Through these walls — ft. Hamza El Mahdi

ft. @Hamza El Mahdi

Le mois de novembre s’était écoulé dans une langueur monotone. Bientôt arrivé à son terme, les jours qui le composaient étaient passés les uns après les autres dans une indifférence morne que même les jolies couleurs de l’automne écossais n’étaient pas parvenues à effacer.

Siobhán avait regardé les heures défiler sans vraiment les voir, se demandant tout de même de temps à autre si novembre ambitionnait de finir un jour ou bien si elle ne s’était pas coincée sans le vouloir dans les rouages rouillés d’une tristesse et d’une mélancolie qui n’en finissaient plus de la harasser.

Face à ce piteux constat, décembre ne pouvait être que le mois du renouveau. Comme pour s’y préparer, elle avait fait de son mieux pour se replonger peu à peu dans les cours et ses livres dans l’unique but de laisser le répit nécessaire à son cœur brisé et user de son temps nouvellement libre à bon escient.

Le cours d’histoire de la magie était, en cela, un excellent remède : concentré davantage sur un passé de longue date, il lui évitait de penser à ce futur qui n’avait plus tout à fait la même saveur sans lui. Elle prenait même un plaisir inattendu à écouter @Aidan Peitrake relater des faits historiques sur lesquels personne n’avait plus aucune prise depuis longtemps.

Même l’annonce d’un travail de groupe à deux  grandeur nature ne lui avait pas procuré le même effet d’abattement que dans les autres matières.

L’énoncé était glauque bien qu’il avait le mérite de sortir des sentiers battus : les étudiants avaient pour mission de questionner les portraits et fantômes du château pour retracer leurs histoires et décompter le nombre de meurtres qui étaient venus brusquement y mettre un terme. Une chance pour la Korrigan qui avait passé ses premières années à Poudlard essentiellement en compagnie de ces esprits dans l’espoir de mieux combler sa solitude.

La nouvelle de cette petite sortie entre les murs de Poudlard improvisée avait donc été accueillie par Siobhán avec une vigueur renouvelée que seules ses visites répétées au Marché aux Trolls lui apportaient lors de ses passages chez @Saúl Ochoa-Reyes dernièrement.  

Mais comme c’était souvent le cas ces derniers temps, les réjouissances furent de courte durée. Elles prirent fin à l’instant même où le nom de son duo lui fut révélé.

Ses épaules étaient alors retombées contre sa chaise, alourdies par le poids de cette nouvelle avant que son regard ne glisse vers Hamza El Mahdi, non sans une pointe d’appréhension.

Le Noël 2022 avait marqué le début d’un accord tacite les reliant. Ils avaient ainsi mutuellement pris la décision de s’éviter, jusqu’à s’ignorer avec grand soin dans tous les devoirs de groupe qui avaient réclamé les talents de plus de deux sorciers en simultané, ou encore lors des autres cérémonies diverses qui rassemblaient de coutume les familles du personnel de Poudlard.

Ils n’avaient jamais eu de nouvelles occasions de se parler depuis cette fameuse soirée, et cela leur convenait très bien : tous deux s’étaient découvert un point commun qu’ils auraient mieux aimé ne jamais connaître, tant le mépris qu’ils se vouaient par nature était grand.

Pourtant, leurs œillades autrefois teintées d’un lourd dédain s’étaient subtilement radoucies depuis l’épisode de la salle sur demande.

Mais pas suffisamment pour leur faire oublier cette animosité réciproque.

Une fois les duos formées, le leur avait alors pris la direction des couloirs presque la mort dans l’âme,  avant de décider d’un commun accord de débuter leur circuit par une visite des protagonistes qu’ils connaissaient le mieux : à savoir, ceux qui trônaient sur les murs et hantaient les alentours de leur propre salle commune.

Une question, une réponse en retour, et ce furent bien les seuls mots qu’ils parvinrent à s’échanger. Leur chemin jusqu’aux cachots à la recherche du Baron Sanglant se passa dans le plus grand silence et Siobhán se demanda même si elle n’aurait pas du demander à changer de groupe de peur que sa relation tendue avec Hamza ne les pénalise dans cet exercice. Elle aurait bien voulu tenter de crever l’abcès, mais le souvenir du dernier regard que le Serpentard lui avait lancé l’empêchait de prononcer le moindre mot à son égard.

« Par là », souffla-t-elle finalement par dépit en prenant soin de ne pas croiser ses yeux lorsqu’elle s’orientait vers la geôle la plus en retrait du couloir.

Là-bas, ils étaient censés trouver le tableau de Glover Hipworth, l’inventeur de la Pimentine : un sorcier qu’elle connaissait bien — en dehors de sa collection de cartes chocogrenouilles dont il faisait partie — pour l’avoir souvent écouté réciter inlassablement les étapes de fabrication détaillées de sa célèbre potion.

Mais une fois arrivé à destination, ne restait sur le mur que le cadre de bois au milieu des pierres humides.

Glover était de sortie.

« Ça commence bien », marmonna la demie-vélane comme si elle se rendait tout à coup compte de la complexité de la tâche qui leur avait été demandée.

Et comme si ça ne suffisait pas, Peeves de passer derrière eux pour claquer la porte du cachot dans un rire si terrible qu’il fit trembler les soubassements de la bâtisse.

«  Hi hi hi ! J’ai volé la clé du concierge ! Hi hi hi ! Et elle est enchantée pour empêcher les sortilèges de fonctionner sur la serrure ! Hi hi hi ! Vous êtes cuits ! Vous ne sortirez jamais d’ici !!! Hi hi hi ! Et — Oh ! Ça alors, c’est drôle ça ! Cuits, ici... Ça rime ! »

La jeune femme se précipita aussitôt derrière les épais barreaux du cachot, faisant tinter le métal sous le choc ses mains qui l’attrapaient fermement.

« Peeves ! Ça n’a absolument rien de drôle, bien au contraire ! Reviens ici tout de suite ! »

Mais le fantôme était déjà loin.

Bientôt, alors qu’elle n’osait encore se retourner sur celui qui était coincé avec elle, les sous-sols furent à nouveau plongés dans un silence de plomb.

ft. @Siobhán Gavalagh-Korrigan


Le geste de déception de Siobhán n’avait nullement échappé à Hamza quand elle s’était écrasée sur le dossier de sa chaise comme si on venait de lui annoncer une terrible condamnation. Oui, au fils des ans, Hamza avait pris cette fâcheuse habitude d’observer du coin de l’œil des faits et gestes de la préfète - oh, par simple esprit de compétition, répliquerait-il si un pauvre fou s’avisait à le questionner à ce sujet.

Et pourtant… Depuis cette fameuse nuit enneigée, leur lien aurait pu prendre un tout autre tournant. Le jeune El Mahdi, passé la colère et l’émoi que ces révélations avaient provoquées en lui avait regretté être parti subitement comme il l’avait fait. Et cependant, rien chez Siobhán n’avait montré une quelconque ouverture ce soir-là permettant aux deux Serpentards d'ouvrir la parole sur ce qu'ils avaient tous les deux vécu. Toutes ces émotions avaient été pour eux trop douloureuses, trop intenses pour qu’ils agissent de manière plus raisonnée.

Les jours et les semaines qui avaient suivies, les deux étudiants s’étaient sciemment évités afin de ne pas avoir à évoquer de nouveau ces traumatismes sur lesquels ils n’étaient encore en capacité de s’exprimer. Et pourtant, quelques fois, le regard d’Hamza avait trainé sur la posture droite et rigide de sa camarade, imaginant à quel point il pourrait être agréable d’échanger avec une étudiante portant la même cicatrice, et camouflant une douleur similaire à la sienne.

Siobhán paraissait pourtant toujours plus forte, sûre d'elle, et il n’avait cessé de l’observer progresser, tant scolairement que dans sa capacité à s’entourer d’amis. Oui elle avait évolué, et s’il l’admirait déjà lors de cet hiver glacial deux ans auparavant, ce jugement d'elle n’avait eu de cesse que de s’ancrer plus profondément en lui. Bientôt, il ne pouvait plus la croiser sans ses fidèles amis Xris et évidemment Edel, auprès de qui elle ne tarda pas à lier une relation d’une toute autre nature.

A cette époque, il apparut alors clairement à Hamza que si l'irlandaise faisait son propre chemin, lui-même ne progressait guère dans ses compétences sociales. Il choisi alors de tout miser sur sa performance universitaire, reprenant ses vieilles habitudes de compétiteur hors paire. Pour se protéger, il choisir de reléguer sa camarade à une simple place de rivale qu’il chercherait sans cesse à dépasser, en évitant cependant autant que possible de la confronter directement. Cette motivation lui fut amplement suffisante jusqu’au jour où Siobhán sombra dans un désespoir si profond qu’il vint même bousculer les repères et remparts du Serpentard.

Son mariage vola en éclat, d’une violence telle qu’il craint durant plusieurs jours qu’elle ne quitte le château pour se réfugier dans son amère solitude. Heureusement, Siobhán était toujours ce roc qu’il connaissait et dans son désespoir, elle su trouver la volonté de s’accrocher. C’était même comme si elle avait le pouvoir de se moquer des tourments de la vie, en leur montrant qu’ils ne faisaient que la rendre plus forte encore. C’était peut-être ce deuil qui avait recouvert toute sa vie d’un voile noir, ne la laissant jamais gouter un véritable repos, qui lui permettait aussi de tout surmonter.

Encore une fois, Hamza l’avait observée de loin, mais bien moins habité par cette jalousie routinière que par une étrange préoccupation. Si sa colère habituelle continuait de l'animer, elle n’était tournée que vers la dureté de cette vie qui s’acharnait sur certains d’entre eux, ne favorisant que d’insipides vauriens. Le Serpentard ne l’aurait jamais avoué, même sous la torture, mais il avait même fait en sorte, à sa manière, d’adoucir les soucis de sa préfète. Un étudiant avait eu le nez cassé après avoir fait circuler une rumeur déshonnorante sur cette séparation précoce. Siobhán s’était suite à cela peut être étonnée de voir ses camarades si silencieux sur ce sujet, presque apeurés. Lorsqu’elle n’avait pas eu la force de se rendre dans la Grande Salle pour se nourrir, elle avait peut-être pris pour un heureux hasard le fait que quelques mets aient été placés sur le buffet de la salle commune de Serpentard. Quand elle n'avait pas eu la force d'aller en cours, elle n'avait certainement jamais su qu'un étudiant avait discrètement plaidé pour un report de l'examen.

C’était mieux ainsi. N’ayant jamais eu l’occasion de lier une relation digne de ce nom avec sa camarade, Hamza préférait agir de loin, sans pour autant demander un engagement réciproque en retour. Il ne mettait rien d'autre derrière cette étrange bienveillance que son envie de retrouver une rivale qu'il pourrait battre à la loyale, et non en raison du moment difficile qu'elle traversait. Mais ce devoir qui leur était imposé, serait-il l’occasion d’un nouveau départ pour eux ? Rien n’était moins sûr. La fierté d’Hamza le poussa à agir de la même manière que sa camarade, se renfrognant en échangeant un regard noir avec elle.

Aussi, quand quelques instants plus tard ils se firent enfermer dans le cachot par cet insupportable esprit farceur qui n’avait d’autre plaisir que de leur gâcher la vie, Hamza s’en trouva exaspéré.

- Pousse-toi, ordonna-t-il à Siobhán plus brutalement qu'il l'aurait voulu - plus par maladresse que réelle animosité - afin de pointer sa baguette sur la serrure.

Le Serpentard tenta coup sur coup sortilège de déverrouillage, de fonte de métal, de glaçage et même d’explosion miniature, rien ne fonctionna. Ces grilles devaient avoir été enchantées pour résister à tous ces sortilèges enfantins. Retenant un juron, Hamza attrapa la grille pour la secouer aussi vivement qu’inutilement.

- Enfoiré de Peeves ! Qu’est-ce qui leur prend de garder ce genre d’esprit dans le château sérieux…

Etait-ce bienvenu de critiquer les décisions d'un directeur devant sa propre fille ? Un coup d’œil à cette dernière suffit à embarrasser suffisamment le jeune El Mahdi pour qu’il lui tourne le dos en se penchant vers les gonds des grilles comme s’il réfléchissait à un stratagème pour les faite sauter.

ft. @Hamza El Mahdi


La colère d’Hamza avait beau être attendue, évidente et inévitable en de telles circonstances, ça ne l’empêcha pas de la prendre de plein fouet.

Aussi subitement qu’il avait prononcé ces mots, d’un seul jet. Comme un mur qui serait venu la percuter en plein vol. Un train en marche sans frein pour l’arrêter dans une ligne droite. Une horde de veaudelunes sauvages enragée vouée à l’écraser.

Se faire rouler dessus, se faire piétiner ou se prendre un mur — c’était affreusement douloureux. De fait, Siobhán aurait sans doute préféré ignorer les conséquences de cette colère sombre qui venait de lui être adressée.

Mais la voix d’Hamza avait résonné avec une dureté et une spontanéité telles que pendant un court instant, la sienne ne parvint à émettre aucun son pour amorcer une réponse.

Il n’y avait pas en elle une force suffisante pour générer ce poison que les Serpentard maniaient d’ordinaire si bien, ni même pour le lui cracher au visage comme elle l’aurait sans doute fait en temps normal — sans manquer de chercher par tous les moyens à se convaincre qu’il ne méritait que ça.

Mais était-ce la vérité ou une projection de son esprit pour se protéger de ce qu’il créait inconsciemment en elle — une admiration jalouse couplée à une attirance curieuse sur laquelle aucun mot ne pouvait être posé sans avoir tous deux connaissance de leur sang fae ?

Tout ce qu’elle savait de l’homme en face d’elle, c’était qu’il était brillant, constant, solide et que partout où il allait, il excellait.

Et que le peu de fois où leurs regards s’étaient croisés, c’était tout sauf de l’indifférence qui l’avait touchée. Encore plus depuis qu’ils avaient appris à leur dépends que tous deux avaient perdu une mère trop tôt dans la vie, et que ce point commun les reliait peut-être plus fort encore que cette volonté réciproque et tenace de se dépasser mutuellement.

Mais tout ce que Siobhán voyait, ici, maintenant, c’était qu’Hamza la détestait. Pourquoi était-ce parfois si difficile d’en faire autant ?

Pousse-toi, lui avait-il ordonné.

En temps normal, elle aurait tenu bon tel un roc dans une tempête, sans plier, sans faiblir, à mille lieues de vouloir lui donner la satisfaction de la voir s’éloigner.

Mais pétrifiée par la haine qu’il lui vouait alors, elle s’était poussée.

Sans rien dire. Lui laissant le champ libre pour chercher par tous les moyens à se libérer de cette prison dans laquelle ils venaient d’être enfermés, en pleine journée, alors que tous les élèves étaient à la surface pour mener la journée de cours la plus banale qui soit.

Les mots d’Hamza n’auraient pas eu la même portée s’ils n’avaient pas trouvé pas leur écho dans ceux qu’Edel Almadovar lui avait balancé avant de quitter sa vie. Ce jour-là, quand il lui avait demandé de dégager avec toute la conviction née de sa colère ravageuse, elle s’était exécutée dans ce même silence avant que la porte ne lui claque au nez.

Mais Hamza, lui, n’aurait pas ses larmes.

Ça n’était même pas une option.

Adossée au mur opposé à la grille, Siobhán laissa le silence s’installer tandis qu’il regardait ailleurs, tentant tant bien que mal de reprendre ses esprits et d’ignorer tout ce bazar intérieur que sa seule présence générait.

« C’est inutile », finit-elle par dire après un temps dans un faux calme.

Après des années sans s’être adressée directement à lui, elle lui réservait cette voix naturellement hautaine qu’il devait détester.

Elle n’avait trouvé que ça pour lui rendre la monnaie de sa pièce après l’avoir ainsi replongée dans un passé qu’elle tentait depuis des jours d’oublier.

Le pire serait sans doute qu’il trouve une solution pour sortir d’ici, et l’entendre jubiler… quoique sortir d’ici serait aussi une bénédiction, à bien y penser. Il fallait seulement que ça n’ait pas lieu grâce à lui.

« Les cachots de Poudlard ont été magiquement créés, et les clés sont bien entendu sous l’effet d’un sortilège dérivé de ceux que l’on trouve à Azkaban. Ce ne sont pas nos baguettes qui vont pouvoir contrer cela. Ni la tienne, ni la mienne. »

Hamza était déjà au courant, il n’y avait pas l’ombre d’un doute. Mais il détesterait avec tout autant de certitude qu’elle soit celle qui le lui rappelait.

« Peeves est là depuis le Moyen-Âge et personne n’a jamais réussi à le capturer malgré de très nombreuses tentatives au fil des siècles. Mais tu dois toujours pouvoir demander son expulsion au directeur, je suis sûre qu’il réussira à faire mieux que les centaines d’autres qui l’ont précédé et qu’il acceptera gentiment de faire ses valises », siffla-t-elle.

C’était de la provocation dans son plus simple appareil, en réponse à toutes les émotions par lesquelles il venait de la faire passer sans même s’en être rendu compte. Et pour tenter, peut-être, de reprendre un semblant de consistance après avoir répondu à son ordre sans quelconque forme d’opposition.

« Glover ne va pas tarder à revenir », reprit-elle sans bouger, le menton haut et sa voix plus calme qu’elle ne l’aurait été si elle avait répondu à son injonction un peu plus tôt. « Il a certainement changé l’horaire de sa ronde en cours de potion pour voir si la préparation de la Pimentine est au programme et ainsi pouvoir faire ses commentaires. On lui demandera d’aller chercher le Baron sanglant qui trouvera un moyen de convaincre Peeves de nous ramener les clés. » Une pause. « En attendant, je crains qu’il te faille prendre ton mal en patience, si tant est qu’un tel effort t’est possible. »

Dans le silence du cachot, il était évident qu’elle cherchait à le faire réagir et tous les moyens étaient bons.

Car rien ne serait jamais pire que le silence.

ft. @Siobhán Gavalagh-Korrigan



Siobhán n’eut qu’une remarque hautaine à son égard, ce qui n’étonna guère Hamza qui aurait eu la même à sa place. Il ne servait à rien de s’acharner contre cette grille qui ne s’ouvrirait pas, et son mouvement de colère le faisait passer pour plus stupide qu’il ne l’était. Surtout devant une étudiante comme Siobhán. Avec la précision qui la caractérisait, elle expliqua point après point en quoi chacun de ses gestes, chacun de ses mots étaient infondés et vides de sens.

Hamza ne pouvait que se maudire de ses agissements inconsidérés, et pourtant, c’était ce désir brulant de quitter ce lieu de toute urgence qui le poussait à vouloir recommencer. C’était comme si se tenir trop près de la préfète, coincé avec elle dans un espace clos, se révélait trop dangereux. Depuis tout ce temps, il avait fait son possible pour maintenir une distance de sécurité avec la fille du directeur, ne lui adressant quelques mots froids uniquement lorsque cela s’avérait nécessaire. Qui savait vers quoi allait mener cette nouvelle proximité forcée ?

Le Serpentard aimait tout maîtriser, tout contrôler de sa vie, et en cela il ressemblait étonnement à son père. Mais se rapprocher de Siobhán, ne serait-ce que d’un pas, c’était risquer le saut dans l’inconnu. Son corps réagissait déjà comme s’il devait se préparer à une potentielle menace, les battements de son cœur s’accélérant de manière significative, les paumes de ses mains se couvrant d’une moiteur qui l’écœura.

Mais derrière le venin qui semblait lui venir si naturellement, la préfète lui offrit l’espoir d’une échappatoire en mentionnant Glover qui selon elle finirait par les trouver tôt ou tard.  Elle doutait de la capacité d’Hamza à prendre patience, et ce simple challenge suffit à piquer suffisamment son égo pour qu’il se tourne enfin vers elle pour abaisser ses cils sur ses iris amende. Avait-elle à ce point compris la manière – assez simple – dont Hamza fonctionnait pour le faire plier aussi facilement à sa volonté ? Il fallait croire que oui…

- Je sais être patient, s’emporta-t-il d’une manière si ridicule qu’il en pris lui-même conscience sur l’instant.

Embarrassé, le sorcier se détourna pour rejoindre le mur du fond du cachot, sur lequel il s’adossa jusqu’à glisser au sol pour s’asseoir. Ce dernier était glacé, presque humide et deviendrait vite inconfortable. Mais pour l’heure, l’étudiant s’était de nouveau muré dans le silence buté qui semblait le caractériser quand il côtoyait Siobhán. La tête en arrière, il la colla contre le mur, laissant ainsi son regard courir librement sur sa camarade. Il était difficile de faire autrement, le cachot étant étroit et le couloir derrière les grilles plongé dans la pénombre, ses pupilles sombres étaient sans cesse ramenées vers la chevelure flamboyante tranchant sur la peau d’ivoire de la jeune irlandaise.

Rayonnante, elle l’avait toujours été. Et pourtant, il y avait quelque chose dans son aura qui semblait brisé, et sur le point d’imploser. Siobhán paraissait fatiguée, à bout de nerf, mais elle donnait si bien le change que c’en était troublant. Pour quelqu’un qui ne l’aurait observé de la manière dont Hamza l’avait fait ses dernières années, elle pouvait même sembler en pleine forme. Cependant Hamza savait que c’était faux. A ses yeux, elle se révélait exténuée, fatiguée de sans cesse faire semblant d’aller bien. Impossible pour lui de montrer sa préoccupation, de l’exprimer comme une personne normale le ferait. Ils étaient tous deux bien trop fiers pour ça.

- Tu devrais t’asseoir, finit-il par bougonner alors que le bruit de l’humidité des gouttes commençait à résonner si fort qu’elles lui semblaient venir de l’intérieur de son crâne.

Le Serpentard sortit de son sac un papier de brouillon qu’il roula en boule avant de l’enflammer. D’un mouvement de baguette, il ralenti la combustion, faisant voler le petit brasier au milieu du cachot qui resta stationnaire, à quelques pieds de la dalle, tournant lentement sur lui-même. Cette habile distraction lui permettait de ses réchauffer tous les deux, tout en détournant son attention de la jeune fille. Elle devait détester son regard sur elle, tout comme elle méprisait l’ensemble de sa personne. Autant l’épargner un minimum…

- On peut savoir quel dieu tu as vexé pour te retrouver de nouveau coincée avec quelqu’un comme moi, finit-il par lui lancer dans une vaine tentative de dégeler l’atmosphère.

Siobhán enchaînait les misères, mais il n’était sans doute pas nécessaire de lui rappeler à quel point elle semblait attirer le malheur à elle, jusqu’à être enfermée avec un étudiant qu’elle haïssait. Quant à savoir ce qu’elle avait fait pour mériter cet acharnement, c’était assez clair pour Hamza. Siobhán était trop belle, courageuse et intelligente ; et elle avait fini par agacer les divinités elles-mêmes…

ft. @Hamza El Mahdi

Il n'y eut pas une bribe de silence en réponse à cette provocation éhontée. Hamza ne fit même pas semblant de l'ignorer. Mieux encore : sa colère avait pris le dessus.

Intérieurement, la demie-vélane jubilait. Cette bataille d'égo lui faisait temporairement oublier la monotonie de sa vie depuis qu'Edel Almadovar n'en faisait plus partie.

« Ça crève les yeux, en effet », ironisa-t-elle devant son manque évident de patience en le toisant, toujours appuyée contre le mur à la différence que ses bras s'étaient croisés entre temps.

Hamza El Mahdi était le contraire de la patience. Indocile, rebelle et coléreux étaient des adjectifs qui, du point de vue de Siobhán, lui convenaient davantage. Mais c'était que son œil avait cette fâcheuse tendance à déformer la réalité du fait du mystère que le Serpentard représentait. En dehors de ses aptitudes hors du commun et de sa capacité à se dépasser en toutes circonstances, sans compter cette abnégation fascinante dont il savait faire preuve dans de nombreuses situations, la Korrigan ne savait strictement rien de l'homme qui lui faisait face.

Un homme qui, un jour, avait été un enfant. Un enfant à qui on avait arraché sa mère.

Cette pensée lui fendit le cœur à nouveau, bien qu'elle ne pouvait s'empêcher de le jalouser une nouvelle fois : lui, au moins, avait eu la chance de la connaître. Mais n'était-ce pas pire, finalement ? De devoir se raccrocher à des souvenirs en priant le temps pour qu'ils ne s'effacent jamais ?

« Non merci. Je suis très bien debout », feula-t-elle comme un animal blessé, non sans se redresser pour ne rien lui montrer de ce que son intérieur ressentait.

Mais ils étaient pourtant deux dans cette situation. N'importe qui les aurait trouvés à cet instant, dans le cachot à se regarder en chiens de faïence, l'aurait compris.

Sentant son regard de charbon peser sur elle, la demie-vélane décida quant à elle de se dédier entièrement aux barreaux qui lui faisaient face. Sans doute espérait-elle que la solution pour sortir d'ici lui sauterait aux yeux en se contentant de les regarder.

Mais l'attention d'Hamza, qui venait d'allumer un petit feu pour leur faire oublier le froid et l'humidité symptomatiques des cachots les plus reculés de l'école, la détourna de sa contemplation. Ses pupilles croisèrent les siennes et elle dévia automatiquement son regard vers une pierre fissurée à l'opposé.

Puis, sa voix vint à nouveau briser le silence oppressant de lieux, jusque-là entrecoupé tantôt par le bruit des flammes qui dévoraient peu à peu le parchemin, tantôt par les larmes tombantes des sous-sols du château.

« J’aime à croire que nous sommes les seuls responsables de ce qui nous arrive », corrigea-t-elle, toujours aussi distante devant cette tentative pourtant évidente de réchauffer l'atmosphère. « Ce qui importe, c’est la façon dont on en assume les conséquences. »

C'était toujours plus simple de penser ainsi que de se demander pour quelles raisons les divinités, qui qu'elles soient, l'auraient prise en grippe alors qu'elle venait seulement de donner son premier souffle. Se pouvait-il que les Dieux aient été offensés par un nouveau-né ?

Et Hamza, qu'aurait-il fait lui, pour qu'on lui enlève celle qui l'avait vu naître, puis élevé en cet homme fort et intelligent qu'il était devenu ?

Le silence signa son grand retour avec ce cruel manque de compassion quand bien même il venait de faire le premier pas. Maladroit, certes, mais premier pas tout de même. Sa langue claqua sur son palais alors que Siobhán fit quelques pas pour se rapprocher sensiblement de lui, déplaçant le feu avec elle.

« Mais après tout, j’imagine que la situation aurait pu être bien pire. J’aurais pu me retrouver coincée avec @Chelsea L. Waldorf par exemple. »

S'il ne l'avait pas lu, le fils El Mahdi avait certainement entendu parler des dernières rumeurs qui avait circulé sur son sujet à propos de son amitié avec @Xris Andērson. Puis, de celles qui mentionnaient la fin à la fois tragique et précoce de son mariage. Aussi, il comprendrait sans mal pourquoi se retrouver enfermée avec l'apprentie journaliste en de tels lieux aurait été la pire des sentences.

« J'imagine le gros titre d'ici. Une élève de première année kidnappée par sa préfète… » En de telles circonstances, même un trait d'humour — toujours sans l'esquisse d'un sourire — était risqué. D'une certaine manière, c'était se dévoiler. Aussi, elle reprit très vite ses bonnes habitudes en piquant de nouveau comme la rose qu'elle était. « Tu as au moins ça pour toi : tu n’es pas à la tête du journal étudiant le plus consulté de Poudlard. »

Il y avait toujours quelques mètres de distance entre eux, et bien qu'elle aurait apprécié s'asseoir, sa fierté la força à rester debout tandis qu'elle reprenait :

« Il y a un proverbe chez moi qui dit : Dá fhada an lá tagann an tráthnóna. Quelque soit la longueur de la journée, le soir viendra », traduisit-elle de l'Irlandais. « Tu retrouveras bientôt ta liberté. Quand ce sera fait, j’irai voir le Pr. Peitrake pour qu’il nous change de binôme », soupira-t-elle. « De toute évidence, nous ne sommes pas faits pour travailler ensemble. »

ft. @Siobhán Gavalagh-Korrigan



La vipère résistait encore et le lui fit savoir, elle resterait debout, en position d’attaque, prête à lancer son venin au moindre geste suspect venant de son adversaire. Impitoyable, l’irlandaise prit la baguette que lui tendait maladroitement Hamza pour réchauffer légèrement l’ambiance et la brisa d’un coup sec. Évidemment, Siobhán ne croyait ni aux divinités, si aux superstitions – persuadée que chacun était maitre de son destin. Ses mots durs et tranchants montraient toute l’étendue de son arrogante noblesse.

Hamza garda pour lui ses remarques cinglantes et se renfrogna, remontant ses genoux pour dresser une barrière supplémentaire entre lui et l’étudiante. Elle ne devrait plus attendre du El Mahdi la moindre tentative pour créer un semblant de conversation. Mais, dans le silence humide du cachot, ce fut comme si elle se mit à regretter sa froideur. La Serpentard s’agita et s’agaça, avant de se rapprocher d’un pas de lui, presque à contre-cœur. Ce simple mouvement, minime, embrasa bien plus le cœur de l’étudiant que tous les feux de cachots.

Pourtant, il ne releva pas les cils vers elle. Son égo meurtri lui reprochait sa récente prise de risque, et il la laisserait tenter de se rattraper si telle était son intention. Siobhán le surprit en mentionnant le nom d’une de leur camarade et Hamza finit par relever le nez vers elle pour la voir plus proche que ce qu’il croyait. Battements de cœur, sueur froide. Ses mains se crispèrent, sa nuque se raidit.

- Chelsea ? Qu’est-ce qu’elle t’a fait ?

La petite blonde avait-elle un tel pouvoir de nuisance qu’elle pouvait déstabiliser la préfète de Serpentard ? Siobhán ne tarda pas à lui révéler le nœud du problème : la gazette de leur camarade. Alors, Hamza ne put retenir un sourire narquois tandis qu’il appuya de nouveau la tête contre le mur en fixant le plafond incurvé au-dessus de leurs têtes.

- Tu devrais pas t’inquiéter de ce qu’elle raconte dans son journal… Elle écrit que sur les gens qui comptent vraiment… Prend ça pour de la jalousie.

L’étudiant garda le silence sur le fait qu’il n’y avait jamais eu le moindre article rédigé sur lui. Peut-être qu’il ne faisait pas partie des personnalités préférées de Poudlard… Peut-être qu’il n’attirait l’attention de personne. Peut-être même qu’il était trop craint pour qu’on songe à rire de lui. Peu importait. Hamza était plutôt fier de l’inexistence de rumeurs sur lui. Après avoir vu sa famille être trainée dans la boue dans tous les journaux, il connaissait la bénédiction de se savoir ignoré de tous.

Siobhán reprit la parole, pensant sans doute lui faire plaisir en lui expliquant qu’elle mettrait tout en œuvre pour qu’ils n’aient plus à se retrouver ensemble. Hamza lui-même aurait cru s’impatienter à l’idée de retrouver sa liberté mais quand son regard se posa de nouveau sur la jeune sorcière, c’était cette fois-ci une étrange sérénité qu’il ressenti et cette urgence de fuir d’ici ne lui semblait plus si pressante.

- Changer de binôme, hein, reprit-il avec un rictus fielleux en secouant la tête. Tu renoncerais à obtenir un Optimal sans avoir à bouger le petit doigt ? Faut vraiment que tu me détestes…

L’amertume colorait ses mots, les rendant cruels et faux. S’il pensait se montrait droit et fier, le Serpentard ressemblait plutôt à un gamin complexé qui cachait bien mal sa tristesse.

ft. @Hamza El Mahdi

Il n’y eut bientôt plus de quoi se réjouir. Le sourire intérieur s'était subitement évanoui dans la nature, en même temps que la répartie d’ordinaire si cinglante de son adversaire avait fondu comme neige au soleil. Et tant pis si le soleil était à des kilomètres au-dessus de leur tête, séparé d’eux par d’épaisses couches de terre et de pierre entremêlées. Le feu continuait de crépiter lentement pour prendre le relais et compenser le manque cruel de chaleur humaine qui régnait en ces cachots.

Finalement, plus que n’importe quelle réplique tranchante qu’Hamza aurait pu lui jeter au visage, ce fut son silence qui jeta un froid.

Un silence qui, tout naturellement, attira Siobhán vers lui comme un aimant. Quelque chose avait changé. D'habitude, Hamza se serait fait un plaisir de répliquer. Pourquoi cette fois-ci faisait elle exception ?

Comme lorsque n’importe quel mystère à résoudre se présentait, la vert-et-argent se mettait en tête d’en élucider les raisons profondes. Ce revirement de situation ne pouvait avoir un lien avec les révélations auxquelles ils avaient été confrontés malgré eux deux ans plus tôt, n’est-ce pas ? Il y avait forcément autre chose qui lui échappait. Un détail qu'elle avait dû manquer.

Une autre preuve s'il en fallait une que son indifférence n’avait jamais eu sa place quand il s’agissait d’Hamza, aussi étrange que cela pouvait paraître - chacune de ses réactions était passée au crible sous son œil bleu perçant.

Et si lui semblait bien disposé à l’ignorer après ses multiples rejets, la mention de @"Chelsea L. Waldorf" finit par le sortir de sa léthargie. Dans une certaine mesure, l’Irlandaise fut soulagée de ne pas devoir passer les prochaines heures à devoir imiter son camarade.

Car dernièrement, le silence laissait toujours la place à des pensées qui n’étaient pas les bienvenues.

Mais une partie d’elle, toujours sur la défensive, ne pouvait s’empêcher de se demander en secret s’il n’était pas en train de se moquer d’elle en lui posant cette question. Un sourcil inquisiteur se leva pour appuyer cette intuition, guidé par le sourire narquois qui se dessina sur le visage du Serpentard. Siobhán ouvrit alors la bouche pour répliquer mais Hamza ne lui en laissa pas le temps, lui faisant savoir par la même occasion qu’il était tout à fait sérieux en sous-entendant que ces rumeurs lui étaient passées bien au-dessus de la tête.

Étrangement, l'idée qu'il soit passé à côté de l'information piqua son égo. Après tout, même dans l'ignorance, elle n'avait eu de cesse de l'observer de loin. N'en avait-il pas fait de même ? Était-ce donc dans cet extrême détachement qu'ils avaient basculé, d'un seul côté ?

« Elle écrit sur les gens qui sont suffisamment faibles d'esprit pour prêter attention à ce qu'elle dit », le reprit Siobhán presque dans un murmure, suffisamment proche de lui désormais pour prendre appui sur le même pan de mur que celui près duquel il s'était assis. Mais elle restait debout, les yeux rivés devant elle. « Tant que ce qu'elle écrit a de l'impact, d'une quelconque manière, elle continuera à le faire. » Après un court silence, les bras lui tombant le long du corps en signe de reddition, elle ajouta : « C'est toi qui as raison, finalement. Si tous autant que nous étions, nous arrêtions de lire ses torchons... Ou d'agir en conséquence... Mais peu importe. C'est du passé maintenant. »

Rien de ce qu'elle pouvait dire ou faire ne changerait ce qu'il s'était passé après l'article de Chelsea. Edel avait lu ce qu'il avait voulu lire, comme il avait vu ce qu'il avait voulu voir le soir où il l'avait vue partir main dans la main avec @Saúl Ochoa-Reyes au détour d'un couloir.

Ou peut-être que c'était juste Siobhán qui ne voyait rien.

Son cœur se brisait à nouveaux en mille morceaux rien que d'y repenser. Heureusement, Hamza ne pouvait pas voir son visage sans se tordre le cou, de là où il était. Sans le contorsionnisme impossible de ses muscles, il aurait pu témoigner de l'océan qui menaçait de submerger ses yeux bleus alors que la douleur de ces souvenirs refaisait progressivement surface. À croire que sa présence ne savait que faire remonter le pire de ses souvenirs.

Alors, forcément, s'en émanciper devenait une nécessité.

Mais croire qu'il la laisserait faire sans chercher à la tordre aurait été une erreur.

Siobhán souffla du nez, mauvaise, ravalant sa douleur pour mieux piquer à son tour.

« Épargne-moi tes simagrées », siffla-t-elle comme la Serpentard qu'elle était. « Ne me fais pas croire que la réciproque n'était pas vraie. Tu me l'as bien fait comprendre la dernière fois, quand tu t'es enfui comme si j'avais attrapé la dragoncelle devant tes yeux. »

Outre son port de tête altier et son ton qu'elle s'efforçait de tenir à l'écart de tout le ressentiment qui caractérisait ses mots, il y avait bien le début d'une faille dans ses propos...

ft. @Siobhán Gavalagh-Korrigan



Siobhán s’était approchée de lui, si lentement que chacun de ses mouvements avait été imperceptible. Pourtant, Hamza les avaient ressentis aussi vivement que s’il avait attrapé à pleine main les flammes qui dansaient au centre du cachot. La préfète évoquait leur camarade, étonnamment atteinte par ses mots. Pensait-elle qu’Hamza la jugeait lui aussi faible d’esprit ? Il l’avait trop bien observée ces dernières années pour savoir que rien n’était moins faux. L’impact des écrits de Chelsea avaient laissé une marque bien trop profonde pour la rouquine qui semblait s’en morfondre.

Hamza fronça les sourcils, se contentant d’observer son sortilège crépiter devant lui en tentant vainement de se rappeler ce qu’il avait pu lire dans cette feuille de choix mordeur qu’il avait toujours fui. Y étaient détaillées les dernières tendances vestimentaires, d'improbables histoires à dormir debout, d'éhontées rumeurs sur de potentiels couples…

Soudain, l’évidence lui sauta au visage, si violemment qu’il en rougit en relevant le nez vers Siobhán. Mais bien-sûr ! Il était stupide de n’y avoir songé plus tôt ! C’était apparemment un article de Chelsea qui avait provoqué la vive dispute entre Siobhán et son époux, faisant voler leur récent mariage en éclat. Hamza ne s’était pas vraiment intéressé aux origines de leur séparation, mais il en avait eu vent bien malgré lui étant donné l’ampleur des rumeurs à leur sujet. Le Serpentard avait eu bien mieux à faire que de courir les ragots, comme s’inquiéter pour la santé de la préfète qui, les premiers temps, semblait prête à se laisser dépérir.

Comme il avait eu peur pour elle… Cette frayeur pouvait encore l’électriser jusqu’à immobiliser le moindre de ses muscles dans une suspension angoissée. La douleur de l’irlandaise l’avait enveloppée, longue cape de chagrin posée sur ses trop frêles épaules. Hamza avait ressenti sa souffrance, de manière si palpable qu’il avait été plusieurs fois tenté d’attraper ce lourd voile pour le tirer à lui. Il était un habitué du désespoir, il n’y avait plus rien en lui à détruire – du moins le croyait-il. Mais à voir Siobhán longer cette falaise de désolation, et craindre jour après jour de la voir trébucher, il avait su qu’il lui restait encore un cœur qui pouvait battre, s’émouvoir et s’effrayer.  

Et voilà que ce soir, il lui niait même le droit de s’épancher sur cette violente épreuve ? Quel idiot il faisait… Serrant ses mains l’une contre l’autre, le jeune El Mahdi s’empêcha de se relever d’un bond pour faire face à sa camarade. Car que résulterait-il de ce mouvement impulsif ? Que chercherait-il à lire dans le fond d’eau de ses yeux pâles ? Que ferait-il de ses mains, trop lourdes et pataudes pour se montrer réconfortantes ? Que prononceraient ses lèvres, à part des mots d’excuses ? Comment lui dire à quel point il aurait aimé remonter le temps pour changer leur destinée ?

Siobhán montrait une nouvelle fois la force de son caractère en écartant sa souffrance comme s’il s’agissait d’une simple braise volante, persiflant sur la volonté qu’affichait Hamza à vouloir la tenir éloignée de sa vie, comme de ses études.

- Excuse-moi.

Les mots avaient franchi ses lèvres avant même qu’il n’y songe vraiment, et sans qu’il n’y consente aucunement. Que le Roi Goule emporte son impulsivité ! Pourquoi s’excusait-il au juste ?! Se renfrognant, l’étudiant se trouva forcé de poursuivre.

- J’aurais pas dû… m’enfuir comme ça…

Il releva le menton vers elle, peinant à voir son visage tant elle se tenait proche de lui. Il n’aimait pas ça… ! Alors, il se leva, laissant sa haute stature prendre le dessus dans un rapport qui lui était bien plus confortable. Était-ce lui, ou est-ce que les yeux de Siobhán renvoyaient une drôle d’impression ? Comme s’ils hébergeaient un océan entier d’émotions qui allaient et venaient par vagues. Hamza finit par se persuader que ce n’était que le reflet des flammes, qui se prenaient bien trop facilement dans la toile de ses iris. Il prit alors seulement conscience qu’il s’était penché vers elle, fronçant le trait brun de ses cils pour mieux l’observer, comme il avait pris l’habitude de le faire. Mais cette fois-ci, il n’était pas à l’autre bout de la salle commune, bien trop loin pour qu’elle s’en rende compte. Il se tenait si proche d’elle que l’alarme de son corps explosa violemment. Il devait s’éloigner ! Se reculant, il haussa les épaules avec mauvaise humeur.

- Tes yeux, se contenta-t-il de lui dire. Ils sont… plus pâles… quand tu… pars là-bas…

Le sujet était glissant, il fallait en changer de toute urgence !

- Je ne laisse pas mes émotions prendre le pas sur ma raison moi, lança-t-il brusquement sur un ton orgueilleux dans l’un des plus gros mensonges de toute son existence.

- Je ne suis pas idiot, nous sommes les deux meilleurs étudiants de notre promotion. Garder notre binôme, c’est s’assurer l’excellence !

ft. @Hamza El Mahdi

On ne pouvait nier que ses mots avaient abrité une certaine fragilité. Comme on ne pouvait nier qu'Hamza El Mahdi venait tout juste de tenir des propos que Siobhán le croyait incapable de tenir envers quiconque, et encore moins envers elle.

Il venait de s'excuser et ce fut à son tour de se retrouver muette. Parce qu'elle ne savait pas réagir à cette attitude de sa part. Elle qui n'avait été habituée jusque-là qu'à des regards sombres lancés d'un bout à l'autre de la salle, eux qui prenaient toujours le plus grand soin de se tenir le plus loin possible l'un de l'autre.

À ce stade, il était encore possible de penser qu'elle avait mal entendu. Ça ne pouvait être que ça et rien d'autre d'ailleurs - un simple mais véritable malentendu. Mais c'est alors qu'il en remit une couche en explicitant un peu plus précisément ce qui venait de sortir de sa bouche et bientôt, il n'y eut plus de doute possible. Siobhán aurait voulu disparaître dans un trou de souris, gênée par cette démonstration de faiblesse qu'il lui réservait. Pour ne pas dire qu'elle était touchée par la force d'esprit qu'il montrait, bien incapable de lui renvoyer la pareille avec son petit cœur brisé.

« Ça n'a pas d'importance », mentit-elle en lorgnant ses pupilles charbon maintenant qu'elles lui faisaient face.

Elle avait dû ravaler ses larmes à toute vitesse, manquant de rendre translucides ses deux iris dépourvus de leur océan. Son visage se rapprochait du sien et maintenant, sa plus grande peur était qu'il se rende compte qu'elle avait été à deux doigts de pleurer devant lui. Aussi, elle décida qu'il était grand temps de détourner son attention pour l'orienter sur ses propres lacunes.

« Mais pourquoi tu l'as fait ? » Sa question avait dépassé sa pensée et aussitôt, elle se reprit : « Je n'ai rien dit, laisse tomber. »

La réponse, elle l'avait déjà.

Il s'était enfui, parce qu'elle ne lui avait jamais rien donné pour lui conférer l'envie de rester. Il s'était enfui, parce qu'elle avait passé sa scolarité à se mesurer à lui pour être meilleure et qu'en lui faisant ce terrible aveu, il avait eu peur qu'elle cherche encore à se comparer. Qui d'entre eux avait eu le plus mal, lequel d'eux avait le plus souffert ? Il s'était enfui, parce qu'elle n'était bonne qu'à le juger et qu'il avait refusé qu'elle se penche sur son passé. Il s'était enfui, parce que c'était la seule option en face de son ennemie jurée. Il s'était enfui - il avait bien fait - et après avoir mentionné ses yeux bleus puis l'avoir accusée de laisser ses émotions prendre le dessus sur sa raison, ce fut à son tour de l'imiter.

« Tu sais ce qu'elles te disent, mes émotions ? », explosa-t-elle sans même hausser la voix.

Brusquement, elle lui tourna le dos en s'échappant vers le pan de mur opposé, feignant d'être vexée par ses propos quand la réalité était toute autre.

Depuis qu'Edel était parti, son don lui échappait à nouveau par moment. Et ici, entre ces murs épais sans aucune distraction alentours, son sang de vélane battait trop fort dans ses veines pour qu'il puisse l'ignorer. Hamza était un homme - et d'aussi loin qu'elle se souvenait, elle ne l'avait jamais vu, ni senti amoureux. Elle l'avait suffisamment espionné en cours et parfois même en dehors pour l'affirmer. C'était terrible, mais c'était un fait. Dès lors, la créature en elle n'avait d'autre choix que d'interférer avec ses actions et ses dires et c'était exactement ce qui n'aurait jamais dû se produire, là, avec lui. Dans un monde normal, Hamza ne se serait jamais montré aussi élogieux à son attention.

Figée face à ces pierres qui la toisaient sans la comprendre, elle finit par briser le silence qui s'était installé. Lui devait croire que la colère était enfin retombée, quand ce n'était pas de ce sentiment que ses émotions étaient faites en cet instant.

« Tu n'as jamais eu besoin de moi pour réussir et atteindre cette excellence que tu vises et tu le sais très bien. D'ailleurs, tu n'as besoin de personne pour ça. Et certainement pas de moi en ce moment. » Ses notes dégringolaient à vue d’œil, ce n'était même plus un secret. Faire semblant l'aurait juste confondue en ridicule encore un peu plus quand elle avait de toute façon tout intérêt à le tenir éloignée d'elle. « Tu ne vois pas que je te rends un service ?! »

Même deux, à bien y penser.

ft. @Siobhán Gavalagh-Korrigan


Brusquement, Siobhán s’était éloignée, laissant Hamza battre stupidement des cils le temps qu’il retrouve ses esprits. Qu’est-ce qui venait de se passer ? C’était comme si – lui qui ne buvait pas d’alcool – venait de s’enivrer en respirant un parfum plus entêtant que la plus puissante des liqueurs. Après avoir plongé dans le regard de l’irlandaise, il s’était immédiatement noyé et vautré dans sa propre bêtise, vantant leur excellence combinée dans l’espoir irraisonné de passer encore un peu de temps avec elle.

Était-il devenu fou ? Siobhán était sa rivale, aussi agaçante que parfaite et elle l’insupportait au plus haut point ! Son seul objectif toutes ces années avait été de se tenir le plus éloigné d’elle, sans jamais pourtant la lâcher du regard. La préfète, sans doute écœurée par son comportement, avait réagi de la seule manière censée, se tenant à présent dans le coin le plus éloigné du cachot en lui tournant ostensiblement le dos. De colère, Hamza serra le poing contre le mur tout en se passant la main sur le visage.

Pourquoi n’arrivait-il jamais à se tenir quand il était en sa présence ? Auprès d’autres étudiants, il pouvait pourtant se montrer tout-à-fait charmant ! Peut-être un poil arrogant, mais agréable et même bienveillant. Mais avec Siobhán, il se comportait toujours de la pire des manières, tantôt agressif, tantôt subjugué par elle, ne parvenant à maintenir le moindre équilibre et sortant toujours honteux de la moindre de leurs entrevues.

Pourtant, lorsqu’elle reprit la parole quelques instants plus tard, sa voix était étonnamment dénuée de ressentiment. Ses mots surprirent Hamza au point qu’il ne sut que répondre, fixant un moment son dos surmonté de son cou délicat, hébété par les soudains compliments qu’il ne se serait jamais attendu à recevoir de sa part. Quand il finit par s’exprimer, le feu de la fierté avait dévoré son cœur, mais pas assez pour retirer toute trace d’agressivité dans son ton.

- Ne t’avise pas de me dire de qui ou de quoi j’ai besoin pour réussir, lui répondit-il vertement comme si la suffisance était la seule manière qu’ils avaient pour communiquer.

L’enfant à l’égo piqué observa alors un moment le bout de ses chaussures se sentant partagé entre plusieurs émotions contradictoires. Sans qu’il ne sache expliquer pourquoi, l’idée de poursuivre ses études sans cette rivalité qu’il chérissait lui était intolérable.

- Bien-sûr je veux te battre, mais je veux le faire à la loyale. Il y a deux ans, tu es tombée malade en décembre et quand tu es revenue en cours après avoir bu la potion qu’on a préparé en cours et que Martha t’a apporté, tu avais tellement révisé pour combler ton retard que j’ai mis un mois à pouvoir te rattraper. A la rentrée, tu as raté plusieurs conférences, mais tu as quand-même repéré l’erreur qu’avait fait l’intervenant de Théories des Baguettes dans les notes que j’ai donné à Peter et que tu as récupérées. Quand je suis allé l’interroger, notre directeur de maison m’a dit qu’il t’avait proposé de prendre plusieurs semaines pour te reposer mais que tu as refusé pour ne pas rater plus de cours, donc il ne fallait pas que je m’inquiète. Tu ne prends plus la parole en classe, ce n’est pas parce que tu ne sais pas mais parce que tu ne veux pas répondre. Je le sais très bien parce que tu avais surligné la réponse dans les notes d’Hist…

Hamza interrompit son monologue, se demandant lui-même où il voulait en venir. Difficile de continuer plus longtemps sans que Siobhán ne comprenne à quel point il épiait le moindre de ses faits et gestes. Il était sur le point de révéler qu’il avait lui-même copié ses notes en les confiant à plusieurs personnes afin qu’elles reviennent à la Serpentard, et qu’il l’avait vue les lire dans la Salle Commune, bien qu’elle n’y mît pas la même énergie qu’avant.

- Tout ça pour dire… Je sais que tu ne vas pas bien en ce moment. Mais je sais aussi que tu finiras par revenir en première position, et plus forte que jamais. Et moi, j’attendrai le temps qu’il faudra ce moment là pour me mesurer de nouveau à toi. En attendant…

De nouveau il s’interrompit, ne sachant comment poursuivre. « En attendant, mange bien les plats que je te ramène en Salle Commune et n’écoute pas les ragots, je m’occuperai personnellement de ceux qui les diffusent ? » Siobhán était trop fière pour voir d’un bon œil le service qu’il cherchait à lui rendre. Le jeune El Mahdi ne sut mesurer à quel point il avait comblé ou à l'inverse creusé le fossé qui les séparait, alors que l’étudiante lui tournait toujours le dos. Pourquoi fallait-il qu’il se montre toujours aussi mal-à-l’aise et indélicat. Et elle, pourquoi ne lui répondait-elle pas ?

- Siobhán…

Peux-tu comprendre que j’ai besoin de toi ?