Nos étoiles contraires

01.03

Son sourire triste lui serra le coeur. Il aurait été si simple de le prendre dans ses bras. De se dire que tout irait bien. Mais elle ne pouvait pas bafouer la promesse faite à  @Luke Korrigan ni ignorer les promesses haineuses que la presse déversait chaque matin sur les tables du petit déjeuner. Sinistres avertissements, rappels encore imbibés de carmin. Elle n'aurait pu balayer tout cela du revers de la main. Pas pour tout l'amour qu'elle portait à l'homme qui se trouvait à ses côtés, accablé de douleur par sa faute. Surtout, pour l'amour qu'elle lui portait. Les mots n'étaient pas si cruels que les actes, quand on y pensait. Mais ils blessaient tout autant. Et qu'en était-il de Xris d'ailleurs ? Lui avait-il déjà pardonné cette omission ? Elle frissonna. La réponse ne se fit pas attendre. Leur regard se quittèrent de concert, fuyant vers un point indistinct, droit devant eux.

Grace porta la main à sa gorge, comme pour dénouer le nœud qui l'empêchait de respirer. Sa fiancée. Comment un nom aussi doux pouvait-il être aussi cruel ? Contre le galbe de son sein, à l'abri des regards, elle sentit la morsure délicate des minuscules pattes d'un pendentif en forme de libellule. Comme si soudain, elle avait ressenti le poids de sa robe de sorcier l'écraser contre sa peau. Ses doigts jouaient nerveusement sur ses genoux. Aphrodite ne savait que dire ou que faire pour se sortir de cette situation. Surtout, elle ne savait plus soumettre ses sens, ses pensées, incendiés par deux mots de la bouche de Xris seulement.

Ma.
Fiancée.

Après tout ce qu'il s'était passé. Malgré, tout ce qu'il s'était passé, c'était ainsi qu'il continuait de l'envisager. Le sparas n'avait pas eu raison de ce sentiment d'amour qu'elle avait toujours cru indéfectible malgré les moqueries de ses frères. Du moins, dans cet entredeux sans fin où ladite fiancée était morte ou disparue, Xris l'entretenait comme une flamme froide, vorace et impitoyable. Une flamme qui le ravageait de l'intérieur et ne donnait à voir de lui qu'une absence tant que personne ne venait réclamer son attention dans le monde des vivants. Aphrodite ferma les yeux un instant. Un millier de questions lui venaient. Toutes plus inappropriées les unes que les autres. Et le silence l'étouffait.

« Il ne faut jamais perdre espoir. », fit Grace d'une voix étranglée. C'était tout aussi cruel de lui dire cela. Mais ne rien dire, alors qu'ils n'avaient jamais été aussi proches depuis ce sinistre jour... Aphrodite ne pouvait pas ne rien dire. Elle ne pouvait rien lui promettre non plus, « Je suis désolée... pour... ta fiancée. »

Elle peinait à articuler ces mots. Ils ne sonnaient pas juste. Ça n'était pas ce qu'elle avait envie de lui dire. Mais Grace se devait de dire quelque chose. Comment ne pas paraître indélicate alors ?

Bien loin au-dessus de tout cela, les formalités administratives semblaient être comme une zone stérile, dépourvue de sentiments. L'empire du pragmatique en somme. Alors, ils s'y plongèrent sans même y réfléchir, le coeur endolori par le jeu malhabile qu'ils jouaient à demi. Il y avait de l'attention, c'était bien suffisant. Et peut-être aussi le réconfort d'une amitié, qu'Aphrodite devinait forte. Elle ne put s'empêcher de se demander pourquoi, sur une masse impressionnante d'invités, elle et ses frères avaient posé les yeux sur trois personnes que tout semblait sans cesse relier. Il lui aurait sans doute fallu le concours d'une haruspice pour avoir une réponse à cela.

Le cours avait commencé maintenant et ils ne s'étaient rendu compte de rien. Oscillant entre l'enfer et les limbes, ils s'autorisaient un sourire de temps à autre. Comme là, quand Grace s'efforçait de faire bonne figure ou ici, mais c'était un sourire morose, à peine visible.

« Non. La ségrégation entre sorciers et non-majs fait partie des lignes de force de notre Constitution Magique. C'en est même problématique parfois. C'est comme ça depuis la loi Rappaport... »

Quelque part, ils n'écoutaient rien mais ils n'étaient pas loin de faire de l'Histoire de la Magie finalement...

01.03

Partager le silence. C'était la première fois qu'il lui paraissait si pesant. En comparaison, toutes les fois où le silence avait enveloppé leur impatience, leur envie de se montrer déraisonnable, avec douceur et intensité, cela paraissait si loin. Presque ténu. Elle n'avait jamais tant aimé le silence, comme une étole légère qui donnait corps à l'intangible et à l'inavouable. Elle n'aimait pas le silence, comme le couvercle d'un tombeau où leurs sens s'éteignaient, étouffés par la violence, le chagrin et la peur. Jusqu'à ce que la mort nous sépare. Ils vivaient pourtant sans s'être encore rien promis, mais on les avait fauchés dans l'âge tendre, sans leur laisser le temps de rien.

Les mots qui sortaient de la bouche de Xris étouffaient Aphrodite. Le silence d'Aphrodite asphyxiait Xris. Dans la voix brisée du jeune homme, le désespoir était palpable. Dans le coeur silencieux d'Aphrodite, jugulé par sa propre impuissance, il n'y avait plus un son. Plus une pulsation. Alors, peut-être parce qu'ils ne pouvaient décemment pas fouler ce monde dans un tel état de dépression, Xris posa son regard sur elle, parant à nouveau ce masque d'albâtre lisse, placide, sans tain. Grace Davis lui rendit son regard, plongeant dans ce miroir sans âme qui s'efforçait de donner à voir. Elle eut une petite hésitation. Aucun son ne passa ses lèvres mais sa main, indécise, finit par se poser sur son avant-bras. Le geste était mal assuré, bref, mais respectueux et plein de compassion. Cela ne dura qu'une seconde. Elle aussi avait besoin de se retirer un moment, derrière ce masque d'apparence. Alors, là, à l'abri des regards, elle pouvait embrasser tout ce qu'il venait de lui dire. Elle pouvait entendre qu'il l'aimait encore, envers et contre tout. Elle pouvait entendre son indignation aussi. Et qu'il ne trahirait jamais leur famille, contrairement à ce qu'Astoria lui avait promis. Mais Astoria n'avait pas eu que des tords. Les amours entre faes et mortels étaient peut-être bien vouées au chagrin...

Après un long silence, profitant de l'occasion pour accorder un peu d'attention au cours, la conversation de réanima, les emmenant dans les rues de New York et toute sa vie en perpétuel mouvement.

« Oh... si légalement elle est abrogée en effet. », comment avait-elle pu oublié ce menu détail ? Justement celui qui faisait que son histoire ne tiendrait pas, « Mais il y a tout de même une longue tradition ségrégationniste et elle n'est pas prête de s'effacer je pense... », ne restait plus qu'à espérer que cette pirouette un peu hasardeuse lui suffise. Peut-être, en tout cas il poursuivait avec un commentaire parfaitement d'actualité, « Oui, c'en est même navrant à ce point. », appuya-t-elle sans vouloir entrer dans les détails, ce qui les aurait indubitablement ramenés au point d'orgue de la conversation. Celui-là même qu'ils souhaitaient éviter autant l'un que l'autre, sans doute.

01.03

« Oh euh... », cette fois elle évita soigneusement son regard, de peur de ne pas tenir la route. Le voir si malheureux et se borner à ne rien y faire était déjà plus que sa culpabilité ne pouvait en supporter. Elle n'aurait pas pu lui dire que non, elle n'avait rien perdu, qu'elle n'avait personne dans sa vie. Grace n'était pas Aphrodite, mais Aphrodite avait du mal à s'effacer derrière elle quand elle n'avait aucune envie de mentir, « ...pas comme ça. J'ai mes parents. »

Elle ne voulait pas faire de parallèle entre eux. C'aurait été trop cruel. Et puis, elle ne pouvait pas se permettre de glisser vers des sujets qui la mettraient hors d'état de poursuivre. Mieux valait laisser mourir la conversation que de prendre cette direction-ci.

Encore une fois, Popplewell apportait la distraction souhaitée. Grace secoua discrètement la tête, reportant son attention sur le professeur plutôt que la puérile caricature au tableau. L'école publique tenait toutes les promesses que Lady Antonia lui avait faites. Pourtant elle e savait bien, si les circonstances avaient été différentes, elle aurait été la plus heureuse du monde se retrouver là. Même avec Denis Popplewell.

Studieuse, elle résolut de ne plus prêter attention au perturbateur. Elle commença donc à prendre des notes, prenant garde au tracé de ses lettres pour ne pas attirer l'attention non désirée de Xris. Il ne manquerait pas de reconnaître son écriture, compte tenu du nombre de lettres qu'ils avaient échangées en deux mois. Des lettres qu'elle avait eu plaisir à relire et qu'elle ne relirait plus jamais désormais. Étaient-elles parties en fumée avec le reste de Dawnmore comme le laissait supposer la presse ? Que valait quelques feuilles de parchemin contre l'avidité des flammes...

Le Professeur Llewellyn finit par abdiquer. Le cours touchait à sa fin. Leur chemin se séparerait à nouveau dans quelques instants. Chacun suivrait son emploi du temps. Grace Davis se préparerait à son premier cours d'Études des Moldus. Une matière peu prisée par ses camarades issus des anciennes maisons de sang pur dont elle faisait encore partie il y a peu.

« Passe une bonne journée Xris. », fit-elle en repassant la sangle de son sac à son épaule. Son regard s'attarda un instant. Elle lui offrit un sourire et passa son chemin.