A life for a life, that's the promise of the gypsies

Aram se balançait sur les pieds de sa chaise, faisant grincer le bois qui avait vu passer des générations de Romanez. A l’étage de sa roulotte, il percevait clairement la respiration régulière de @Zoey Woods qui dormait profondément. C’était rassurant… Si ses plaies s’étaient déjà pratiquement refermées, les blessures de son âme quant à elles semblaient encore et toujours à vif. Il arrivait à la sorcière de se réveiller en pleine nuit, tant habitée par les cauchemars de son récent passé que le tzigane lui-même craignait qu’elle ne recouvre toute sa raison.

Et pourtant, la plupart du temps, elle semblait aller mieux. L’espace exigu de la caravane paraissait l’étouffer de plus en plus et la sorcière n’avait qu’une envie, c’était de goûter de nouveau à l’air libre. S’il n’y avait cette menace qui continuait de planer au-dessus de sa tête, Aram l’aurait poussée à sortir, quitte à la traîner dehors à dos de licorne. Cependant, le Rom devait se montrer prudent. Et il avait beau tourner et retourner la situation dans tous les sens, il ne voyait que peu d’alternatives pour elle. La première était de trouver un allié, suffisamment puissant et confortable pour qu’il la prenne sous son aile et lui assure une certaine forme de protection. Peut-être même sans que Zoey ne sache bien à quel point… Quelqu’un en qui Aram pouvait avoir entièrement confiance… Il n’y avait bien qu’un visage qui ressortait parmi la fange dans laquelle se roulait le Marché aux Trolls...

Se décidant enfin, le tzigane se leva d’un bond, attisant les flammes magiques dans leur âtre tout en tendant l'oreille. La respiration de la jeune sorcière n’avait pas changé depuis la mezzanine, et son sommeil ne serait sans doute plus perturbé jusqu’au matin. A cette heure, il venait sans doute à peine de rentrer chez lui… C’était le moment d’aller le rencontrer. S’enroulant dans sa cape pour se protéger de la fin pluie londonienne, Aram s’exfiltra discrètement hors de sa caravane.

Quelques instants plus tard, il se trouvait devant la charmante maisonnette de Léandre Hamilton. Aram goutait peu la dureté des murs de pierre pour le caractère emprisonnant et permanent qu’ils avaient. Mais lui-même devait bien avouer que sa demeure correspondait en tout point à l’idée qu’on pouvait se faire d’une accueillante demeure. Un feu devait ronfler dans sa cheminée car de chauds reflets dorés faisaient miroiter les carreaux de ses fenêtres. Il était bien chez lui… Aussi, le Romanez s’avança contre son battant, frappant discrètement quelques coups selon un rythme de son cru.

La porte ne tarda pas à s’ouvrir, découvrant un sorcier reluisant comme un gallion neuf, surpris de le trouver là, et peut-être légèrement frustré par sa faim. Une alléchante odeur émanait en effet derrière lui, qui aurait rendu vie et affamé un squelette. Il l'interrompait en plein repas peut-être ? Manque de pot pour Léandre... Mais une aubaine pour l'arménien qui ne perdait pas une occasion de grapiller à tous les rateliers...

- Léandre mon ami, lança Aram dans un sourire qui laissaient ses dents en or briller à sa place. Aurais-tu la bonté d’âme d’offrir un verre à un pauvre diable trempé jusqu’à l’os ?

Aussi élégant qu’un roi même en n’ayant sur le dos qu’un peignoir, Léandre invita Aram à entrer avec ses bonnes manières habituelles. Pour le Romanez, il avait tout d’un dandy tes temps modernes. Un truand, certes, mais aux allures de gentilhomme. Il ne tarda d’ailleurs pas à inviter Aram à sa table. Ce dernier ne se fit pas prier, et retirant sa cape imbibée d’eau, il la sécha d’un geste de la main avant de s’avancer à la suite de son compagnon.

Une délicieuse odeur titillait les narines du tzigane et il ne cacha pas son intérêt devant la table dressée de son ami. S’asseyant sur la chaise qu’il lui présentait, l’arménien attrapa une serviette pour se la nouer autour du cou. A la hâte, et avant même que Léandre n’ait pu regagner son siège, il s’était coupé un morceau de tourte pour se l’enfourner dans la bouche. Fermant alors les yeux pour en apprécier toute la saveur, il se permit un long et bruyant grognement appréciateur avant de répondre à son hôte.

- Je dois te dire, prietene, que ta tourte à elle seule me ferait oublier toutes les roulottes du monde… Tu as vraiment un don. Tu es sûr que tu ne veux pas envisager d’ouvrir un restaurant ? J’y serai fourré tous les jours, ça tu peux me croire !

Comme Léandre lui avait servi un verre de vin, il le sirota avant de hausser des sourcils approbateurs dans sa direction. Attrapant la bouteille de blanc, il plissa les yeux pour en déchiffrer – difficilement – l’étiquette afin de jouer aux connaisseurs.

- Eh ben mon vieux, je vois qu’on ne se refuse rien !

En réalité, Aram n’était pas plus œnologue que bon lecteur. Mais chez lui, ses plus belles qualités allaient toujours de pair avec une forme de roublardise ; pouvant ainsi parfois le faire passer pour un simple esbroufeur pour qui ne prenait pas garde. Après quelques bouchées qui apaisèrent le feu de sa faim, il reposa son couvert pour observer Léandre, frottant distraitement sa barbe de trois jours.

- En réalité, ce n’est pas un simple hasard si je viens chez toi, André. Il se trouve que… Depuis plusieurs semaines, j’ai recueilli chez moi un oisillon… Un oisillon salement amoché. La pequeña se remet de ses blessures. Elle va s’en sortir, elle en veut… Aussi solide qu’un bambou vert. Elle commence d’ailleurs à en avoir sacrément assez de tourner en rond chez moi. Elle veut travailler, pour voler de ses propres ailes.

Le Rom attrapa son verre, faisant tournoyer le vin dans son vert en observant la manière dont le liquide s’accrochait à sa surface avant de se soumettre à la gravité. Il en but une gorgée avant de le reposer délicatement sur la nape.

- Tu connais le marché, c’est pas le travail qui manque. Elle aurait pu se trouver un petit quelque chose rapidement. Le souci… c’est que ceux qui lui ont fait du mal sont toujours dans le coin, à sa recherche… Et s’ils la retrouvent, elle risque d’y perdre un peu plus que des plumes… C’est pour ça que… je me suis dit que… tu aurais peut-être une proposition pour elle…

Aram planta dans celles de Léandre ses pupilles noires qui avaient retrouvé toute leur gravité.

- Si elle est avec toi, tu vois, ça me rassurerait vachement pour elle… T’imagines pas l’état dans lequel je l’ai trouvée, dans la fange, à la merci de tous…

Comme si le froid de la bruine venait seulement de l'atteindre, l'arménien fut parcouru d'un frisson et il attrapa de nouveau son verre de vin pour le vider d'une traite.

La bouche pleine, Aram grimaça un sourire reconnaissant à Léandre qui lui promettait un couvert chaque fois que leur route se croiserait. Il n’en fallait pas beaucoup plus pour combler un Romanez. Mais quand la discussion roda autour de la question de la jeune rescapée, le tzigane retrouva tout son sérieux pour planter les deux billes noires qui lui servait d’yeux dans ceux de son compagnon.

- Aye… elle possède du sang de lycan, prononça-t-il lentement pour juger la réaction de Hamilton. Mais elle déteste n’être renvoyée qu’à ça et ne semble faire partie d’aucune meute, ce qui la rend particulièrement vulnérable.

Il enfourna une nouvelle part de tourte, laissant le sorcier digérer cette information tandis que lui-même s’affairait à digérer son repas. Mais aucune indigestion ne semblait menacer Léandre qui paraissait plutôt très intéressé par ce qu’il venait de lui révéler. Comme Aram pouvait s’y attendre, il se montrait prêt à les aider tous les deux, mais il avait encore quelques bien naturelles questions. Soudain, la bouchée du Romanez lui parut amère et il dû boire une gorgée de vin pour la faire passer.

- L’un de ses ravisseurs s’appelle Jasper Miller. L’autre s’appelait Gabriel, mais lui n'est plus une menace, elle l’a tué en s’échappant. Ils ont mené tout un tas d’expérimentation sur elle… Ils l’ont torturée, frappée, lacérée, lui ont rompu les os… Ils l’ont violée, affamée. Elle en garde des traces, dans sa chaire et dans son âme… Elle ne m’a rien dit, j’ai simplement vu… et deviné le reste…

L’arménien repoussa son assiette à moitié vide. Le sorcier à l’appétit toujours insatiable se trouvait soudain écœuré par ces souvenirs ravivés à sa mémoire. Et encore, il n’avait pas tout raconté à son hôte. Il y avait certains récits qui ne pouvaient décemment être révélés dans un cadre de charmant et tranquille pavillon.

- J’ai pas encore pu me lancer à sa recherche parce que… je veux pas laisser la cățelușă seule trop longtemps…

Il était évidemment hors de question de lier Léandre trop étroitement à cette sombre histoire. D’une part, le Romanez se savait parfaitement capable de régler lui-même cette question, aussi discrètement et avec aussi peu de trace qu’on le lui avait appris. D’autre part, pour mettre Zoey à l’abri, il était préférable qu’Hamilton reste le plus éloigné possible de ce Miller.

- Si je la sais avec toi, alors… je pourrai faire ce que j’ai à faire…