Bloody Hunter (Yara)

ft. @Aslak Dagoniat

Faute de trouver un remède à ses maux, Yara Morães De Carvalho s'était mis en tête d'aider les autres à soigner les leurs. Le problème, c'est qu'elle se fichait bien de la vie des autres en général. Alors, leurs maux, autant dire que c'était vraiment le cadet de ses soucis.

Mais il y avait bien quelqu'un dans ces autres qui avait fait une réapparition dans sa vie récemment et pour qui elle éprouvait un réel intérêt. Un quelqu'un qui avait lancé sa carrière, qui l'avait pris très tôt sous son aile et envers qui, dans un sens comme dans un autre, elle se sentait redevable.

Mais là encore, il y avait un problème : ce quelqu'un n'avait aucune envie de se faire aider, probablement encore moins par celle qu'il considérait depuis toujours comme une gamine tout juste bonne à lécher ses sales bottes.

Excepté que la gamine avait grandi et qu'elle refusait de voir celui qui lui avait tout appris perdre les facultés de son cerveau au profit de vulgaires boissons alcoolisées.

Pour ce faire, elle avait sillonné tous les bars alentours grâce à une liste dressée avec méthode de tous les établissements qu'Aslak Dagoniat aurait été susceptible de fréquenter. Dans chacun de ces lieux, elle était arrivée dans sa plus belle tenue de chasseuse en mission, noire et moulante à souhait, évidemment armée jusqu'aux dents. De là, elle avait ordonné à chaque tenancier d'interdire l'accès à l'un de leur plus gros clients. La plupart avait rouspété, mais un regard de travers et une menace de faire fermer leur gagne-pain avait largement suffit à les faire taire dans leur petite rébellion. Ce n'était pas dans ses accréditations de faire fermer un commerce, mais en dehors de sa hiérarchie, personne ne le savait.

La Tête de Sanglier était le dernier bar de sa liste. Un endroit miséreux, poussiéreux, mais tellement évident et à découvert de tous que la Brésilienne avait su qu'Aslak ne s'y rendrait qu'en dernier recours, quand sa soif l'aurait suffisamment asséché pour ne plus savoir discerner ce qui était bon pour lui de ce qui ne l'était pas.

Et elle avait eu raison.

Elle avait attendu là longtemps, appuyée sur le mur de la façade avant, les bras croisés sur sa poitrine. Se rendre directement à sa boutique aurait probablement été plus efficace pour le voir et lui parler. Mais Yara était d'humeur joueuse ce jour-là. Sa vie était d'un pathétique hors-norme ces derniers temps et un peu d'amusement n'était pas de refus.

Tant pis pour Aslak Dagoniat. La roue de la chance avait tourné et c'était tombé sur lui.

Pauvre homme.

Sa silhouette claudicante au loin n'avait pas suffit à la déloger de son mur. Bien au contraire. À mesure qu'il se rapprochait, Yara ne bougeait pas d'un centimètre, guettant ses réactions entre ses paupières. Puis, bientôt, sa voix grave et menaçante arriva jusqu'à elle. Pas de quoi l'effrayer néanmoins : d'abord, parce que Yara ne craignait personne en dehors d'elle-même et ensuite, parce que la dernière fois qu'ils s'étaient battus, il avait eu besoin d'alcool en quantité doublé d'une potion pour garder un semblant de vigueur. Et dans le cas présent, il n'avait pas d'alcool pour lui tenir chaud. C'était probablement pour ça que son ton était si froid.

« Non », refusa-t-elle catégoriquement, toujours immobile à cela près que ses yeux d'ambre suivaient le moindre de ses mouvements. L'odeur de la chair initiant son lent processus de putréfaction de la dernière proie du chasseur parvint à ses narines mais ne lui arracha aucune grimace. Elle en avait vu d'autres. Les marais de Caradigan, par exemple, respiraient la mort, la vraie. « Non, je bougerai pas, Aslak », reprit-elle avec autant d'assurance, si ce n'était plus. « Oh, mais tu peux implorer tous les Dieux que tu veux. Tu sais déjà ce qu'ils pensent de moi. Je le sais aussi. Mais si tu as du temps à perdre, vas-y. » Sa main indiquait l'entrée du bar alors qu'elle s'était physiquement décalée pour lui laisser le chemin libre. « Tu peux toujours essayer de rentrer dans ce placard à balais  qu'ils appellent bar, mais faudra pas venir me faire chier si tu te fais recaler. Parce que ce sera le cas. »

À mesure qu'elle parlait, son regard devenait plus arrogant encore. Si Aslak avait voulu la tuer, il n'aurait pas attendu d'être en manque de sa drogue pour agir.

Yara lui avait déjà donné une infinité de possibilités pour ça.

ft. @Aslak Dagoniat

« Que palhaço. Quel clown. », marmonna-t-elle dans sa langue natale.

Un seul mot suffisait bien pour résumer sa pensée au moment où Aslak lui tourna le dos. Il ne faisait aucun doute que depuis toutes ces années, l'homme avait changé pour laisser place à une version nettement moins glorieuse de lui-même, bien qu'il avait su garder absolument toutes les séquelles de son éminent mauvais caractère.

Yara le toisa, sans intervenir tout du long de sa petite mécanique. Entre soupirs et roulement d'yeux appuyés alors qu'il affichait sa mine des mauvais jours, son agacement rejoignit peu à peu la danse. Le peu de patience qui pouvait la définir en dehors de ses chasses atteignait peu à peu ses limites.

Ne pouvait-il pas voir qu'elle faisait ça pour lui ? Pourquoi fallait-il qu'eux, chasseurs, se montrent toujours incapables d'accepter l'aide d'un pair, quand elle ne demandait aucune contrepartie ?

Quelle ironie de se poser ces questions quand on préférait toujours agir seule dès qu'on en avait l'occasion.

Sans bouger, ses yeux lorgnaient désormais l'arrière-train de sa monture qui s'éloignait, le laissant partir sans même tenter de le rattraper. Son poignet droit cassé en l'air dans un mouvement bref tachait de montrer son indifférence quand, en vérité, elle ne l'était pas tout à fait.

Aslak était buté et elle était juste trop fière pour se mettre davantage à découvert.

Voilà pourquoi Yara avait peu d'amis. Parce qu'elle ne cherchait jamais à les retenir quand ils étaient sur le départ.

Heureusement pour elle (malheureusement pour lui), une petite silhouette au loin vint l'interrompre dans sa cavalcade. Yara avait l’ouïe suffisamment fine pour l'entendre lui parler dans leur dialecte nordique, mais pas suffisamment pour bien comprendre avec quel mot elle était venue l'apostropher. Ce visage ne lui était pas inconnu, et la chasseuse décida que l'entrée en jeu impromptue d'une gamine vêtue d'un uniforme de Poudlard était un motif parfait pour les rejoindre sans toutefois donner l'impression qu'elle avait voulu rattraper Aslak.

Arrivée à hauteur des deux individus, Yara reconnut le visage de l'une des civiles qui s'était retrouvée à Pré-au-Lard lors de l'attaque des loups. Pour autant, elle ne lui sourit pas et son visage ne traduisait pas forcément les paroles qui suivirent.

« Ravie de te revoir entière. »

Elle fit une pause, tendant la main à la jeune femme qui portait fièrement les couleurs de Serpentard. À la vue l'insigne vert-et-argent étincelant sur la poitrine de l'étudiante, Yara se dérida légèrement pour demander à la jeune fille de se présenter tout en ignorant soigneusement le mulet à leurs côtés (et elle ne parlait pas du cheval).

« Tu es... ? »

Ce n'était qu'un juste retour des choses. Après tout, Yara s'était déjà présentée par le passé.

ft. @Aslak Dagoniat

Ses yeux roulèrent très haut vers le ciel lorsqu'une voix masculine répondit à sa question. C'était pourtant bien à la jeune dénommée Kira Dagoniat qu'elle avait été posée, mais son oncle devait s'imaginer qu'il avait plus de légitimité à la présenter pour une raison qui lui échappait.

Maintenant que Yara savait à qui elle avait à faire, elle se demandait comment elle n'avait pas réalisé plus tôt à quelle lignée appartenait l'étudiante, lorsqu'elles s'étaient rapidement croisées à Pré-au-Lard la première fois. Ce regard bleu d'acier, son visage rond... Elle était le portrait craché de son père, qu'elle avait déjà rencontré à plusieurs reprises lors de parties de chasses ensanglantées.

Intérieurement, la chasseuse se félicitait à nouveau de voir son rejeton sain et sauf, bien qu'elle n'avait rien fait directement pour cela si ce n'était faire partie des équipes en place le jour où le pire aurait pu arriver.

Kira se chargea d'ailleurs de rétablir la vérité à ce sujet. En revanche, la chasseuse ne put s'empêcher de tiquer à la mention des Grimm, et notamment de celui qui avait manqué de mettre le feu à l'entièreté du village sorcier où ils se trouvaient actuellement. Le conjoint d' @Apolline Dunn n'était digne d'aucune dette.

« Un Grimm qui aurait pu lui même être en sécurité bien plus tôt s'il s'était contenté d'écouter les consignes qui lui avaient été données. S'il n'y avait pas eu autant de civils récalcitrants, il n'y aurait peut-être pas eu autant de sang à couler ce jour-là, Kira. Le Ministère a tous ses tords dans ce chaos, mais sans ces micro-justiciers, la horde lycanthrope aurait été beaucoup plus simple à contenir. »

Et @Noma Karma ne serait peut-être pas mort en voulant sauver la peau de l'un d'entre vous, se retint-elle de dire pour conserver la confidentialité de cette information.

Mais c'était une autre histoire et dans celle-ci, Kira n'avait joué aucun rôle.

Son ton était implacable et bien qu'elle se doutait que la Serpentard aurait son mot à dire sur la question — son géniteur, sous ses traits généreux et bienveillants, n'était pas franchement réputé pour son manque de répartie — Yara restait sur une note positive.

« Enchantée Kira. Nikolaï m'avait parlé de toi, mais je n'avais jamais eu la chance de faire ta connaissance. C'est désormais chose faite. Bien que j'aurais préféré que ce soit dans d'autres circonstances », souligna la chasseuse, les dents serrées avec un long regard appuyé vers Aslak qui enchainait de son côté sur sa présentation.

D'abord élogieux à son sujet, son discours tomba rapidement dans la caricature. Elle l'aurait probablement ponctuée d'un bref coup dans les cotes si Kira n'avait pas été là, malgré tous les compliments qui avaient du être si douloureux à formuler.

Heureusement, sa nièce faisait preuve de davantage de sagesse que son vieil oncle, lui offrant l'opportunité rêvée pour rebondir.

« C'est exactement ce que j'essayais de lui expliquer, mais je ne t'apprends sans doute pas à quel genre de tête de pioche j'ai affaire depuis bientôt 15 ans. Ça nous rajeunit pas ça, hein Aslak ? », lui balança-t-elle en même temps que le coup dans les cotes qu'il avait réclamé avec un peu de délai.

À peine avait-il eu le temps de grimacer que déjà, il reprenait son objectif premier en ligne de mire. La chasseuse jeta un regard vers Kira, se demandant si elle aussi tenterait de l'en détourner ou si, au contraire, elle le pousserait à la consommation. Sa stratégie était des plus surprenantes, mais Yara comprenait bien qu'elle venait de trouver en elle une alliée de choix tandis qu'elle se voyait remettre les rênes du mulet qui avait pour lourde tâche quotidienne de trimballer la carcasse saoule du Dagoniat.

En dernier recours et sans autre option, elle profita de la distraction de la Serpentard pour trouver une solution bien plus efficace qui lui permettrait à la fois de montrer qu'elle n'était plus son assistante, tout en l'orientant vers d'autres horizons que celui de la taverne.

C'est ainsi que les rênes qui venaient d'être remis entre ses mains tombèrent lâchement sur le sol, libérant l'animal qui n'était plus retenu. Et comme Yara n'était pas connue pour faire dans la demie-mesure, elle donna un grand coup sur l'arrière-train de la monture qui ne se fit pas prier pour déguerpir dans le village au grand galop et à coup de ruades.

« Oups », fit la louve refoulée, les épaules haussées en attendant que les Dagoniat ne remarquent son méfait. « J'imagine qu'on va devoir aller le chercher maintenant... »

Un sourire satisfait se dessinait sur son visage alors qu'elle regardait l'équidé s'éloigner dans les rues de Pré-au-Lard, bousculant au passage nombre de passants qui n'avaient rien demandé...