The Safety of Disbelief

Heureusement pour Samir, Adil ne tiqua pas à la mention de Nima. Même si son regard s’était étrangement voilé, il passa outre en commentant sa réaction pour faire le parallèle avec les matchs de boxe qu’il avait pu faire plus jeune. Il y avait en réalité peu de similitude dans la violence des coups qu’il avait pu prendre et le semblant de blessure du Constantinois. Samir se contenta de hocher la tête en songeant qu’il aurait adoré voir son frère en pleine action. Il imaginait d’ici les lumières, les cris, la tension palpable… Ça devait être extraordinaire…

Imitant son frère sans en avoir conscience, il but une gorgée de sa boisson très sucrée avant d’attraper une frite. Un simple haussement de sourcil accueillit la révélation d’Adil sur le foot avant que ce dernier ne lui pose plus de questions sur ce sport.

- Non, non, j’ai jamais été dans un club, lui répondit-il dans un rire en imaginant d’ici la situation : Nima l’emmenant s’entraîner, lui achetant un maillot officiel... Tout cela était cependant loin d’être drôle. La mère et son fils n’avait jamais roulé sur l’or et ce genre d’activités extra-scolaires étaient loin d’être abordables. Mais quand bien même elle en aurait eu les moyens, Samir n’aurait pas imaginé sa mère dans ce rôle-là. Il n’avait jamais eu l’impression de manquer d’amour, mais… Elle ne faisait tout simplement pas partie des mères qui allaient voir les matchs de leurs enfants. Elle avait comme une forme d’étrange réserve vis-à-vis du monde extérieur que Samir avait souvent mis sur le compte de ce père qui avait si vite disparu. Mais préférant ne pas s’appesantir sur les autres raisons qui l’auraient poussé à agir ainsi, Samir se racla la gorge en s’agitant.

- C’était juste pas possible, se contenta-t-il d’expliquer en évitant de sombrer dans le misérabilisme. Il ne souhaitait absolument pas que son frère le prenne en pitié. Aussi, il récupéra rapidement son sourire pour poursuivre. Mais je suis vite devenu un expert en foot de rue. Enfin un expert… Je me débrouillais quoi…

Adil poursuivait sur ses équipes préférées et Samir sentit son sang s’échauffer en se rendant compte qu’il pouvait difficilement être plus heureux que sur cet instant présent : à parler foot avec un frère retrouvé qui l’avait immédiatement accepté. Il acquiesça vivement alors que son sourire s’aggrandissait.

- Liverpool, oui je les aime beaucoup aussi, ils sont excellents, très bonne attaque ! Moi j’étais plus fan du Real de Madrid, j’aime beaucoup le Bayern de Munich aussi… Mais bon mon équipe préférée… Tu sais. C’est l’équipe d’Algérie !

Il eut un éclat de rire en posant une main sur son torse, là où battait son cœur en résonnance avec son pays. Mais il se rendait bien compte que, comme en France, le foot n’était pas le sport favori des sorciers qui lui préféraient de loin de Quidditch. C’était apparemment également le cas pour son frère, et il accueillit ses mots avec un nouveau hochement de tête. Aucun problème. Le Quidditch remplacerait le foot s’il le fallait.

- Le Quidditch, ça a l’air sympa, concéda-t-il en jouant avec une frite. Faut que je m’y intéresse un peu plus. J’essaierai d’entrer dans l’équipe de ma maison, ça peut être pratique pour rencontrer des gens j’imagine…

Samir n’était pas du genre à faire des choses pour se faire des amis. Les amis, il les trouverait sur sa route. Ceux qui acceptaient de traîner avec lui et qui finissaient par reconnaître sa valeur mériteraient bien ce qualificatif. Mais jamais Samir ne mettrait de côté son égo pour aller quémander une quelconque amitié. Il se prenait pour quelqu’un de très fier, lui qui avait tout plaqué pour rencontrer un frère inconnu. Lui encore, prêt à s’inventer de nouvelles passions juste pour avoir le plaisir d’en discuter avec ce même frère. Mais hors de question qu’Adil s’en rende compte…

- Je pourrais rester un peu ici… A Poudlard, je veux dire… Je pourrais finir ma scolarité ici. Enfin… Je sais pas… Je me dis juste que… ça pourrait être sympa…

Voir son frère rire à la mention de l’équipe d’Algérie fit se redresser Samir avec fierté. Adil, tout comme lui, portait les couleurs de son pays en son cœur. Peu importait qu’il ait quitté l’Algérie jeune ou qu’il n’en ait gardé qu’un amer souvenir, les deux Mesli partageraient cette même passion.

L’aîné poursuivit sur sa passion du Quidditch, mettant en avant une violence que Samir n’avait jamais perçu. Attentivement, il fixait son frère alors qu’il parlait, les yeux sombrement baissés derrière ses longs cils. Lentement, le même sourire un peu sauvage naquit sur les lèvres du petit frère alors qu’il acquiesçait devant ses propos. L’adrénaline, le challenge… Se battre, s’oublier soi-même et tout donner pour vaincre… Voilà des sentiments qui tordaient tout aussi délicieusement les entrailles du jeune algérien. Quand leurs regards se croisèrent de nouveau – les deux frères surent l’un comme l’autre qu’ils se ressemblaient à bien des égards.

Adil détestait perdre et encore une fois, Samir ne pouvait que le comprendre. Lui-même avait bien du mal à accepter le goût de la défaite qui lui donnait l’impression de mourir un peu. Il se savait prêt à tout pour réussir, et généralement, le jeune homme se donnait les moyens de parvenir à ses fins. Quand il avait choisi de retrouver son frère, aucun frein ne l’aurait empêché de traverser la Manche pour se rapprocher de lui : ni le manque d’argent, ni son faible niveau d’anglais, ni même le fait qu’il ne connaissait personne dans ce pays et n’avait aucune certitude d’y être accepté.

Adil pour sa part lui expliqua sa chance d’avoir été rapidement bien entouré – notamment par le clan dont faisait partie sa tante par alliance. Ils étaient apparemment foule au sein du château. Cette annonce renforçait l’impression de Samir d’avoir trouvé d’étranges ressemblances entre de nombreux étudiants qu’il avait croisé, certain arborant des cheveux aussi flamboyants qu’un soleil couchant. Ils étaient finalement tous un peu cousins… C’était souvent le cas pour les habitants d’une île, aussi grandes que soient les Îles Britanniques…

Son discours sur l’utilisation de sa magie rendit Samir curieusement pensif et il baissa à son tour les cils pour fixer l’assiette entre eux qu’ils avaient déjà à moitié vidée. Faire quelque chose de bien de sa magie, disait-il ? Peut-être que c’étaient ses oncles et autres mentors qui l’avaient guidé sur ce chemin de sagesse… Samir sentait qu’il en était pour sa part très loin. La découverte de ses pouvoirs n’avait créé chez lui qu’une envie plus pressante encore de s’en sortir et de devenir quelqu’un d’important et de respecté. Faire quelque chose de bien ? Il avait même du mal à comprendre ce que sous-entendait son frère derrière cette énigmatique révélation.

Mais sa réaction aux dernières paroles de Samir ne put que le pousser à raccrocher son attention sur celle de son frère, alors qu’il évoquait l’importance de rencontrer sa famille…

- Ma famille, commença doucement Samir en sentant son cœur battre dans sa poitrine. C’est toi ma famille. Juste toi, lui confirma-t-il tout en se détournant pour masquer son émotion.

Par ces quelques mots, il essayait de lui faire maladroitement comprendre qu’il n’avait aucune intention de changer d’avis et de faire demi-tour. Il n’avait même nulle part où retourner, ni personne à retrouver s’il devait quitter Poudlard. Le jeune Mesli n’évoquait consciemment pas leur mère, ni leur père, faisant le choix de les effacer de l’équation, comme s’il niait jusqu’à leur existence.

- Ouais, on a dix-neuf ans à rattraper… ça en fait des années et des histoires à raconter… Sans compter celles d’avant ma naissance, que t'es seul à connaître…

Il se tu pour éviter de revenir si vite sur ce sujet si sensible, préférant attraper son verre pour en remuer la boisson dans un soudain silence. Quelque chose le gênait dans ce qu'il venait d'entendre, et il s'interrogeait - le doute s'immisçant toujours un peu plus en lui, jusqu'à lui faire reprendre brusquement la parole.

- Quand tu dis que tu veux faire des choses bien avec ta magie… Aider les autres, tout ça… Comment tu sais ? Comment tu sais que tu fais le bon choix ?... Que tu fais quelque chose de bien ?

Adil prit son temps pour lui répondre, frottant doucement son menton alors que ses sourcils se plissèrent. Samir l’observa attentivement, avant de détourner le regard quand son frère releva le visage vers lui. Il n’aurait sans doute pas dû poser cette question. C’était bizarre… Et si Adil le trouvait soudain bien trop étrange, à ne pas savoir exactement distinguer le bien du mal ? Ce n’était pas qu’il ignorait la différence entre les deux, seulement… Il semblait à Samir que parfois, ceux qui prétendaient faire le bien étaient ceux-là même qui détruisaient des vies entières. A l’inverse, on considérait comme mauvaises des actions pourtant nécessaires et légitimes… Le monde était une nuance de gris dans laquelle la lumière était parfois compliquée à trouver.

Finalement, Adil lui révéla l’importance de l’enseignement de son oncle. Samir garda les cils baissés sur sa boisson. Était-ce ce qui manquait à son éducation ? Nima l’avait bercé, nourrit, soigné. Elle lui avait permis de grandir sans violence, s’assurant qu’il n’ait jamais faim ni froid. Mais elle ne lui avait pas appris ce genre de choses : réfléchir à ses actes… Peut-être qu’engoncée dans son propre déni, elle avait soigneusement évité ce genre de conversation.

Écouter son cœur… Il semblait à Samir qu’il avait écouté son cœur en quittant la France pour l’Angleterre. Avait-il fait le bien pour autant ? Il en doutait aux vues des larmes dans les yeux de sa mère ou de la souffrance glissant sur l’air de son frère quand il avait appris son existence. Mais le sens que donnait son oncle à la magie l’intrigua, et Samir releva le visage, s’accrochant aux paroles d’Adil. Dans le regard terrifié de Nima, il avait lu bien autre chose quand elle avait découvert ses pouvoirs. Le contraire d’un don de Dieu en réalité… Une véritable malédiction. Comment deux fervents croyants pouvaient-ils avoir des avis si différents sur la question ? Qui avait tort, et qui avait raison ? Samir sentit une étrange émotion le gagner alors que la fatigue du voyage le rendait plus affecté que d’habitude.

- Que ça serve à quelque chose, répéta-t-il en hochant lentement la tête, jouant distraitement avec son verre alors que sa jambe se remettait à trembler nerveusement.

- C’est classe je trouve… comme objectif.

Une nouvelle raison de poser un regard admiratif sur ce grand frère dont la force semblait être contrebalancée par une sagesse et une impressionnante réserve. En comparaison, Samir se trouvait coléreux et agité comme une stupide créature. Finalement, c’était peut-être une bonne chose qu’Adil choisisse comme spécialité la Magizoologie. Peut-être qu’il ne serait ainsi pas dégouté par cet aspect chez Samir où tout était à refaire, désapprendre de mauvais comportements pour mieux se calquer sur l’attitude d’Adil. Un véritable réapprivoisement…

- Je suis pas sûr d’arriver à être aussi… classe.

En réalité, il n’était même pas sûr de le vouloir. Après tout, pourquoi chercher à faire le bien autour de soi quand le monde n’avait jamais rien fait pour lui ? Samir avait dû s’endurcir et apprendre à se défendre pour s’en sortir. Pourquoi, maintenant qu’il découvrait ses nouveaux pouvoirs, ne pourrait-il pas les utiliser pour son propre intérêt ?  Le jeune Mesli tenta de rendre son regard moins fuyant avant de poursuivre.

- Tu pourras m’aider ? M’expliquer ce que ton… je veux dire notre oncle t’a appris ?

Peut-être était-ce trop tard ? Samir était-il condamné à devenir le versant sombre de la fraterie Mesli, s’étant tenu bien trop longtemps loin de la lumière d’un enseignement bienveillant et équilibré ?

Encore une fois, Adil parut réfléchir très sérieusement à sa question, faisant presque regretter à Samir de l’avoir posée. Finalement, il ne prononça que quelques mots, qu’il semblait avoir scrupuleusement soupesés et sélectionnés. Samir l’écouta, le visage impassible avant de baisser lentement le visage. Être soi-même, c’était justement ce qui l’inquiétait. Et si le problème était ce qu’il avait au fond du cœur ? Après tout, Adil et lui venaient tout juste de se rencontrer… Peut-être que plus son frère en découvrirait sur lui, moins il l’apprécierait…

De toute manière, Samir se savait incapable de jouer un rôle. Il était bien trop entier pour cela. Quand il avait une idée en tête, il se devait d’aller au bout. S’il n’aimait pas quelqu’un, il lui serait impossible de faire semblant de l’apprécier. Et si on s’avisait de jouer avec ses nerfs, le jeune Mesli ne pouvait s’empêcher de réagir à la hauteur de l’affront qu’on lui faisait. Sa seule intelligence sociale résidait dans sa capacité à comprendre ce qu’on attendait de lui, ce qui le rendait plutôt à l’aise au milieu d’autres jeunes et dans ses études.

Aussi, tout ce qu’il pouvait espérer, c’était que ce « juste lui-même » qu’Adil allait peu à peu connaitre lui convienne et soit à la hauteur de ses attentes. Qu’il aurait la pédagogie pour rectifier le tir s’il le fallait, recadrer ses maladresses s’il en faisait, répondre aux nombreuses questions qu’il aurait à lui poser… Adil aurait-il la patience ? Justement, l’aîné Mesli le lui confirma comme s’il pouvait entendre avec précision le courant actuel de ses pensées. Samir lui sourit en retour, assez ému par ses mots, hochant lentement la tête avant de la pencher sur le côté.

- Mais… Est-ce qu’on pourrait attendre un peu avant de le rencontrer ? On pourrait déjà voir si nous deux, on arrive à s’entendre… Si ça se trouve, dans une semaine t’en pourras plus de moi !

Il cacha sa nervosité avec un rire, ne souhaitant pas envisager pas une seule seconde la possibilité d’un échec dans leur relation. Mine de rien, cette nouvelle proximité et cet apprentissage l’un de l’autre qu’ils allaient vivre pas après pas l’angoissaient un peu, et le jeune homme ne souhaitait pas rajouter à ce stress celui de rencontrer et de chercher à plaire à toute une nouvelle famille.

En inspirant profondément, il se reconcentra sur son frère – celui qui était devenu déjà bien avant leur rencontre son unique priorité. Malgré toutes ses craintes et ses doutes, cette première soirée de découverte se passait bien. Mieux que dans ses rêves les plus fous même. Et elle se poursuivit encore, à coup de discussions légères et de brusques révélations poignantes, jusqu’à la fermeture de l’Auberge qu’ils quittèrent ensemble pour rejoindre leur université commune.