The Safety of Disbelief

Samir ne savait plus depuis combien de temps il patientait, là, dans le froid, à attendre qu’Adil veuille bien le rejoindre. Les mains dans les poches, il frissonnait, s’étant vite rendu compte que même le plus gros de ses sweats n’était pas suffisant pour survivre en milieu écossais. Il ne faisait pas face là au mistral puissant qui pouvait traverser la place de l’œuf de sa ville française d’adoption, ni au froid sec qui pouvait parfois régner entre les allées fleuries de l’académie de Beauxbâtons. C’était un froid glacial et humide qui transperçait les vêtements et la chair, pour venir s’attaquer directement aux os. L’algérien savait qu’il ne pourrait jamais s’habituer à cette météo-là, et le ciel grisâtre qui s’assombrissait lui faisait la sinistre promesse qu’il ne reverrait pas le soleil de sitôt.

Il était hors de question pour le jeune Mesli d’aller s’abriter dans une de ces auberges pour payer ce qu’il aurait pu avoir gratuitement au château. Son budget restait limité et serait dépensé avec parcimonie. Mais finalement, sa patience fut récompensée quand il reconnu au loin la silhouette de son aîné. Il s’avança prudemment vers lui, s’arrêtant à une certaine distance avant que le jeune homme lui fasse signe de s’approcher. Alors, il le rejoint, adoptant la même posture que lui pour s’adosser contre la barrière. Leurs positions symétriques leur permettaient d’échanger sans avoir à s’observer mutuellement.

La manière dont Adil brisa le silence le surpris cependant tellement qu’il tourna la tête vers lui en écarquillant les yeux. Sans faire le moindre commentaire, il se détourna pourtant rapidement en se contentant de renifler bruyamment. Mais sur son visage à présent à moitié dissimulé par l’obscurité, un maigre sourire était né. S’il ne s’était jamais avoué avoir désiré un grand frère, ou un père, il avait passé toute sa vie à rechercher une figure forte à suivre. A Constantine, c’était tombé sur le fils aîné d’une famille voisine qui était en quelque sorte le chef du quartier. En France, c’était les mauvais éléments des classes supérieures, champions du redoublement et de l’impertinence. Des mecs costauds qui n’avaient peur de rien et créaient leurs propres règles. En gars malin, Samir s’était vite fait accepté d’eux sans montrer à quel point ils pouvaient l’impressionner. Et pourtant, ils n’avaient pas la moitié du charisme qu’il percevait chez ce frère à peine découvert.

Adil voulait en savoir plus, et Samir s’appuya sur la barrière pour s’assoir dessus, prenant un peu de hauteur sur les propos qui allaient suivre.

- Pour mes pouvoirs… Je me souviens pas trop de la toute première fois… Je crois que ça m’est arrivé plusieurs fois quand j’étais petit, mais j’y faisais pas vraiment attention. Je trouvais ça presque normal. Ou alors je pensais que j’étais juste chanceux… Mais y’a une fois où j’ai été obligé de voir la vérité en face. Je jouais au foot dans l’appart et j’ai tapé sur un vase qui est tombé et qui a rebondi pour revenir dans son emplacement. Je savais que si je le cassais, j’étais mort. Mais maman était là, et elle m’a vu. Tu peux pas imaginer le regard qu’elle m’a lancé…

Le jeune homme secouait la tête en regardant droit devant lui, la buée lui sortant de la bouche.

- On aurait dit qu’elle avait tellement peur ! Mais maman elle a peur de tout aussi. Elle a peur de l’avion, elle a peur du mauvais sort, elle a peur des pigeons et des chiens ! Pas des chiens algériens qui ont la dalle, les tous petits comme elles ont les françaises ! Du coup moi ça m’a surtout fait rire, je l’ai pas trop pris pour moi quoi… Je crois qu’elle en a beaucoup parlé à sa sœur Alida. J’avais juste plus le droit de refaire ça. A la fin du lycée, j’ai reçu une lettre d'acceptation à Beauxbâtons et j'y suis allé. Là-bas j’ai vraiment compris ce que c’était la magie, la vraie ! J’étais tellement heureux de pouvoir me libérer, tester mes limites, tu peux pas savoir…

Il soupira avant de se repositionner sur la barrière, pour retirer ses mains et les remettre dans ses poches en essayant de les réchauffer.

- Quand je suis rentré cet été, j’étais vraiment trop content. J’ai montré à Nima et Alida certains trucs que j’avais appris, franchement je crois elles étaient impressionnées. C’est là… Il fit une soudaine pause avant d’inspirer bruyamment. C’est là que Nima m’a raconté pour toi. Elle m’a dit qu’elle avait eu tellement peur en découvrant ton don qu’elle t’avait abandonné. Et qu’on l’avait puni de son geste en lui donnant un autre fils maudit. Et que maintenant elle comprenait que c’était peut-être pas une malédiction, et elle s’est mise à pleurer…

Le ton de Samir était devenu froid et bien plus détaché qu’avant. Il restait immobile en regardant droit devant lui.

- Moi je suis parti de chez elle, et je lui ai plus reparlé depuis… Alida m’a dit où tu vivais alors je suis venu en Angleterre y’a quelques mois pour apprendre l’anglais et me faire un peu de sous. J’ai demandé une autorisation d’admission tardive à Poudlard et, me voilà !

Se tournant alors vers son frère, il désigna de son menton sa cigarette.

- Je peux tirer ?

Cette fois-ci, Adil ne rejeta pas en bloc ce qu’il lui disait, et se contenta d’accepter son discours dans un quasi silence. Mais finalement, Samir distingua un maigre sourire sur le visage de l’étudiant quand il lui tendit sa cigarette. Avec un rictus similaire, le jeune Mesli l’attrapa pour la porter à ses lèvres, tirant doucement la fumée âcre pour la laisser lui emplir les poumons. Mais le commentaire d’Adil le fit rire, et il s’esclaffa en toussant à moitié alors qu’il recrachait malgré lui la fumée de sa taffe. Redonnant la cigarette à son frère, il haussa les épaules avec une moue amusée.

- T’inquiètes j’ai 19 ans, c’est trop tard pour penser à refaire mon éducation…

La cigarette était entrée dans sa vie comme tout ce qui pouvait avoir le délicieux parfum de l’interdit et Samir avait commencé à fumer en cachette dès la fin du collège, avant de continuer ouvertement au lycée, pour assoir la légitimité de son personnage cool et mature. Si l’expérience à Beauxbâtons l’avait aidé à réduire considérablement cette mauvaise habitude, détournant suffisamment son attention par l’ampleur de ce monde magique à découvrir ; son travail éreintant à Brighton en début d’année l’avait fait replonger.

Adil sortait peu à peu de son silence mais ses questions décousues prouvaient qu’il avait encore besoin de temps pour accepter l’idée de l’existence de Samir. Ce dernier secoua lentement la tête, replaçant ses mains gelées dans ses poches en tentant de répondre à ses interrogations.

- Ben ouais je suis tout seul… J’ai pas demandé l’avis à Nima et Alida avant de venir ici, mais je pense pas qu’elles auraient approuvé, et encore moins qu’elles m’auraient accompagné.

Son ton était détaché même si au fond de lui, Samir ressentait une petite boule de peine lui peser dans l’estomac à l’idée d’avoir tourné le dos à sa seule famille. Du moins… La seule qu’il connaissait.

- J’ai dû bosser un peu à Brighton parce que la bourse de Poudlard suffisait pas à prendre en charge toutes mes dépenses, c’est pour ça que je suis pas venu plus tôt. Je voulais essayer de te rejoindre à Londres mais le seul boulot que j’ai trouvé me laissait aucun jour de congés et j’étais pas prêt à le lâcher. Franchement ils connaissent pas trop le droit du travail en Angleterre j’ai l’impression…

Samir frissonna de froid, sentant le bout de ses pieds qui commençait à se congeler. Il évitait de trop bouger pour ne pas perdre le peu de chaleur qu’il avait réussi à accumuler mais ses yeux se tournèrent vers Adil.

- Bien sûr que je suis venu dès que j’ai appris, tu crois quoi… Je découvre que j’ai un grand frère ! Un sorcier comme moi en plus ! J’ai pas hésité une seconde !

La dernière question de son frère le laissa un peu perplexe, alors qu’il se demandait ce qu’Adil sous-entendait. Peut-être qu’il avait peur que Samir lui demande de le prendre en charge, tant financièrement que dans son éducation…

- Mais t’inquiètes Adil… C’était toujours étrange de prononcer son nom, mais Samir y trouvait un côté galvanisant, comme la promesse d’une habitude qui s’inscrirait en son cœur de manière indélébile. Je suis parfaitement autonome, j’attends rien de toi en particulier. Je voulais juste te rencontrer, apprendre à te connaître…

Le jeune Algérien haussa les épaules sans oser en dire plus pour ne pas effrayer Adil plus qu’il semblait l’être. Avec le recul, c’était vrai que voir un inconnu tout lâcher pour le rejoindre pouvait paraître effrayant à son frère. Samir n’osait pas ajouter à son explication le poids de ses attentes et de ses espoirs. Il avait pourtant tellement de questions à lui poser également, sur sa vie, son enfance, ses expériences… Est-ce que leur famille s’était naturellement divisée entre magiques et non magiques ? Le jeune algérien baissa lentement les yeux avant de lui demander dans un souffle.

- Tu es resté en contact avec Amar ?

Adil reprenait la parole, difficilement, mais il semblait vouloir lui faire passer un message. Ce n’était apparemment pas la question financière qui le dérangeait, mais plus de savoir où cette découverte allait les mener, et dans quel genre de relation. Samir essayait de la jouer cool, mais il ne pouvait s’empêcher de se projeter bien trop vite dans ce rapport fraternel qu’il découvrait mais dans lequel il se sentait à l’aise, comme s’il l’avait attendu toute sa vie. Il haussa de nouveau les épaules, en tentant de répondre d’un air détaché.

- Franchement je te l’ai dit… J’attends rien de particulier… Mais… Enfin c’est vrai que… Je découvre tout juste mes pouvoirs et la magie… Sa main passait machinalement sur son crâne rasé de près sous sa capuche. Tu pourrais… m’apprendre quelques trucs… me donner des conseils… je sais pas…

Malgré lui, il restait marqué par ce qu’Adil lui avait avoué. Il avait envie de le connaître… Samir avait beau se dire qu’il était venu sans rien présumer de particulier, le fait de savoir que son frère ne le rejetait pas le rendait fébrile, presque brulant. Ses mains ne tenaient pas en place, s’agitant nerveusement alors que son cœur tambourinait dans sa poitrine. Cette étrange émotion était difficile à cerner… Entre la joie et l’appréhension, l’euphorie de l’avenir qui se dessinait devant eux, et la nostalgie de ce qu’il n’avait jamais connu. Il éternua brusquement et se demanda s’il n’était pas simplement en train d’attraper un rhume.

Cependant, le jeune algérien espérait et redoutait la réponse du Mesli quant à leur père. Lorsqu’elle tomba, il ne sut précisément s’il était déçu ou soulagé. Sans doute un peu des deux à la fois. Frustré de voir la piste vers ce presqu’inconnu s’arrêter net, mais consolé à l’idée qu’Amar n’avait pas préféré un fils à l’autre, comme Nima l’avait fait. C’était un sentiment égoïste, mais il ne pouvait s’empêcher de le ressentir.

Rapidement pourtant, plus rien de tout ça ne compta lorsqu’Adil lui expliqua qui l’avait recueilli. Samir le fixa avec un visage blêmissant avant de quitter la barrière pour sauter au sol.

- Notre oncle, répéta-t-il dans un souffle à peine audible.

Il ignorait tout de sa famille paternelle, Nima ne lui ayant rien révélé et lui-même n’ayant jamais cherché à en savoir plus. C’était plus une question, d’égo que d’indifférence. Si Amar n’avait pas souhaité apprendre à le connaître, il en avait fait de même de son côté. Et Samir avait mis le reste des Mesli dans le même panier. A présent, avec un bout d’histoire révélée, Samir comprenait que tout avait été bien plus compliqué. Nima lui avait tu tellement de choses… Certainement que cet oncle ignorait son existence, tout comme Adil ?

- Amastan… Ce nom semblait étrangement familier, mais Samir se sentait bien trop ému pour s’en soucier. Il avait un oncle, et lumineux, selon Adil.

Le nouvel étudiant porta la manche à ses yeux pour s’essuyer alors qu’il ne pouvait s’empêcher de faire le parallèle avec la manière dont sa mère l’appelait quand il était petit. Son soleil. Se pouvait-il qu’il ressemblât à cet oncle, encore étranger dans son esprit ? Aurait-il lui aussi l’envie de le rencontrer ? Mais un autre élément avait marqué Samir, et il releva le nez vers Adil pour lui poser la question.

- Mamie ? La mère d’Amastan ? Elle est… encore là ? Et son père ?

Difficile pour lui d’imaginer tout ce pan de famille dont il apprenait l'existence au fur et à mesure qu’Adil lâchait ses informations. Soudain, Samir fut pris d’un étrange doute en se demandant si son histoire leur avait réellement été dissimulée. Peut-être qu’ils avaient simplement choisi le fils Mesli qui grandirait avec eux, laissant le petit - plus fragile et moins puissant - à Constantine avec sa mère ?

- Tu crois que… ?

Ses mots se perdirent entre ses lèvres et il ne sut comment les retrouver. Est-ce qu’il pourrait les rencontrer ? Est-ce qu’ils auraient envie de le connaître ? Peut-être que tout cela était encore trop tôt… Mais étrangement, alors qu’il venait d’en apprendre tellement plus sur sa famille, Samir ne s’était jamais senti aussi seul et il sentit l'émotion le gagner de nouveau.

Adil semblait s’interroger lui aussi sur les raisons qui avaient poussé leur famille à taire leur existence l’un à l’autre. Pour lui, ils devaient certainement tout savoir, là où Samir espérait que leur désintérêt ne reposait que sur une bien légitime ignorance. Le jeune algérien baissa le visage en reniflant, soudain bien moins enthousiaste à l’idée de les rencontrer. Son frère donnait l’impression qu’ils avaient de bonnes raisons d’avoir gardé pour eux la vérité, mais lui en était bien moins sûr. Après tout, Nima était l’exemple parfait du pire de ce que les membres de cette famille étaient capables de faire par peur ou lâcheté… Il se contenta de se frotter le nez de sa manche sans rien répondre, son cœur battant anormalement. Tout ce qu’il pouvait souhaiter, c’était que ce ne soit ni de peur, ni de lâcheté.

Mais Adil reprit la parole, et Samir sentit les noirceurs de son âme se faire chasser par la chaleur de son discours. Il voulait lui présenter ses amis… Ces simples mots prouvaient à Samir que son frère venait d’accepter sa présence à ses côtés. Il paraissait avoir pris le temps nécessaire pour intégrer la nouvelle de son existence, et peser le pour et le contre. Samir n’était plus considéré comme un menteur, ni un profiteur aux attentes démesurées.

- Ta copine ? Samir avait répété ses mots avec un sourire niais en hochant la tête, sa réplique visant à cacher vainement son émotion.

La joie qu’il éprouvait à l’idée d’être accepté par son grand frère, et même bientôt intégré à son cercle d’amis, était incommensurable. Adil venait de remplir un creux qu’il avait là, au cœur même de ses entrailles, sans qu’il n’en ait jamais eu conscience. C’était comme si toutes ses actions, ses impairs, ses coups de gueule n’avaient été qu’une stratégie pour le mener à cet instant précis. C’était mieux que de rencontrer son père, cet homme qui les avait apparemment rejetés, l’un comme l’autre. C’était même meilleur que sa découverte de la magie. Il venait de retrouver son grand frère et être approuvé par ce dernier. Pouvait-on imaginer plus belle sensation au monde ?

La fierté bloqua les mots dans la gorge du jeune Mesli qui se contenta de serrer ses poings glacés dans les poches de sa veste en baissant son visage souriant. Adil continuait à parler avant de s’excuser pour ses mots, se trouvant trop bavard. Samir se hâte de secouer la tête, toujours avec le même rictus aussi embarrassé que celui d’Adil.

- Non je trouve pas que tu parles trop, marmonna-t-il avant de se gratter de nouveau l’arrête de nez.

Il connaissait encore si peu son frère, mais il lui paraissait déjà improbable qu’il fasse quoi que ce soit de critiquable. Adil semblait au contraire respirer une classe incroyable. Il ne faisait nul doute qu’il était craint et respecté ici à Poudlard, et ses amis devaient aussi être parmi les plus populaires de cette université. Quant à sa copine, Samir imaginait déjà une beauté algérienne, douce et gracile, à la longue chevelure d’ébène.

- Honnêtement, je sais pas ce que c’est un portrait chinois… Il haussa les épaules en frissonnant. Mais ça te dirait pas qu’on aille se mettre à l’abri ? Je crois que j’ai jamais eu aussi froid de toute ma vie…

Une buée blanche s’échappait en continue de ses lèvres qui avaient commencé à bleuir.

- Je te raconterai toutes les anecdotes que tu veux… Mais dis-moi… elle s’appelle comment ta copine ? Vous êtes ensemble depuis longtemps ?

Étrangement, il se sentait déjà presque jaloux d’elle, de l’attention et de la complicité qu’elle devait partager avec le Mesli. Samir, lui, n’avait jamais eu de copines à proprement parlé. Les filles qu’il avait croisé jusqu’à présent ne l’avaient jamais vraiment intéressé. A part quelques incroyables beauté de France ou d’Algérie aux yeux de qui il avait été complètement invisible. Mais par fierté, il aurait préféré mourir plutôt que de l’avouer.

Samir accusa silencieusement le choc de savoir son frère sur le point de se marier. C’était fou. Adil était vraiment sérieux… Mais compte tenu de l’ampleur des révélations qui venaient de lui être faites, le jeune algérien ne savait où donner de la tête. Après un oncle et sa famille, il se découvrait une future belle-sœur. Pourvu que cette dernière l’accepte aussi naturellement qu’Adil semblait le faire à présent… Ce dernier lui proposa de se rendre dans ce qui devait être un bar du coin, proposant une bière à Samir qui secoua lentement la tête.

- Désolé… Je bois pas d’alcool…

C’était leur premier point de divergence et Samir détourna piteusement le regard avec une certaine déception. Il se sentait soudain tellement… différent. Le jeune homme avait toujours fièrement prôné ses origines, et notamment depuis son arrivée en France. Dans ses plus grands moments d’isolement, le fait de se définir comme un algérien – et comme un pratiquant – lui avait permis de se raccrocher à quelque chose de plus grand, de plus fort que toute la solitude du monde. Mais le fait d’apprendre que son propre grand frère ne suivait pas tous les préceptes et traditions qu’il s’attachait à respecter changeait la donne. Samir était-il sur le point de balayer tous ses repères pour s’en construire de nouveaux avec Adil ? Cette idée avait quelque chose d’effrayant. Au fond de lui, Samir restait très attaché à ses racines qu’il n’avait pas envie de trahir pour se conformer à un mode de vie plus occidental.

Mais soudain, une douce chaleur vint interrompre le flot de ses pensées. C’était la main de son frère sur son épaule. Samir sentit un feu le balayer de la tête aux pieds, chassant tout autant le froid que les doutes, et son cœur entreprit une curieuse danse, entre emballement et apaisement. Le Constantinois perçu un bonheur presque palpable l’habiter mais il n’osa reproduire le geste d’Adil. Il y avait entre ces deux frères une tranquille pudeur que le jeune Mesli avait immédiatement discerné sans avoir besoin d’aucune preuve de son existence. C’était ainsi, et cette compréhension allait définitivement marquer le début de sa relation avec son frère.

Alors qu’ils se mettaient en route, Adil lui révélait un peu plus d’éléments sur sa future femme qu’il semblait aimer depuis de nombreuses années, et sans aucun doute possible. Samir se contenta de sourire en l’écoutant, préférant rester muet pour éviter d’être maladroit. Lui-même était bien incapable de comprendre ce genre de sentiment qui donnait l’impression de vous balayer avec une violence sans pareille. Peut-être n’était-ce pas plus mal pour Samir qui ne détestait rien de plus que de perdre la face…

Ils arrivaient en vue des rues éclairées du petit village qui bordait la gare par laquelle il était arrivé le jour-même quand Adil l’interrogea sur l’académie de Beauxbâtons.

- C’est vraiment sympa, consentit à révéler Samir. L’académie à un côté assez imposant. Du peu que j’en ai vu, c’est beaucoup plus raffiné que Poudlard. Une ambiance un peu château de Versailles, je sais pas si tu vois. En arrivant, je me sentais un peu perdu, mais j’ai rapidement trouvé des gens qui me ressemblaient. Au début on restait qu’entre maghrébins et autres étrangers, mais j’ai fini par avoir un groupe d’amis assez varié. Surtout des nés moldus. Moldu ? C’est bien comme ça qu’on dit ?

Samir haussa les épaules pour montrer à quel point toutes ces questions de pureté du sang lui importaient peu. En réalité, il avait été très blessé en apprenant qu’en plus de ses origines, il porterait le poids d'un jugement supplémentaire de par son éducation non magique.

- Ici aussi ça a autant d’importance cette question ? J’ai pas rencontré beaucoup de maghrébin mais je trouve que les anglais regardent moins les origines. Ils ont l’air de plus accepter les différences qu’en France, non ?

Du moins il l’espérait… Ce nouveau départ pourrait peut-être lui permettre de ne plus être considéré comme un sous-sorcier ainsi qu'il l'avait parfois ressenti. Sa fierté était telle qu'il pouvait abandonner toute éducation magique du jour au lendemain s'il ne se sentait pas assez respecté.