Enchanted to meet you (Siobhán)

Avant de passer la porte de l'amphithéâtre ce jour-là, Siobhán avait pris une grande inspiration, stoppant sa marche pour se laisser le temps de respirer. Il y avait des lieux que l'on visitait et qui resteraient à jamais imprégnés des souvenirs qui les avaient marqués. Cette pièce était l'une d'entre elle. À jamais, ces quatres murs seraient gorgés des aveux qui y avaient été proférés, le 8 avril dernier.

Rejoignant sagement sa place en se forçant à éviter certains périmètres du regard, la Serpentard ne put pour autant s'empêcher de chercher @Edel Almadovar, comme pour s'assurer que lui aussi, se souvenait. Car ce n'était pas une simple œillade de salutation qu'elle lui avait envoyé. C'était beaucoup plus subtil que ça.

Autant dire qu'elle ne prêta pas grande attention aux astres, ce jour-là, beaucoup trop occupée à tenter d'éloigner de son esprit les mots qui faisaient écho jusque dans son cœur, les gestes qui étaient écrits sur sa peau. À dire vrai, elle n'avait même pas saisi la notion de « travail en groupe » avant qu'Edel ne prenne sa place à côté d'elle. La tête posée sur sa main, solidement tenue par son coude, Siobhán se redressa en croyant percevoir des grognements tout près d'elle.

« Désolée de vous décevoir très cher », commença-t-elle avec un sourire en rangeant ses affaires, négligemment étalées sur la table. « Un jour je changerai de nom. Peut-être, on sait jamais. » Ne pas croiser ses yeux alors qu'elle repensait inévitablement à ce qu'il avait laissé sous-entendre, ce soir-là, et qu'elle avait tenté d'oublier depuis — sans succès. « T’as qu’à aller avec mon frère si tu veux.  » Elle le montrait du regard, à l'opposé d'eux, alors qu'il était bien trop occupé par la présence de @Evelyn Morgan pour remarquer son coup d’œil. « Par contre, attends-toi à avoir une moins bonne note.  »

Elle avait parlé en déballant sa plume et un morceau de parchemin qu'elle n'avait même pas daigné sortir jusqu'ici, trop prise par ses pensées pour se laisser séduire par une envie de travailler qui n'avait nullement sa place dans cet amphithéâtre.

Il était étrange de voir à quel point elle évitait soigneusement de le regarder alors qu'il était tout près d'elle, quand un peu plus tôt, elle l'avait cherché des yeux alors qu'il s'était éloigné. Edel n'y verrait probablement aucune volonté de mettre de la distance entre eux, simplement la peur de se laisser replonger dans ce qu'ils avaient vécu ce soir-là, après qu'elle l'ait retrouvé dans ce même endroit.

Le sang mélangé avec le Veritaserum qu'elle avait consommé aux côtés de @Xris Andērson et qui lui avait permis de finalement mettre des mots sur ce qu'elle ressentait.

En face à face avec celui qu'elle aimait.

« Je pense qu'il est préférable que j'évite de te dire à quoi je pense là, tout de suite », chuchota-t-elle alors qu'une lueur de malice s'emparait d'elle. « Et puis moi, tu sais, les astres... »

Regrettait-elle déjà de s'être engagée sur une bonne note qu'ils n'obtiendraient probablement jamais ? Absolument.

Les effluves de ce parfum qu'elle adorait parvenaient à ses narines avec une force qu'il lui était impossible de réfréner. L'Irlandaise dut mordre l'un de ses sourires une ou deux fois alors qu'elle peinait encore à comprendre l'attraction qu'elle ressentait quand il était à ses côtés.

Elle ne pouvait rien empêcher, et Edel avait beau ne rien faire de particulier, elle le voulait.

Sans le lui dire à haute voix, il y avait encore ses yeux qui parlaient pour elle.

« Je ne vous savais pas si intimes tous les deux. J'irais peut-être lui en toucher deux mots. Je t'ai dit que je partageais pas. »

Les yeux rivés sur sa feuille, la jeune femme riait doucement en repensant à ce qu'ils s'étaient promis sans se le jurer à voix haute. Une fidélité immuable, une loyauté profonde, auxquelles Siobhán savait à l'avance qu'elle ne dérogerait jamais.

Sans chercher à comprendre pourquoi, elle le savait. C'était amplement suffisant.

Ses pupilles tentaient tant bien que mal de résister à la caresse de cette plume quand c'était sa peau qui l'appelait en repensant à la volupté de ce ciel qu'il avait lui même imaginé en voyageant sur son dos, alignant chacun de ses grains de beauté pour dessiner sa propre voie lactée.

« D’ailleurs, j’aimerais bien les revoir à l’occasion. Les astres. Pour les étudier, je veux dire. Je suis pas sure d’avoir perçu toutes leurs subtilités la dernière fois. »

Sa plume se rechargeait automatiquement à mesure que les mots coulaient sur ce parchemin. En ayant grandi avec @Finn Gavalagh-Korrigan, la vélane avait appris à faire deux choses en même temps bien que la remarque d'Edel lui montrait que sa présence était synonyme d'interférences. Les battements de son cœur, quand il était tout près, résonnaient au moins deux fois plus fort dans sa cage thoracique, à tel point que parfois, elle ne s'entendait même plus parler.

Son manuel de potions dans ses mains, ses lèvres se pincèrent alors qu'elle se baissait pour partir à la recherche du bon bouquin. Elle n'avait bien entendu rien manqué du petit manège qu'il avait mené devant ses yeux alors que son souffle murmurant son prénom lui revenait comme un écho du passé.

Son cœur rata un battement alors qu'elle repensait à ces mots prononcés en espagnol, entre deux gestes tendres.

« J’ai pas bien compris ou tu voulais en venir. Tu devrais préciser ton idée. Peut-être que si tu le dessines, ce sera plus simple ?», ajouta-t-elle pour tenter de sauver la face alors que l'intervenant repassait devant eux dans un interminable va-et-vient.

Elle ne reprit sa rédaction qu'une fois que le manuel fut posé devant eux.

Debout, comme pour les cacher encore un peu du monde qui continuait de tourner en face de leurs yeux, et pour mieux reprendre le fil de sa pensée.


Elle avait écrit ces mots sur son parchemin, ne doutant pas un seul instant qu'il les aurait perçus avant qu'elle ne les efface.

« Que je suis étourdie. » Elle haussa les épaules en lui souriant. « Désolée mais on aura peut-être pas une très bonne note finalement. »

Si, quelques jours plus tôt, cette idée aurait pu la rendre folle au point d'aller voir @Sheraz Mahal en personne pour profiter de ses conseils, aujourd'hui, rien d'autre que ce sourire ne semblait compter.

Le bourdonnement des élèves qui réfléchissaient cachait sans nul doute les mots qu'ils s'échangeaient en écho à cette nuit du 08 avril. Il semblait à Siobhán que chaque détail de ces longues partagées était gravées en elle. Même l'alcool ingéré ce soir-là n'avait suffit à effacer le temps qui s'était écoulé en compagnie d'Edel.

Elle repensait à chaque vérité durement prononcée, à chaque grain de peau que la sienne avait effleuré. Le flot de ses pensées ne prit fin que lorsqu'elle entendit dans les mots du vert-et-argent quelque chose qu'elle n'avait encore jamais entendu jusqu'à présent et qui lui fit froncer les sourcils.

« Il sait quoi ? Tu lui as dit ? Pour nous deux ? »

Cette fois-ci, ses yeux s'étaient levés vers lui, non sans exprimer un certain étonnement.

Difficile pour la vélane de dissimuler sa surprise alors que son frère n'était pas venu lui en parler de vive-voix, lui qui ne se serait probablement pas gêné pour lui faire part du fond de sa pensée. Le plus inattendu étant, sans conteste, le naturel et la facilité avec laquelle Edel venait de lui balancer cette information, comme si sa discussion avec @Finn Gavalagh-Korrigan avait pu se dérouler sans heurt. Ou peut-être ne se laissait-il pas atteindre par l'idée d'une éventuelle dispute ?

« Depuis quand j'ai besoin de prendre rendez-vous ? », demanda-t-elle en arquant un sourcil presque présomptueux. « Très bien. Les astres attendront. Tout ce qui se passe sur la terre ferme attendra aussi », fit-elle en faisant mine de reprendre en main ce carnet invisible sur lequel elle avait pris l'habitude de faire semblant de noter les qualités et les défauts d'Edel. « Overbooké », chuchota-t-elle en feignant d'écrire avec une fausse plume.

Elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire en découvrant ce qu'il avait écrit sur son parchemin. Un Nous qu'elle même n'avait pas employé et qui semblait désormais être admis dans leur vocabulaire commun. Parce qu'ils formaient un tout. Ensemble ou séparément, ils étaient reliés par les promesses qu'ils avaient formulés sans même se rendre compte de leur portée.

Edel avait le don de la faire fondre mais elle ne pouvait prendre le risque de se laisser succomber. Pas ici.

« C'est parce qu'il y a des choses qui ne peuvent pas s'effacer. Jamais. Peu importe combien tu essaieras, ça restera. Là... » Sa main se posa plus bas que la clavicule du Serpentard, là où elle sentait battre son cœur. Le contact avec la chaleur de sa peau la fit frémir un instant, mais elle parvint à se recentrer rapidement en retirant sa main. « Et là...  » Cette fois-ci, elle lui montra sa bague qui n'avait pas bougé depuis qu'il lui avait repassé au doigt, le 08 avril dernier.

Rattrapant sa plume, l'Irlandaise reprit son écriture comme si elle ne s'était jamais arrêtée.


« Ce qui signifie donc en toute logique que tu es, en quelques sortes... une planète. Je pense que le monde magique n'est pas prêt pour ces révélations. », lui glissa-t-elle dans un sourire.

Consciente de l'impact qu'il avait pu avoir sur sa vie, tout autant que sur ses sentiments.

Siobhán avait donc vu juste. Si son frère n'était pas encore venu vers elle pour lui parler d'@Edel Almadovar, c'était tout simplement parce qu'il n'était pas encore au courant.

Cette situation l’embarrassait. Non pas parce qu'elle voulait cacher des informations à son frère ou, plus largement, vivre sa relation avec Edel à l'abri des autres et de leurs jugements ; elle était embarrassée parce qu'elle avait l'impression de devoir lui demander une autorisation dont elle n'avait nullement besoin. Une bénédiction, dans un sens, qui ne changerait de toute façon absolument rien à la situation. Sa jumelle était désormais en âge d'agir comme bon lui semblait sans qu'aucun chaperon ni aucune approbation ne lui soit nécessaire.

Elle ne put s'empêcher de répondre par un grognement avant de lever les yeux au ciel, peu encline à trouver sa place dans les carcans que son père et son frère lui avaient jusqu'ici imposés.

Son attitude changea rapidement quand elle sentit sa jambe s'égarer vers la sienne, réajustant sa position sur sa chaise.

« Je croyais que ton emploi du temps était rempli. J'en déduis que tu as pu trouver un créneau, finalement ? »

À son tour, elle répondait à ce jeu dangereux, oubliant le monde qui l'entourait. Elle se fichait bien que les autres les voient, que son frère la voit. Elle n'avait rien à cacher à qui que ce soit.

« Ne sois pas trop sûr de toi, sinon, je vais devoir entamer la liste des défauts qui commencera indubitablement par "crâneur". »

Ses yeux dans les siens menaçaient de la faire chavirer, si bien qu'elle préféra encore détourner le regard, gênée par toutes les pensées qui l’harassaient quand il était près d'elle et qu'il semblait rester bloqué sur ses lèvres, les appelant silencieusement avec ses pupilles. Elle n'osait approuver à haute voix qu'il était en effet bien plus qu'une planète à ses yeux ; il n'influençait pas seulement sa vie puisqu'il était en train de la transformer.

Sa gorge se raclait à cette pensée ; en dehors d'une salle de cours, elle l'aurait plutôt accueillie par un baiser sain, puissant et sincère à celui qu'elle aimait, quand les règles de la bienséance lui imposaient ici de rester sagement à sa place.

« Non, c'est vrai. Comme toi je pense, non ? »

Son ton s'était fait naturellement plus sérieux parce que ce n'était pas un sujet sur lequel elle voulait rigoler. Mais Edel ne lui avait jamais partagé son propre avis sur la question, probablement parce qu'il n'avait jamais pensé à l'idée qu'elle pourrait aller voir ailleurs, quand elle réclamait précisément son exclusivité.

Elle non plus, d'ailleurs, n'y avait pas pensé.

Sa main frôla la sienne quand il attrapa la plume et elle releva la tête en le regardant écrire. Puis en l'écoutant parler. Un sourire revint sur son visage comme s'il ne l'avait jamais quitté, dessinant au passage une trainée rose sur ses joues que lui seul percevrait.

Elle détestait que ses sentiments prennent ainsi leurs aises, dévoilant au grand jour l'étendue des vérités que son cœur s'était toujours obstiné à protéger. Alors, elle reportait son attention sur le parchemin devant des yeux, attrapant une autre plume dans son sac alors qu'Edel semblait s'être accaparé la sienne. Elle se mordait la lèvre, déjà avide de voir ce qu'il avait entrepris de dessiner.


Son parchemin devant elle, la jeune vélane relisait ses dernières lignes quand Edel la questionna. Les nouvelles allaient vite à Poudlard, ça ne faisait aucun doute, bien qu'elle se demandait comment il pouvait être au courant avant même qu'elle n'ait pu saisir une quelconque occasion de lui en parler. Reposant leur devoir sur la table, elle réfléchissait déjà à leur prochaine aventure alors qu'elle lui répondait avec un naturel criant.

« Mon père m'a demandé de proposer mon aide à @Samir Mesli pour l'accompagner en métamorphose. Mais je ne suis pas certaine d'être un cadeau. Freya a toujours été plus pédagogue que moi. » Une pause. « Tu le connais déjà un peu, non ? »

À nouveau ce goût amer qui avait fait son apparition dans sa bouche et qu'elle avait préféré avaler, feignant de continuer à relire ce parchemin.

« Je peux te donner des cours particuliers aussi, si tu veux », l'invita-t-elle, une idée derrière la tête, alors qu'un sourire apparaissait sur ses lèvres et qu'elle observait du coin de l’œil l'avancée de son dessin.

À nouveau, la phrase d'Edel trouvait sa résonance dans l'obscurité de cette nuit du 08 avril, largement baignée par la lumière de leurs retrouvailles. Siobhán ne put s'empêcher de sourire à cette remarque, affichant une moue faussement désapprobatrice alors qu'il la qualifiait ensuite de râleuse, n'osant lui dire qu'il avait vu juste.

« La liste risque de s'allonger », précisa-t-elle simplement. « Tu n'as encore rien vu de ce dont je suis réellement capable. Ce n'est que le début. »

Et ils avaient aussi le temps d'apprendre à se découvrir, d'autant que tous deux semblaient y trouver un malin plaisir. À s'apprendre et à se comprendre. Qu'ils soient seuls ou au milieu d'un amphithéâtre bondé, ça ne revêtait pas une grande importance, tant qu'ils étaient ensemble.

C'était probablement parce qu'elle avait passé une grande partie de son temps à tenter de l'apprivoiser qu'elle l'avait senti se tendre, tout à coup. Les yeux rivés droits sur sa feuille, la vélane se promit intérieurement de ne plus lui poser ce genre de questions qu'en cas de réelle nécessité. Elle avait bien en tête les raisons qui l'avaient mis hors de lui à chaque fois qu'elle avait douté. Mais il pouvait être tranquille à son sujet car même dans cette pièce remplis d'étudiants, Siobhán n'avait d'yeux que pour lui.

Elle l'avait écouté avec attention donner son avis sur @Samir Mesli, sans se permettre de donner son avis alors qu'elle savait que dans chaque Serpentard sommeillait une part d'orgueil, plus ou moins bien cachée.

Ses doigts se crispèrent autour de sa plume alors qu'Edel la poussait dans ses retranchements.

« C'est pas si simple pour moi d'aller vers les autres. C'est mon frère, le jumeau populaire. Pas moi. Mon père le sait bien. »

Ses mots s'étaient faits plus tranchants qu'ils ne l'avaient été jusqu'ici. Certainement parce qu'elle avait déjà l'impression de faire des efforts et d'en avoir fait un autre, en acceptant d'aider Samir. Mais Edel ne le voyait pas, parce qu'elle ne lui avait jamais réellement parlé de ses difficultés à aller vers les autres, pas en tant que tel. En avait-elle déjà parlé à quelqu'un ? Montrer ses faiblesses n'avait jamais été son fort. Mais son père les connaissait bien, lui. Force était de l'admettre.

À son tour, ce fut sa mâchoire qui se serra lorsqu'il lui suggérait de prendre des cours. Etait-il en train de jouer avec ses nerfs, d'une toute autre manière qu'il ne l'avait fait jusqu'à présent ? Siobhán s'arrêta d'écrire un instant en se tournant vers lui.

« Qui te l'a dit ? »

Forcément, quelqu'un avait parlé. Forcément, quelqu'un avait été lui répéter qu'elle avait été trouvé @Sheraz Mahal  dans la bibliothèque pour lui demander son aide en cours d'Astronomie. Sinon, comment pouvait-il savoir à part en lisant en elle comme dans un livre ouvert ?

Elle avait oublié ses sous-entendus, l'invitation qu'elle venait de lui formuler implicitement alors qu'il venait de la refuser sans le dire. Plus tard, pensa-t-elle. Peut-être n'était-ce tout simplement pas le bon moment.

Heureusement, son regard bleuté s'adoucit au moment où il se tourna vers le dessin terminé. Parce qu'il y avait mis son cœur, parce qu'elle aimait ses talents. Et parce qu'elle l'aimait tout court, d'ailleurs.

« Celui-là, je le garde. », dit-elle en l'attrapant sous ses yeux. L'initiative lui était venue d'elle-même alors qu'elle avait déjà hâte de le ranger précieusement dans ses affaires, pour avoir un morceau de lui dans sa chambre, même quand il ne serait pas là, dans ses bras. « En revanche, tu me réserveras quelques créneaux, dans un mois ou deux, pour me donner des cours de dessin. Enfin... Si tu veux. Et si tu as le temps. »

Probablement n'oserait-elle jamais lui montrer ce qu'elle avait gribouillé dans son journal, de toute façon.

Tout comme ces nombreuses lettres qu'elle avait brûlées et dont les mots s'étaient fanés en même temps que le papier.