'y avait pas de fuite, ni d'échappatoire mais on pouvait se sentir bien, presque envelopper dans cette attention bienveillante, quoiqu'un peu envahissante.

Elle n'avait pas besoin d'être Aphrodite Longerbane pour être une amie.

Curieusement, derrière son attitude détaché, Xris ne parvenait pas non plus à être tout à fait aussi distant qu'il aurait pu l'être. Ou peut-être était-ce ce qu'elle projetait sur lui. Un vœu pieux que subsiste malgré tout quelque chose.

« C'est adorable. Merci. », offrit-elle dans une économie de mots qui ne disait rien de ce que présageait pour elle cette rencontre avec @Siobhán Gavalagh-Korrigan, « Je pourrais difficilement t'en demander plus alors qu'on ne se connait même pas. Et puis, je ne voudrais pas froisser notre préfète. »

De son point de vue à elle, il semblait que Xris n'avait pas une minute à lui. Comme si chaque seconde de sa journée était savamment comblée pour ne rien laisser au hasard. Elle l'avait vu, assise à sa fenêtre, à la manière dont il commençait son tour du lac. A la manière dont il ne quittait. De même quand il arrivait et repartait du terrain de Quidditch. Il n'avait jamais l'insouciance des autres, le pas tranquille. Xris allait toujours quelque part. Si les choses avaient été différentes, ils auraient sans doute pris ce temps tous les deux. Il lui aurait fait visiter le château dans ses moindres détails et elle en aurait sans doute perdu la moitié à se complaire dans le simple fait de se trouver ici avec lui. Ce n'était peut-être pas plus mal ainsi.  

« Les Yankeeez, bien sûr ! », répondit-elle, avec un sourire forcé qui tentait vainement de faire miroir l'enthousiasme de Xris. Voilà qui ne faisait pas son affaire. Elle n'avait absolument aucune idée de ce que pouvait être les Yankeez. Elle n'avait jamais entendu ce moment que dans un seul contexte. Il aurait été étonnant que Xris se permette de jeter à la figure de la petite nouvelle l'image de l'américain rustre et mal dégrossie qui se cachait derrière ce mot. Alors quoi ? « Moi ce que j'aime le plus de New York se sont ces quartiers d'époque. Tu savais que certaines rues sont spécialement enchantées pour avoir l'air anciennes ? »

Détourner la conversation. Sans doute ce qu'elle pouvait faire de mieux pour échapper aux Yankeeez. Elle connaissait tout de même un peu New York, pour y avoir mis les pieds en voyage d'affaire aux côtés de son père. Mais elle ne pouvait pas s'enorgueillir de savoir ce que c'était que ces Yankeeez.