Ever Dream

James haussa un sourcil, son regard se faisant soudainement plus incisif, plus tranchant. Le petit serpent en lui lui chuchotait sans se retenir tout ce qu’il fallait qu’il entende. Elle dut le voir car la lueur dans ses iris céruléennes se ravisa.
Grey baissa les yeux sur son assiette, feignant de s’intéresser plutôt à son projet qu’à l’homme.

Il savait au demeurant qu’Ana ne s’arrêterait plus de parler et lui, il emprunta un sourire simple, satisfait de la voir briller, lui livrant tout ce qui des plantes et du monde la faisait vibrer. James en revanche n’avait pas oublié et à chaque fois qu’il la voyait sourire, il se demandait jusqu’à quand ce très fameux Broadwick se permettrait de souffrir les «non» de la demoiselle.
Il était certain pour James qu’Ana ne le lui offrirait rien de plus, même pour toute la renommée ou toute la connaissance du monde. A lui, elle n’avait offert qu’un baiser à peine réciproque, alors à un autre, bien moins aimé et à l'encontre de la morale... Non.

Ce n’était pas sa Karénine le problème. Sa rose ne serait jamais qu’à lui.

Mais il y aurait peut-être bien un mouton un peu fougueux qui viendrait la brouter, comme ils en broutent des centaines par an. Sans son accord. Sans son consentement. Etait-ce pour ça que l'on disait déflorer ?

Sur le couteau, ses jointures blanchirent malgré lui, imaginant Broadwick se donnait des droits qui n’appartenaient à personne qu'à elle. Et à voir l’étincelle de ses yeux, il la trouvait lumineuse, et plus il la voyait brillante, plus il s’enfonçait dans les ténèbres de son ses sentiments profonds, plus la jalousie et l’angoisse grimpaient jusque dans sa gorge. Les «si» se transformaient en menaces, les «peut-être» en vengeances.

Il fallut attendre que le plat fut servi pour briser le silence, et Ana le rappela à elle. Là où elle pensait qu’il chavirait au grès de ses paroles, il se noyait seulement dans le venin de sa salive.

« Bon appétit », souffla-t-il avec un sourire pincé, alors que ses yeux glissaient sur la louvine mais James préféra prendre une gorgée de son vin, le cœur encore maladroit dans la poitrine.

Ana lui retourna doucement la parole, ce qui ne le déstabilisa pas. Il s'y attendait. Il pensa seulement à sa rencontre avec @Alejandra Montero la veille au soir. A ses grands discours, à sa belle éloquence, en réalité vide de toute détermination. Maintenant qu’il se retrouvait à côté d’elle, il s’imaginait seulement lui demander une caresse -- sur la tête cela aurait suffit à le satisfaire. Un baiser sur une joue aurait eu le goût de l’éternité.

A cette idée, James souffla par le nez, retenant un rire bref et léger.

« Oh, tu sais, à part le travail... »

Le langue-de-plomb releva son regard dans celui de sa cousine et surprit de la curiosité et de la malice sur son visage, ou quelque chose qui y ressemblait. Il haussa un sourcil, intrigué, avant de balayer l’idée qu’elle puisse le 'cuisiner'. Ce n’était pas le genre d’Ana, du moins, il aurait presque été vexé qu’elle s’imagine quelque chose de sa vie privée alors qu’elle le hantait jusque dans les innombrables fleurs qu’il accumulait dans le petit appartement londonien dans lequel il vivait et qui lui permettait de respirer, loin du Domaine de Dean.

Mais c’était peut-être un bon début.

« J’ai pris un appartement lorsque j’ai eu mon emploi, donc je rentre assez peu au Domaine actuellement. Je n’ai la tête à rien, à part le travail. Tu dois être la seconde personne à qui je parle et qui n’est ni du Ministère ni un témoin d’une de mes affaires, et ça depuis... au moins décembre. »

Ce qui remontait à la rupture des vœux de fiançailles avec @Céleste Delacroix. A bien y réfléchir, c’était presque... délirant. Et risible. Une telle vie devait être triste, mais James n’avait pas l’air d’en souffrir particulièrement.

« Les travaux que je mène au Ministère sont intellectuellement très satisfaisants. Je ne me sens pas le besoin de faire autre chose. Je ne désire rien d’autre. Rien que je ne puisse avoir du moins », ajouta-t-il sans la regarder, passant un regard sur la louvine qu’il avait bien du mal à manger, non pas parce qu’elle n’était pas succulente - elle l’était - mais bien dans l’espoir de retenir un peu les minutes et les secondes.

Cela le rendait plus pathétique encore, mais James s’était habitué.

« Mes parents sont silencieux en ce moment. Ma mère est occupée, du reste tu connais mon père... Quant à Brivael, Alice a des examens à faire, à Sainte-Mangouste. Ils n'ont pas encore les résultats mais elle a toujours eu une petite santé et depuis la naissance de la seconde, c'est plus prononcé j'ai l'impression. En ce qui concerne Symphony, je crois qu’il y a une histoire selon laquelle elle ne voudrait pas finir Poudlard car elle se sent trop malheureuse loin de son mari... Je plains le pauvre homme qui la croira. Si on l'écoutait, elle nous expliquerait qu'elle serait bien capable de mourir par manque d'amour », souffla avec un sourire James. Heureusement que Symphony avait épousé Calixte. Il était bien le seul capable de lui faire entendre raison - ou pire, à céder à son énième caprice.

La petite pointe de culpabilité qu'elle ressentit lorsqu'il évoqua le mois de décembre avait presque un goût de paradis. Loin de se réjouir de l'idée d'un malheur, la disparition de sa rivale, soufflée par l'indifférence affichée de James, peut-être le destin lui-même, était comme la plus douce des musiques à son oreille. Un peu honteuse, Ana baissa le regard sur son assiette, parfait prétexte à cette dérobade. Elle relevait vers lui ses prunelles bleu azur, la seule chose qu'ils n'avaient pas en commun sans doute, pour le trouver absent de cet échange. Elle restait donc suspendue à ces derniers mots, tiraillée entre l'envie de répondre à cette plainte et le devoir de l'ignorer toujours plus fermement. De longs mois d'abstinence l'avaient affaiblie dans sa détermination et maintenant qu'elle l'avait tout près d'elle...

« Je t'avoue que l'état de santé d'Alice me paraît plus préoccupant chaque fois. Même le cordial de vigueur de ma mère est sans effet... Mère suggérait un séjour à l'étranger chez une de ses connaissances mais Alice ne veut pas en entendre parler. Elle estime que les filles sont trop petites et Brivael n'a pas la volonté de la contraindre à quoi que ce soit, pourtant... »

Elle avait le coeur lourd en le disant. Cela ne ressemblait guère à Lady Lilith de recommander sa famille à une autre personne. Si elle l'avait fait c'était que la situation était plus alarmante qu'Alice ne le donnait à voir.

« Il la croira à coup sûr. », confirma-t-elle avec un petit sourire amusé.

Symphony menait Calixte par le bout du nez depuis toujours et il semblait qu'il adorait ça. Autour d'eux, il semblait que tous dussent trouver chaussure à leur pied, fonder une famille, franchir toutes ces étapes auxquelles ont les avait préparées depuis l'enfance. Et lui et elle, deux chaussures gauches, identiques trop bien appairées pour n'avoir pas l'air contre nature...

Elle plongea longuement son regard dans celui de James, hésitant une seconde à plaider leur cause mais le poids sur son coeur l'invitait à n'en rien faire. Ils avaient sans doute suffisamment soufferts pour en arriver là.

« Mourir par manque d'amour, ce ne sera certainement pas le destin de Symphony... »

Le leur en revanche...

FEAT ANA SOUVOROV. Ancienne étudiante de Beauxbâtons, où elle a fait l'essentiel de sa scolarité, puis préfète de Poufsouffle, Ana est la fille d'Alexandr Souvorov et Lady Lilith Grey. Jeune chercheuse prometteuse en botanique, on lui doit la publication de deux opus de botanique très remarqués dans le milieu et de quelques articles dans des revues de magizoologie. Venue renforcer les effectifs de l'IDEM, elle a très rapidement pris Sheraz Mahal sous son aile, malgré le fait que le jeune homme ne brille étonnamment pas dans son domaine à elle. Ana Souvorov est connue pour être un bourreau de travail. Si cela ne pose question à personne, d'autres ne manqueront pas de se demander ce qu'elle cherche à fuir en s'enfermant dans ses serres parmi les plantes... lire sa fiche