TW : violences psychologiques ; empoisonnement ; deuil ; coups de frigo.
ⵍⵎⴷⵉⵢⵜ
Je n’aime pas le bleu. Surtout quand il se vente de sa couleur vive et écrasante d’un ciel de plus de quarante degrés.
Médéa. Ville amazigh entourée de vallées jaunissantes. Le soleil ne pardonne à personne. Voile noir qui glisse devant mes yeux que je relève d’un doigt habile. Sourire aiguisé qui transperce mon visage de porcelaine. Hijab du deuil, hijab protecteur, que je porte aujourd’hui autant pour me protéger du soleil que d’autres personnes encore bien moins attentionnées que l’astre de feu.
Main qui court devant mes yeux. Elle me fait signe d’avancer. Je hoche la tête sobrement face à l’invective de ma tante. Nous nous retrouvons devant la tombe de ma mère. Sobre, dans sa ville de naissance. Un coin du cimetière dédiées aux sorciers et sorcières de notre région. Alvina Snakebark avait toujours demandé à être enterrée là où elle est née.
Quelques mots d’échappent de ma bouche. Sifflements respectueux, prière dans notre langue. Mon œil aiguisé s’arrête sur un cobra qui sort d’un buisson pour venir s’enrouler sur la tombe d’Alvina. Reine du désert et de ses serpents. Coup d’œil à ma tante, qui me signe de faire attention. Il n’est pas bon d’être un Fourchelang aujourd’hui. Surtout lorsque l’on est fille de criminels de guerre. Alvina Snakebark et Emmet Poisonwood ne sont pas les bienvenus en terre sorcière, même ici en Algérie.
طالب
Je bois un thé bouillant. Horriblement amer. Un thé des campagnes arabes comme je n’ai pas l’habitude d’en boire.
La nuit est tombée sur les montagnes kabyles. Ma tante ne perd pas une goutte de l’affreux breuvage. Parfois, les soirées sont longues, notamment lorsqu’une tante muette nous emmène dans une cabane au fond d’un pays où il n’y a ni réseau ni vie extérieure. Je suis néanmoins reconnaissante de m’emmener chaque année en pèlerinage pour voir sa sœur. Malgré les risques qu’elle prend. La Jinniya, comme elle est appelée, est recherchée par la communauté internationale magique. La Venimeuse, avait un jour titré la Gazette du Sorcier, tandis que sa sœur, Alvina, était l’Empoisonneuse. Les sœurs Snakebark étaient vues comme deux magico-terroristes issues des terres orientales. Si la Jinniya en jouait et arborait un maquillage plein de khôl autant dans son village natal que dans les rues de Londres lorsqu’elle était jeune, Alvina avait vite effacé son accent arabe et s’était construit un look de citadine chic des beaux quartiers de Londres. Deux sœurs différentes mais un même combat : devenir les plus grandes sorcières de ce monde. Elégant et puissant métissage d’une grande famille magique arabe طالب –Taleb, les connaisseurs – et de sorciers britanniques réputés dans les soirées les plus ésotériques d’Europe : les Snakebark. Les deux sœurs voulaient croquer dans ce monde.
Un monde d’hommes. Un monde de blancs. Un monde qu’il ne faudrait pas croquer mais dévorer. Conquérir. Les limites de la magie et de la puissance sont dans la noirceur.
Aliva et Emmet. L’empoisonneuse et l’empoisonneur. Mélange explosif. Medea est née d’un rêve de destruction. Création du chaos, bijou de son père. Son nom existe encore. Menton relevé, il arborait une petite fille géniale. Il ne manque alors plus qu’un petit garçon pour perdurer les Poisonwood.
Ce nom avait fait trembler le monde entier lors des guerres sorcières. Puis la mort avait fauché dans les rangs des empoisonneurs. Ne restait alors plus qu’Emmet et sa femme, son adorée, celle qui allait rendre à son nom ses lettres d’or.
Un espoir qui quitta Emmet lorsqu’il se fit éclater la face dans le réfrigérateur d’un Auror.
▽
J’attrape un bol d’eau claire. Me rince la gorge. Fusillée du regard par la tante. En réponse, je signe un triangle, tête en bas. Symbole alchimique de l’eau. Elle lève le yeux au ciel.
Eau claire. Clearwater. L’eau salvatrice et le poison meurtrier. Pourtant, l’eau a fini par tuer le poison. Malédiction que la Jinniya prenait très au sérieux. Elle se méfie de l’eau. Si un Clearwater avait réussi à traquer et tuer sa sœur, elle sait qu’elle n’est pas à l’abri, elle aussi, de boire la tasse.
Je n’ai jamais compris exactement ce qu’il s’était passé. Si je devais détester les Clearwater. Après tout, les méchants c’était nous. C’était les Poisonwood et les Snakebark qui avaient choisi la voie de la noirceur et du sang. Je me mets à pouffer de rire toute seule face à mon bol d’eau. Quelle banalité affligeante, les méchants du poison et les gentils de l’eau, comment être un héros avec un nom de famille tel que le mien ?
Jinniya se tourne vers moi, attrape le bol avec fougue. Agite ses doigts derrière elle. Quelques feuilles d’une plante locale se jettent dans l’eau. Une fleur jaune, tulipe du désert, se noie à son tour. L’eau prend alors une teinte violacée étrange tandis que ma tante agite son index. La magie sans baguette avait une force que je n’arrive toujours pas à maitriser correctement, malgré l’entraînement intensif auquel je me prêtais.
On ne va pas se rendre esclaves des outils des occidentaux, pestait toujours la Jinniya. Elle me tend alors le bol.
Bois, me signe-t-elle.
Tout mon être me crie de ne pas le faire. Le poison coule dans mes veines, je saurais le reconnaître. Ma tante claque de la langue avec agacement. Elle signe alors, lettre par lettre.
P-O-T-I-O. Je la regarde sans comprendre. Elle continue son explication muette.
P-O-T-I-O, l’origine du mot potion, l’origine du mot poison. Ça veut dire breuvage. Tu es l’héritière des breuvages. L’eau n’est qu’une fade copie de ce que tu es. Ton père t’a offert une puissance incommensurable. Et ta mère …Ses mains se figent dans l’air une seconde. De a bouche sort alors le râle rauque qui lui reste de voix pour siffler le Fourchelang.
Ta mère t’a offert les serpents et leur fougue. Tu es grande maintenant assez pour comprendre la tâche qui t’incombe. Tu dois tout donner pour ce que tu es. Alors maintenant, bois. Son poing s’écrase dans sa paume. Le ton est sans appel.
Je bois, je m’évanouis. Evidemment.
Θάνατος
Poisonwood, amusant. Je me souviens encore aujourd’hui du ton sarcastique, bien trop sarcastique, d’un vieux Choixpeau que l’on m’a mis sur la tête. Poisonwood finit bien évidemment chez les verts et argents. Poisonwood, étrangement, ne se fit pas que des ennemis. Bien que quelques regards de travers me croisent dans les couloirs de Poudlard, des mains se tendent et Poisonwood passe es premières années d’université sans faire de vagues. Poisonwood – ark, que je déteste être appelée comme ça !
Prise entre l’honneur et le devoir de fidélité à mon sang, et le besoin de m’émanciper de ce destin criminel. La Jinniya représente cette ambivalence : elle est ma bouée salvatrice autant que l’ancre me tirant dans les abysses sombres. Dans les limbes grises mon cœur balance. Rien n’est noir ou blanc, le bien, le mal, des concepts qui n’ont pas de prises sur la réalité. L’eau et le poison ne sont que deux déclinaisons de la boisson originelle. Si chaque potion que je prépare en cours, si chaque herbe que je ramasse dans la serre, ont pour première intention de me faire réussir mes études et être reconnue comme une sorcière douée ; le passée de mes mères, mes tantes, mes ancêtres résonne dans chaque bulle, chaque fleur et chaque senteur.
Le goût de la fleur jaune du désert passe dans ma gorge.
La Jinniya ne veut pas que je rejoigne l’organisation Thanatos. Je suis trop jeune, trop naïve, trop modelable selon elle.
Tu bois même du poison de plein gré, avait ricané ma tante dans notre langue serpentine.
Encore le goût de cette fichue fleur.
La Jinniya rit mais ne s’amuse pas. Elle se moque mais est protectrice. Pas de noir, pas de blanc, de bien et de mal, je commence à connaître la chanson. Me faire boire ce poison est l’occasion à la fois de me montrer qu’elle est ma supérieure, mais également pour habituer mon corps à des doses chaque fois un peu plus violentes de toxiques. Il se s’agirait pas que la progéniture des Snakebark et des Poisonwood s’intoxique.
Je veux entrer dans Thanatos. Je veux connaître les frontières de la magie, de l’humain et de ce qu’il peut produire. Mon ton est sans appel, mon regard d’onyx dans celui de ma tante. Elle balaye toute ma pétulance d’un revers de main dans les airs. Mes oreilles sifflent à l’entente de sa réponse en Fourchelang.
A toi de faire tes preuves alors, et Thanatos te trouvera. Mais tu sais qu’aucun retour en arrière ne sera possible. Tu devras alors te positionner et arrêter de jouer les ballerines. Arrêter de serpenter, fondre sur ton objectif. Son sourire aussi aiguisé que ses paroles me coupe toute réponse.