Hierba Mala (2)

Les yeux rivés sur son livre d'Astronomie, Siobhán faisait les cent pas. Elle avait troqué les bureaux immobiles de la bibliothèque pour s'essayer à d'autres techniques visant à lui permettre d'améliorer ses capacités de concentration.

Aussi, il y avait bien une heure qu'elle avait commencé à arpenter le couloir des cachots, bien décidée à faire rentrer dans sa petite tête de linotte les noms des constellations majeures, qu'elle n'avait, jusqu'ici, pas eu besoin de désigner pour les reconnaître dans le ciel.

Depuis qu'elle étudiait avec @Sheraz Mahal, elle avait fait de grands progrès, mais certaines dénominations comme Céphée, Ophiuchus, ou encore le Réticule avaient encore du mal à se faire une place dans sa mémoire. Alors elle répétait, inlassablement, le nom des quatre-vint-huit constellations majeures qui ornaient leur ciel jusqu'à être capable de les citer sur le bout des doigts. Non sans lancer un regard noir, de côté, à tous ceux qui l'observaient comme si elle avait perdu l'esprit.

Et en même temps, ils avaient le droit tout autant qu'elle de sillonner ces couloirs. Tous étaient libres de circuler comme ils l'entendaient. Mais l'absence de distraction entre ces épais murs lui permettait de réviser en toute quiétude et seuls leurs yeux remplis de jugement la perturbaient. Aucune fenêtre, aucune vue sur quelconque paysage n'aurait pu lui donner de rejoindre les extérieur, sans compter sur ce silence épais auquel elle n'aurait jamais pu prétendre à la surface, encore moins un samedi.

Pour la première fois depuis le début de sa session de révision, elle venait de réciter 45 noms de constellations d'affilé, soit un peu plus de la moitié. Un sourire vainqueur s'afficha sur son visage, rapidement effacé par la force d'une poigne invisible qui l'adossa contre le mur le plus proche, dont la rapidité l'empêcha d'atteindre sa baguette et lui fit échapper son livre au passage. Surprise, la vélane ne parvint à sortir aucun son de sa bouche, retenue par une main familière et un parfum qu'elle n'eut aucun mal à reconnaître. Relevant ses yeux bleus pour savoir à qui elle avait à faire, elle croisa finalement le regard de Saúl et ne put retenir un sourire sincère en sa direction malgré son étonnement, une fois qu'elle eut retrouvé l'usage de la parole.

« Saúl ? Mais, qu'est ce que tu fais là ? », demanda-t-elle tout naturellement, parce que c'était la première question qui lui était venue. Bien sûr, d'autres suivaient. « Ça va, mais toi, est-ce que tu... Est-ce que tu vas bien ? Je n'ai pas osé t'écrire, je ne savais pas si tu te cachais. Je ne savais rien, en fait. Où étais-tu pendant tout ce temps ? Je suis contente de te voir sain et sauf... »

Elle avait jugé bon d'éviter toute correspondance depuis ses dernières lettres, de peur qu'elles ne soient interceptées plus durement depuis que le blocus avait été déclaré. Et, forcément, pendant toute la durée de ce dernier, elle n'avait eu que peu de nouvelles en provenance de l'extérieur des murs épais de Poudlard, y compris de Saúl qu'elle n'avait pas revu depuis leur discussion dans la Tour d'Astronomie.

Il avait l'air en forme. Le visage un peu plus fin, peut-être, mais toujours cette même lueur fanfaronne dans son regard. Et cette étrange connexion qui les reliait, qu'elle avait toujours imaginée liée à cette particularité qu'ils avaient en commun.  

Sentirait-il combien elle avait pu évoluer, depuis la dernière fois qu'il s'était vus ? Plus à l'aise avec ce qu'elle était, @Edel Almadovar l'avait poussée à se libérer et à embrasser ce don qui lui avait été fait. Il avait réussi à lui faire comprendre, semaine après semaine, qu'il n'y avait pas plus bel hommage à celle qui lui avait transmis son héritage. Et il avait eu raison. Car elle ne s'était jamais sentie aussi bien, aussi à l'aise, que depuis qu'il avait jugé bon de lui montrer ce qu'elle refusait de voir.

Restait à savoir comment Saúl réagirait, quand elle lui expliquerait la nature de la relation nouvelle qu'elle entretenait avec son cousin.

Nul doute qu'ils auraient beaucoup de choses à se dire.

Le sourire de Saúl le quittait rarement quand il était en compagnie de Siobhán. Sauf quand leur discussion revêtait une tournure beaucoup plus sérieuse et profonde et que le sujet abordé le préoccupait réellement. La dernière fois par exemple, en haut de la tour d'Astronomie, son sourire l'avait quitté au moment-même où il lui avait posé cette exacte même question, devenant tout à coup plus sérieux alors qu'il s'inquiétait pour elle et souhaitait savoir comment elle allait. Alors, quand elle le vit s'évanouir sur son visage quand bien même elle se contentait de prendre des nouvelles de celui qu'elle n'avait pas vu depuis de nombreux mois, la demie-vélane ne put s'empêcher de lire dans son regard baissé le contraire de ce qu'il avait bien voulu lui affirmer.

En cinq mois, beaucoup de choses s'étaient passées, de son côté comme du sien. Et si elle voulait être là pour lui, Siobhán ne souhaitait pas s'immiscer dans des détails de sa vie qu'il ne souhaitait peut-être pas lui livrer. Elle n'y avait pas sa place. Du moins, c'est ce qu'elle pensait.

Baissant les yeux à son tour, elle ne releva la tête que lorsqu'il décida finalement de se confier sur les troubles qui le taraudaient. À son tour, un sourire naquit sur son visage, ravie de voir en premier lieu qu'il lui faisait suffisamment confiance pour la traiter comme une égale. Puis, ses sourcils se froncèrent devant le sérieux de ce qu'il était en train de lui avouer. Sa démission qu'elle lisait entre les lignes, l'attaque de Gringott's, une secte... Pour sûr, les derniers mois avaient été bien remplis pour Saúl et quelque part, Siobhán regrettait de n'avoir pas été davantage en mesure de l'aider depuis l'intérieur.

« Bien sûr que je me souviens... Saúl c'est... Ce que tu as vécu ces dernières semaines... Je suis désolée de ne pas avoir été là. J'étais protégée par les murs de Poudlard quand toi tu risquais ta vie... »

Il s'était éloigné d'elle, et Siobhán en profita pour rattraper son livre, se trouvant tout à coup trop jeune pour les combats qu'elle brûlait de mener. Surtout au vu du contexte dans lequel ils évoluaient. Elle aurait donné cher de sa personne pour avoir été plus qu'une simple étudiante et pour avoir contribué à construire un avenir plus serein aux hybrides du présent et du futur... Son livre d'Astronomie ne lui disait plus rien, à présent, et elle en oublia ses quatre-vingt-huit constellations bien plus vite qu'elle ne les avait apprises.

Gardant son livre sur sa poitrine, la jeune femme se voyait pourtant proposer une situation en or pour apporter l'aide qu'elle n'avait pas été en mesure de prodiguer plus tôt à Saúl. Si le nom de Morgane Le Fay était bien loin de lui être inconnu au vu du nombre de fois qu'elle avait pu le croiser dans ses ouvrages, elle voyait également très bien de quel tableau il parlait, même si elle ne connaissait pas ses effets. Siobhán avait passé tellement de temps à sillonner les peintures à l'opposé des natures mortes de Poudlard, qu'elle savait exactement où se rendre pour trouver celui-ci.

Mais elle n'eut pas le temps d'en dire plus que Saúl attrapa ses mains dans les siennes. Si jusqu'ici, elle n'avait jamais réellement refusé les contacts du demi-vélane voire qu'elle les avait désirés, cette fois, elle eut un léger mouvement de recul qui ne lui échapperait certainement pas. Elle sentait bien les effets de ce parfum qui lui dictaient de se laisser faire, mais il y avait quelque chose qui l'empêchait étrangement d'être subjuguée. L'image d'@Edel Almadovar, omniprésente dans son esprit depuis ces derniers mois, n'y était certainement pas étrangère.

Resserrant sa prise autour de son livre d'Astronomie, la jeune femme releva ses yeux bleus vers Saúl, désireuse de lui avouer ce que son cousin n'avait visiblement pas jugé utile de lui raconter.

Elle ne pouvait y échapper.

« Désolée, je... »

Elle soupira, laissant tomber ses bras le long de son corps et retenant son ouvrage dans sa main.

C'était les bons mots qu'elle cherchait, consciente que sa relation avec Saúl avait toujours été ambigüe, avant qu'Edel n'entre dans sa vie. Elle se doutait bien qu'aux yeux de l'ancien Auror, elle n'était rien d'autre qu'une gamine, certaine que leur proximité ne revêtait rien d'autre qu'une distraction ou un jeu pour lui.

Pourtant, et parce qu'elle l'estimait sincèrement, Siobhán se devait d'être honnête. Ses sentiments pour le Serpentard étaient trop forts. Démesurés même, maintenant qu'elle les avait assumés, ils semblaient grandir de jour en jour.

Et la situation devait être clarifiée, même si elle savait par avance que ça ne lui ferait ni chaud ni froid. Mais même si elle n'était rien, tout au plus une protégée, Edel était un membre de sa famille et il avait le droit de savoir.

« Je sais exactement où trouver ce tableau », reprit-elle pour se donner davantage de consistance. « Et je vais t'y amener. Il est tout près de l'intersection qui mène vers la Tour des Serdaigle. Je veux t'aider, vraiment. » Elle fit une pause, sans quitter ce regard qui l'avait ensorcelée, par le passé. « Il faut juste que tu saches que j'ai fait la connaissance d'Edel, quelques jours après qu'on se soit vus la dernière fois. Je l'avais déjà croisé, mais on n'avait jamais vraiment parlé, lui et moi. On s'est revus, plusieurs fois et... J'ai rien calculé, mais je suis tombée amoureuse de lui. Et je crois que c'est réciproque. C'est ton cousin, je trouve ça normal que tu le saches. »

Le silence qui avait suivi sa déclaration lui parut durer de trop longues minutes. Pourtant, en réalité, il n'avait été que de quelques secondes, tout au plus. Ce qui était certain néanmoins, c'était qu'il avait été suffisamment long pour que Siobhán se demande un instant ce qu'il allait bien pouvoir lui répondre. Allait-il lui en vouloir de s'être ainsi rapprochée de son cousin ? Aurait-elle dû l'en informer plus tôt ? Ses sourcils se froncèrent dans l'attente d'une réaction, regrettant peut-être de n'avoir pas mis davantage de forme dans son annonce. La famille avait ce quelque chose de sacré, et, tout à coup, elle prit peur à l'idée que Saúl puisse lui en vouloir. Même si, comme elle l'avait expliqué, elle n'avait rien calculé. Edel lui était tombé dessus comme une météorite en plein champ qu'aucun calcul savant n'aurait su prévoir. Un coup du hasard. Ou de la destinée, selon ce que chacun pouvait croire.

Le regard de l'ancien Auror n'avait rien non plus pour la rassurer. Elle crut même le voir s'assombrir avant que son visage ne finisse par s'étirer dans un sourire. Et, à nouveau, elle respira. « Ok ? », eut-elle envie de répéter pour le pousser à lui en dire plus. Désarçonnée par la réponse qu'il lui donnait.

Mais, à son tour, la vélane garda le silence. Incapable de savoir sur quel pied danser. À croire que c'était de famille, de la déstabiliser. Même si c'était sans vraiment le vouloir ou le chercher. Son livre à nouveau serré sur sa poitrine, elle toisait Saúl de ses yeux bleus, assumant pleinement les conséquences de ses actes, aussi difficile que ce soit, parfois. Prête à faire front, Siobhán releva le menton en le voyant ouvrir sa bouche pour parler.

Le moins que l'on puisse dire, c'était que cette nouvelle réponse l'avait désarçonnée. Mais comment aurait-il pu en être autrement, de la part de celui qui avait promis de la protéger ? Saúl tenait simplement son rôle. Et s'il souriait désormais, Siobhán se demandait à quel point il pouvait penser ce qu'il disait. Une partie d'elle préférait penser qu'il ne pensait pas ce qu'il disait. Qu'il faisait de l'humour. Mais finalement... À quel point le connaissait-elle vraiment ?

La vert-et-argent souffla du nez, et baissa légèrement la tête en réaction à ses paroles.

L'idée qu'Edel puisse lui faire du mal ne l'avait plus effleurée depuis qu'elle avait choisi de lui faire confiance. Et qu'il semblait en avoir fait de même. Elle ne l'envisageait plus. Ainsi, elle ne put s'empêcher de relever la tête vers lui, affichant un sourire pincé qui se serait voulu réprimandant — comme si elle pouvait le réprimander alors qu'après tout, c'était elle qui avait touché à un membre de sa famille.

« Je vais faire en sorte qu'on n'en arrive pas là. »

À une vérité implacable, elle préférait l'humour, loin de savoir la relation qu'ils entretenaient l'un et l'autre, parce qu'aucun ne lui en avait jamais vraiment parlé.

Attrapant la main de Saúl comme si ce geste suffisait à clore le sujet, la jeune Serpentard eut un sourire reconnaissant à l'égard de celui qui semblait ne pas lui en vouloir, ni même lui en tenir rigueur. Le regardant disparaître sous ses yeux, Siobhán hocha une fois la tête pour montrer qu'elle avait compris et entendu sa consigne, avant de prendre la direction du sixième étage.

« J'espère que ton côté vélane aussi, sera dissimulé par ton sortilège de désillusion, sinon... Et bien, croisons les doigts pour ne pas croiser Madelynn Stevenson, elle s'évanouit à chaque fois qu'elle aperçoit Finn de l'autre côté du couloir, ça manquerait cruellement de discrétion... »

Un sourire, et ce furent ses derniers mots avant d'arriver à destination.

Maîtresse dans l'art des faux semblants, il n'était pas difficile pour elle de feindre la solitude, alors que de nombreux élèves de Poudlard avaient l'habitude de croiser la Korrigan flâner seule au gré des couloirs. Mieux valait être seule que mal accompagnée, tel avait été son credo dans ses trois premières années à Poudlard, lui valant souvent des œillades peu discrètes quand le plus important pour elle était qu'on lui fiche la paix.

Le sortilège de Saúl avait fait son effet. Dans toute sa discrétion, Siobhán s'était même demandée plusieurs fois s'il était encore derrière elle, ou bien s'il en avait profité pour se remémorer avec nostalgie ce Poudlard que lui-même avait parcouru, lorsqu'il était encore élève.

Elle continua de marcher de peur que le fait de se retourner à plusieurs reprises ne finisse par la rendre suspecte.

Une fois qu'ils furent arrivés devant le-dit tableau, la vélane observa les environs avant de lancer un Hominum Revelio qu'elle dut reprendre à deux fois parce qu'elle venait seulement de l'apprendre. Ne révélant aucune présence alentours, Siobhán ne sut où regarder pour s'adresser à Saúl, bien qu'elle tenta de s'appuyer sur les sons qu'elle croyait déceler.

« La voie est libre », lui glissa-t-elle en chuchotant, par réflexe.

Puis, elle se tourna vers la peinture, dont les traits fins l'apaisèrent immédiatement par le calme qu'elle représentait. L'art, et plus particulièrement celui réalisé aux pinceaux, la touchait toujours avec beaucoup de profondeur. Mais elle se demandait bien ce que cette œuvre en particulier pouvait bien évoquer à Saúl au point qu'il se déplace jusqu'à Poudlard en ces temps troublés pour le retrouver.

« On y est », dit-elle simplement sans pouvoir lâcher l'esquisse des yeux. « Est-ce que tu peux m'en dire plus sur ce que tu cherches ou bien... C'est un secret ? » Signe que cette éventualité n'était pas réellement souhaitée ni souhaitable, elle poursuivit. Incapable de s'empêcher de vouloir en savoir plus. « Et quel est son lien avec l'attaque de Gringott's, la secte, Morgane Le Fay ? Peut-être que... Peut-être que je peux t'aider, d'une façon ou d'une autre. »

C'était beaucoup de questions pour ce qui semblait n'être rien d'autre qu'un tableau, à bien le regarder. Mais maintenant qu'il la connaissait un peu, Saúl aurait du se douter que Siobhán n'allait pas chercher à en savoir plus sur un nouveau mystère qui s'ouvrait à elle.

Le récit de Saúl s'était fait succinct. Efficace. En quelques mots à peine, il avait dit l’essentiel de ce que Siobhán devait savoir. Cette dernière n'avait pu empêcher ses sourcils de se hausser à de multiples reprises, sans jamais l’interrompre. La curiosité fit naître un sourire étrange sur son visage alors qu’elle se sentait privilégiée d’être mise dans de telles confidences. Saúl avait beau ne plus travailler au Ministère, ses explications étaient la preuve qu’il avait confiance en elle et la jeune vélane se promit à elle même de s'en montrer digne en l'aidant comme elle le pouvait.

Cette deuxième évocation de Morgane alluma une lumière, quelque part dans son esprit. Récemment, le nom de cette sorcière célèbre était arrivé jusqu’à son oreille au cœur même du tombeau de Merlin. Un souvenir loin d’être anodin, tant cette expérience étrange avait pu la marquer. Mais quelque chose lui disait que tous ces événements devaient être liés. Alors, dans le doute, même si elle ne faisait pas encore le rapprochement entre les différentes pièces du puzzle qui s’offrait à elle, Siobhán commença à raconter à Saúl ce qu’elle avait entendu. Au cas-où cela puisse lui évoquer quelque chose.

« Je ne peux pas te dire comment ni pourquoi parce que je ne sais pas encore l'expliquer... Mais Edel et moi on s’est retrouvés à fouler les pierres du tombeau de Merlin, il y a peu de temps de ça, avec d’autres sorciers. Les portes de Poudlard venaient juste de rouvrir. C’était comme… un rêve au départ, et petit à petit, à force d’avancer dans l’étrange forêt qui l’accueillait, chacun d’entre nous a compris qu’on avait bien à faire à la réalité. On s’est retrouvés face à ce que certains sorciers expérimentés qui nous accompagnaient ont appelé… une épreuve de Merlin. » Elle avait retenu tout ce qui avait été dit, ce soir là. « Il y avait un corbeau qui semblait se moquer de nous à chacune de nos tentatives pour débloquer l’énigme et @Fergus Clearwater a parlé de Morgane. Ils étaient ennemis, n’est-ce pas…? Merlin et Morgane. De nombreuses histoires racontent l’animosité qu’ils nourrissaient l’un envers l’autre. Est-ce que tu penses que tout ça… pourrait avoir un lien ? »

Ça semblait... trop, pour n'être qu'une simple coïncidence.

Certains regards ne trompaient pas. Celui de Siobhán caressait avec curiosité la peinture avant que ses doigts ne se joignent à lui, comme si cela pourrait lui permettre de mieux ressentir la magie qui en émanait quand elle cherchait tout simplement à mieux se concentrer. Quelque chose de mystique s’échappait de cette représentation, furetant entre ces branches mouvantes, au gré du vent.

Et le fait qu’il pouvait exister un double dans ce lieu qu'avait évoqué Saúl ne pouvait pas, non plus, être dû au hadard.

« Tu as connaissance d'un double et ça laisse à penser qu’ils sont reliés, d’une façon ou d’une autre. Là-dessus, on est d’accord. Et s’ils sont reliés… » La manie de son père reprit le dessus. Comme à chaque fois qu’elle réfléchissait, Siobhán se trouvait à se gratter le menton, exactement comme Luke pouvait le faire quand un mystère se présentait à lui. « S’ils sont reliés… », répétait-elle, avant de frôler de nouveau du bout de ses doigts la peinture, « C’est un peu comme quand on trace un trait, j’imagine. Il a un début et il a une fin. Un point de départ et un point d’arrivée. Peut-être que ces tableaux constituent… un point de départ et un point d’arrivée. »

Ça ne voulait rien dire, mais c'était souvent le cas lorsque ses réflexions prenaient le dessus.

À son plus grand regret, ce tableau n’était autre qu’une nature morte alors que Siobhán aurait été en mesure de faire parler presque tous les autres portraits du château.

Sa propre réflexion la plongea dans une profonde perplexité. Ce tableau était une nature morte… pourtant, elle bougeait quand même…

Soudain, un éclat s’alluma dans ses yeux bleus et, immédiatement, elle ressentit le besoin de partager son idée, ou plutôt sa lubie à Saúl.

« Ce tableau là ne nous dira rien mais ça ne veut pas dire que tous les autres resteront silencieux… il y a le portrait de Brigitte Wenlock un peu plus loin. On pourrait aller lui demander si elle sait quelque chose ! Enfin, je peux y aller, si tu préfères rester caché... Ils peuvent être tellement bavards, c'est indécent... »

Sainte-Mangouste qui se moquait de la charité.

Mais elle savait de quoi elle parlait.

La théorie n'était peut-être pas si absurde que ça, finalement. Dans tous les cas, elle avait le mérite de faire réfléchir Saúl qui ne la réfuta pas immédiatement. Et ça suffisait amplement à Siobhán, elle qui avait un peu balancé ces informations sur la table sans savoir si elles mèneraient quelque part. Au moins, ça n'était pas un "non" catégorie et ça aurait le mérite d'alimenter leurs questionnements à venir.

D'ailleurs, la prolongation de ses idées par celles de Saúl qui venaient s'y ajouter la laissa tout autant interdite. Et silencieuse. Bien qu'elle ne manqua pas le clin d'oeil de l'ancien Auror lorsque celui-ci lui suggéra de se faire sa propre idée sur les éléments qui l'entouraient. Un conseil qu'elle avait toujours appliqué bien qu'elle avait encore des difficultés, parfois, à remettre en question ses apprentissages lorsque plusieurs sources concordaient en un même sens.

Mais ici, c'était loin d'être le cas. Car comme Saúl le soulignait, il devait exister autant d'hypothèses sur la relation qu'entretenaient Merlin et Morgane que de sorciers dans le monde magique. Autant dire que ça faisait beaucoup.

La vélane se contenta de sourire, tout en continuant de réfléchir. Ce fut une remarque entendue d'une seule oreille qui la fit sortir de ses pérégrinations. Il s'en était émané trop de fierté pour que ce soit un hasard.

« Tu étais à Serpentard, toi aussi ? » demanda-t-elle en se tournant vers lui, peut-être un peu plus fort qu'elle n'aurait dû sous le coup de la surprise. Immédiatement, la vert-et-argent se reprit en se raclant doucement la gorge et chuchotant. « Pardon, je veux dire... Tu étais à Serpentard toi aussi ? »

Un sourire traversa son visage, aussi emprunt d'une légère arrogance. À ses yeux, et même si ses aïeux auraient tendance à la reprendre, la maison de Salazar était celle qui portait le plus d'ambition, et quelque chose lui disait que ce n'était pas pour rien si elle peinait à se faire des amis en dehors de sa propre salle commune. @Evelyn Morgan faisait figure d'exception, mais c'était parce qu'elle cachait sauvagement ses écailles de serpent au grand jour. La nuit, c'était une autre histoire, et Siobhán avait été assez chanceuse pour avoir l'opportunité d'en parler avec elle.

« Saúl... », avait-elle reprit pour se recentrer sur la réflexion qu'ils étaient en train de mener. « Je crois que tout ça n'est réellement pas un hasard et je crois qu'on devrait garder en tête ce qu'on s'est dit jusqu'à ce que ça prenne du sens. »

Car pour le moment, ni l'un ni l'autre n'allait plus loin que cet état d'intense contemplation.

Et justement, la réaction de Saúl lui offrit justement la possibilité de passer à l'action. Pour son plus grand plaisir. Son engouement la laissait penser qu'elle avait réellement son rôle à jouer dans toute cette histoire et, curieuse par nature, elle n'allait certainement pas laisser passer sa chance d'aider un grand sorcier de son entourage à résoudre un mystère qui allait jusqu'à complètement les dépasser tous les deux.

« Ok », répondit-elle simplement, non sans une pointe d'enthousiasme et d'excitation qu'il saurait sans nul doute déceler.

Puis, elle le regarda disparaître dans le décor, se fondant parfaitement avec les murs qui l'entouraient.

Jetant un œil autour d'elle pour s'assurer qu'elle était de nouveau seule, la vélane s'aventura dans la direction qui la mènerait à Brigitte Wenlock, avec l'envie de savoir si elle pouvait l'aider à démêler cette histoire. Sur son chemin, elle espérait récolter assez d'informations pour les livrer à Saúl et l'épauler du mieux qu'elle pouvait dans ses recherches. Ce rôle lui plaisait bien, elle qui prenait un malin plaisir à résoudre tous les casse-têtes qui croisaient sa route, y compris s'ils n'avaient rien de tangible sur le moment.

Mais assez rêvassé : ses pensées l'avaient menée droit devant le tableau recherché, et elle tâcha de faire vite pour limiter les chances que Saúl se fasse repérer.

« — Je comptais les moutons et j'allais arriver à sept avant que vous n'arriviez. C'est toujours là que je finis par m'endormir. Que puis-je pour vous ?

— J'ai eu de la chance, alors. Promis, je ne vous dérange pas longtemps. Brigitte, j'ai vraiment besoin de vous.

— Plus que la fois où vous cherchiez un nouveau partenaire d'échecs après que Glanmore Peakes vous ait accusée de l'avoir accusé de tricher ?

— Euh... Oui. Plus que cette fois-là. »

Les joues de Siobhán rosirent légèrement mais, fort heureusement, elle était seule dans cette partie du couloir.

« J'ai besoin de savoir si vous savez quelque chose sur le tableau un peu plus loin, qui représente une forêt en léger mouvement. Vous voyez duquel je veux parler ? »

Bien sûr qu'elle voyait de quoi Siobhán voulait parler. Elle faisait partie des murs — littéralement — depuis des centaines d'années. Comment aurait-il pu en être autrement ?

Voilà ce qu'elle lui avait répondu, en substance. Et c'était une fort bonne nouvelle pour Siobhán qui s'empressa de lui demander :

« Avez-vous déjà vu des élèves, ou autres, s'en approcher ? »


De retour aux côtés de Saúl — ou, en tout cas, là où elle l'avait laissé — Siobhán n'attendit même pas de le voir réapparaître pour lui rapporter avec précision ce qu'elle venait d'apprendre. Sa voix, bien qu'une ou deux tonalités en dessous de la normale, traduisait toute son impatience et son empressement.

« Tu ne vas pas me croire... Wenlock vient de me dire qu'un petit groupe de Gryffondor était passé devant elle, il y a peu, et qu'ils allaient en direction de ce tableau. En soit, ça, ça ne veut pas dire grand chose mais attends la suite : elle m'a dit qu'il y avait eu une sorte d'aura lumineuse dans le couloir — elle le sait parce que ça l'a réveillée et tu sais combien les portraits tiennent à leur sommeil. Bref. Mais ce n'est pas le meilleur. Quand le groupe est repassé devant elle... Ce n'était plus un groupe, puisqu'il n'y avait plus qu'un seul Gryffondor ! Donc soit, il a tué tous ses amis, ce qui serait en soit vraiment dramatique et je pense qu'on en aurait entendu parler, soit... »

Tout le corps de la jeune femme frémissait d'impatience à l'idée de partager l'idée qui avait germé dans son esprit à l'instant où Brigitte s'était confiée. D'autant que ça rejoignait totalement leurs précédentes réflexions. Comprendrait-il la même chose qu'elle ?

« Soit ils ont réussi à passer par un autre chemin. Mais comme cette partie du couloir n'a pas d'issue connue... Le tableau les a peut-être aidés à disparaître. »

Ça avait quelque chose de réellement frustrant d'annoncer une information comme celle-ci à voix basse, en revanche.

Siobhán aurait voulu le crier sur tous les toits si sa pudeur ne la rattrapait pas.