Suzume no tojimari

La salle circulaire prêtait l'écho aux murmures indistincts d'une réunion couverte par le saint secret. Autour d'un secrétaire trop petit pour taire le reflet d'un vif échange, les timbres japonisant se firent articles jazzant et crevant en rebonds contre les barrières de papiers et bambous. Épaulé de son lieutenant, Viper faisait face aux réticences de vieux hommes aux mœurs plus traditionnelles. Les ordres du jours abordés et discutés, les saiki-komon se dévisagèrent un court instant. Les yeux de charbon du Jinroh ne purent manqué cette discussion spirituelle lui échappant. D'un soupir énergique, il conviant ces vieilles branches à briser la glace avant que sa patience de loup ne leur arrache leur faux-fuyants.

« Ryūjinchi-kashira…, que persifla l'un de ses éminents aînés. Que comptez-vous faire de la fille ? » Les sibilations d'un timbre transi d'effroi menaçait la plénitude du directoire, mais l'okami accueillit les craintes du doyen d'un maigre rictus.

Repoussant sa chaise, le lycan se releva. S'il les surclassait tous d'une tête, il ne saurait se montrer candide à s'aviser d'intimider ses propres administrateurs, et ce, même si ces derniers lui faisait l'affront de remettre en question une décision scellée par leur Kaicho. Le séant fauchant le coin de son bureau, les bras croisés contre son torse, l'esprit sauvage toisa de ses billes de jais cet ancien fidèle d'un Socho évanoui dans l'oubli. L'air suintait d'un parfum de sel chétif et la porcelaine blêmit trahissaient la panique intestine rongeant les entrailles de ce sénile sorcier.

« Trouvez quelqu'un de confiance pour la suivre discrètement. J'ai une promesse à tenir, mais n'éveillez ses soupçons sous aucun prétexte… La voix du jeune maître était posée, mais aucun de ses seconds n'auraient su remettre en cause la parole de l'homme en charge des affaires anglaises. « Et faites venir Himiko et ses nūru du Ryūgū-jō ! » Les doigts de l'obake glissèrent contre les reliures d'un antique carnet.

Au nom de la Kikoe-ōgimi, l'atmosphère s'électrisa. Des rumeurs protestataires s'élevèrent au sein de ses propres rangs, mais d'un raclement de gorge animal, le bakemono fit taire l'agitation guidant ces âmes fossilisées. Dans un sens, leur chifu comprenait l'élan de leurs inquiétudes, mais face au mal omniprésent murissant en Brynn, le nippon n'avait pas aucune option sage à poser sur la table. Bien qu'effrayante à bien des égards, Himiko constituait le dernier espoir sur lequel toutes ses attentes reposaient.

Conteuse de prophétie ou tisseuse de destin, au fil de générations minutieusement bonifiées, la lignée de cette tireuse de carte s'était forgée une réputation bien au delà des frontières du pays du soleil levant. Tombée dans le folklore de l'archipel oriental, désormais seules les fables circulant autour d'un pouvoir digne d'un conte pour non-magique alimentaient la curiosité du microcosme sorcier. Mais pour l'avoir brièvement côtoyé au palais familiale, Viper avait constaté de ses propres yeux l'horizon d'un privilège accordé par un Kami.

Et il ne fallait guère se fier à son apparence décharnée, car derrière ses airs de follet se cachait une grande prêtresse pratiquant une magie ancestrale dont elle détenait jalousement les connaissances. Capable d'ouvrir les portes du Yomi et de canaliser une puissance dépassant l’entendement des mortels, cette pythie était en mesure de bénir d'un bonheur inconditionnel ou de maudire l'âme d'un malheureux en un oracle. Et qu'importe le prix à payer pour s'offrir les services de cette mage, il était prêt à tous les sacrifices pour que l'encre noire d'une guenaude lève le siège de la nixe.

Les érudits du clan s'échangèrent un long regard avant de s'incliner respectueusement en guise d'approbation. Pourtant, sous le voile de paupières en amandes grignées, l'enfant-loup pouvait y lire les nuances d'un sentiment contestataire. Son poing s'écrasa alors sur la grume du cerisier. Laisser le doute s'immiscer était un aveu de faiblesse que le Kumicho ne pouvait permettre sous son toit, aussi fébrile eusse-t-il été. Consentir à ce que la défiance grandisse en chacun des protagonistes lui devant obéissance et loyauté revenait purement à confesser une prédilection à la perte de son rang de Wakagashira.

« Par Ryujin, ne vendez pas votre âme à cette sorcière pour une inconnue ! » Empli de maladresse, la plus brave de ses aides avait osé exprimer haut et fort ce que la majorité silencieuse pensait.

« Cette "inconnue" fait partie de la famille que l'idée vous plaise ou non ! Le garçon-loup les fusilla un à un de ses prunelles de bête. Osez défier mon arbitrage et j'invoquerais l'Uragiru, l'auriculaire qu'il vous reste sera la dernière de vos préoccupations ! » Ses ordres distribués, d'un mou revers de main le yōkai invita ses plus proches conseillers à évacuer l'enceinte de ses quartiers. Les aiguilles d'une soif affolant sa gorge, la faim du monstre s'éveillait et ne le quitta qu'une fois le plaisir d'une solitude à nouveau embrassée.

Le dos perdu contre les courbes d'un tison colossal, à l'image d'un chien attendant le retour de son maître, le dragon s'imprégnait des dernières essences de la Gwent papillonnant joyeusement au cœur de l'éther. Amer de n'avoir cueillit que la tiédeur de son absence au matin, il ne saurait manquer un retour martelant déjà ses sens dans le lointain.

En partant ce matin, elle avait aperçu un regard ou deux dans sa direction. Des regards qu’elle s’imaginait curieux, mais qu’elle avait cru voir défiant. La peur, peut-être ? Ou simplement le dégoût de ce qui était différent ? Brynn n’avait rien fait de plus que de fuir, d’abord pour la douceur de son petit foyer dans lequel elle avait trouvé quelques vêtements et le confort d’une douche silencieuse, sans avoir l’impression d’être ailleurs que chez elle, avant d’attaquer sa véritable journée.

Elle n’avait pas dormi aussi longtemps que ce qu’elle aurait aimé, mais la fatigue était bonne, aussi c’est un sourire fin aux lèvres que la jeune fille était arrivée chez Baba et Yaga. Ça n’avait pas échappé au vieux russe qui avait levé un sourcil mais n’avait posé aucune question. Cela lui semblait déplacer, et même s’il avait en charge une certaine surveillance, ce n’était pas non plus son enfant. Pour ce qui était de l’alchimiste Yaga, elle se montra plus bavarde, plus curieuse, mais Brynn avait simplement souri. Ce n’était pas sans rappeler Branwen et ses silences lourds de sens. La pomme ne pouvait pas tomber si près de l’arbre, aux yeux de la vieille créature magique.

La journée fut rythmée par quelques pensées, par de nombreuses questions surtout. De temps en temps, son regard se perdait vers la Tour, se demandant si Viper était occupé, s’il pensait à elle comme elle pensait à lui. S’il lui avait manqué cruellement ces derniers mois, il semblait que tout son être n’avait qu’une seule envie, c’était de le retrouver. Une autre part, plus petite mais plus bruyante, lui rappelait ce qui l’avait poussé à fuir, alors aussi la petite nixe continuait son travail, tiraillée entre le cœur et la raison.

Peut-être que je pourrais travailler avec Viper.

Mais je suis clairement une étrangère pour eux. Je ne parle même pas la langue, contesta-t-elle.

Je pourrais apprendre cela dit. Ça ne doit pas être bien compliqué.

Et en même temps, les katana, les romanjis… reprit toujours la voix de la raison.

Je pourrais ne pas travailler aussi. M’économiser. Avoir plus de temps pour chercher une solution.

Et puis quoi encore ? Être une bonne à rien qui attend ?

Dans le brouhaha de ses pensées, un odieux fiélon lui mordit la main, mais il recracha aussitôt comme si on venait de l’empoisonner. La Gwent ne put faire autrement que de dire en voyant l’effroyable boule de poil noire aux dents crochus éructer comme un gros chat, tout en frottant frénétiquement sa longue langue noire de ses petites mains griffues. Elle eut un petit sourire triste enfin, constatant que sa main noire n’avait pas saigné, mais son goût avait été assez atroce il semblerait pour que le fiélon ne retente pas l’expérience.

Le bandage avait été refait du matin, et si sa peau était parfaitement propre et saine, sans aucune odeur de gangrène ou de quoi que ce soit de vraiment repoussant, Brynn ne supportait pas de le voir noir comme le jais. Comme si on lui avait trempé tout l’avant-bras dans un pot d’encre. Et plus les jours passés, plus la marque grimpait. A la fin de septembre, elle lui avait doucement dévoré les doigts, mais il y avait des matins où elle avait grandi de plusieurs centimètres, et désormais, elle léchait avec affection le début de son biceps.

Yaga lui avait dit que lorsque la marque atteindrait son cœur, il n’y aurait plus rien à faire pour elle. Brynn n’en avait rien dit à personne jusque-là, pas même à Viper, mais si en deux mois, la marque avait franchi ses doigts, son avant-bras et désormais son coude, combien de temps lui faudrait-il encore pour atteindre son myocarde ?

Être honnête était dans ses gênes et dans son habitude. Une vieille légende racontait même que les Gwent étaient devenus des Rois suite à la bénédiction de la Severn sur leur famille, mais que cette bénédiction ne tenait que tout pendant que leur famille restait droite et intègre. C’est aussi de là que venait toute la mystification de la Parole d’un Gwent. Brynn n’y croyait pas vraiment, mais elle n’avait pas non plus envie de fâcher davantage les fées, pour ce qu’elle les savait susceptible et cruelle, à l’image de la guenaude.

A cette idée, elle soupira bruyamment, attirant un moment l’attention de Baba, mais la gamine faisait du bon boulot, aussi il passa outre. La journée roula jusqu’à que le vieux russe ne la remercie pour son travail, lui offrant un petit truc à manger que Yaga avait ramené d’une des échoppes du Marché. Brynn les remercia chaleureusement et partit, d’abord passer à son appartement où elle prit une bonne douche afin de se débarrasser des odeurs de la ferme, puis elle enfourna dans un sac quelques habits pour ne pas avoir à faire de nouveau le voyage tôt le matin, puis elle remonta les longues allées.

Elle grignota la tête un peu ailleurs un belayachi, un pain fourré de viande russe, avant de se laver les mains à une des quelques fontaines qui faisaient remonter l’eau souterraine.

Il était encore tôt quand elle arriva à la hauteur du Nishi Chōme.

Elle s’arrêta un instant devant, se demandant ce qu’elle devait dire et à qui. Le matin même, elle avait mis un petit temps et avait eu l’impression de fuir comme une voleuse, mais comment devait-elle se présenter ou simplement demander à voir ce qu’elle avait deviné être « leur chef » ? Les regards n’avaient jamais été un problème auparavant, mais depuis la malédiction, elle se trouvait à s’angoisser au moindre regard insistant. Quelque chose de paranoïaque lui soufflait bien des maux à l’oreille, mais la fille-serpent avait encore sa fierté et son honneur pour elle.

Brynn avança pourtant, se raclant doucement la gorge en tentant d’aborder un des hommes qui étaient posté là.

« Bonjour, est-ce que je pourrais… »

La petite brune n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’on lui indiquait d’une main d’entrer. La fille-serpent se pencha en avant afin de les remercier, d’un air un peu maladroit, soufflant un « merci » timide, avant d’entrer.

Elle ravala sa salive et fut accompagnée sur une grande partie du trajet par un homme qui la talonnait, tout en lui indiquant quel couloir prendre. C’est docilement que Brynn avançait, mais elle n’eut un vrai sourire enchanté qu’au moment où une énième porte s’ouvrit et la laissait apercevoir Viper plus loin.

Son pas se fit plus souple et son visage plus lumineux alors que les portes se refermaient derrière elle, sans qu’elle n’y fasse attention ; elle était déjà partie rejoindre l’enfant-loup, jusqu’à venir déposer un baiser rapide sur ses lèvres en guise de bonjour. C’était la même chose qui, sur sa tempe, avait dit au revoir le matin. Ainsi la boucle était bouclée.

« Tu m’attendais ? »

La besace sur la hanche, ses cheveux étaient encore humides mais au moins, Brynn était revenue. Disparaître de nouveau avait été une option, mais après de nombreuses réflexions, elle s’était finalement rendue à l’évidence qu’elle avait besoin d’aide, et que si les choses se finissaient mal, les souvenirs de Viper l’accompagneraient au moins jusque-là. Ce n’était certes pas l’optique la plus optimiste, mais c’était la plus réaliste à ce moment-là.

Ses yeux balayèrent l’endroit, alors qu’elle ajustait une mèche de cheveux derrière son oreille de sa main débandée.

« C’est très beau. Je n’ai pas eu le temps de le dire hier, mais il y a des enchantements ici qui sont d’un niveau époustouflant… C’est amusant, à côté de ça, le Gorsedd fait un peu plus… chaotique. »

Ce n’était ni mieux ni moins bien, juste différent. Tout était différent avec Viper, dans le bon sens du terme. Il était sa rencontre chanceuse, du moins c’est la conclusion que Brynn avait eu après une journée entière à ressasser.

Les battements d’un myocarde synchronisés aux chuchotements distant d'un course perçant le mutisme chaperonnaient un esprit captivé par une avancée feutrée. Le lycan tourna la tête vers l’unique accès d'une antichambre coite et prostrée dans le passé. S'il devinait le pas léger de l'enfant-serpent, le parfum lointain et humide de la nymphe parvenait déjà à hypnotiser le sens aiguisé du loup en sommeil. La patience ne faisait certainement pas partie du vocabulaire de l'asiatique, mais lorsqu'il s'agissait d'attendre sa promise, la latence ordinaire du temps semblait se prendre de bonds joueurs et se dilater en une stase conciliante.

Ainsi, les lombaires du jinroh quittèrent l'inconfort d'un empyreume boisé et machinalement il pivota, son regard de jais braqué sur les fusuma, ces lourdes cloisons en papier et bambou séparant ses quartiers des parties communes du Nishi Chōme. Le Ryūjinchi resta immobile alors que les portes coulissantes se refermaient sur la silhouette gracieuse de la galloise. Les bras ballants le long de ses flancs, le cœur du garçon sauvage se serra d'un roulement à l'optimise expansif. Finalement, un mince filet d'appréhension allégea la conscience butée de l'animal solitaire.

En un fin soupir crevant dans l'éther, le pressentiment d'une nouvelle fuite s'évapora en un rictus apaisé. La couvant des yeux, la nixe se muait d'un effleurement aérien et rejoignit le jeune homme désireux d'un contact ayant manqué au matin. Le chant florissant d'un sourire enjôleur pointant à la commissure d'une bouche peinte d'une ivresse amoureuse, l'insulaire s'immola d'une effervescence consumant ses joues alors qu'elle cueillait ses lèvres d'une brève caresse.

Heureux qu'elle ait décidé de ne pas se soustraire une énième fois, les manches du yōkai enlacèrent la taille de la couleuvre. À l'aube, la narcose lui avait arraché la fraicheur d'une embrassade et Viper n'avait eut que l'essence d'une tiédeur sylvestre à laquelle s'accrocher au réveil afin de combler l'absence de la brune. Aussi, tel un python, il consolida tendrement son emprise sur la menue naïade et l'attira contre son torse. Les lèvres de l'enfant-loup se pressèrent alors de s'enquérir du derme vermeil de la Gwent en un baiser luxurieux.

Une lueur puérile tigra les billes charbonneuses de l'obake. Sans un mot, et surement par gène de s'être vu pris la main dans le sac, le louveteau remua sobrement son museau de haut en bas en signe d'approbation. Plus tôt dans la matinée, certain d'avoir à subir la carence de sa compagnie, en maître juvénile, il avait ordonné honteusement de la faire suivre, et ce, malgré les réticences sonores de ses plus proches conseillers. Caché derrière l'excuse d'une promesse à tenir, il s'était rassuré de sorte qu'un abandon ne saurait passer inaperçu.

Brisant le lacis de leur chair couverte se réchauffant d'un contact agréable, les doigts du japonais s'unirent aux phalanges débandées de la serpentine. Ses amandes suivant le layon de prunelles d'émeraude, le wakagashira haussa les épaules. L'homme et sa part animale préféraient de beaucoup la virginité et l'immaculé d'un tertre au faste traditionnel d'un monde en basse-fosse. La forêt et sa faune féérique, aussi dangereuse puisse-elle être, offrait un bol d'air exotique dans lequel Otoko et Ōkami aimaient à chasser sans jugement. Ici-bas loin d'un cycle lunaire exprimé au traverse des frondaisons, la notion de temps se perdait au creux d'un ersatz de lampe astrale et les humeurs du Kumicho s'en ressentaient.   

« Plus ordonné et raffiné que Gorsedd, un certain attachement aux traditions de l'ancien propriétaire sans doute, mais j'aime mieux l'authenticité et le pittoresque du bosquet des Gwent. » Les locaux de la succursale étaient certes beaux et plâtrés d'une palette d'enchantements hors d'atteinte pour un étudiant en décrochage scolaire, il n'en restait pas moins étouffant. Le poids des responsabilités et la lourde mission dont il avait hérité en même temps que des affaires lucratives ne lui laissaient guère de place à l'échec.

Néanmoins, dans le smog du devoir et du scepticisme, il était conscient qu'elle seule exerçait sur lui un pouvoir consolatif. Qu'importe le temps et l'espace, les vivants n'avaient été que des mirages dans la vie du démon, mais l'aura de la celte accomplissait sur lui des miracles et effaçait l'instinct farouche du lycanthrope. À ses côtés, l'endocarde de pierre du kodomo s'émiettait et frissonnait à chacune de ses attentions. Et s'il n'arrivait pas à comprendre tout le sens de leur rencontre, il était intimement persuadé qu'ils étaient voués à se sauver l'un et l'autre. Mais pour cela fallait-il encore qu'ils s'élèvent au-dessus de l'obscurité de noirs secrets jalousement gardés.

Par où commencer et combien de guet-apens le destin comptait-il leur tendre avant qu'ils ne puissent goûter à la simplicité du sentiment les subjuguant ? Cette force de la nature endormie l'ignorait et se fit plus fébrile à l'idée d'aborder un sujet aussi épineux. Il y avait-il seulement une manière de tourner la chose sans se risquer à transgresser leur fierté ? La crainte soufflant sa brise contre sa nuque, une convulsion écharpa l'échine du botchan. Trainant sa carcasse au centre de l'hémicycle, le regard sombre du loup se dilua parmi les vagues s'échouant sur la voute. Avec pudeur, tel un enfant effarouché, la vipère se racla la gorge et chavira avec mollesse afin qu'un fauteuil ne fauche son corps désarticulé qu'un cri ne suffirait à expier de ce spectre polissant son âme.  

« Il serait stupide d'ignorer les changement récents régissant nos vie… Ses mots se hissèrent d'une voix claire qu'une tempête n'aurait su estomper. On ne peut pas fermer les yeux éternellement et se dire qu'il nous suffit de passer sous le silence de draps froissés nos situations respectives. » Faute de mieux, la maladresse du jeune maître éventra une boîte de Pandore à laquelle ils s'accrochaient tous deux. Sa paume égrisant une gaucherie lui collant au cuir, le Ryūjinchi s'extirpa de son trône d'épines et bifurqua une moue peinée sur la chrysalide de la guenaude Oiche enveloppée d'un lange blanc.

Une boule au ventre, Viper se figea face à la petite brune et déroba ses écailles ophidiennes de leur errance. Malgré un faux-pas qu'il était prêt à reformuler, il souhaitait plus que tout ce qui lui était cher l'aider et avancer avec elle dans une direction commune. Cloisonnant au creux d'une paume sénestre et ardente les mains de la fourchelangue, sa patte dextre flatta la joue du serpent d'un geste affectueux. Le mononoke consentait à lever le voile sur le mysticisme entourant ce nouvel entourage intimidant pourvu qu'à son tour elle lui révèle l'évidence d'une marque dévorant peu à peu de son chagrin halé cet avant-bras pansé.

Un petit sourire fila sur les lèvres de Brynn, s’amusant de la franchise intacte de l’enfant-loup, mais aussi de sa préférence. Ses doigts serrèrent un peu plus la main de l’homme alors qu’elle le suivait. Elle aurait aimé lui répondre qu’un jour proche bientôt ils pourraient retourner dans sa forêt natale, et qu’ensemble ils iraient courir dans les champs clairs sous la lune, mais l’idée lui paraissait de plus en plus lointaine, comme hors d’atteinte, comme si elle s’en éloignait de jour en jour. Le sourire se fâna doucement mais Brynn n’était pas triste et aussi elle serra une seconde fois les doigts de Viper entre les siens, se faisant la réflexion qu’elle ne le serait jamais - triste - pour peu qu’il fut avec elle.

Sa présence rendait la suite de leur aventure moins sombre. Elle n’était plus qu’un pâle souvenir de la jeune fille lumineuse qu’elle était, et si Viper avait longtemps été la lune l’accompagnant dans ses songes, elle se demandait s’il ne l’avait pas remplacé en loup solaire sur la voûte, puisque tout paraissait plus chaud et douillet dès lors qu’il la guettait.

Ce n’était peut-être que les retrouvailles qui la travaillaient, mais elle avait eu le temps d’y penser - beaucoup - à la ferme de Baba, et à le voir ici, et à la suivre, elle n’en démordait pas. Elle l’aimait, même si elle ne savait pas encore ni le penser sereinement, ni le lui dire vraiment.

Encore moins quand la situation se présentait comme elle se présentait.

Brynn observa Viper s’asseoir, puis se lever, cherchant sans doute une bonne position pour dire ce qu’il avait à dire, mais tout comme elle, il se montrait tantôt frontal, tantôt fuyant. La petite nixe eut un moment de doute, restée debout, alors qu’il revenait doucement vers elle. Ses mains dans les siennes, l’héritière du Gorsedd comprit enfin, au moment où le regard de l’enfant-loup se posa sur ses bandelettes blanches et propres, ce qu’il voulait entendre par là. Ou plutôt, ce qu’il désirait voir.

Elle ferma les yeux un instant alors que sa tête se penchait, dévoilant sa gorge blanche, ses cheveux mal coupés à cet endroit ne couvrant plus la nuque délicate de la nixe. L’enfant-serpent avait pu esquivé la veille la question, et l’enfant-loup avait été respectueux jusque dans leurs ébats, mais il avait tout aussi le droit d’avoir des réponses qu’elle avait le droit de lui poser toutes les questions qu’elle désirait.

Il n’empêchait que ça ne rendait pas la chose plus simple à prononcer ou à formuler.

Les yeux ophidiens guettèrent le sol en se rouvrant, incertaine de la façon dont elle voulait que ça se passe. Ses doigts se contractèrent doucement entre les mains de Viper, alors que lentement, la main bandée s’extirpait mollement de l’écrin chaud des phalanges lupines. Elle la tourna vers elle-même, l’observant d’un oeil silencieux un long moment, et puis finalement sa dextre alla remonter dans l’intérieur de la manche de son pull jusqu’à trouver le petit noeud qui liait le bandage. Elle tira mollement dessus, jusqu’à le dérouler en silence, les yeux ne quittant pas le bras qu’elle découvrait, noirci jusqu’après le coude, comme s’il avait été plongé dans une encre sombre.

Cela pouvait sembler banal, mais on sentait à la caresse que l’écaille de la fille-serpent n’était plus aussi douce, et que ses doigts s’étaient transformés en longues griffes, comme celles des sorcières des contes pour enfants. Le tout n’était pas si horrible, et Brynn aurait presque pu vivre avec, si cela ne signifiait pas de perdre le contrôle de ses faits et gestes tous les quatre matins.

Sans relever le regard, admirant elle aussi dans un silence la triste vérité, elle trouva néanmoins le courage de briser le silence qu’elle ne voulait pas trop pesant. D’une certaine façon, elle tenta de rassurer Viper, même si dans le fonds, il n’y avait pas grand chose que l’un comme l’autre pouvait faire :

« Ce n’est pas douloureux. C’est... pas très beau, mais ce n’est pas douloureux. Ça a commencé par les bouts des doigts, en septembre, et maintenant, ça m’arrive... jusque là, je crois », elle tira doucement la manche, dévoilant le coude, avant de laisser le pull recouvrir une nouvelle fois son bras. Un frisson désagréable lui remonta l’échine. Elle ne regardait toujours pas l’enfant-loup, de peur peut-être d’y voir du dégoût, ou pire, de l’inquiétude.

« D’après Mara, quand la marque aura atteint mon coeur, ce sera trop tard pour moi. Je n’ai pas beaucoup de piste, et je patauge depuis que je suis le Marché, mais je me dis qu’il doit y avoir un moyen. Il y a toujours un moyen. D’après ma mère, les fées ont l’obligation de toujours laisser une façon de lever une malédiction quand elles en lancent une, mais pour le moment, j’ai pas vraiment trouver le moyen, comme tu peux le voir. »

Elle inspira, reculant d’un petit pas, se sentant mal à l’aise aussi proche de Viper et avec ce bras, qu’elle abaissa.

« En ce moment c’est plutôt calme dans ma tête. Je n’entends plus de voix, et mon bras m’écoute. J’ai... Peut-être qu’il a eu peur que je le coupe pour de bon, s’il recommençait. »

Il n’y avait encore que dans ses cauchemars que parfois, tout lui revenait. Le cadavre de Noodle tout d’abord, mêlé aux plumes de l’oiseau du cours de soin aux créatures magiques. Elle revoyait parfaitement le visage de  @Siobhán Gavalagh-Korrigan  se tordre d’une grimace affreuse en voyant le pauvre poussin être broyé entre ses doigts.
Qu’est-ce que ce serait si c’était la gorge du loup qu’elle arrachait ?

Ses yeux restèrent bas, alors qu’elle se penchait pour ramasser la bandelette qu’elle avait laissé choir peu avant, ne sachant pas vraiment quoi dire de plus.


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Doigts et bras de Brynn.