Tout cramer et reprendre à zéro

Elle eut un petit sourire en coin de fouine. L'enthousiasme de son meilleur ami était précisément ce qui manquait à son humeur en ce moment. Cette énergie qui d'ordinaire était le miroir de la sienne. Asel sourit plus franchement, de nouveau prête à faire les quatre cents coups. Elle prit le petit bout de papier qu'il lui tendait, rappelant le projet de toujours puis elle le fit disparaître en un claquement de doigts. A des centaines de kilomètres, dans une boîte à sucre en fer blanc, il allait rejoindre une foule d'autres petits papiers du genre, qu'elle gardait précieusement depuis des années.

Passant comme à leur habitude du dirico au poulaintêtard, le mariage revint dans la conversation mais comme on s'y serait attendu. En même temps avec Michel-Ange, l'inattendu était généralement ce à quoi on s'attendait justement. Elle écouta sa théorie sans queue ni tête les bras croisés sur sa poitrine. Une moue ostensiblement sceptique tirait sa bouche vers le bas par la commissure tandis que ses paupières mi closes lui donnaient déjà l'air de ne plus écouter. Finalement elle éclata de rire avec lui.

« Mais ça tourne pas rond des fois là-dedans ! Bon j'avoue que ça nous est déjà arrivé d'imaginer vous enfermer dans un placard à balais avec rien d'autre à faire que... ben t'as compris quoi. Mais de là à me marier pour créer l'opportunité... »

Il reprit son sérieux, passant par les félicitations généralement de rigueur puis déroulant le fil d'un autre plan tout aussi logique que le premier et bien moins loufoque que le second. A son tour, elle griffonna un petit mot sur un bout de papier qui traînait dans sa poche arrière depuis sans doute la naissance du monde. Témoin de mon témoin. Cela en faisait un de plus.

« Oh non, il n'a rien demandé du tout. », corrigea-t-elle alors que Michel-Ange essayait de redonner un semblant de chronologie aux événements qu'il avait manqué. Sur le coup, elle avait dit ça comme une évidence, comme s'ils n'avaient pas été en train de parler mariage depuis près de trois quart d'heure. « Il t'en aurait parlé quand même. »

Elle regardait Michel-Ange absorber graduellement le flot de changements tout en sachant qu'une fois que le tout serait monté au cerveau, ça ne lui ferait pas du bien. Elle le connaissait depuis le temps. Les plans tout tracer et les certitudes ça n'étaient pas sa came, du moins il semblait parfois en avoir une trouille bleue.

Elle secoua la tête à la négative, les yeux rieurs avec un petit hum hum qui le contredisait déjà.

« Personne a rien demandé à personne. Mais un jour ça va arriver, c'est sûr. »

Elle serait passée pour une folle ou une illuminée à balancer ce genre de niaiseries à n'importe qui. Mais il pouvait voir dans son regard qu'elle était la plus sérieuse du monde. Il y aurait toujours très loin au fond d'elle cette certitude que les sentiments d'Adil pourrait s'éteindre du jour au lendemain, c'était dans sa nature à lui. Mais les siens à elle seraient toujours là, vifs et incontrôlables, comme quand elle avait appris que @Céleste Delacroix avait eu un geste déplacé. Mieux valait sans doute que les deux jeunes femmes ne se croisent pas de si tôt, quand bien même Asel aimait beaucoup Céleste.

Comme elle s'y était attendu, un vent de panique se mit à souffler dans l'entrepôt. Elle s'accroupit pour se mettre au niveau de Michel-Ange, qui était plus pour elle un frère qu'un ami. Qu'on ne la contredise pas là-dessus, de toute manière elle n'avait ni frère ni sœur donc sur son échelle à elle, il en était ainsi.

« Si ça va le faire. Parce que tu vas te mettre un coup de pied au cul et me sortir quelque chose de potable d'ici six mois. Quelque chose dont on pourra être fiers, que je puisse commencer à mettre de côté pour ce mariage qui arrivera un jour où l'autre. Et si ça se trouve ça sera pas celui qu'on croit. »

Elle planta son regard dans le sien, il avait beau pleurer, elle ne put s'empêcher de se foutre de sa gueule pour mieux l'aider à se relever ensuite. L'attirant contre elle sans douceur, elle le sera avec son habituelle patte d'ours.

« Allez ! Toi et moi on a au moins besoin de ça pour se tenir les méninges occupées en ce moment. Et vu la poubelle que c'est ce hangar, on va avoir de quoi faire. »

Elle se moquait encore mais en même temps, il fallait bien reconnaître que leur grande acquisition faisait peine à voir. Fort heureusement, avec tous les travaux de ferme qu'elle avait faits depuis l'enfance, Asel n'avait pas peur d'y mettre un peu d'huile de coude. Elle ne savait pas où tout ça les mènerait mais elle avait une certitude : pour l'heure, ils allaient se rentrer, trouver un endroit où prendre un bon chocolat chaud (enfin pas elle mais lui) avant de se quitter jusqu'à la prochaine fois.