Patricide

L'ancienne directrice avait fait un travail fabuleux concernant le sortilège sur le château. Je pouvais travailler à la lumière du jour sans qu'elle ne me brûle pour peu qu'elle passe au travers des vitraux, ensorcelés pour l'occasion. Cela m'avait presque manqué. Bien sûr, je ne pouvais pas sentir la chaleur du soleil réchauffer la peau, mais la simple vision de ces rayons lumineux qui transperçait les quelques poussières qui s'accumulaient suffisait à réchauffer mon cœur. D'habitude, je devais me contenter de la lumière des bougies pour la paperasse... Quoi que si j'avais été obligé de corriger mes copies à la lumière d'une flamme, réduire ce tas d'ineptie en tas de cendre aurait été sans doute trop tentant. Cela faisait deux années que j'étais professeur d'Histoire de la Magie... Et en deux ans, le niveau des élèves était toujours aussi lamentable. Bien sûr, ceux qui s'étaient intéressés un peu plus à la matière depuis que j'avais repris le flambeau des différents fantômes qui s'étaient passé le relais pour tuer les élèves d'ennuis...

Le tort était difficile à rattraper et je me demandais sincèrement s'il fallait mourir pour avoir le droit d'enseigner cette matière. Une sorte de repentance pour tout le mal que l'on allait infliger aux élèves. Pourtant, je faisais de mon mieux pour rendre mes cours vivants... Surtout ceux sur les guerres entre mage noirs et sauveurs de Poudlard... Même si je n'avais jamais été témoin de la bataille de Poudlard, j'avais combattu auprès de la folle Lestrange, comploté auprès de Rogue... J'avais servi le vieux Dumbledore et j’avais subi l'interrogatoire du Fol Œil... Sans oublier que j'avais serré la main Shacklebolt avant de disparaître dans la nature. En soi, je pouvais rendre ce cours intéressant par quelques anecdotes, des imitations. Enfin, le Directeur Korrigan, aussi appelé Médor pour les intimes, avait insisté sur le fait qu'on ne devait pas deviner que j'y avais directement assisté. Donc je faisais de mon mieux pour être un minimum chiant... Même s'il suffisait d'une question pour que j'extrapole avec des conseils rarement sollicités.

Alors que le soleil commençait à se coucher et que les élèves avaient fini les cours, je parcourrai ma salle avec un petit sourire, me souvenant de chaque élève et de chaque réaction durant mon cœur. Écouter leur pensée était un plaisir coupable que je gardais parfois pour moi... Et que je partageais parfois au reste de la classe. Cependant, même si j'aimais les taquiner, je devais avouer que je les trouvais touchants d'humanité. Ceux du ministère et du Witan qui se faisaient la guerre n'avaient aucune idée de la génération qu'ils sacrifiaient... Les aspirations des jeunes qu'ils enverraient se faire tuer... Ou les tourments qu'ils laissaient grandir. Non définitivement... J'aurais aimé pouvoir protéger toutes ces âmes des souffrances qui les attendaient hors de ces murs. Leur vie était trop courte pour se perdre en politique. Enfin, je n'étais qu'un petit vampire excommunié et qui n'allait pas tarder à être chassé par les siens quand Babylone apprendrait que j'avais trahis nos lois en faisant exterminer mon clan.

Aidôneus Petrákos, le traître... Cela serait sans doute le nom que je garderai dans les livres noirs de mon espèce. J'espérais juste que dans le cœur de ceux que j'ai été, j'aurai pu apporter un peu de cette lumière qui me brûlerait. Hum... Que t'arrive t-il Aidôneus ? Voilà que tu te faisais sentimental. Enfin... Non, la vérité était que je me faisais vieux. D'après Emir cela devait m'arriver tout ou tard. Il appelait ça, une sorte de crise d'adolescence pour Vampire... Ce moment où on se croyait sage en raison de notre expérience jusqu'à ce que quelqu'un de plus vieux et plus puissant nous remette à notre place. Enfin, trouve plus vieux que moi allais être difficile dans ce château. Et non, fantôme et tableau ça ne compte pas. Pas de bras, pas de chocolat. Pas de corps... Bon les rimes ce n'est pas mon fort. Passons. Alors que j'allais me resservir un verre d'un whisky irlandais au goût assez prononcé pour cacher les potions sanguines que je versais dedans qui renforçaient son côté ambré, j'entendis frapper à ma porte. Étrange. Généralement, les élèves ne viennent que rarement en ces lieux volontairement.

« Entrez. »

Les sœurs Montero... Elles étaient du genre scolaire, même si Alejandra était du genre à s'attirer des ennuis. Elle avait, si ma mémoire était bonne, était jusqu'à balancer un crache limace sur une de ses camarades. Leur professeur en avait fait tout un foin. Meh, c'était de leur âge. Certes, ils étaient adultes, mais à cet âge... On n'était pas encore mûr, même pour un mortel. Ce fut d'ailleurs elle qui commença à introduire leur requête. Oh, je reconnaissais l'odeur des complications. Jamais qui que ce soit était venu voir un professeur juste pour parler de quelque chose. Souvent parler de quelque chose voulait dire demander quelque chose. Or, mon toutou préféré avait été relativement clair sur le fait qu'aider les élèves comme je l'avais avec lui ce n'était pas bien, immoral et irresponsable. Il n'avait pas employé ces termes, mais c'était comme ça que je l'avais compris. L'odeur devint d'autant plus fétide quand elle demanda s'ils étaient seuls... Bizarrement, ça puait la mort cette histoire et pour un vampire, cela voulait tout dire. Ça ou alors l'une des deux était enceinte. Mais pourquoi seraient-elles venues vers moi ? M'approchant de la porte en les invitant à s'installer, je fermais la salle, laissant avec négligence ma vieille baguette centenaire sur le bureau.

« Sauf si Peeves vient faire des siennes... Nous sommes seuls. Donc s'il vous plaît, n'allez pas porter plainte pour comportement déplacé. »

Puis ce fut le tour de Selma de préciser ce qu'elles attendaient de moi. Mon visage se fit de plus en plus interdit. Quand elle mentionna leur famille, je devinais très bien où ça allait nous mener. Leur père. Elles n'avaient pas vraiment tiré le gros lot. Enfin si, sur l'échelle de la fils de puterie il était bien classé. Ernesto avait plusieurs fois essayé de louer mes services. Il m'avait tout offert. Enfin pas tout, mais disons qu'une bonne partie de sa fortune, des secrets, des délices des caraïbes. Vraiment, si j'avais travaillé avec lui, il aurait sans doute fait de moi un des vampires les plus connus, riches et prisés du monde. Sauf que la mort avait déjà arraché mon âme donc je ne voyais pas trop l'utilité de la vendre.

Ce qui me faisait très peur, c'était sa connaissance de mes fréquentations et de mon style de vie. Qu'est-ce qu'elle voulait dire ? Connaissait-elle mon espèce ? Peu probable, on se jetait rarement dans la gueule du vampire. Donc elles demandaient de l'aide... Mais je ne savais toujours pas pourquoi. D'habitude, j'aurai essayé de dissiper le malentendu, mais là... Je me contentais tout simplement de mes aptitudes de vampires... Après tout, tout le monde n'avait pas les pensées de Médor qui faisait exprès de se laisser aller à son trouble de l'attention quand j'étais dans les parages juste pour me faire un clin d’œil comme pour me dire qu'il était heureux de me donner des migraines... Oh... Soit. Elles considéraient que je connaissais le vampire. C'était un soulagement en quelque sorte. Je soupirais juste avant de verrouiller définitivement la porte. L'atmosphère devint tendue tout à coup, comme si elles et moi marchions sur un fil tendu. Pourtant, je me contentais de retourner vers mon bureau. M’asseyant calmement, j'ouvris le tiroir en bas afin d'en retirer trois verres que je plaçais entre elles et moi. Une fois chose faite, je sélectionnai la bouteille, évitant de prendre une de celles où j'avais mis des potions sanguines. Un whisky écossais, quinze ans d'âge, bien ambré.

« Avant de discuter... Un verre ? Je ne dirai rien à Monsieur Korrigan sauf s'il me le demande. »

De toute façon en termes de professionnalisme, je n'étais pas sûr qu'il ait des leçons à donner vu son amour des cuisines pour éviter les brigadiers au point d'embarquer des élèves avec lui. En plus, ce n'est pas comme s'il avait pris le meilleur pour sa petite aventure. Ddraig avait une opinion assez haute de lui pour qu'il n'ait pas besoin de lui donner des marques d'attention, mais notre avis sur la question divergeait.

« Et du coup... Vous me demandez de l'aide, mais vous ne formulez pas clairement votre demande. »

Je plongeais mon regard dans celui de Selma qui semblait être celle qui était la plus prête à jouer cartes sur table. Je me retenais de mon mieux pour ne pas utiliser le pouvoir de persuasion sur les jumelles. Cependant, même sans lui, une certaine aura se dégager de moi, tel un démon tentateur.

« Alors dites moi, Mesdemoiselles, que désirez-vous réellement ? »

Je haussais un sourcil face à la demande d'Alejandra. Ce n'était pas tant le fait qu'elle me demandait de l'alcool, je venais de leur proposer. En revanche, elle était un peu exigeante. Quand on était poli et distingué, on demandait un alcool simple, pas un cocktail... La prochaine fois, j'essayerai avec Médor voir s'il était comme ces jeunes gens... Encore si elle avait demandé une bière, je n'aurai rien dit, car la jeunesse tendait à ce manque de goût. Mais là... Bref, ce n'était pas si important.

« Vous avez conscience que c'est mon bureau... Pas un bar. Je n'aurai pas tout ce qu'il faudra... »

Retournant vers les tréfonds du tiroir, je me souvenais que les alcools de basses qualités n'y étaient pas stockés. Me dirigeant vers les tiroirs d'une bibliothèque qui montrait fièrement des manuels d'Histoire de la Magie, je sortais la tequila, le rhum ainsi que le triple sec avec de la liqueur de citron. Cela remplacerait le citron. Préparant le tout en suivant la recette de moitié tequila, vingt-neuf pour cent de triple sec et je remplaçais le citron par la liqueur au citron... Bon, il manquait le sel. Tendant le tout à Alejandra avant de servir à Selma son rhum près duquel je posais l'alcool citronné si elle voulait le rajoutais, je me contentais de mon whisky.

« Vous pensiez sincèrement qu'un professeur gardait du sel et du citron dans son bureau ? »

Pas sûr que la plupart des enseignants gardaient une quantité phénoménale d'alcool, ceci dit. Meh, je n'ai jamais dit être cohérent. Buvant une gorgée de mon breuvage, j'en savourais chaque arôme qui réchauffait mon cœur froid depuis quelque plus de deux siècles. Enfin... Du moins j'aurais pu si la joueuse professionnelle n'avait pas été aussi directe. Manquant de peu d'avaler de travers, je clignais plusieurs fois des yeux comme pour actualiser mon cerveau.

Certes, le fait qu'elles aient besoin de mon aide indiquait la gravité de la situation, mais de là à parler d'un parricide... Calmement, prenant mon verre à la main, je quittais ma chaise pour aller face à une fenêtre où la lumière traversait encore la protection que la précédente directrice avait placée. Ce si beau soleil... Si seulement elles voyaient ce qu'il était capable de me faire, elles comprendraient le danger dans lequel elles se mettaient. Je me murais dans le silence entendant chacune de leur supplique, écoutant chacune de leur pensée... Que faire ? D'un côté les aider me sembler nécessaire. Les Britanniques n'étaient pas faits pour intervenir. Leur valorisation de la vie humaine et d'une pseudo-justice qui n'était finalement aveugle que face à la souffrance des victimes faisait que jamais les demoiselles seraient en sécurité face à une protection officielle... Cependant, elles étaient trop jeunes, trop innocentes pour participer à une telle chose. Elles semblaient déterminées, mais... Jusqu'où étaient prêtes à aller ? N'allaient-elles pas regretter d'avoir résolu la situation de façon aussi extrême ? Enfin, ce n'était pas comme si c'était à moi de décider... Peut-être valait-il mieux que j'accepte plutôt que de les voir tenter elles-mêmes. N'était-ce pas la grande fierté de Poudlard ? Aider ceux qui en avaient besoin... Me retournant vers elle, je finis lentement le fond qui restait dans mon verre.

« Vous savez Mesdemoiselles que l'on ne plaisante pas avec les vampires ? Ce sont des créatures dangereuses, qui manipulent comme elles respirent. Elles lisent dans les pensées et soumettent à leur volonté sans accorder une once de valeur à votre vie privée ou à votre volonté. »

J'étais sage pour mon espèce. Souvent, on voyait les vampires comme des monstres assoiffés de sang, mais la réalité était toute autre. Le plaisir que nous ressentions était celui du prédateur jouant avec sa proie. La sauvagerie n'avait qu'un goût bien fade comme le prouvait l'effet du sang des morts sur nous... Elles ne savaient pas dans quoi elles s'embarquaient. Ni à quel point elles jouaient leur salut en cet instant précis, ayant déjà face à elles la créature qu'elles recherchaient.

« Vous pourriez échanger votre bourreau contre un autre. Le vampire que vous cherchez ne fonctionne qu'avec des reconnaissances de dettes. Êtes vous vraiment prêtes à devoir quelque chose à quelqu'un de son espèce ? Quelqu'un qui a même inspiré la peur à votre père ? »

Je laissais peser un lourd silence. J'avais eu aussi peu de réactions possible afin qu'elles ne puissent lire en moi le moindre conseil. Si tel était leur volonté, alors je préférais les accompagner et partager avec elles le poids de la culpabilité... Il n'y avait rien de plus important que la famille. Nul enfant ne méritait d'avoir le sang du parent sur ses mains. Après ce long moment de silence, je me contentais d'ajouter pour les inviter à parler...

« Car si vous êtes vraiment sûre de vous... Je lui demanderai. Mais il vous faudra une requête claire... Et précise. Il est du genre à jouer sur les mots. »

Qu'est-ce que tu ferais à ma place Luke ? C'était la question qui traversait mon esprit alors que les demoiselles se confiaient peu à peu à moi. La mort n'était jamais une chose facile à digérer, surtout chez les mortels. Pourtant, elles en parlaient avec une telle familiarité que j'avais en horreur celui qui avait osé corrompre ainsi leur cœur. Me servant un nouveau verre sans aucune modération, je profitais de mon hybridité qui me permettait de profiter des saveurs de ces boissons sans pour autant en subir toutes les conséquences. Elles avaient accepté de vendre leur âme au diable. Cela me fendait le cœur en quelque sorte... D'un côté, personne ne devrait en arriver à une telle extrémité. Elles en étaient à dire qu'elles préféraient encore une vie d'esclave que d'être la chose de leur père. D'un autre côté une telle résolution et l'absence de doute était digne de respect.

Je ne pouvais pas faiblir. Au diable les principes britanniques qui étaient hypocrites. Si leur père avait été un hybride, la moitié du département magique lui serait tombée dessus. Mais comme il était un sorcier... Enfin... Les hybrides n'étaient pas mieux. Certains auraient juste sauté sur l'occasion de tuer un sorcier. Quel monde compliqué... Quel monde écœurant pour faire naître des enfants privés d'amour au point de chercher la mort de celui qui les avait privées de ce sentiment. Je repoussais la fiole d'Alejandra... Peut-être croirait-elle que je refusais de l'aider, que je la rejetais. En réalité, c'était tout simplement parce que je n'en avais pas besoin. Je pouvais lire en elle ce qu'elle pensait. Je ne pouvais ni voir ni ressentir, mais malheureusement même si je voyais jamais je ne pourrais lui offrir le réconfort que l'on offrait à quelqu'un subissant ce que cette engeance peut créer. Non, la seule chose que je pouvais faire, c'était punir celui qui avait créé cette fiole.

« Je ne vous conduirai pas à la boutique de ce vampire. C'est un endroit où vous ne pouvez aller et où je me refuse de vous emmener. »

Le ton était sévère et n'appelait à aucune discussion. Je buvais une nouvelle gorgée de mon verre pour laisser un petit blanc planer. Peut-être avait-elle des objections, mais cela n'avait pas d'importance. Finalement, j'étais celui qui avait toutes les cartes en main.

« Je ferai en sorte que vous n'ayez pas de dette avec un vampire. En échange, vous aurez une dette avec votre professeur. Et croyez moi, ce ne sera pas un cadeau. »

Je regardais chacune d'elles dans les yeux faisant attention à chaque mot que j'employais. Je ne mentais jamais. Du moins tout ce que je disais avait une part de vérité si on se plaçait de mon point de vue. Ce ne serait pas en tant que Drake Kull que je les recevrai, donc la dette serait bien envers Aidan leur professeur. Bon, elles ignoraient que c'était la même personne, mais quelle importance ?

« Vous serez... Libérée... De votre père. Vous avez ma parole. »

Ce n'était pas ce qu'avait demandé Alejandra, mais c'était ce qu'avait demandé Selma. Je préférai cette demande, car elle me laissait plus de liberté. Je n'étais pas encore décidé sur son sort. En revanche, une chose était sûre... Il ne devait plus faire de mal à ses filles... Si je lui arrachais chacun de ses bras et lui coupais la langue... Hum... Il faudrait rajouter un baiser du détraqueur... Une fois mis en prison après cette petite attention, il ne pourrait plus faire de mal aux demoiselles et techniquement, je n'aurai fait ôter la vie de personne. Enfin, j'avais encore le temps de réfléchir.

« Il y aura un voyage dans quelques jours. Une semaine plus exactement. Ce vampire n'a pas besoin de plus de temps. L'absence d'une bonne partie du château et des autorités faciliteront l'opération je suppose. »

Surtout l'absence de Luke... Même le ministère de la magie, face à un tel événement international et vu la capacité de Médor à aller chercher la balle et à ramener une merde, j'aurai plus de liberté pour faire éradiquer un baron du crime. Combien de dettes allais-je devoir mobiliser ?

« En-tout-cas, sachez, mesdemoiselles que vous aurez sans doute le pire des prix à payer. »

Sortant de l'autre côté de mon bureau, je sortais un parchemin. Plantant une plume sur mon pouce, j'écrivais de mon sang une reconnaissance de dette. Cela n'avait aucune forme de magie, j'en étais dépourvu, mais je trouvais toujours la symbolique intéressante. Et puis... Elles ne savaient pas que je n'avais rien de magique en moi. Tendant à chacune une plume vierge, je leur tendais le parchemin sans qu'aucune encre ne puisse venir remplacer la vie qui coulait dans leurs veines.